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chaîne de représentants conduits à la geôle. » Et ils attendirent patiemment! Et à aucun d'eux ne vint une courageuse pensée! Eh! quoi, la foule qui, un instant auparavant, avait accueilli par des acclamations une harangue de M. Berryer grossit, la 10° légion est prête à marcher au premier signal, deux de ses chefs de bataillon, MM. Guillo et Balot, étaient venus se mettre à la disposition de l'Assemblée, « des gardes nationaux qui sont dans cette cour. criaient chaque fois que la porte s'ouvrait pour laisser passer les officiers allant et venant: Vive la République! Vive la Constitution (1)! » On sait qu'une grande fermentation règne parmi les jeunes gens des écoles et que plus de douze cents d'entre eux ont tenté de se rapprocher de la mairie,— et pas un de ces représentants qu'on chasse et qu'on humilie, nile général Oudinot, ni le général Lauriston, ni l'amiral Cécile ne font appel à tant de dévouements patriotiques! A les entendre crier: «Tous à Mazas! » A voir leur piteuse "attitude en attendant qu'on les y mène et leur empress 'ment à se ranger entre deux haies de soldats dès que l'ordre du départ est, enfin, donné, on eût dit, vraiment, qu'ils avaient peur d'un secours d'où pouvait naître un danger pour leur vie, et hâte de trouver un abri derrière les murs d'une prison. Le général Forey, étalant son ignominie à la tête de la colonne, les dirigea vers la caserne du quai d'Orsay.

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Quelques membres de la Haute-Cour auraient bien voulu être arrêtés aussi ! Grande était leur perplexité! Personnellement ils approuvent, au fond du cœur l'acte du Prince dont ils se sont montrés les partisans. Magistrats, ils sont liés par un serment, et ils ont sous les yeux la Constitution qui trace leur devoir; quoi qu'il en soit, ils le remplirent. La Haute Cour se réunit. Après une courte délibération, visant «< les placards imprimés et affichés sur les murs de la Capitale, attendu que les faits et l'emploi de la force

(1) Compte rendu rédigé par les sténographes ordinaires de l'As semblée.

militaire dont ils sont appuyés réaliseraient le cas prévu par l'article 68 de la Constitution, déclare qu'elle se constitue, dit qu'il y a lieu de procéder, nomme pour son procureur général M. Renouard et s'ajourne à demain midi pour la continuation de ses opérations. » Les juges signaient cet arrêt lorsque trois commissaires de police, accompagnés d'officiers de paix et d'un détachement de gardes municipaux commandés par M. de Montour aide de camp du ministre de la marine « envahirent la chambre du conseil et sommèrent la Haute-Cour de se séparer sous peine d'être dissoute par la force et ses membres emprisonnés. La Cour protesta et déclara qu'elle ne cédait qu'à la force. » Les juges se rendirent chez leur président pour constater sur les registres cette violence exercée contre eux « par ordre de M. de Maupas préfet de police. »

Les membres du conseil d'État « ayant trouvé le lieu de leurs séances entouré par la force armée qui leur en a interdit l'accès,» protestèrent contre le décret du 2 décembre et déclarèrent «< n'avoir cessé leurs fonctions qu'empêchés par la force. » Les journalistes indépendants essayèrent vainement de publier une protestation qu'ils avaient signée.

Vers midi, des dragons, des carabiniers et des cuirassiers arrivaient de Saint-Germain et de Versailles pour renforcer les troupes, déjà nombreuses, qui entouraient la résidence présidentielle. On décida Louis Bonaparte à se montrer dans quelques rues de Paris. Ayant à sa droite le vieux Jérôme, à sa gauche le comte de Flahaut, il sortit de l'Elysée, à cheval. Un nombreux état-major l'entourait. L'attitude dédaigneuse et froide que gardait la foule en le voyant passer abrégea l'exhibition de la brillante cavalcade; il ne s'aventura pas au delà des quais et des rues que les troupes occupaient. Quand il atteignit le Pont-Royal, des cris de « Vive la République ! Vive la Constitution! » l'accueillirent, et il reprit le chemin de l'Elysée. Dans l'aprèsmidi, il passa la revue des troupes qui protégeaient son

palais où il se confina jusqu'à ce qu'il n'y eût plus une ombre de péril. C'est ainsi que le bravache tint la promesse qu'il avait récemment faite aux officiers en ces termes : « je ne vous dirai pas: marchez, je vous suis; mais, je vous dirai: Je marche, suivez-moi! »>

A deux heures de l'après-midi, Michel de Bourges, entouré de plusieurs de ses collègues et revêtu de son écharpe, haranguait, de l'une des fenêtres du restaurant Bonvallet, une grande foule. Des nuées de sergents de ville s'abattirent sur la maison; les représentants purent, à travers le jardin, gagner un refuge dans le passage Vendôme. Ils se retrouvèrent, à quatre heures, chez M. Beslay, ancien constituant; la réunion était nombreuse; un avis que la police arrivait obligea les représentants à chercher un autre gite. Après de longues recherches, on se retira chez M. Lafon, quai de Jemmapes. Un comité de résistance fut nommé ; il se composait de M.M. Victor Hugo, Schoelcher, Madier-Montjau, Jules Favre, Michel, de Flotte et Carnot. Ce comité devait se réunir dans un lieu qu'il connaîtrait seul et d'où il transmettrait ses résolutions et ses ordres. On apprit que la maison était surveillée et que les soldats de MARULAZ dont la brigade campait non loin de là pourraient instantanément l'investir.

A travers une nuit obscure, on se dirige vers la rue de Popincourt et on la suit, à tâtons, cherchant les ateliers de Frédéric Cournet. Bientôt, nos amis emplissent une salle vaste et nue; il y a deux tabourets seulement; Victor Hugo qui va présider en prend un; l'autre est donné à Baudin qui servira de secrétaire. La résistance armée est l'unique pensée de tous: « Écoutez, s'écrie Victor Hugo; rendezvous compte de ce que vous faites. D'un côté, 100,000 hommes, 17 batteries attelées, 6,000 bouches à feu dans les forts, des magasins, des arsenaux, des munitions de quoi faire la campagne de Russie; de l'autre 120 représentants, 1,000 ou 1,200 patriotes, 600 fusils, deux cartouches

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par homme, pas un tambour pour battre le rappel, pas une cloche pour sonner le tocsin, pas une imprimerie pour imprimer une proclamation; à peine, çà et là, une presse lithographique, une cave où l'on imprimera, en hâte et furtivement, un placard à la brosse; peine de mort contre qui remuera un pavé, peine de mort contre qui s'attroupera, peine de mort contre qui sera trouvé en conciliabule, peine de mort contre qui placardera un appel aux armes. Si vous êtes pris pendant le combat, la mort; si vous êtes pris après le combat, la déportation ou l'exil. D'un côté : une armée et le crime; de l'autre une poignée d'hommes

et le droit. Voilà cette lutte, l'acceptez-vous (1). »

A cette parole patriotique et puissante, un cri subit, unanime répondit : « Oui, oui, nous l'acceptons. » Il était plus de minuit quand on décida que, le lendemain matin, à huit heures, les représentants, les journalistes et tous les hommes résolus se réuniraient dans le faubourg, au sein même du Peuple; en se réfugiant dans ses bras, les représentants de sa souveraineté le mettraient en demeure de se défendre lui-même. Sur l'indication de Baudin, on choisit pour lieu de rendez-vous le café Roysin, en face du marché Lenoir.

(1) Les paroles de Victor Hugo furent sténographiées par l'un des assistants; c'est ainsi que je pus les donner, dès 1852, dans mon Histoire de la terreur bonapartiste, telles qu'il les prononça.

CHAPITRE V

LF 3 DÉCEMBRE 1851

rateurs.

Mort de

La journée du 3 décembre : Des prisonniers repoussant leurs libéDes représentants républicains au faubourg SaintAntoine. Désarmement de deux postes. - La barricade. Conduite héroïque de huit représentants du Peuple. Baudin et d'un jeune ouvrier. Ce qui suivit la tentative insurrectionnelle. Le ministère du coup d'État et la commission consultative. Protestations. - M. de Morny aiguillonne ses complices; son système d'« envahissement par la terreur. »— Encore la Haute-Cour.- L'agitation grandit. - Arrêté de MM. de Morny et de Maupas. Monstrueuse proclamation de SaintArnaud. · Réunions chez MM. Landrin et Marie. Meurtres préparés et exécutés par le colonel Rochefort. Exécutions sommaires dans la rue Beaubourg. Conseil militaire; combinaison d'un massacre. Transfèrement à Ham de huit prisonniers.

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Le comité de résistance avait chargé Victor Hugo de rédiger une proclamation à l'armée. J'ai fait connaître cette admirable page qui appartient à l'histoire.

La nuit se passa calmement. Vers six heures du matin, au faubourg Saint-Antoine, des ouvriers se groupaient. Frédéric Cournet secouait leur indifférence en les éclairant sur la portée du coup d'État, lorsqu'on vit des omnibus s'avancer; des lanciers les escortaient. Quelques voix s'écrient : « Ce sont des représentants du Peuple! » « Délivronsles!» ajoutent Cournet et Malardier en s'élançant vers le premier omnibus dont les chevaux saisis par la bride s'ar

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