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l'arrêt de la veille, fut introduit et déclara qu'il acceptait les fonctions de procureur général. La Cour lui donna acte de sa déclaration, et attendu que les obstacles matériels à l'exécution de son mandat continuaient, elle s'ajourna (1).» L'arrêt qu'elle avait rendu, la veille, et les proclamations de la gauche républicaine circulaient dans beaucoup de quartiers; sur les boulevards, on les lisait tout haut; la nouvelle de la mort de Baudin multipliait les rassemblements; l'agitation grandissait; les excitations à la résistance étaient mieux accueillies; on escarmouchait dans les rues Aumaire, Beaubourg, Saint-Denis, Transnonain, Saint-Martin et Rambuteau.

Vers trois heures, on affichait cet arrêté portant les signatures de MM. de Morny et de Maupas : « Tout rassemblement est rigoureusement interdit; il sera entièrement dissipé par la force. Tout cri séditieux, toute lecture en public, tout affichage d'écrits politiques n'émanant pas d'une autorité régulièrement constituée sont également interdits. »

On placardait, en même temps, la proclamation suivante : << Habitants de Paris, les ennemis de l'ordre et de la société ont engagé la lutte. Ce n'est pas contre le gouvernement, contre l'élu de la nation qu'ils combattent, mais ils veulent le pillage et la destruction. Que les bons citoyens s'unissent au nom de la société et des familles menacées ! Restez calmes! Pas de curieux inutiles dans les rues; ils gênent les mouvements des braves soldats qui vous protégent de leurs baïonnettes. Pour moi, vous me trouverez toujours inébranlable dans la volonté de vous défendre et de maintenir l'ordre Le ministre de la guerre, vu la loi sur l'état de siége, arrête : Tout individu pris construisant ou défendant une barricade, ou les armes à la main, sera fusillé. »

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« Le général ministre de la guerre de SAINT-ARNAUD. »

(1) J'ai adopté, au sujet des trois réunions de la Haute-Cour, la version de M. Eugène Ténot, qui semble être la vraie, car elle n'est que la reproduction du « Procès-verbal des opérations de la HauteCour. »

L'audace du surveillant de Blaye, la férocité du tigre de la caverne de Shélas respirent dans cette proclamation sauvage. Saint-Arnaud, impute, d'abord, aux défenseurs de la loi qu'il viole le crime qu'il commet lui-même << en aidant à faire de la France une dépouille (1). » Car on lui a promis une grosse part.« dans la répartition du butin, » et comme il a « de grands besoins,» sa large coopération à l'attentat lui donnera « le droit d'extorquer beaucoup à son complice principal, de retourner souvent, fort souvent à la charge, de demander et de toujours demander davantage (2). » Après avoir calomnié les hommes de cœur opposés à ses mauvais desseins, il décrète contre eux des barbaries inconnues aux peuples civilisés. Si, quelquefois, dans les guerres civiles, une exaspération engendrée par l'acharnement de la lutte pousse des soldats vainqueurs à fusiller des citoyens désarmés après le combat, jamais encore il n'était venu, que je sache, à l'esprit d'un chef supérieur de l'armée. française de décréter, avant la bataille, la mort et l'exécution immédiate de tout individu pris en construisant où en défendant une barricade, ou les armes à la main. Ce soudard devenu ministre de la guerre comprend la monstruosité d'un pareil décret, et, par la plus grossière des impostures, il attribue à la loi sur l'état de siége les abominables prescriptions qu'il a conçues; « il est à peine besoin de dire, répéterai-je avec un historien (3), que cette loi ne contenait et n'a jamais contenu aucune prescription de cette espèce. »>>

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Les représentants que les soldats avaient traqués, le matin, dans les rues du faubourg Saint-Antoine, se retrouvèrent, à cinq heures, chez M. Landrin où plusieurs de leurs collègues les rejoignirent. Michel de Bourges présida cette réunion à laquelle M. Émile de Girardin assistait. Napoléon

(1) William Kinglake (2) William Kinglake. (3) Eugène Ténot.

Bonaparte s'introduisit, avec une certaine violence, dans le salon dont madame Landrin lui refusait l'entrée. Froidement accueilli et suspect, non sans raison, aux républicains dont il embrassa le proscripteur, un mois plus tard, le fils de Jérôme quitta la réunion et ne se montra plus qu'à NotreDame pour y chanter un Te Deum, et à l'Élysée pour y accepter de son cousin triomphant une pension de vingt mille livres en attendant mieux.

Dans la soirée, on se réunit encore chez M. Marie. Victor Hugo, Michel et Madier-Montjau y rédigèrent une déclaration décrétant : 1o l'obligation, pour tous les citoyens et fonctionnaires publics, de refuser, sous peine de complicité, obéissance à Louis Bonaparte déchu de ses fonctions de président de la République ; - 2o la publication du décret rendu par la Haute-Cour et à l'exécution duquel les autorités civiles et militaires étaient requises, sous peine de forfaiture, de prêter main-forte. Cent-quatre-vingt-un représentants signèrent cette déclaration.

La nuit était venue. Tandis que le général Herbillon, à la tête d'une colonne, fouillait les rues voisines du Temple et y détruisait des barricades qu'on abandonnait sans les défendre, le colonel Rochefort parcourait, avec ses lanciers, les boulevards où se pressait une foule compacte et hostile. « Il lui avait été interdit de repousser par la force d'autres cris que celui de : « Vive la République démocratique et sociale (1)! » La foule, qui suivait les lanciers allant et venant depuis la rue de la Paix jusqu'au boulevard du Temple, criait seulement: vive la République! Rochefort déjà célèbre par son toast du 31 octobre et impatient << d'accomplir la tâche que Louis Napoléon facilitait si bien,» se lassait d'attendre le cri qui lui permettrait d'assassiner quelques Parisiens. « Pressentant ce qui allait arriver, il prescrivit à ses lanciers de rester calmes, impassibles,

(1) Le capitaine H. Mauduit, Révolution militaire du 2 Décembre.

jusqu'au moment où il ordonnerait la charge, et, une fois l'affaire engagée, de ne faire grâce à personne (1). » Il va, aussitôt, dresser à ceux qu'il appelle des vociférateurs en paletot et qu'il veut tuer un ignoble guet-apens qualifié, tout simplement, de « ruse de guerre » par l'apologiste de ce forfait. << Afin de laisser croire qu'il était occupé du côté de la Bastille, il masqua ses deux escadrons dans un pli de terrain près du Château-d'Eau; mais, faisant brusquement demitour, sans être aperçu, il se remit en marche, au pas, jusqu'au moment où il se trouva à l'endroit le plus épais d'une foule compacte et incalculable avec l'intention de piquer tout ce qui s'opposerait à son passage (2). » Ce coupe-jarret avait calculé « sur l'enhardissement de la foule en présence de cette démonstration pacifique; en effet, ils se placèrent en avant du colonel. » L'historien officiel fait le récit des meurtres qu'on a si odieusement préparés : « Les plus audacieux poussèrent les cris insultants de vive l'Assemblée nationale! A bas les traîtres! Reconnaissant à ce cri une provocation, le colonel de Rochefort s'élance, comme un lion furieux, au milieu du groupe d'où elle était partie, en frappant d'estoc, de taille, et de lance. Il resta sur le carreau PLUSIEURS CADAVRES. Dans ces groupes ne se trouvaient que peu d'individus en blouse. >>

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A l'heure où, sur les boulevards, le colonel de Rochefort s'éclaboussait de sang, le colonel Chapuis du 6o de ligne et le commandant Boulatigny du 6e léger prenaient entre deux feux les défenseurs d'une barricade élevée dans la rue Beaubourg et «< passaient par les armes (3) » ceux qui n'étaient point morts en combattant.

La situation devenait alarmante pour les conspirateurs Élyséens. A minuit, un grand Conseil militaire fut tenu. MM. de Morny, Saint-Arnaud, Magnan et plusieurs généraux

(1) Le capitaine H. Mauduit, Révolution militaire du 2 Décembre. (2) Idem.

(3) Rapport officiel du général Magnan.

divisionnaires de l'armée de Paris y assistaient. Louis Bonaparte, dont la frayeur exaltait la férocité, fit prévaloir l'horrible projet dont le germe se trouvait dans ces paroles de M. de Morny au général Magnan: envahir un quartier par la terreur. Il est hors de doute que « un massacre sur le boulevard fut concerté comme un moyen de terroriser la population et d'écraser ainsi la résistance (1). » L'aveu en a été fait par un panégyriste des conjurés dont il était le confident : « Il fallait, dit-il, sous peine de défaite honteuse et de guerre civile, ne pas seulement prévenir, mais ÉPOUVANTER. En matière de coup d'État, on ne discute pas, on FRAPPE; on n'attend pas l'ennemi, ON FOND DESSUS; ON BROIE ou l'on est broyé (2). »

Pendant la nuit, on retira de Mazas pour les transférer à Ham, les généraux Cavaignac, Le Flô, Lamoricière, Changarnier et Bedeau, le colonel Charras, MM. Baze et Roger (du Nord).

(1) William Kinglake. (2) P. Mayer.

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