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litains de la Gaule convoquaient des conciles. On ne se rendait pas à Arles sous le rescrit d'Honorius, mais on se rendait aux conciles chrétiens de la Gaule.

L'Église avait donc ses conciles, ses synodes provinciaux, en d'autres termes, ses assemblées délibérantes. Elle avait un autre principe de vie, le principe de l'élection. C'est par l'élection qu'on arrivait alors à l'épiscopat, quelquefois par l'élection tout à fait populaire, par l'acclamation, quelquefois par une élection autrement réalisée, mais cependant toujours par l'élection. Or, imaginez dans un temps de désorganisation, de faiblesse comme celle de l'empire et de l'ordre politique, quelle devait être la force relative de cette organisation de la société chrétienne. Et les hommes formant cette hiérarchie, avaient, en outre, l'expérience des affaires, l'expérience des grandes luttes. Ils avaient lutté avec le pouvoir temporel, avec l'hérésie, avec les restes du paganisme, ils avaient été enveloppés dans des affaires très-compliquées, ils avaient eu des obstacles de toute nature à vaincre, c'étaient des hommes formés par l'expérience et par la lutte. L'élection les nommait, la lutte les formait, la hiérarchie leur donnait force et vigueur.

Ce n'est pas tout. Ceux de vous qui ont étudié le droit de Rome, savent par les nombreux témoignages qu'on en trouve dans le code de Théodose et dans le code de Justinien, qu'à mesure que l'autorité municipale s'affaiblissait, à mesure qu'elle se décriait, l'autorité épiscopale augmentait. Une partie

de l'autorité des magistrats avait été décernée aux évêques. Le municipe, tout le monde le fuyait, le municipe, personne ne lui aurait fait aucun legs, aucune donation, car le municipe n'était plus l'affaire du pays, c'était une charge, un fléau, le jouet du fisc impérial. Mais si le municipe était regardé de cette manière, la paroisse se formait, la paroisse grandissait. C'était dans ces communautés religieuses qu'on se réfugiait, c'était vers l'évêque qu'on portait ses regards, ses dons, ses offrandes et en conséquence, la société ecclésiastique augmentait de jour en jour, l'arbitrage de l'évêque était préféré au jugement de la justice locale.

Telle était l'organisation de la société chrétienne au moment de l'invasion des Barbares. Ainsi, vous le voyez, on aurait tort et on se poserait un problème insoluble si, au moment de ce grand événement qui a été l'origine des États, des nations modernes, on ne voyait que deux éléments en présence, l'élément romain ou gallo-romain quand on parle de la Gaule, et l'élément barbare. Non, il n'en serait résulté pour l'humanité, rien qu'une lutte épouvantable dans laquelle la force brutale aurait triomphé à son gré et dont le résultat aurait été peut-être la perte de toute civilisation et l'asservissement des vaincus. Il fallait, encore une fois, une force intermédiaire qui tendit au Romain une main secourable et retint, autant que possible, la fougue du Barbare. Ce n'est qu'à cette condition que cette transformation était possible. Cette troisième force était la société chrétienne; et si, malgré cet intermédiaire,

il y a eu tant de souffrances, tant et de si terribles calamités, si, malgré cet intermédiaire, l'Europe a été plus d'une fois menacée, en quelque sorte, d'une dissolution complète, pensez à ce qui serait arrivé si cette force n'eût pas existé, si cette force acceptée par les vainqueurs et par les vaincus, n'eût pas amorti le choc, guéri les blessures, ouvert des termes de conciliation entre le vainqueur et le vaincu.

Mais comment cela s'est-il fait en réalité dans cette lutte si terrible, comment l'unité nationale a-t-elle pu se faire jour au milieu de ce terrible chaos du moyen âge, comment a-t-elle pu se faire jour dans l'État qui en a été en quelque sorte le type, dans la France? C'est ce que nous essaierons de voir dans la séance prochaine.

HUITIEME LEÇON

SOMMAIRE

Période de l'invasion. L'unité impossible parce que toutes les conditions manquaient à la fois. Essai d'organisation tenté par Théodoric; il ne Établissement des Visigoths, des Bourguignons et des

pouvait réussir.

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Francs en Gaule. Clovis. Austrasie, et Neustrie; les coutumes et la langue des Germains dominent en Austrasie tandis que les lois et la langue des Romains arrivaient à reprendre la domination en Neustrie. faut voir une nouvelle victoire du principe germain sur le principe romain dans la chute des Mérovingiens et dans l'avènement des Carlovingiens. Charlemagne. Situation des hommes et des choses en ce moment. Les invasions arrêtées, au moins par la voie de terre. Établissement d'un gouvernement régulier. L'empire et la pensée de Charlemagne trop vastes pour lui survivre.

MESSIEURS,

L'invasion des peuples barbares amena en Europe une longue période de troubles, de désordres, de calamités cette première période s'étend réellement jusqu'à Charlemagne ; on peut l'appeler la période de l'invasion; car c'est aujourd'hui une vérité historique très-connue, l'invasion des peuples du nord n'a pas été un fait instantané, unique; c'est un fait qui a eu une longue durée et qui s'est successivement

renouvelé. A un premier débordement du flot de la Germanie en a succédé un second, puis un troisième. Les peuples qui étaient arrivés, qui étaient en quelque sorte établis, se sentaient pressés, poussés par les peuplades qui arrivaient ensuite; ils étaient eux-mêmes vaincus, opprimés ou déplacés.

C'est donc un choc qui n'a pas été instantané, je le répète; c'était un choc continuellement renouvelé de peuples, de races, ou au moins de familles différentes, de peuples qui ne parlaient pas la même langue, qui ne professaient pas la même religion, qui n'avaient pas les mêmes idées d'organisation, qui n'avaient pas la même vie, le même principe, le même sentiment. Ce grand fait a dû représenter en Europe un véritable chaos. Et aujourd'hui, quand nous essayons, à l'aide des témoignages contemporains, de nous représenter les résultats de ce fait immense, aujourd'hui encore l'imagination s'effraie à la pensée de ce qu'ont dû souffrir les peuples vaincus. Et certes, il serait à peu près puéril de demander si, pendant cette longue période, il a pu y avoir en Europe quelque chose qui méritât le nom d'unité nationale. Hélas! y avait-il même quelque chose qu'on pût appeler un peuple? Nous voyons des vainqueurs et des vaincus, des hommes libres et des serfs, et, sous un autre point de vue, une société civile et une société religieuse. Tous ces éléments coexistaient dans le même temps et dans le même pays; mais tout cela était plutôt juxtaposé qu'amalgamé, confondu dans un seul tout harmonique. Toutes les conditions, soit internes, soit extérieures de l'unité nationale, d'une forte et régulière

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