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XVIIIe siècle, et il la déchira la veille, pour ainsi dire, du jour où la liberté de conscience allait se poser comme un droit national. On a voulu attribuer la révocation de l'Édit de Nantes à l'amour de l'unité. Il est difficile, lorsque l'on consulte les mémoires du temps, il est difficile de se prêter à cette interprétation politique. Ce fut une erreur, car les protestants ne portaient plus aucun ombrage au pouvoir absolu, pas plus que les Juifs. Ce fut une mesure provoquée et secondée par la bigoterie d'un côté, par les intrigues de l'autre, une mesure qui mit en jeu d'ignobles passions, et une mesure due en grande partie, il faut le dire, à ce que Louis XIV, à beaucoup de bon sens naturel, à beaucoup de tact gouvernemental, à beaucoup de prévision politique, réunissait une assez grande ignorance, peu d'instruction, et pouvait aisément, sur bien des choses, être induit en erreur. On altéra alors et souvent la rectitude de son esprit, et cela était facile, parce que à la rectitude d'esprit s'alliait l'infatuation de son pouvoir, et qu'on lui faisait craindre facilement pour la conservation de ce pouvoir. L'acte fut criminel parce qu'il fut injuste, inutile parce qu'aucun danger ne menaçait, pernicieux parce qu'il fit perdre à la France un grand nombre d'hommes industrieux et de grands capitaux, qu'il sema des germes de discordes, alluma les dissensions qui ont éclaté plus tard, qui ont éclaté même de nos jours. On oublie trop que les faits et les grands événements ne se terminent pas le jour où ils paraissent se terminer. Ils produisent des conséquences éloignées, et laissent des levains qui se retrouvent et agissent plus

tard. Et les faits déplorables arrivés dans quelques parties du midi de la France, ce n'est peut-être pas un simple jeu de l'imagination que de les rattacher en grande partie aux faits terribles qui accompagnèrent et suivirent la révocation de l'Édit de Nantes.

Quoi qu'il en soit, voilà une œuvre acomplie. Ce pouvoir, qui avait commencé sa carrière avec Louis le Gros, qui avait grandi avec Philippe-Auguste, avec Philippe le Bel, avec saint Louis, qui s'était transformé de monarchie féodale en monarchie proprement dite sous la main de Charles VII, s'était montré pouvoir terrible sous Louis XI, pouvoir national chéri du peuple sous Henri IV, qui avait encore grandi sous Richelieu, accomplit sa carrière sous Louis XIV.

Je dis qu'il accomplit alors sa carrière, ce fut là l'apogée de la monarchie absolue. Louis mourant, ses funérailles mêmes ne furent pas respectées. Et la Régence et le règne de Louis XV furent-ils autre chose que l'agonie d'un principe qui avait accompli sa carrière et se mourait? C'était le pouvoir absolu qui tendait à disparaître de la France. Mais était-ce uniquement en vue d'une querelle politique, étaitce uniquement parce que la France voulait un autre gouvernement, une autre organisation politique que celle de la monarchie absolue, tranchons le mot, du despotisme. Eh non, il y avait au fond une autre question. L'unité française avait grandi, elle s'était formée, développée même, il faut le dire, à l'aide de la monarchie. Mais était-elle complète ? Le premier élément de la véritable unité nationale existait-il,

l'élément de l'unité intime, morale, cet élément que nous avons si souvent mentionné, l'égalité civile existait-elle? Non. Les grands étaient rabaissés, la monarchie les avait, pour ainsi dire, absorbés; mais il n'est pas moins vrai que, même alors, c'était le privilége qui régnait, qui dominait. L'égalité civile n'existait pas. Le pouvoir absolu avait subi la loi de sa nature; il était égoïste. Dès qu'il n'eut plus rien à gagner pour lui-même, son œuvre s'arrêta, ses réformes n'allèrent pas plus loin. Il n'y eut plus de privilége qui pût lutter contre le pouvoir absolu. Mais les priviléges qui vexaient les peuples, mais les inégalités qui empêchaient l'établissement du grand principe de l'égalité civile non-seulement en idée, mais en fait, n'avaient nullement disparu. C'est une chose curieuse, et nous en donnerons un rapide aperçu au commencement de la séance prochaine ; c'est une chose curieuse et instructive en même temps, car le meilleur moyen de se réjouir du point où l'on est arrivé, c'est de considérer le point d'où l'on est parti; c'est une chose curieuse de jeter un coup d'œil sur l'état social, sur l'organisation sociale de la France, telle qu'elle était encore au moment où la Révolution de 1789 a éclaté.

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Le pouvoir absolu avait secondé dans une certaine mesure, mais n'avait pas accompli et ne pouvait accomplir l'œuvre de l'unité nationale. - État de la France au moment de la Révolution: division par provinces; diversité de lois et de coutumes; multiplicité de juridictions; la nation partagée en quatre classes; priviléges de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie. - Impuissance de l'autorité civile et de l'autorité religieuse pour établir l'accord entre l'organisation sociale et les besoins moraux. raux. Attitude du clergé, de la noblesse et du tiers-état. 4 août 1789. Abolition des droits féodaux et autres priviléges. pression des provinces et division de la France en départements. tralisation administrative; uniformité des poids et mesures; admission de tous les citoyens à tous les emplois civils et militaires; abolition des coutumes diverses; codification; cour de cassation, conseil d'État et cour des comptes. Le système politique nouveau, fondé sur les deux principes de l'unité nationale et de l'égalité civile, est éminemment français et n'a été encore réalisé complétement qu'en France.

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La monarchie absolue avait secondé jusqu'à un certain point et dans certaines limites le développement de l'unité nationale en France. Nous avons suivi ce travail, et nous avons reconnu le point auquel on était arrivé. Cependant le pouvoir absolu n'avait pas pu accomplir l'œuvre de l'unité nationale française.

Cet accomplissement n'était pas dans sa nature. Il avait, sans doute, détruit toute indépendance, tout obstacle au développement de sa propre puissance; mais dès que ces obstacles cessèrent pour lui, il n'acheva pas leur destruction; il ne se sentait pas intéressé à pousser leur destruction plus loin. Il avait rabaissé et les classes et les hommes qui pouvaient s'opposer au développement du pouvoir absolu; mais en rabaissant les uns, en les forçant de se renfermer dans les liens de l'ordre public, il n'avait pas aidé les autres à s'élever; il n'avait pas suffisamment et directement favorisé le développement des classes qui pouvaient le plus lui prêter appui ; il n'avait pas mis son travail politique en harmonie avec le travail qui se faisait dans le monde indépendamment de son action:

Aussi l'œuvre était loin, je le répète, d'être accomplie. Il y avait loin sans doute de la France d'Henri IV à la France de Louis le Gros; il y avait loin encore de la France de Louis XIV à la France d'Henri IV. Sans doute, l'organisation unitaire et l'unité territoriale avaient fait des progrès. Mais cependant, je le répète, l'œuvre n'était pas accomplie sous le point de vue de l'unité nationale. La France avait conservé sa division par provinces, et cette division par provinces était un souvenir toujours présent de l'ancienne désunion; cette division par provinces disait au Bourguignon, à l'Alsacien, au Lorrain: « Il y a eu un temps où tu n'étais pas Français; il y a eu un temps où tu n'étais pas compris exactement et complétement dans le même système politique que l'habitant de

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