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VINGT-QUATRIÈME LEÇON

SOMMAIRE

Impôt progressif illimité. Inconvénients d'un pareil impôt et difficultés insurmontables dans sa perception. — Impôt progressif limité, appliqué à certains objets il peut donner le moyen d'atteindre indirectement certains revenus qui ne peuvent être imposés directement. — Celui qui paie l'impôt n'est pas toujours celui qui le supporte réellement. Douanes.Impôt foncier. Le système d'impôts variés et surtout la fixité des impôts donnent les meilleurs moyens d'arriver pratiquement à l'égalité.

MESSIEURS,

L'impôt progressif peut être illimité ou arrêté à certaines limites, porter sur le revenu total ou sur une fraction quelconque du revenu et sur certains objets seulement. La progression peut embrasser un nombre plus ou moins grand de termes, croître d'une manière plus ou moins rapide. Voilà ce qui rend le nombre des combinaisons possibles si considérable et pour ainsi dire infini. Examinons d'abord l'impôt progressif illimité appliqué au revenu total quelles qu'en soient les sources.

La première observation qui se présente à l'esprit est celle-ci. Toutes les fois qu'il y a progression

croissante illimitée, le moment doit arriver où l'impôt prendra tout le revenu et ne laissera rien au contribuable. Plus on approchera de ce terme, moins le contribuable aura d'intérêt à augmenter son capital; et il viendra un moment où non-seulement il n'y aurait plus d'avantage, mais où il y aurait perte pour lui à le faire. Imaginez, par exemple, une loi qui dise à ceux qui n'auront pas plus de 999 francs de revenu, nous ne demanderons rien. Ceux qui auront de 1,000 à 2,000 fr. paieront 10 p. 100; de 2,000 à 3,000, on paiera 11 p. 100; de 3,000 à 4,000, 12 p. 100; et ainsi de suite en augmentant de 1 p. 100 par chaque augmentation de 1,000 francs de revenu; nous aurons ainsi à 11,000 francs, 20 p. 100; à 21,000 francs, 30 p. 100; à 81,000 francs, 90 p. 100, et à 91,000 francs, nous arriverions à 100 p. 100, c'est-à-dire que l'impôt enlèverait le revenu tout entier. Au delà il enlèverait plus que le revenu, le contribuable perdrait donc à augmenter son revenu au-dessus de 91,000 francs, il serait absurde, passé une certaine limite, d'augmenter son revenų parce que l'impôt croîtrait plus vite. Vous pourrez arriver moins promptement à ce résultat en changeant les termes de la progression, mais un peu plus tôt, un peu plus tard, vous y arriverez forcément; quelle que soit la progression, si elle est illimitée, il viendra un moment où l'impôt absorbera tout le revenu et plus que le revenu et où par conséquent le contribuable n'aura plus d'intérêt à augmenter sa fortune.

C'est là le but que, dans la Révolution, quelques

personnes se sont proposé d'atteindre, elles voulaient arriver ainsi à détruire les inégalités de fortune. De nos jours aussi nous avons entendu souvent réclamer contre cette inégalité des fortunes. La richesse, sans doute, est une chose dont l'homme peut abuser; c'est un moyen de séduction, c'est une idole devant laquelle beaucoup de gens se prosternent la face dans la boue. Il y a, dit-on, injustice dans cette inégale répartition de la richesse où les uns ont tout et les autres rien. Voilà ce qui se dit souvent. Mais d'un autre côté, il faut remarquer qu'il n'y a pas de progrès social sans une augmentation de la richesse matérielle; or, celle-ci ne peut se développer que par l'accumulation des capitaux; ce n'est donc pas seulement dans l'intérêt de quelques individus, c'est dans l'intérêt général que l'on doit désirer cette accumulation des capitaux. Quoiqu'on dise en faveur des sociétés pauvres, quoiqu'on dise des abus de l'argent, il n'est pas moins vrai que l'accumulation des capitaux est un des plus puissants moyens de développement individuel et social. Dès lors, on doit condamner un impôt qui a pour effet d'empêcher l'épargne, vrai moyen d'accumulation des capitaux, d'où résulte sur le marché une demande plus considérable de travail.

Voici une seconde observation: Dans l'impôt progressif, la contribution est réglée non par le chiffre absolu de revenus qui se trouve dans une localité donnée, mais par la manière dont ces revenus s'y trouvent répartis. Reprenons notre exemple: nous avons supposé un impôt progressif établi de manière

que ceux qui possèdent moins de 1,000 fr. ne paient rien, que ceux qui possèdent 1,000 fr. de revenus paient 10 p. 100 et en augmentant de 1 p. 100 par 1,000 fr., nous sommes arrivés à 100 p. 100 d'impôt pour 91,000 fr. de revenu. Supposez trois communes ayant chacune 91,000 fr. de revenu total, mais répartis d'une manière différente. Dans la première, les 91,000 fr. sont possédés par un seul individu, les autres habitants n'ont rien et vivent des salaires qu'il leur donne ou des aumônes qu'il leur fait, ce sont des ouvriers ou des pauvres. Dans la seconde commune, le revenu de 91,000 francs est réparti de telle sorte que presque tous les habitants ont quelque chose sans qu'aucun arrive à plus de 999 francs. Enfin dans la troisième commune, il y a 91 contribuables également riches, ayant chacun 1,000 francs de revenu. Quel sera l'impôt dans chacune de ces trois communes? La première où les 91,000 francs sont possédés par un seul individu paiera 100 p. 100, c'est-à-dire 91,000 francs; le percepteur arrivera et prendra tout le revenu. Dans la seconde, le percepteur ne pourra rien prendre; d'après notre hypothèse que l'impôt ne commence qu'à 1,000 francs, il n'y aura rien à payer puisque personne n'atteint à 1,000 francs de revenu. Dans la troisième, il prendra 91 fois 100 francs ou 9,100 francs, puisque chacun a 1,000 francs de revenu et doit payer 10 p. 100. Ainsi rien dans une commune, 9,100 francs dans une autre, et 91,000 francs dans la troisième, quoique le même revenu se trouve dans chacune des trois. L'impôt dépendrait donc, comme on le voit,

non du chiffre total du revenu, mais de la manière dont ce chiffre se trouvait réparti. L'État, dans ce système, ne laisserait pas que d'être fort embarrassé. Aujourd'hui il peut faire approximativement, par prévision, le calcul de ce qu'il a à percevoir, mais lorsque la quotité de la matière imposable n'est pas la base de l'impôt, lorsque le mode de distribution influe tellement sur la somme à percevoir, comment le connaître à l'avance? Chaque jour, l'assiette varie. Le contribuable de la première commune, que nous supposions tout à l'heure riche de 9,100 francs de revenu, vient à mourir, et sa fortune est partagée entre ses enfants; voilà que l'État ne pourra plus percevoir la même somme. Supposons cinq héritiers ayant les quatre premiers 20,000 fr. chacun et le dernier 11,000 fr.; chacun des quatre premiers paiera 29 p. 100 de 20,000 fr. ou 5,800 fr., et le dernier 20 p. de 11,000 fr. ou 2,200 fr. ; l'État percevra donc quatre fois 5,800 fr. ou 23,200 fr., plus 2,200 fr., soit en tout 25,400 fr., au lieu de 91,000 fr. qu'il percevait auparavant. Et si chacun morcelle sa fortune de manière à ne laisser que des héritages représentant moins de 999 fr. de revenu, l'État ne percevra plus rien du tout. L'impôt dépendra donc sous ce rapport de la volonté du contribuable. Voilà une seconde conséquence à laquelle nous sommes conduits.

Mais à côté des abstractions, voyons les faits : comment apprécier les résultats de l'impôt progressif tel que nous le supposons; quelles sont les données économiques, financières, statistiques, qui per

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