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l'intelligence proprement dit, dans le domaine de l'art, dans le domaine de la science générale, Rome, au fond, n'a fait qu'imiter la Grèce, elle n'a pas d'originalité propre, l'esprit propre des Romains était un esprit essentiellement politique, et ce que Rome nous a transmis comme fonds propre, ce sont des idées qui se rapportent à la politique et au droit. Dans les autres parties, elle nous a transmis, sans doute, d'admirables richesses, mais le principe n'était pas romain. On peut dire, je le répète, que dans l'antiquité, la réunion de ces deux grandes originalités n'était pas possible pour un même peuple.

Tels sont les essais les plus remarquables de l'antiquité relativement aux États, dans le rapport de leur forme extérieure. Mais cependant, et j'appelle ici votre attention, quand nous considérons ces États, même ceux qui en apparence sont les plus compactes et les plus fermes, ne sommes-nous pas frappés des maladies internes qui ne cessent de les travailler? ne sommes-nous pas frappés d'une certaine faiblesse qui se révèle tout à coup aussitôt qu'un grand événement paraît les ébranler. Portez vos regards en Asie, voyez ces grands États céder tout à coup devant l'invasion des peuples nomades. Ces peuples qui paraissaient si fortement constitués se courbent et passent avec la plus grande facilité sous le joug de la plus odieuse des servitudes, sous la domination étrangère. L'étranger s'établit dans le pays, le vainqueur au milieu des vaincus, il les soumet, les gouverne, en dispose à son gré. Ailleurs on voit un État déchiré, démembré, jeté pour ainsi dire en lambeaux, sans que ce

déchirement soit du moins honoré par d'illustres efforts. L'histoire grecque n'est pas celle d'un État unitaire; elle devait avoir toute la faiblesse d'un État dont les liens étaient si faibles. Mais, cependant, ces mêmes inconvénients n'y sont-ils pas portés à un degré excessif.

Dépouillons un instant ces sentiments d'admiration qu'on nous a inspirés dans notre enfance pour l'histoire grecque, résumons-la dans une ligne. A-t-elle été autre chose qu'une longue guerre civile, une longue guerre civile acharnée, suspendue, il est vrai, par le plus magnifique des épisodes, la guerre contre les Perses. Et cette guerre une fois terminée, lorsque la guerre civile est devenue de plus en plus épouvantable en Grèce, ne doit-on pas s'affliger de voir ces mêmes hommes, ces Grecs qui professaient un si grand mépris pour les peuples qu'ils appelaient barbares, qui avaient sous le rapport de l'intelligence une si grande raison de les mépriser, ne doit-on pas s'affliger de voir ces mêmes hommes constamment exposés aux séductions de l'étranger, se vendre à l'étranger, traiter avec l'étranger contre leurs frères? N'est-ce pas là le résumé de l'histoire grecque?

Rome est sans doute l'État qui offre le plus de solidité, qui a résisté le plus longtemps au choc des attaques extérieures et intérieures. Et cependant, à Rome aussi, cette lutte intestine n'a-t-elle pas existé pendant six siècles? Qu'est-ce que l'histoire romaine, si ce n'est la lutte entre les deux éléments dont se composait l'État, en d'autres termes, une sorte de guerre civile?

Il y avait donc des vices cachés, inhérents à tous les États du monde ancien. Que leur manquait-il, quelles sont les causes qui ont rendu ces premiers essais si informes, si faibles, si exposés à succomber sous les attaques intérieures ou extérieures? Pourquoi dans les monarchies asiatiques comme dans tant d'autres États de l'antiquité, pourquoi cette espèce de résignation passive, cette résistance si molle à la domination étrangère? Eh! messieurs, c'est qu'il manquait là, à la fois, et le sentiment et la force, le sentiment de la nationalité pour résister, et une organisation des forces nationales, suffisante pour réaliser la résistance. Ce sera le sujet d'une autre séance, nous rechercherons ces causes et nous les trouverons dans les défauts de l'organisation intime de ces mêmes États. Nous verrons que, même là où l'on voit l'apparence, l'image d'un État unitaire, il n'y avait pas réellement unité. Nous verrons comment l'unité ici manquait même extérieurement, et comment ailleurs, si elle existait dans les formes extérieures, elle n'existait pas dans l'organisation in-. terne de l'État. Nous verrons que, si certains États ont si facilement disparu au premier choc, c'est qu'il n'y avait pas d'intérêt vivace pour la défense, c'est que la lutte ne se passait pas entre nation et nation, entre peuple et peuple, mais qu'il n'y avait qu'une partie du pays qui fût intéressée à la résistance. Il n'y avait pas égalité d'intérêts, il n'y avait pas égalité de droits, il n'y avait pas égalité civile, même là où il y avait unité extérieure et matérielle. C'est dire qu'ici manquait l'unité matérielle, et qu'ailleurs, si

l'unité matérielle existait jusqu'à un certain point, l'unité intime n'existait point et que, par conséquent, les forces nationales se trouvaient paralysées. C'étaient des corps sans âme et sans vie. Et lorsque les peuples nomades se précipitaient sur ces États, ils ne trouvaient qu'une sorte de cadavre dont ils pouvaient facilement occuper la place et qu'ils pouvaient facilement fouler aux pieds, parce qu'il n'y avait pas là de véritable nation, et que là où il n'y a pas de véritable nation, il ne peut y avoir de véritable force.

QUATRIÈME LEÇON

SOMMAIRE

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Vice capital inhérent à tous les États de l'antiquité et destructif de toute unité intime même là où semblait exister l'unité matérielle la plus compacte absence de toute idée de justice, de droit, d'égalité civile. Asservissement de la famille non-seulement chez les peuples sauvages et Le fait chez les peuples barbares, mais même chez les peuples civilisés. de l'esclavage si général qu'il était érigé en principe par le philosophe et le jurisconsulte. Système des castes. Classes privilégiées.

Patriciens et plébéiens.

MESSIEURS,

Les États anciens, même ceux qui paraissaient les plus fermes et les plus compactes, l'histoire nous les montre cependant travaillés d'un vice interne qui ne cessait de les agiter, ou atteints d'une faiblesse difficile à concilier avec leur force apparente, je veux dire, avec leur étendue, leurs revenus, leur population. Quel est donc ce vice, quelle est cette cause qui minait sourdement ou agitait sans cesse et souvent brisait avec éclat ces vastes édifices?

On a beaucoup écrit sur la grandeur et la décadence des États, et en se livrant à ces hautes recherches, il est facile de se heurter contre deux écueils; il est

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