Page images
PDF
EPUB

demnité qu'il aurait à recevoir. L'Allemagne du Nord était neutralisée sous la garantie du roi de Prusse. (1)

La paix de Bâle ne réglait donc rien d'une manière définitive. Le Comité de Salut Public hésitait sur les conditions de la paix générale; il se sentait pris de scrupules devant l'abandon du système de l'Equilibre, qui avait fondé la véritable grandeur française; et prêts à le remplacer en donnant à la France ses frontières naturelles, les plus habiles dans le gouvernement doutaient du succès de la combinaison, au risque de se compromettre avec « la faction des anciennes limites ».

La situation est bien exposée dans une lettre du Comité à Le Hoc, ministre en Suède : « Ce serait une grande question à discuter, s'il convient à nos intérêts d'accroître... la puissance de la Prusse pour opposer à l'Autriche un voisin plus redoutable... Est-il utile que le système fédératif de l'Allemagne soit conservé dans son intégrité? Avonsnous intérêt de détruire les États subalternes, les Électorats cléricaux pour en agrandir ou en composer d'autres États de premier rang? Ces propositions tiennent en grande partie à la conservation de la rive gauche du Rhin ou à notre renonciation à nos conquêtes » (2).

En portant nos frontières jusqu'au Rhin, nous devions. donc d'abord indemniser la Prusse; puis, si pour compléter notre frontière, nous prenions toute la Belgique, on savait que l'Autriche ne manquerait pas de réclamer des compensations, que la Bavière seule pouvait fournir. Barthélémy, notre agent à Bale, s'élevait contre de pareilles combinaisons. L'Autriche, disait-il (3), prend la

(1) De Clercq, I, 232, s.

(2) Sorel, op. cit., IV. 423.

(Instruction. germinal 1795). (3) Rev. historique, XVIII, p. 285, 289. Barthélémy au comité. de salut public, 18 messidor.

Bavière, la voilà concentrée en Allemagne, et c'est pour dominer l'Allemagne qu'elle tient à s'y concentrer. Cependant pour gagner la Prusse à cette combinaison qu'elle redoute, pour faire contrepoids à la puissance autrichienne ainsi accrue, il faudra augmenter prodigieusement celle du roi de Prusse, la Prusse envahira à son tour ses voisins. L'Autriche pour garder la prééminence « se livrera tout de suite à son goût pour le brigandage » les petits États disparaîtront, Venise tremble déjà. Il n'y aura qu'un cri en Allemagne contre nous. La France perdra ses clients, elle verra disparaître sous ses propres coups les États secondaires, son ouvrage et sa sauvegarde.

En résumé, toute la question des frontières naturelles se ramenait à l'opportunité de l'acquisition de la rive gauche du Rhin. Les esprits étaient partagés, mais l'immense majorité désirait cette acquisition et la plupart la considéraient comme une nécessité. De tout temps, ce fut le rève des hommes d'État français de confondre la France avec la Gaule. « Jusqu'où allait la Gaule, jusque là doit aller la France », disait Henri IV; les pays du Rhin avaient toujours paru nous appartenir légitimement, et l'annexion de la Lorraine et de l'Alsace fut considérée en 1648, comme une simple restitution. De plus, la limite du Rhin était exigée par le nouveau principe qui allait guider la politique et il fallait à la République un territoire plus grand que celui de l'ancien royaume. Napoléon le savait et si dans la campagne de France, il refusa sans cesse de traiter, c'est parce qu'un représentant de la Révolution ne pouvait s'astreindre à régner dans un pays ramené aux « anciennes limites» (1).

La limite du Rhin semblait aussi pouvoir seule nous assurer la paix; enfin, il importait de compenser les

(1) Mignet, Notices et portraits, Talleyrand.

le

avantages dont avaient bénéficié les Cours du Nord par fait des trois partages Polonais et la rive gauche constituait un ample dédommagement; et c'est même parce qu'elle dépassait la mesure qu'il allait falloir indemniser de nouveau la Prusse et l'Autriche. Par là, on détruisait toute l'économie des traités de Westphalie, car c'était en sécularisant et en médiatisant l'Allemagne, qu'on satisferait tout le monde.

La Convention ne fut pas arrêtée par ces réflexions; le 9 vendémiaire (10 octobre), elle vota par acclamation le décret impliquant les limites naturelles Pays-Bas, Luxembourg, Rhin. C'était une atteinte grave portée à l'Équilibre de l'Europe, mais toute au profit de la France. Néanmoins cette violation d'un principe nécessaire à la sûreté générale allait entraîner d'inévitables guerres. Nous étions trop menaçants, pour que le continent ne cherchât pas à nous ramener dans de plus justes frontières.

Il ne sut pas d'abord s'unir contre nous. La Prusse crut avoir réalisé ses destinées, en séparant, à la paix de Bâle, les États du Nord de ceux du Midi par une ligne de neutralité « qui n'était qu'un nouveau tracé de confédé ration du Nord »; mais elle était en avance de près d'un siècle; en abandonnant la coalition, en ratifiant une rupture d'Équilibre, elle ne fit pas preuve de sagesse. L'isolement des diverses puissances européennes pendant la Révolution française a causé l'hégémonie de la France. On croit être revenu aux origines, alors que les peuples ne savent pas confondre l'intérêt personnel avec l'intérêt général. Quand ils virent leur erreur, Napoléon avait déjà remplacé Bonaparte, et les coalitions n'eurent alors d'autres conséquences que d'étendre les frontières de l'Empire, les barrières nouvelles paraissant plus simples, plus régulières et toujours plus naturelles.

CHAPITRE III

LES TRAITÉS DE VIENNE 1813-1848

§ 1. La Fin de l'Empire

Les coalitions successives de l'Europe contre Napoléon. versel d'un équilibre nouveau.

[blocks in formation]

Désir uni

[ocr errors]

---

[ocr errors]

L'échec des conférences de Prague et la dernière coalition. Remarquable déclaration faite à Francfort par les alliés. - Ouverture des négociations à Châtillon. Le concert européen et le grand traité de Chaumont. Réponse du plénipotentiaire français à l'ultimatum de l'Europe. Explications sur la grandeur française. Dé— claration de Vitry.

[blocks in formation]

Les limites du 1er janvier 1792. - L'article I secret du traité de Paris exclut la France des délibérations du Congrès de Vienne.

En 1801, au lendemain de la paix de Lunéville (9 février), Metternich fut envoyé près de la Cour de Saxe. C'était son début dans la carrière. Il rédigea lui-même ses instructions: « Nous sommes loin de voir rétablir l'Équi

libre européen et avec lui le repos général. Il faut que l'extension extraordinaire des possessions de la France subisse des modifications » (1). Il n'est pas difficile de suivre l'exécution de ce plan dans la politique de l'Europe jusqu'en 1813. L'Angleterre, avec une ténacité remarquable, a été l'àme des coalitions: fidèle à son ancienne politique, elle a toujours voulu rétablir la balance, et seule, ne s'est jamais compromise avec le conquérant.

La première, elle donna, par la rupture de la paix d'Amiens, le signal des grandes luttes.

L'Autriche la suivit bientôt avec la Russie, la Suède et Naples. La Prusse fit une véritable défection, et l'armée. européenne fut battue à cause d'elle. L'année suivante, la Prusse unit contre nous la Russie, la Suède, l'Angleterre, ce fut une nouvelle défaite alors, à Tilsitt, nous fimes alliance avec les Russes et le monde fut partagé entre les deux Empires.

Quand le désastre de la campagne de Russie eut permis à l'Europe d'agir et de parler librement, le rétablissement de l'Équilibre fut sa seule pensée; tous les documents officiels ou officieux de l'époque parlent de cette restauration, la souhaitent ardemment, la considèrent comme le plus « noble but de leurs efforts » (2).

I

Devant la déroute des Français, Metternich proposa à Napoléon la médiation de l'Autriche, et des conférences s'ouvrirent à Prague, le 29 juillet 1813. On offrit à Napoléon

(1) Sorel, Essais d'Histoire, p. 27. (2) Déclaration de Vitry, 25 mars.

« PreviousContinue »