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danger et unir les nations éparses. C'est que nous sommes à l'origine de la théorie, au moment où se forment les relations internationales, où la Société des Etats, qui réalisée verra l'épanouissement de la doctrine, est encore en enfance; où les différentes puissances ne savent pas encore quel est leur intérêt véritable. Ignorantes, méfiantes comme les peuples jeunes et peu civilisés, elles préfèrent rester isolées et neutres que de suivre la fortune d'autrui; elles ne voient pas assez loin dans l'avenir pour sacrifier la paix présente à leur tranquillité future. Et c'est là encore une des raisons pour lesquelles la France acquérait à Osnabrug tant de prépondérance (1).

Mais, nous l'avons vu, certains en Hollande et en Allemagne s'élevaient contre la grandeur de leur alliée et voulaient l'abandonner en chemin. Ils raisonnaient juste. Il était inévitable que la France se servît de sa puissance pour se fortifier et s'agrandir encore alors tous les Etats durent lutter contre elle afin de créer un Equilibre plus juste et moins instable.

L'Europe, dans sa première tentative, manquait d'expérience et sa tâche s'en est ressentie; mais elle s'est instruite à la refaire, et chaque retouche donnait place à plus de perfection, à plus de sûreté dans les relations des peuples. En approchant des temps contemporains, les forces des grandes puissances tendent davantage à s'égaliser; et les différentes inégalités qui se produisent incidemment par le fait de l'évolution nécessaire à la vie dest Etats sont détruites sans secousse par le jeu des alliances.

(1) On pensait que la prépondérance n'était pas exclusive de tout Équilibre. C'était même un des côtés sous lequel on envisageait le système. La nation prépondérante tenait la balance. Elle était la puissance directrice qui groupe autour d'elle les forces les plus diverses, mène les événements et les fait naître.

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CHAPITRE II

LES TRAITÉS D'UTRECHT ET LE XVIII SIÈCLE

Règne de Louis XIV jusqu'à la paix de Ryswick, 1697

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Le pamphlet de Paul de Lisola sur la

La France et les Pays-Bas. guerre de Dévolution. La première coalition. Paix de Nimègue. Nouvelles conquêtes de Louis XIV. Irritation de l'Europe. La Grande-Alliance de 1689. Essai de concert européen.

Dès 1667, le roi de France prétend aux Pays-Bas espagnols à ce sujet, un publiciste belge, François-Paul de Lisola, écrivit à cette époque une sorte de pamphlet (1): Le Bouclier d'Estat et de justice contre le dessein manifestement découvert de la monarchie universelle sous le vain prétexte dés prétentions de la Reine (de France).

Lisola y expose d'abord la thèse de l'Equilibre (2) d'après le duc de Rohan; celui-ci avait déclaré, on se le rappelle, << que tous les autres États ont pour principal intérêt de

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tenir la balance si égale entre ces deux grandes monarchies (de France et d'Espagne), que l'une, soit par les armes ou par la négociation, ne vienne jamais à prévaloir notablement, et que dans cet Équilibre consiste le repos et la sûreté de tous les autres ». Lisola ajoute que « les Français ont rendu leur jalousie de la maison d'Autriche et leur jaunisse contagieuse et représenté aux princes la puissance de l'Autriche, comme un spectre qui voulait les engloutir; aujourd'hui c'est la France qui est dangereuse » (1).

Alors notre publiciste apprécie en ces termes la théorie de Rohan : « Quoy qu'il applique très mal cette maxime à l'usage particulier de la France et s'en serve artificieusement comme d'un faux leurre pour attirer insensiblement tous les autres potentats dans les filets de la France, elle ne laisse pas d'estre très salutaire en elle-mesme et si elle avait été pratiquée avec toute la vigueur et la prudence qui estait nécessaire pour la rendre utile, l'Europe jouirait aujourd'huy d'une profonde tranquillité : mais plusieurs se sont mépris par une fausse supposition, que la puissance et les desseins de l'Espagne étaient plus redoutables que ceux de la France et que par cette même raison d'Estat, ils estoient obligez de mettre le contrepoids du costé de ce dernier (2) ».

Puis Lisola montre que l'Espagne n'est pas dangereuse pour la France: «La monarchie d'Espagne est une grande machine qui ne peut être facilement ébranlée, mais qui ne se peut aussi mouvoir avec l'agilité nécessaire pour entreprendre au dehors. L'assiette de cette monarchie est avantageuse pour sa défense, étant couverte des mers et des Pyrénées, mais elle est mal propre pour attaquer les

(1) Bouclier d'Estat, p. 225.

(2) Op. cit. p. 227.

autres par le défaut de liaison entre ses membres, qui ne peuvent avoir de communication que par les grands canaux de l'Océan et de la Méditerranée, qui exposent leurs desseins à l'inconstance d'un élément... l'union de l'Empire à la puissance d'Espagne en la personne de l'empereur Charles V estoit plustôt un accroche au dessein de s'aggrandir qu'un accroissement à sa puissance. Il espousa avec l'Empire toutes les querelles de religion et d'Estat, que la conjoncture des temps suscitèrent dans ce grand corps » (1).

Enfin sont dévoilés les vastes desseins de la France:

«Le duc de Rohan met pour principe fondamental de tout son ouvrage : les princes commandent aux peuples et l'intérêt commande aux princes... Pour l'érection de leur monarchie, (les Français) incitent et appliquent à de mauvais usages la maxime que saint Paul pratiqua pour l'agrandissement de celle du Christ: Factus sum omnibus omnia... ils s'accommodent aux intérêts de tout le monde pour les faire servir aux leurs... Leur 4. maxime est de tenir tant qu'ils peuvent les Estats estrangers occupez et divisez chez eux : l'Angleterre, l'Empire, l'Italie, le Danemarck et l'Espagne en ont fait une triste expérience, et aujourd'huy la Pologne et les Estats des Provinces-Unies en ressentent les funestes effets. Toutes ces maximes sont proprement de conquérans et autant de marques infaillibles d'un vaste et profond dessein tramé depuis longtemps... >> (2).

Devant les conquêtes de Louis XIV en Franche-Comté, la Hollande signa avec la Suède et l'Angleterre un traité de triple alliance à La Haye. La paix fut de ce fait conclue à Aix-la-Chapelle, la France gardait les villes de Flandre

(1) Op. cit., p. 228. (2) Op. cit., p. 236.

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qu'elle avait conquises. En 1672, le roi attaque la Hollande. Quand l'Europe la vit vaincue, elle forma la grande alliance de La Haye, l'Angleterre en fut l'âme. Un agent français à Londres racontait : « Il a passé tout d'une voix dans la chambre basse que les Anglais vendront jusqu'à leurs chemises (ce sont les termes dont ils se sont servis) pour faire la guerre à la France pour la conservation des PaysBas (1). La paix de Nimègue vit pourtant la grandeur française. Nous acquerrions la Franche-Comté et la Lorraine. C'était le comble de la gloire. Favier, l'agent secret de Louis XV, écrivait plus tard dans ses Conjectures raisonnées 1773 (2), « après Nimègue Louis XIV pouvait rester l'arbitre de l'Europe, surtout de l'empire. Il en devint l'ennemi. Les chambres de réunions ne produisirent à la France que l'odiosité... l'occupation de Strasbourg en pleine paix paraissait fort avantageuse... elle n'en révolta pas moins le Corps germanique... L'Alsace fut arrondie, couverte, mais le Rhin devenu barrière, diminua dans l'empire la confiance... des amis de la France... La prise de Philipsbourg, en 1688, fut à tous égards un acte d'injustice manifeste. Par cette invasion l'Empereur obtint de la France même tout ce qu'il désirait. C'était un prétexte, un motif de faire déclarer contre elle une guerre d'empire (3)... Louvois par ses conseils... surpassa même l'espérance et les vues de Léopold. L'incendie du Palatinat acheva de rendre la France plus l'horreur que la terreur de l'Allemagne et de l'Europe. Depuis cette époque... cette plaie saigna toujours... (4). Dès 1686, la Hollande,

(1) C. Rousset, Louvois, II, 309.

(2) VIII, De l'Empire ou Corps germanique, V. Boutaric, Correspondance secrète, II, 119. 120.

(3) La Prusse a repris plus tard cette politique.

(4) M. Thiers, demandait en 1870: « A qui faites-vous done la guerre, puisque l'Empire n'est plus ? >> — « A Louis XIV », répondit Ranke.

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