Page images
PDF
EPUB

leurs caprices. Nous nous figurons qu'ils sont bien loin, ceux dont on a prédit de telles choses; ils ne sont autres que nousmêmes. (T. II, p. 213.) La traduction de la Bible par Luther donne à tous envie de disputer; on voit jusqu'à des femmes provoquer des théologiens et déclarer que tous les docteurs ne sont que des ignorants. Quelques-uns veulent monter en chaire et enseigner dans les églises. Luther n'a-t-il pas déclaré que par le baptême tous deviennent prêtres, évêques, Papes, etc. (Cochlæus, p. 51, cité par MICHELET, t. I, p. 356.) Luther a des tentations de doute sur d'autres points que ceux qu'il a retranchés de son Credo. Un livre avait été publié contre la sainte Trinité en 1532. Ces esprits chimériques, écrit-il, ne croient pas que d'autres gens aient eu des tentations sur cet article. MICHELET, t. II, p. 165.) Iei il surmonte la tentation, mais le libre penseur va plus loin. Il généralise le doute. Ce qui ne contribue pas peu à affliger et tenter les cœurs, dit-il, c'est que Dieu semble capricieux et changeant. Il a donné à Adam des promesses et des cérémonies, et cela a fini avec l'arc-enciel et l'arche de Noé. Il a donné à Abraham la circoncision, à Moïse des signes miraculeux, à son peuple la loi, mais au Christ et par le Christ, l'Evangile, qui est considéré comme annulant tout cela. Et voilà que les Turcs effacent cette voix divine et disent: Votre loi durera bien quelque temps, mais elle finira par être changée. Luther n'ajoute aucune réflexion. Sa femme, de son côté, lui fait des objections. Il est écrit, dit-elle, qu'il n'y aura qu'une bergerie et qu'un berger. Oui, chère Catherine, dit le docteur, mais cela s'est accompli lorsque les païens ont embrasse l'Evangile. (Tisch., p. 431. V. Mém. de MICHELET, t. II, p. 330.) Il mentionne des multitudes d'erreurs surgissant autour de la sienne. Un de ces esprits de vacarme, qui ont chair et sang, dit-il, vient prétendre que tout homme a le Saint-Esprit; secondement que le Saint-Esprit n'est autre chose que notre raison et notre intelligence; troisiè mement, que tout homme a la foi; quatrièmement, qu'il n'y a pas d'enfer; que du moins la chair seule sera damnée; cinquièmement, que toute âme aura la vie éternelle; sixièmement, que la simple nature nous enseigne de faire au prochain ce que nous voulons qu'on nous fasse; septièmement, que la loi n'est pas violée par la concupiscence, tant que nous ne consentons pas au plaisir; huitièmement, que celui qui n'a pas le Saint-Esprit est aussi sans péché, car il n'a pas de raison. Tout cela ce sont des propositions audacieuses, de vains jeux, de la fantaisie, si ce n'est la septième proposition(Voyez Mémoires de Luther, par MICHELET, t. I".) Luther était porté par sa nature et par sa conduite à admettre la septième proposition, considérée même absolument. Les insurrections protestantes revêtent le caractère des insurrections modernes; c'est la même fièvre d'égalité, par le pillage et la spoliation. Elles profitent, pour éclater en

Allemagne, du moment où les troupes de l'Empire sont en Italie. La révolte lève d'abord la tête en 1524, en Hégovie. Les paysans de Kempten imitent l'exemple des premiers insurgés; ils pénètrent dans les villes, brisent les images, dépouillent les temples de leurs ornements. Les paysans, vaincus une première fois, se relèvent, et cette fois ne dévastent plus seulement les églises et les monastères, ils s'attaquent aux maisons des nobles. Ce premier soulè vement assoupi, Münzer pousse à la révolte les paysans de Thuringe. Les sujets des comtes de Hohenlohe, déjà révoltés, viennent les rejoindre. L'insurrection entraîne d'autres flots de révoltés dans ses flots. Elle rançonne le clergé et fait de grands progrès en Alsace. Certains insurgés ont représenté sur leurs bannières la roue de fortune; d'autres, des sceaux sur lesquels on voyait un soc de charrue avec un fléau, un râteau ou une fourche et un sabot, placés en croix. (GROPP., Chronique de Wutzbourg, 1, 97; WACHSMUTH, p. 36.) Voilà l'emblème et en voici l'application. Après la prise de Weinsberg, les paysans tiennent un conseil général et décident de ne plus accorder la vie à aucun prince, comte, baron, noble, chevalier, prêtre ou moine, en un mot à aucun des hommes qui vivent dans l'oisiveté. Ils massacrent tous les nobles faits prisonniers, pour venger, disent-ils, leurs frères de Souabe. Ils conduisent une fille naturelle de l'empereur Maximilien dans un tombereau à fumier. Dans la seule Franconie, deux cent quatre-vingt-treize châteaux ou monastères sont dévastés. En cas de pillage, ils ne manquent jamais de courir au cellier; ils se partagent les ornements d'église et les habits pontificaux. Au monastère d'Erbach, dans le Rhingaw, ils trouvent une immense cuve contenant 84 grands muids de vin; ils en boivent les deux tiers sur place. Ils forcent les seigneurs de leur envoyer leurs paysans avec ce jeu de mots : Si vous ne le faites pas, tenez pour certain que vous serez très-incertains de votre vie et de vos biens. Les femmes ont leur bannière à côté des hommes. Le comte de Lawenstein est salué respectueusement par un passant; un vieux paysan le voit et lève sa hallebarde. Pourquoi t'inclines-tu, dit-il au passant, je vaux autant que lui. Et les paysans s'amusent à faire ôter les chapeaux aux nobles devant eux. Ceux de l'évêché de Wurzbourg conduits par Jacques Kohl, demandent que les châteaux soient démolis et qu'aucun noble ne puisse avoir de cheval de guerre. (Mémoires de Luther, par MICHELET, aux notes du t. 1.) Münzer, pendant son séjour à Zwickau, va trouver une très-belle fille et lui dit qu'il est envoyé vers elle par une voix divine pour dormir avec elle; sans cela il ne pouvait enseigner la parole de Dieu. La fille l'avoue en confession sur son lit de mort. (Ibid.) Le même homme écrit à Luther et à Mélanchthon : j'aime assez que vous autres de Wittemberg vous attaquiez ainsi le Pape; mais vos prostitutions que

Vous appelez mariages ne me plaisent guère. Münzer pousse la brutralité et la sottise du blasphème jusqu'à dire que Dieu lui fera entendre sa parole comme à Abraham, et que s'il refuse de communiquer avec lui ainsi qu'il l'a fait avec les patriarches, il lancera des traits contre lui, tela in se ipsum conjecturum. (Idem). Après avoir déclamé contre le Pape et contre Luther, il vocifère contre Dieu même.

Zwingle parlant pour les réformés, dit naïvement à l'évêque de Constance : Votre Grandeur connaît la vie honteuse que nous avons hélas! menée jusqu'à présent avec des femmes, et qui en a scandalisé et perverti plus d'un. Nous demandons par conséquent (puisque nous savons par expérience que nous ne pouvons mener une vie chaste et pure, Dieu ne nous l'ayant pas accordé) qu'on ne nous refuse pas le mariage. Nous sentons avec saint Paul l'aiguillon de la chair en nous, cela nous met en danger, etc., etc. (ALZOG., Hist. de l'Eglise, t. III, p. 57.) La violation organisée du célibat ecclésiastique ne se borne pas au mariage, l'incontinence dans le mariage autorisera le divorce, et viendront les panthéistes qui écriront, c'est M. Buchez qui le constate: La fidélité conjugale est impossible; voulez-vous empêcher l'adultère, abolissez le mariage et restituez la promiscuité. (Histoire parlementaire de la révolution française, t. XXIX, p. 3.) C'est ainsi, dit M. Nicolas, que la réforme initiale conduisait par une succession de réformes logiques, à la réforme finale qui supprime toute morale et toute société. (Du protestantisme, p. 555.)

Le divorce inauguré par Henri VIII, fut avec le pillage des biens ecclésiastiques la brèche par laquelle le protestantisme entra dans l'Ile des saints. Thomas Morus paye de sa tête comme saint Jean-Baptiste le non licet qu'il a le glorieux courage d'adresser au nouvel Hérode. Sans la passion et le caprice du roi d'Angleterre pour Anne de Boleyn, les relations amicales du monarques avec le Saint-Siége n'eussent reçu aucune atteinte. Le passage à l'hérésie s'opère par le chemin des vices. Celui du retour à l'église a lieu par le chemin des vertus. (FITZ WILLIAM, p. 113.) La secte protestante des anabaptistes professa et pratiqua la polygamie. Jean de Leyde a jusqu'à vingt femmes. Le pieux duc Georges de Saxe écrit à Luther en 1526: A quelle époque Wittemberg a-t-il été peuplé d'autant de moines défroqués et de religieuses mondaines? A quelle époque les femmes. ont-elles été enlevées à leurs maris pour être données à d'autres, ce que ton évangile permet? A quelle époque a-t-on commis autant d'adultères que depuis que tu as osé écrire: Quand une femme ne peut être rendue féconde par son mari il faut qu'elle en aille trouver un autre pour qu'il lui donne des enfants, que le mari sera tenu de nourrir; et le mari pourra en faire de même en pareil cas? (Commentaires de Surius, p. 150).

est pleine d'athées. Nous sommes disait King, évêque de Londres, si loin d'être de vrais Israelites que nous sommes plutôt convaincus d'être de parfaits athées. Luther et Calvin eux-mêmes, reculent devant leur réforme et la maudissent à son berceau. Dans Wittemberg, sa ville chérie, Luther fait entendre ces propres paroles: Depuis la prédication de notre doctrine, le monde devient de jour en jour plus mauvais, plus impie. plus éhonté. Les diables se précipitent en légion sur les hommes, qui à la pure clarté de l'Evangile, sont plus impudiques, plus détestables qu'ils n'étaient jadis sous la papauté. Paysans, bourgeois et nobles, gens de tous états, du plus grand au plus petit, ce n'est partout qu'avarice, intempérance, crapule, impudicité, désordres honteux, passions abominables. (Serm. 1553.) Sortons de cette Sodome, écrit-il à sa femme. Les mêmes paroles, les mêmes aveux s'échappent de la bouche et de la plume de Calvin. Parmi cent évangéliques, écrit-il, on en trouverait à peine un seul qui se soit fait évangélique par un autre motif que pour s'abandonner avec plus de liberté à toutes sortes de libertés et d'incontinences. (Comment. in II Petr. 11, p. 60.)

Il faut réfuter une objection qui consisterait à dire que nous ne montrons ici qu'un côté de la question et que les pays protestans tels qu'on les connait, à commencer par l'Angleterre, font mentir ce tableau. Il y a dans le protestantisme, dit M. Nicolas (loc. cit.), deux faces parfaitement distinctes, celle par laquelle il est séparé du christianisme, l'autre par laquelle il lui est adhérent. Le protestantisme tient au christianisme, c'est-à-dire à la vérité et à la vie; il lui doit ses vertus, et il doit ses infirmités à l'abandon d'une partie de la pure doctrine. Et voici la seconde objection. Les nations catholiques ne valent pas mieux que les protestantes. On répond que les sociétés catholiques et particulièrement la France, sont depuis un siècle en guerre avec l'Eglise. On place la France en face de l'Angleterre et on oublie qu'elle est telle, depuis un siècle, que l'ont faite Voltaire, Rousseau et les encyclopédistes. Le principe protestant par l'organe des libres penseurs, agit en France depuis ce temps-là et avec d'autant plus de violence qu'il est avec le principe catholique en lutte ouverte. Mais il y a d'autres raisons. Le protestantisme compose avec tous les penchants de faiblesse ou de licence qui sont au cœur de l'homme, penchants que le catholicisme fait profession de combattre absolument, par les croyances les plus précises et les prescriptions et les pratiques les plus sévères, qu'il irrite par conséquent et qu'il exalte quand il ne les dompte pas. Il en diminue ainsi la violence ouverte, mais il affaiblit d'autant le ressort de la vertu, il appauvrit d'autant la nature morale de l'âme humaine. De là chez les peuples protestants, moins de désordres moraux éclatants, moins d'impiété déclarée; mais par la même raison moins de hautes vertus, moins de piété proII. 49

Au début de la réforme, Witgist, évêque de Cantorbéry, se plaint de ce que son Eglise DICTIONNAIRE D'ECONOMIE CHARITABLE.

fonde, moins de prodiges de charité et d'héroisme, mais une moyenne pour ainsi dire, froide, uniforme, calme et pauvre de moralité ou plutôt d'absence d'immoralité. Le catholicisme, au contraire, met en demeure tous les vices et fait un appel incessant à toutes vertus. (Du protestantisme, p. 665 et suiv.) Le phariséisme juif était comme le protestantisme, moral, honnête, doctoral et prédicant; on sait comment l'a jugé l'HommeDieu. (Id.)

A nos yeux l'infériorité du protestantisme est l'inévitable conséquence de l'impureté de son origine et de l'immoralité de son fondateur. La vie de Jésus-Christ est identique au christianisme. Le Sauveur est la charité faite homme, comme la doctrine évangélique est la morale humaine faite charitable, ce qui est vrai de l'Homme-Dieu l'est dans la miesure du possible des apôtres, des docteurs et des saints que l'Eglise honore. Le vice originaire du protestantisme doit se retrouver et se retrouve dans la charité protestante. Une société qui enfante des saints, a dit Bossuet, est marquée d'un signe infaillible de régénération. Le protestantisme qui s'est donné pour la réforme n'en saurait montrer un seul. On répond le protestantisme ne canonise pas ses saints. La vertu chrétienne par excellence a beau se couvrir du voile de l'humilité, elle éclate malgré elle, les bénédictions du pauvre servent de hérault à sa gloire. La charité catholique a parsemé l'histoire de noms éclatants dans la charité; la sécheresse native du sol protestant s'est fait voir en cela comme en tout. Le protestantisme n'a pas de ces œuvres qui influent sur les mœurs, qui les préservent, qui les réparent, qui les élèvent en les purifiant, ou du moins celles qu'il essaie de produire par imitation, participent de la débilité du dogme et de la discipline protestante.

Le premier instrument de moralisation, celui qui multiplie les saints dans le catholicisme, qui contient pius d'éléments de préservation et d'amendement que toutes les œuvres protestantes nées et à naître, la confession manque au protestantisme. Il lui manque le célibat. Le célibat religieux, dit M. Nicolas, est la grande condition de la paternité et de la maternité des œuvres, de la fécondité du bien. Figurez-vous saint Vincent de Paul marié. Aurait-il laissé ses enfants pour recueillir les autres et donner lui-même le premier l'exemple de l'abandon dont il voulait sauver ces innocentes créatures? Ses entrailles qui eussent été resserrées dans une seule famille se sont élargies à la taille des besoins de son siècle; et d'elles sont sorties ces myriades d'anges qu'on appelle à juste titre ses filles, qui continuent et perpétuent sa fécondité par leur maternité virginale. Un écrivain protestant en convient. Il est des temps et des situations, dit-il, où le ministre célibataire rendrait à l'Eglise des services que le ministre marié ne peut pas lui rendre. Les hommes qui ont fait de trèsgrandes choses ont vécu dans le célibat. VINET, Traité du ministère pastoral, p. 183.)

Ces temps et ces situations dont parle l'écrivain, sont continus comme les misères humaines et le prêtre est appelé, dit M. Nicolas, a faire tous les jours de grandes choses. L'écrivain catholique met au nombre des causes de l'infériorité du protestantisme la négation de la présence réelle. Un Dieu se donnant à nous jusqu'à se faire notre nourriture jusqu'à nous alimenter de sa chair et de son sang, jusqu'à nous infuser sa divine charité, quel exemple! quel mobile! quel principe d'héroisme et de sainte extravagance pour toutes les grandes entreprises de la charité! Une âme à sauver à l'extrémité du monde, l'amas des misères humaines à soulager avec une frêle et délicate existence; des multitudes affamées à nourrir avec quelques restes de pain; des maladies contagieuses à guérir sans souci de les contracter; des maladies morales, hideuses et dangereuses à traiter avec une candeur et une délicatesse exquises; l'humanité tout entière à pourvoir; le monde à embrasser et à régénérer, rien n'étonne, rien ne rebute celui que nourrit le perpétuel miracle du Calvaire. Sans la croyance à ce grand miracle, il ne reste qu'un pauvre chétif qui défaillira à chaque pas. Le défaut de foi à ce miracle est déjà une défaillance. La foi du protestantisme est, ondoyante, diverse, individuelle. Le catholicisme agit non-seulement avec sa propre foi, mais avec celle de toute l'Eglise, dans sa perpétuité, avec la foi des martyrs de la primitive Eglise, comme avec celle des martyrs qui expirent à cette heure pour cette foi aux extrémités du monde. Le protestantisme est individuel dans son action comme dans sa foi. Où prendrait-il cette force que le catholique puise dans sa croyance pour s'attaclier aux pas du vicieux, pour le réchauffer dans ses bras et le régénérer dans le repentir?

Suivant les historiens protestants les plus zélés et d'après la déclaration d'Henri VIII lui-même à son parlement, une des consé quences immédiates de la réforme fut l'affaiBlissement de la charité. Dans les sociétés catholiques il y a des impies, de grands impies, mais il y a aussi des saints, de grands saints. On fait grand bruit des désordres moraux de la société française, mais on ne tient pas assez compte de toutes les œuvres admirables que le catholicisme y inspire, y fait fleurir pour la purification des cœurs et la sanctification des âmes. On ne compte pas assez ces foyers si actifs, <i embrasés de charité de dévouement, d'abnégation et de sainteté qui combattent sans cesse les glaces de l'indifférence ou les sourilures du crime, ou les ténèbres de l'ignorance, et qui entretiennent au cœur de la nation une valeur de sens chretien et de sens moral bien supérieure, en délin:tive, à celle de tous les autres peuples. Le protestantisme montre volontiers des vertus humaines et naturelles, mais des vertas surnaturelles et surhumaines, des vertus divines de dévouement et de sa rifice jus

qu'à la mort, comme Jésus-Christ nous en a donné le commandement et l'exemple, et auxquelles il a dit qu'on reconnaîtrait ses vrais disciples. (Joan. xIII.) le protestantisme n'en a pas même la prétention, et c'est sa doctrine qui en a éteint la flamme. Il donne ses biens, mais avec mesure; mais sa personne, toute sa personne, comme saint Paul, jamais. Le catholicisme commence par inspirer à ses ordres religieux et à ses prêtres le sacrifice des biens, des aises et des avantages de la terre pour les disposer à quitter la vie même, dès que l'occasion s'en présentera; il prescrit la mortification et la pénitence à tout chrétien pour qu'il soit une victime commencée pour le sacrifice. L'apôtre catholique n'est pas un héros éventuel et virtuel, mais un héros en constante activité et en résultats incessants et c'est de plus un héros obscur. Il n'attend pas les occasions il les cherche. Il y a plus de christianisme, dit M. Nicolas, Jans une seule de nos soeurs de la charité, de nos petites smurs, que dans tous les honnêtes protestants de la Hollande et de l'Angleterre. Une société comme la France qui procrée ces angéliques merveilles du dévouement et tant d'autres légions apostoliques de la charité, au nombre, pour les femmes seulement, de plus de 69,000 (nous croyons ce chiffre de M. Nicolas exagéré, voyez CONGREGATIONS), qui porte tant de bonnes œuvres, qui les alimente, qui les propage, qui en fait circuler partout la vie divine dans ses veines et dans ses flanes; qui retrempe de jour en jour davantage la Bravoure et la discipline de ses soldats aux sources héroïques de la piété catholique; qui répand au loin sur toutes les plages le zèle intrépide de ses missionnaires, et se couronne incessamment par leurs mains des palmes du martyre; une telle société, une telle nation n'a pas cessé d'être moralement et politiquement la première nation du monde. (Du protestantisme.)

Protestants, s'écrie M. Nicolas, à la suite de l'admirable récit du dévouement héroïque du saint archevêque des barricades de 1848, protestants nos anciens frères, toujours nos frères, quoi que vous nous ayez quittés! Faites-nous voir, dans tout le cours de votre tomultueuse histoire, un seul acte qui aproche même de loin, de cet a te héroïque qui n'est que simplement catholique; faitesnous en voir seulement le germe et le moindre indice. (P. 576.)

Le protestantisme, en retran hant de son symbole l'invocation des saints et les prières pour les morts, a introduit dans le monde le principe du chacun pour soi et coupé en deux la famille chrétienne. Ce n'est pas tout; il aurait apporté à l'exercice de la charité un obstacle doctrinal invincible, si les hommes du protestantisme, comme les paiens, ne valaient pas mieux que leurs croyances. Cet obstacle doctrinal est l'enseignement de l'inutilité des œuvres.

Pour me délivrer entièrement de la vue de la loi et des œuvres, dit Luther, je veux

-

que Jésus-Christ soit ma doctrine. Le diable veut une justice active, tandis que nous n'en avons qu'une passive. Les œuvres ne méritent pas le ciel. Mélanchton s'en effraie : Nous sommes, dit-il, justifiés par la foi et par la rénovation, et par la rénovation il faut entendre les dons et les vertus que nous tenons de Dieu, par conséquent, la pratique des bonnes œuvres. - Non, répond Luther, nous sommes justifiés par la pure miséricorde de Dieu. Disons au moins principaliter, réplique Mélanchton et minus principaliter par les œuvres. La seule vraie justification, reprend Luther, est la miséricorde. de Dieu. Ainsi le chef de la réforme, outre qu'il supprime le libre arbitre, se prononce radicalement pour l'inutilité des œuvres. Mélanchton insiste: Je vous demande ce qui justifie saint Paul et le rend agréable à Dieu, après sa régénération par l'eau et T'esprit. Luther. C'est uniquement cette régénération. régénération. Mélanchton. Est-il justifié Jar la seule miséricorde et moins principalement par ses vertus et par ses œuvres? Luther. Non pas. Melanchton. Saint Paul qui croit et qui en même temps, fait les euvres est agréable à Dieu pour cela. Luther. Le juste, après la régénération, fait les œuvres non pour obéir à quelque loi, car il ne lui est pas donné de loi, mais par une nécessité immuable. (L'hérésiarque oublie le formidable commandement du prochain.) Mélanchton. Sadolet nous accuse d'enseigner que la foi seule justific. ther. C'est que les faux frères et les hypocrites faisant semblant de croire, on leur demande les œuvres pour confondre leur fourberie. Mélanchton insistant toujours, Luther dit encore, qu'il n'est besoin de rien ajouter à la foi, si elle est véritable, qu'elle est, à elle seule, efficace, toujours et en tout point; que toutes ces manières de dire, nsitées dans la loi; telles que le croyant doit faire de bonnes œuvres, doivent être rejetées par la réforme : le soleil doit luire, un bon arbre doit produire de bons fruits, trois et sept doivent faire dix, de même les bonnes œuvres sont de simples conséquences, etc. (Tisch., p. 133.) Et nous, catholiques, nous disons avec les croyants de l'ancienne loi :

Lu

La foi qui n'agit pas, est-ce une foi sincère? Un homme ilustre va prendre la parole; il est protestant, c'est M. Guizot, il va se charger de prononcer sur la valeur comparée du protestantisme en France en matière de charité. Après avoir expliqué qu'il existe en France 1,500,000 protestants réformés ou luthériens, il ajoute que pour donner l'enseignement à tous les enfants, il faudrait réunir 706,000 fr., on n'en peut obtenir de la charité protestante plus de 60,000; M. Guizot l'avoue avec tristesse, dit-il, avec honte, et il ajoute : Dans une grande partie de notre population règne beaucoup de tiédeur; je ne veux as dire d'indifférence; le mot serait vrai eut-être, mais dur; tiédeur pour la reli

gion, tiédeur pour l'instruction, tiédeur pour la charité. On n'y est pas tourmenté du besoin d'assurer son propre développement religieux et moral, ni celui des générations futures. (Temple de l'Oratoire, avril 1854.)

M. Augustin Cochin, dans un écrit récent, démontre que la cause principale du paupérisme en Angleterre, sans parler des autres nations, est de l'ordre moral plutôt que de l'ordre politique ou matériel, et consiste dans l'insuffisance de la religion chargée d'entretedans la nation l'esprit de charité, et de rendre efficace et morale l'action charitable Etant donné, dit-il, le même degré de paupérisme et les mêmes ressources pour le combattre, le protestantisme produit un effet incomparablement moins grand que le catholicisme, et cette différence n'est explicable que par l'infériorité des moyens dont dispose le protestantisme. Avec peu, le catholicisme fait beaucoup, le protestantisme fait peu, et pour ainsi dire rien. Toutes les lois, depuis la réforme, continue M. Cochin, oscillent entre deux extrêmes: ou l'on se défie des riches, et on les taxe; ou l'on se détic des pauvres, et on les parque, on les punit, on les chasse. Pitt, disait de la législation anglaise, en 1796, qu'en greffant sur de mauvais principes de mauvais remèdes, elle n'a rien produit que confusion et désordre,

Le caractère général des lois anglaises sur la charité n'est ni la confiance dans la charité du riche, ni une grande tendresse pour le pauvre; elles ne respirent ni n'inspirent la charité. L'abondance seule de ces lois ne prouve pas une grande abondance de vertus. Quand la loi touche de si près à l'ordre moral, c'est pour imposer les vertus que la religion ne sait plus inspirer. La loi extérieure vient ainsi au secours de la loi intérieure défaillante. On arrive, en étudiant l'état des pauvres, ou en recherchant les causes de la pauvreté, à constater ce fait principal: l'insuffisance de l'ordre moral en Angleterre. Or, les réformes de 1834, qui sont la dernière période de la législation charitable, viennent confirmer cette appré ciation.

On voit dominer le désir, le besoin de faire intervenir de plus en plus la loi et le pouvoir central. On demande à la loi des mesures sur toutes les conditions de la vie de l'ouvrier habitation, salaire, durée du travail, instruction primaire, lectures, plaisirs, mariages, et sur tous les moyens de distribuer la charité, taxe, unions, dons et legs, fondations. On demande au pouvoir central des agents, des bureaux, des règles pour mettre en mouvement toutes ces lois. Enfin, on demande au Trésor des contributions nouvelles, et c'est à qui proposera un système financier nouveau système de lord Malmesbury, système de M. d'Israëli, système de M. Coode, système de M. Pashley (sans parler des promesses du libre échange), et tous ces systèmes, qui ne font d'ailleurs que déplacer et non diminuer le fardeau, ont 4oujours pour but de substituer, par des

combinaisons diverses, une charge générale aux charges locales. Ainsi, tout le monde demande que l'Etat prenne de plus en plus la tâche de réparer par la loi les vices que la morale seule ne corrige pas suffisamment, de faire porter par le budget des charges sous lesquelles la charité locale succombe, et l'Etat se met à cette tâche avec intelligence, avec résolution: « Je n'exagère pas, dit M. Cochin; je n'ai dessein d'examiner qu'un seul point de vue et je ne prétends pas que les lois ne servent à rien, que les aumônes ne font aucun bien, que les réformes du droit civil ou des lois économiques, que les changements de systèmes financiers ne sont pas utiles. Il serait bien ridicule de parler ainsi en présence des grands résultats produits par les mesures de sir Robert Peel. Mais ce fait domine tous les autres : le devoir ne parle pas assez haut, il faut de plus en plus faire intervenir le droit. Eglise anglicane, chargée d'enseigner le devoir de la charité aux riches, et le devoir de la patience aux pauvres, de détruire l'ignorance et de faire régner les bonnes mœurs, où êtes-vous done? Il n'est question, dans vos lois d'assistance, que de finances, de fonctionnaires, de bureaux, d'inspecteurs de morale, d'officine de charité, jamais votre nom n'est invoqué; où êtes-vous done? Je sais bien que dans d'autres pays, après des malheurs dont elle a été victime, jamais complice, l'Eglise catholique n'est pas seule chargée du soin des pauvres; elle ne peut pas, pauvre et affaiblie elle-même, se relever aussi promptement qu'elle a été détruite, et faire le bien aussi vite qu'on fait le mal; dans ces pays, on s'adresse quelquefois par système, quelquefois par nécessité à la loi. Mais, au moins, après tant de persécutions, de rigueurs, de dédains, l'Eglise de plus en plus réclame, et de plus en plus obtient cette prérogative de faire le bien qui vous échappe, Eglise anglicane! Pour vous, c'est au milieu de toutes les faveurs que vous devenez stérile. Les hommes vous ont faite reine Dieu pouvait seul vous faire mère, et il vous l'a refusé; car je vois vos richesses, mais où sont vos sacrifices, vos forces, vos vertus? Où sont vos apôtres et vos martyrs de la charité? Où sont, surtout dans les campagnes, vos serviteurs et vos servantes des pauvres? Où sont vos pauvres volontaires? ou plutôt, vous avez des apôtres, mais quel est leur succès? Vous avez des vertus, mais quel est leur effet? On me parlera de dévouements individuels, on me citera des noms respectables. Je répondrai par cette fable de la jeune mère indienne qui, ayant vu guérir un malade en lui présentant un breuvage, approchait nuit et jour un vase vide des lèvres de son enfant mourant. Cette mère était une bonne mère, mais son vas? était vide, et ne contenait pas le breuvage vivifiant. C'est ainsi que l'Eglise anglicane et les nombreuses associations qui en dépendent peuvent être et sont en effet inutilement charitables. Elles n'ont pas la vraie religion. Un ministre anglican a fait cet aveu

« PreviousContinue »