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4. Nous tenons à le dire aussi nettement que possible, avant de terminer cette introduction: le sujet dont nous entreprenons l'étude est divers et, dans tous les cas, fort difficile. Il est loin de rentrer toujours directement et complètement dans le droit international privé, tel que nous l'avons défini. On y voit, bien souvent, prédominer la question de savoir si tel droit doit être reconnu, sur celle de savoir d'après quelle loi la réglementation devra s'en faire. Nous retrouverons bien souvent ici la différence que nous avons signalée entre les articles 3 et 11 du Code civil. 1 Mais, bien qu'on puisse fréquemment se demander si c'est en présence du droit interne ou du droit international qu'on est placé, le dernier se trouve toujours plus ou moins intéressé dans les questions qui surgissent dans le premier.

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Il nous reste à dire quelques mots pour exposer, aussi clairement que possible, deux questions générales que nous verrons, bien souvent, se présenter dans le cours de cette étude :

1° Quels sont les rapports qui existent entre la compétence législative dont nous nous sommes occupé dans la première partie de notre étude et la compétence judiciaire dont il doit s'agir dans celle-ci ? Ces deux compétences sont-elles absolument distinctes l'une de l'autre, ou doiton les considérer comme n'étant que deux aspects d'un seul et même sujet? Cette dernière manière de procéder semble devoir prédominer.

1 Voir tome I, p. 158.

Les mots compétence législative se réfèrent généralement à la loi relative au fond du droit; ceux de compétence judiciaire indiquent le tribunal auquel il faut s'adresser. On peut croire, au premier coup d'œil, qu'on a devant soi deux problèmes absolument distincts et se rapportant, le premier aux règles ayant le fond du droit pour objet, le second à celles qui ont trait à la compétence des tribunaux. Ces deux aspects peuvent, toutefois, se trouver réunis dans une seule et même disposition; les règles statuant sur le fond du droit ne sont pas toujours étrangères à la compétence judiciaire; et toute règle se rapportant à cette dernière n'est pas toujours étrangère au fond.

C'est ainsi, par exemple, que la disposition de l'article 3 du Code civil portant: « Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française, »> doit s'entendre des lois d'organisation judiciaire et de procédure comme de celles qui se rapportent au fond du droit, parce que les mêmes motifs semblent applicables aux deux catégories. Des questions analogues peuvent s'élever au sujet des paragraphes 1 et 3 du même article. Il peut y avoir là des distinctions à faire sur lesquelles nous aurons à revenir plus tard.

Pour chaque Etat la compétence judiciaire se présente sous deux aspects différents: elle est internationale ou interne. La première se rapporte à la juridiction des tribunaux du pays considérés dans leur ensemble, par opposition à ceux des autres Etats; la seconde concerne une répartition de la juridiction nationale entre les dif

férents tribunaux établis sur le territoire. Cette distribution s'opère suivant les localités desservies par ces tribunaux et suivant les divers genres de litiges dont ils doivent s'occuper.

Nous inclinons à penser qu'une disposition qui, tenant au fond, consacre la compétence de la loi émanée de telle souveraineté peut, en principe et jusqu'à preuve ou présomption contraire, désigner cette loi comme compétente pour la procédure comme pour le fond.

L'article 3 du Code civil français nous semble fort intéressant à étudier à ce point de vue. Les tribunaux français ne doivent-ils pas être considérés comme compétents, en principe, au sujet des trois catégories de droits. mentionnés dans cet article? Cette compétence ne doitelle pas être, en certains cas, exclusive de toute autre? Cette solution n'est-elle pas généralement consacrée par la doctrine et la jurisprudence françaises?

Ce sont là des questions compliquées sur lesquelles nous nous proposons de revenir plus tard, tout particulièrement au sujet de l'état et de la capacité des per

sonnes.

Il se peut qu'une disposition qui semble énoncer seulement une règle de compétence judiciaire, appartienne au fond plus qu'à la procédure, parce qu'elle statue sur l'existence même d'un droit. Tel nous paraît être le cas des articles 14 et 15 du Code civil, comme nous ne tarderons pas à le voir. La compétence judiciaire et le droit concernant le fond se réunissent en cette matière, mais ce qui l'emporte en importance, c'est le droit du fond

qui statue lui-même sur la compétence judiciaire et lui sert de base, ce qui est le but qu'il poursuit.

Nous devons ajouter que les deux compétences législative et judiciaire ressortissent l'une et l'autre à la fonction législative, et que la seconde se rattache à la première par des liens d'une dépendance naturelle, comme nous l'avons dit précédemment; ce sont là de puissants motifs de ne pas considérer comme des sujets complètement distincts, les règles se rapportant à ces compé

tences.

2o La seconde question, qui doit nous arrêter quelques instants, n'est pas sans analogie avec la première : il faut nous demander sous quels aspects se présente ce qu'on peut appeler compétence judiciaire en matière internationale.

La compétence judiciaire apparaît, pour chaque Etat, sous deux points de vue différents.

Il faut, avant tout, fixer les limites de la compétence générale des tribunaux fonctionnant sur le territoire. Cette opération doit être considérée comme nécessairement revêtue d'un caractère international, puisqu'elle aboutit à répartir, entre les souverainetés, l'administration générale de la justice, en fixant la part que chacune d'elles doit y prendre.

Cette compétence nationale doit ensuite être partagée entre les tribunaux distribués sur le territoire. La seconde distribution s'opère en vue de deux éléments: les circonscriptions territoriales, ayant pour but de rapprocher les tribunaux des justiciables, et la compétence d'attribution,

par laquelle on s'efforce d'obtenir des tribunaux appropriés aux exigences des divers genres de litiges qui se présentent.

Les juridictions résultant de ce double partage constituent ce qu'on peut appeler compétence interne.

Ces deux aspects du sujet sont, en général et en principe, représentés en France, le premier par les articles 3, 14, 15 et 16 du Code civil, le second par les articles 59 et 420 du Code de procédure civile et par d'autres règles se rapportant à la compétence d'attribution.

Nous aurons souvent à nous demander quels rapports existent entre ces deux genres de juridictions, quelle influence ils doivent exercer l'un sur l'autre, comment ils doivent s'exclure ou se suppléer réciproquement.

Il n'y a rien d'absolu dans la distinction que nous venons d'énoncer; nous n'entendons certainement pas affirmer que la juridiction plus spécialement qualifiée d'interne soit sans importance internationale. Chaque Etat est intéressé à ce qui se passe sur le territoire des autres. Les règles où le droit interne semble prédominer peuvent, d'ailleurs, agir d'une manière plus ou moins directe sur le droit international, soit parce qu'elles ne pourraient pas atteindre au but qu'elles se proposent si elles ne s'imposaient aux étrangers comme aux nationaux, soit parce que ce principe d'égalité constitue une sorte de droit commun interne et international.

Nous avons cru convenable d'énoncer ces principes, en termes plus ou moins généraux, dès le début de cette étude, parce qu'ils nous aideront à mieux comprendre

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