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l'Empire. Parmi ces hommes mettons tout de suite hors de pair l'ingénieur Duhamel qui, fixé en Sarre où il était chargé du contrôle des mines et des usines, acquit auprès du gouvernement comme auprès des particuliers, par sa compétence et son activité, une autorité exceptionnelle.

Les fonctionnaires ont envahi la scène; ils ne l'occupent pas seuls. Voici à côté d'eux quelques maîtres de forge dont le moule, Dieu merci, n'a pas été brisé depuis, égoïsmes puissants qui en dépit d'une maxime anémiée ont fait de grandes choses par intérêt; ou ces financiers anonymes qui sous le manteau d'une « Compagnie » intriguent, spéculent, raflent les marchés, toujours flairant une affaire, volant l'état ou les particuliers, établissant une filiation authentique entre les traitants d'autrefois et les « Schieber », nos Turcarets. Dans ces combats obscurs les adversaires n'ont pas d'insigne et l'on doit s'excuser d'avoir trop souvent ajouté des hypothèses, où l'histoire n'enregistrait qu'un bail ou un traité. Mais une critique de ces documents s'imposait si l'on ne voulait pas être dupe.

Dirai-je que je l'ai faite sans parti pris? Le beau mérite que de tenir la balance exacte entre partisans de la Régie ou de l'exploitation privée ! Mais il est une impartialité d'une qualité plus délicate. Depuis que Sarrelouis a cessé d'être française, l'histoire de la Sarre a pris chez nous le ton de la légende : elle en a les souvenirs exaltants, les illusions involontaires, les traits parfois démesurés. A cette puissance de charme, commune à tout ce qui touche à la grande épopée, bien rare celui qui n'accorde une inconsciente complaisance. Pourtant il faut échapper à la hantise du

passé douloureux et de l'avenir incertain si l'on veut restituer la vraie figure du passé et apprécier à sa juste valeur l'œuvre accomplie. Un contact direct avec la terre sarroise, une longue familiarité avec ses mines, ses bois et ses habitants sont nécessaires pour préserver le jugement. Cette flânerie dans le présent achevée, on peut rouvrir les dossiers d'archives, confronter les opinions opposées des auteurs l'esprit est mûr

pour discerner la vérité. J'ai conclu, il est vrai, que l'annexion des pays sarrois à la France avait dans l'ensemble accru leur prospérité et, après la crise de l'occupation militaire, donné un vigoureux essor à la plupart des industries. Que l'on puisse en tirer argument en faveur des droits de la France, cela n'infirme pas, j'imagine, la conclusion elle-même, si elle a été correctement déduite des faits. Ce livre se borne à l'établir. D'ailleurs on ne peut pas, de ce que la France a fait en Sarre, conclure à ce qu'elle pourrait faire ; je m'abstiendrai donc de tout commentaire. Pour porter un jugement sur la situation économique actuelle, une enquête préalable s'impose à des conditions différentes il faut une étude nouvelle.

Deux maîtres, M. L. Gallois, professeur à la Faculté des Lettres de Paris, et M. Ch. Schmidt, archiviste aux Archives nationales, aujourd'hui Inspecteur général des Archives, m'avaient ouvert la voie. M. Gallois nous a, en même temps que Vidal de la Blache, initiés aux problèmes politiques et économiques du Territoire de la Sarre. Ses travaux au « Comité d'Études» publiés pendant la guerre sont encore aujourd'hui le meilleur point de départ pour qui veut étudier ce

pays. Tous ses anciens élèves qui connaissent sa simplicité et sa bonté comprendront qu'à une formule rituelle de remerciements, je préfère l'expression respectueuse de mon attachement. M. Schmidt a donné dans sa thèse sur le grand duché de Berg le modèle de ce que doit être l'histoire du pays rhénan écrite par un Français. Depuis il n'a cessé d'attirer l'attention des historiens sur les questions économiques et les problèmes rhénans pour l'étude desquels il nous a dotés d'un précieux instrument de travail : « Les sources de l'histoire des territoires rhénans de 1792 à 1814. » Quand la collection des Cahiers Rhénans commença de paraître, M. Schmidt y réserva une place à la Sarre. Grâce à lui toutes les recherches que j'ai dû faire soit à Paris, soit à Coblence, m'ont été facilitées. Qu'il veuille bien accepter l'expression de ma profonde gratitude.

J'ai eu la bonne fortune de trouver à Sarrebrück deux universitaires français qui occupent actuellement un poste dans la haute administration de la Sarre, M. Morize, Commissaire français au Gouvernement du Territoire de la Sarre, et M. Pierrotet, Secrétaire général de la Commission de Gouvernement. Si le propre d'un humaniste est de ne rien considérer comme étranger, je doute qu'on puisse apporter dans l'administration plus d'intelligente curiosité. Je ne voudrais pas attirer à nos compatriotes une clientèle importune de reporters et d'enquêteurs; mais je me suis trop souvent adressé à eux pour ne pas leur dire ici le plaisir et le profit que j'y ai chaque fois trouvés.

Je dois une reconnaissance particulière à M. SainteClaire Deville, Directeur technique des Mines Domaniales, qui m'a permis de prendre connaissance des

Archives des mines; au Commandant Lanrezac, qui a mis à ma disposition sa bibliothèque dont la composition trahit l'expert en choses sarroises autant que le bibliophile averti; à MM. Villeroy de Galhau, industriel à Vaudrevange, et Gouvy, maître de forge à HombourgHaut, qui ont bien voulu m'ouvrir leurs archives de famille. Mes amis, Mlle M. Foncin, M. A. Ganem et M. A. Miroglio ont relu ces épreuves et vérifié pour moi des références. A tous les trois un cordial merci.

J'ai trouvé l'accueil le plus courtois à la Bibliothèque de l'Historischer Verein à Sarrebrück, où M. le D' Ruppersberg m'a fait bénéficier de sa parfaite connaissance du passé sarrois; ainsi qu'au Staatsarchiv de Coblence installé dans le vieux bâtiment du Herrenhaus. Si l'on pouvait, un livre une fois terminé, choisir le lieu où l'on aimerait l'avoir écrit, je désignerais ces Archives de Coblence. Leurs ogives de grès rose, le fleuve puissant qui les entoure, le jardin monastique où en mai fleurissent des lilas, composent, sans prétendre au pittoresque, un ensemble d'une harmonie propice.

Pâques 1928.

INTRODUCTION

LE PAYS ET LES HABITANTS

Aux confins de la Lorraine et de l'Empire, entre Sarreguemines et Mettlach, la Sarre arrose des pays qui, sur une petite étendue, offrent les aspects les plus variés. Au nord-est de Sarreguemines, un plateau calcaire, le Bliesgau, aux croupes basses et aux dépressions évasées, prolonge l'horizon lorrain; peu d'arbres, sauf dans les vergers, mais de belles prairies et de longs champs de blés riche région agricole qui se déploie sans entrave autour de villages massifs et d'une ville en miniature, Bliescastel.

Le Bliesgau a vers le nord une limite nette; dès que l'on descend sur le Würzbach, le paysage change : le moindre ruisseau court dans une vallée trop large dont le fond plat est occupé par des joncs et des mauvaises prairies: un ample vêtement pour un membre chétif. Sur les bords s'élèvent, comme les berges d'une rivière à sec, des falaises de grès aux traînées rouges, jaunes et violettes. Seuls les acacias peuvent s'accrocher à leur pente et retiennent les éboulis; dès qu'on approche du sommet, les hêtres s'installent et

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