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elles-mêmes les gueuses. Par contre, elles poussaient l'intégration plus loin que les usines à fer et livraient directement au commerce des ressorts, des outils de quincaillerie, des faux et des armes.

Quel que fût le travail, à aucun moment, l'emploi d'un combustible n'était prévu pour fournir la force : le jeu des soufflets dans les hauts fourneaux ou dans les fours à réverbère, le mouvement vertical du bocard, du marteau et du martinet, le mouvement rotatif des cylindres, tout cela était assuré par les roues à aubes entraînées par l'eau des rivières. Quand l'eau descendait au-dessous d'un certain niveau, le roulis cessait et l'on en profitait pour faire les réparations : ainsi toutes les usines métallurgiques de la Sarre étaient sujettes à un chômage d'un ou deux mois par an. Pour la chauffe, au contraire, la consommation du combustible était considérable, beaucoup plus grande, relativement à la production, que dans une usine moderne qui récupère les gaz du haut fourneau. Jusqu'au XVIIIe siècle, on employait dans toutes les opérations le charbon de bois. Les usines à fer faisaient le vide autour d'elles : « gouffre affreux où ont été se fondre des milliers de cordes de bois », gémit une pauvre paroisse du Warndt.

Dans le même temps, l'usine de Geislautern «< avait ruiné sa forêt ». Encore en 1789, l'opération essentielle, la fonte du minerai, se faisait au bois; pour le travail du fer, si l'on avait conservé les feux d'affinerie alimentés au charbon, c'est-à-dire au bois, les fourneaux à réverbère employés concurremment marchaient à la houille et fournissaient des fers « métis ». La chauffe au bois subsistait pour le martinet, tandis

que la fonderie et la tôlerie passaient pour admettre la houille. De même, pour l'acier, l'affinage se faisait encore partie au bois, partie à la houille, avec cette différence cependant que les affineries d'acier consommaient la moitié moins de bois que les affineries de fer (1).

Toutefois une révolution industrielle était imminente, dont la Sarre avait failli être le point de départ l'emploi du coke dans l'opération métallurgique fondamentale, la fonte du minerai. Que cela ait été longtemps un procédé exclusivement anglais, le fait est hors de doute. L'orthographe du mot «< coak »>, qui était encore courante au début du XIX siècle, confirme cette origine. Mais si les premiers hauts fourneaux anglais marchant au coke sont antérieurs de 25 ans à nos hauts fourneaux du Creusot, le retard de la métallurgie sarroise fut, contre toute attente, bien moindre. Pourtant le manque de bois, qui avait en quelque sorte forcé l'Angleterre à être ingénieuse, n'était pas tel en Sarre qu'on fût obligé d'avoir recours à la houille. Et les princes, devenus fort chiches d'affouages quand il s'agissait des verreries, étaient encore très généreux envers les métallurgistes. La seule société Leclerc recevait 16.500 cordes de bois par an avec un rabais de plus d'une livre par corde, sur le prix courant. Si quelques hommes s'intéressèrent au coke, ce fut en chimistes amateurs, par curiosité scientifique plutôt que par intérêt commercial. Goethe, qui

(1) Exactement 235 cordes de France par an et par feu d'affinerie, au lieu de 500 cordes pour le fer (A. N. F1⁄44, 1073). La corde de Nüremberg, généralement prise comme unité, valait un peu moins de 4 stères; la corde de France était plus petite d'un quart.

visita le pays en 1771, le dit d'ailleurs expressément : « Bei Lebzeiten des vorigen Fürsten trieb man das Geschäft aus Liebhaberei, auf Hoffnung (1). »

La première fois que la houille fut « lessivée (2) » dans la principauté de Nassau, ce fut pour en extraire du goudron et du noir de fumée. En 1758, affermant la Russhütte au conseiller Heuss, le prince Henri mentionne bien que « les charbons résultant du lessivage » pourront être utilisés pour la fonte du minerai; mais la forme même de cette stipulation « dans le cas où il serait démontré que les charbons lessivés peuvent être employés pour la fonte du fer »... indique assez que la question n'était pas au point. En 1765, au contraire, il semble qu'on soit arrivé à des résultats positifs le même Heuss réussit à fondre des gueuses qui, à l'affinerie, montrèrent des qualités satisfaisantes.

Un Français, de Gensanne, qui était accouru à ces expériences, présenta même un rapport sur ce sujet à l'Académie des Sciences en 1768 (3). La houille perdait environ le 1/8° de son poids; l'huile minérale et le goudron étaient vendus dans le pays, les gros morceaux de coke triés pour les hauts fourneaux; les petits

(1) Dichtung und Wahrheit, IIe Partie, livre 10.

(2) En allemand « auslaugen ». Il s'agit donc bien d'une distillation, et non d'un simple lavage.

(3) Il y dit notamment : « On a vainement tenté en France, en Angleterre et ailleurs, de cuire ce charbon en meules comme celui de bois... Il était réservé à M. le Prince de Nassau-Sarrebrück de surmonter toutes ces difficultés par sa constance et les dépenses considérables qu'il a faites pour y parvenir. Les usines que ce prince a fait construire à la forge de Soulzbach, et que nous avons examinées avec attention, nous ont paru également ingénieuses et propres à remplir toutes ces vues. » Cité par Hasslacher, ouv. cité, p. 97.

servaient à griller la mine. On considérait le procédé comme si certain qu'un bail du 14 juillet 1768, dans lequel le prince afferme diverses forges, impose aux amodiateurs l'obligation de ne plus employer que le charbon de terre. Malheureusement, le prince Guillaume-Henri une fois mort (1768), les essais furent abandonnés. Est-ce, comme le suggère Goethe, parce que le procédé n'était pas d'un bon rendement (1) : cela n'est guère vraisemblable, étant donné le haut prix du bois dont tout le monde alors commençait à se plaindre. Faisons plutôt la part de la routine — et celle des intérêts particuliers un gentilhomme lorrain, en 1787, attribue l'échec de ce procédé aux résistances de la Chambre des Finances de Nassau, toutefois sans dire expressément quels inconvénients elle pouvait bien y trouver (2). Ainsi, la transformation des hauts fourneaux fut retardée d'un demi-siècle. Le coke ne cessa pas, par la suite, d'être fabriqué à Dudweiler on l'expédiait régulièrement dans les fonderies de cuivre de la rive droite du Rhin. Mais sa fabrication ne constituait que l'accessoire les seuls fours à coke étaient, en 1789, les usines de noir de fumée.

La verrerie subit une transformation analogue quand la houille fut substituée au charbon sans doute, la technique n'en tira aucun progrès; c'était toujours le système des fours à coupole, dont la flamme léchait directement les pots contenant la pâte vitreuse en fusion système très imparfait parce que la chaleur

(1) « Jetzt fragte man nach dem unmillelbaren Nutzen, der nicht nachzuweisen war. »

(2) Mémoire de M. de Waldner, Forbach, 1787. (A. N. F11-1211.)

était inégalement répartie sur les parois du vase. Mais comme la houille revenait bien meilleur marché que le charbon de bois, comme surtout ses réserves ne paraissaient pas devoir s'épuiser dans un avenir si prochain, l'industrie verrière en reçut un encouragement décisif. Moins avancée, la céramique hésitait à abandonner le bois indispensable, croyait-on, pour donner une chaleur douce et régulière. Cependant, au cours d'une existence éphémère, la manufacture de porcelaine d'Ottweiler n'employa que la houille, sans que la qualité de ses produits ait eu à en souffrir. Ainsi, dans l'ensemble, les découvertes sur l'emploi de la houille étaient, dès le milieu du XVIIIe siècle, sorties du laboratoire et appliquées dans l'industrie sarroise. Elles avaient ranimé les usines abandonnées, et suscité de nouvelles entreprises que séduisaient le bas prix de la houille et les perspectives de son emploi.

Encore fallait-il des capitaux suffisants. Les campagnes étaient pauvres. A la ville, l'argent ne manquait point. Une centaine de Sarrebrückois, négociants et commissionnaires pour la plupart, paieront en 1793 un emprunt forcé d'un million; mais leur placement de prédilection était l'entreprise commerciale. L'installation d'une forge nécessitait des fonds trop considérables et de revenu beaucoup plus incertain.

Aussi ou bien le souverain y faisait lui-même les frais de l'établissement nouveau ce fut le cas du prince Guillaume-Henri et de la comtesse de la Leyen,

ou bien il cherchait à obtenir des concours étrangers. Et ici apparaît un fait trop méconnu ce sont des Français qui ont financé le développement industriel de la Sarre à ses débuts.

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