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AVANT-PROPOS

Je me propose d'étudier ici le développement économique de la région industrielle sarroise pendant l'occupation française de la Révolution et de l'Empire, d'octobre 1792 au 20 novembre 1815.

La région étudiée est située sur la rive droite de la Sarre, entre le Palatinat à l'est et le Massif schisteux rhénan à l'ouest; sur la rive gauche on peut y rattacher le rebord du plateau lorrain qui de Sarreguemines à Merzig domine en demi-cercle la dépression boisée où coule la Sarre.

Ce sont, à peu de chose près, les limites de la région industrielle actuelle, si l'on ajoute au Territoire de la Sarre, tel qu'il a été défini par le Traité de Versailles, le bassin houiller de Lorraine. Ainsi dès 1789 l'industrie s'était avancée jusqu'aux extrémités de son domaine; depuis elle a rempli les places vides.

La période choisie est celle où des pays qui avaient vécu jusqu'alors à l'écart les uns des autres sous des souverainetés différentes, furent pour la première fois rassemblés à l'intérieur d'un seul état et compris dans un même système douanier: annexion dont résulta, non pas l'éveil de ces pays à l'industrie et au com

merce, mais une orientation nouvelle de leur activité économique déjà en plein essor. Du moment que le Traité de Versailles rétablissait ces conditions et renouait les liens qui jusqu'en 1815 avaient uni la Sarre et la France de l'Est, il a paru que cet aperçu historique constituerait une préface utile à une étude géographique de la situation actuelle. De cet objet résultent le caractère de ce livre et ses limites.

Je n'ai pas voulu écrire l'histoire de l'occupation française dans une partie des pays rhénans, encore moins chanter la romance des provinces perdues. Certains ouvrages français se sont déjà proposé cette tâche plus objectifs, plus critiques, ils auraient eu plus de poids. Qu'on ne s'étonne pas dès lors de certaines insuffisances, voire d'omissions choquantes. Je n'ai pas rappelé les pétitions (1) que beaucoup de municipalités, dans la Sarre comme dans toute la Rhénanie, envoyèrent au gouvernement révolutionnaire pour demander leur réunion à la France. J'ai résisté à la tentation de glaner dans nos Archives, parmi les requêtes que des industriels notables adressaient à l'administration des pays conquis, d'humbles protestations de fidélité et de composer ainsi à l'intention de leurs descendants le recueil authentique des complaisances qu'eurent jadis pour la France les grands bourgeois de la Sarre (mais les neveux en eussent-ils été surpris?). Des événements de 1814 et de 1815, j'ai retenu surtout la part, supposée ou réelle, qu'ont tenue dans les négociations les intérêts privés et le tableau d'une région industrielle coupée en deux par

(1) Elles sont conservées aux Archives Nationales (F1 III Sarre 3).

la frontière et s'adaptant sans désarroi à cette situation.

A vrai dire, c'eût été pharisaïsme que poser la question préalable chaque fois que les faits économiques eux-mêmes conduisaient à discuter le sentiment national des habitants. Mais si quelque conclusion sur cet objet se fait jour, ce sera en aparté et sous la réserve que seuls des commerçants enrichis ou des industriels mécontents ont fait entendre leur voix. Admettons qu'ouvriers et paysans aient eu aussi leur opinion; elle dépendait sans doute des conditions de vie qui leur étaient faites; pour donner une réponse d'ensemble à l'irritant problème de la nationalité, le détour de l'histoire économique ne semble pas inutile.

Il y aura donc au centre de cette étude un bassin houiller; à quelques lieues à la ronde des forges, des verreries et des manufactures de céramique. Tout autour vit un petit monde d'ouvriers spécialistes et de manœuvres, de bûcherons et de rouliers. Sans doute les conditions de main-d'œuvre et de salaire étaient alors tout autres qu'aujourd'hui; mais les problèmes qui se posaient déjà à l'industrie sont ceux qu'on est habitué à rencontrer depuis assurer son approvisionnement en matières premières, conquérir des débouchés nouveaux, abaisser les prix du fret en se rapprochant de la voie d'eau, telles sont, aux environs de 1800, les préoccupations d'un Stumm.

Bien que l'industrie donne à cette région son caractère et ses limites, je n'ai pas cru devoir laisser de côté l'agriculture. Entre les points extrêmes où s'établissaient les usines, il y avait encore de vastes espaces boisés ou en culture. Les négliger, c'eût été

rompre le lien de solidarité qui unissait encore la forêt et la forge, le paysan et la mine, le même homme suivant la saison poussant la charrue ou maniant le pic. Cependant il est bien dangereux d'ouvrir la porte aux questions d'histoire agraire par là pénètrent les grands problèmes mi-économiques, mi-sociaux de la Révolution française, libération des serfs ou vente des biens nationaux. Mais une enquête de ce genre, étendue au ressort d'une sous-préfecture, ne pouvait donner des résultats de quelque portée; d'autant plus que, dans l'arrondissement de Sarrebrück, la majeure partie des biens qui furent mis en vente à partir de 1804 étaient des établissements industriels, propriété des anciens princes de Nassau.

Entre l'histoire économique qui constitue l'objet de cette étude et l'histoire politique qui en fixe les dates, l'histoire de l'administration met un perpétuel trait d'union. L'annexion d'un territoire ne change pas seulement la figure du souverain sur les monnaies, elle déplace les douanes, introduit une législation différente, met en place des administrateurs nouveaux. Dans l'évolution économique de la Sarre tous ces facteurs ont inégalement joué : les tarifs douaniers n'ont influé sur les courants commerciaux que sous l'Empire; la loi sur les mines de 1791 n'a pas été appliquée; celle de 1810 n'eut d'autre effet que de remettre en question une organisation dont le principe venait d'être décidé. Les hommes seuls, je veux dire les tempéraments originaux qui provoquaient la loi ou l'interprétaient, apportèrent aux pays conquis des directions effectives: commissaires jacobins, administrateurs du département, préfets et sous-préfets de

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