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CHAPITRE XIV.

Le sénat va complimenter l'empereur.

réponse de Napoléon.

Discours du sénat et du conseil d'État; Entrevue de Fontainebleau avec Pie VII. Nouveau

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Levées

concordat Le pape rétracte cet acte. - Ouverture de la session du corps législatif. - Le maréchal Ney est nommé prince de la Moskowa. extraordinaires. — Décret sur la régence confiée à Marie-Louise.-L'empereur se rend à l'armée d'Allemagne.

DÉCEMBRE 1812 - AVRIL 1813.

L'épouvantable dénouement de la campagne de 1812 présageait à Napoléon des complications extérieures de la plus haute gravité. Il était impossible que la plupart de ses alliés ne se tournassent pas contre lui, et qu'une coalition terrible ne le mît, au printemps prochain, dans la nécessité de recourir à des sacrifices extraordinaires. Il pouvait être amené, par l'impérieuse loi du salut public, à demander dans quelques mois à la nation son dernier écu et son dernier soldat. Il fallait préparer le pays à cette éventualité, et donner à l'opinion publique quelques satisfactions qui la rattachassent au régime impérial, afin qu'elle ne marchandât pas avec le trône. D'un autre côté, par cela même que l'empire était tout à coup menacé au dehors des plus grands dangers, on devait songer à le fortifier davantage

au dedans, à rendre ses bases plus solides, à faire disparaître toutes les causes de désorganisation qui pouvaient encore s'y trouver. Ce fut sous cette double préoccupation que Napoléon déploya une si grande activité dans les trois mois qui précédèrent la campagne de 1813, et qu'il s'occupa avec une égale ardeur de l'administration de son empire, des questions de politique intérieure, des formidables préparatifs d'une guerre à outrance contre l'Europe tout entière.

Le lendemain de son arrivée, son premier soin fut de s'enfermer plusieurs heures avec le ministre des finances, M. de Gaëte, afin de préparer le budget de 1813, et d'élever les ressources au niveau des dépenses extraordinaires que la guerre allait nécessiter. Le même jour, le sénat conservateur et le conseil d'État furent admis au palais des Tuileries, pour présenter à Napoléon leurs compliments sur son heureux retour. Ce fut M. Lacépède qui porta la parole pour le premier de ces corps. Son discours, dans toute autre circonstance, n'eût été qu'une plate adulation de courtisan; après les malheurs de la campagne de Russie, et lorsque, le prestige de la gloire s'évanouissant, nous étions à la veille de ne plus rien avoir qui compensât la perte de nos plus chères libertés, ce discours était une honte pour ceux au nom de qui on le prononçait. Le mauvais goût y disputait la place à la bassesse. A peine si, au milieu des plus serviles témoignages de dévouement, nous trouvons un mot qui indique que la France attend le complément des institutions impériales. On verra quelles dures paroles cette hardiesse vaudra aux sénateurs, dont l'indécision, pendant les premiers succès de la conspiration Malet, a été révélée à Napoléon.

« Sire, dit Lacépède, le sénat s'empresse de présenter au pied du trône de Votre Majesté impériale et royale l'hommage de ses félicitations sur l'heureuse arrivée de Votre Majesté au milieu de ses peuples.

» L'absence de Votre Majesté, sire, est toujours une calamité

nationale; sa présence est un bienfait qui remplit de joie et de confiance tout le peuple français.

» Votre Majesté impériale et royale a posé toutes les bases de l'organisation de son vaste empire; mais il lui reste encore bien des objets à consolider et à terminer, et le moindre retard dans le complément de nos institutions est un malheur national. >>

Puis vient une allusion au dernier complot, tramé par deux hommes échappés aux prisons « où la clémence impériale les >> avait soustraits à la mort méritée par leurs crimes passés. » Avant le complot du 23 octobre, le crime de Malet, de Guidal et de Lahorie était d'avoir conservé dans leur cœur le culte des principes républicains, et de s'être puérilement compromis par des dénionstrations imprudentes. Les sénateurs estimaient qu'un pareil crime méritait la mort.

«Heureuse la France, continue Lacépède, que sa constitution monarchique met à l'abri des effets funestes de discordes. civiles, des haines sanglantes que les partis enfantent, et des désordres horribles que les révolutions entraînent.

» Le sénat, premier conseil de l'empereur, et dont l'autorité n'existe que lorsque le monarque la réclame et la met en mouvement, est établi pour la conservation de cette monarchie, et l'hérédité de votre trône dans notre quatrième dynastie. »

Ce sénat, ce corps de magistrats qui avait pour origine une sorte d'élection populaire, tronquée, abatardie sans doute, mais conservant encore une étincelle du principe de la souveraineté nationale; ce sénat qui se complaît ainsi dans le monde inférieur où le maître le tient, qui se vautre dans sa bassesse, et qui ose déclarer, à la face du pays, que son autorité n'existe que lorsque le monarque la réclame; ce sénat ne se met-il pas ainsi même au-dessous des parlements de l'ancienne monarchie, dans lesquels le despotisme des rois trouvait encore des velléités d'indépendance, et qui recevaient d'eux l'honneur des lits de justice et de l'exil à Pontoise? Et la révolution de 1792, cette

glorieuse révolution que le général Bonaparte avait servie à Toulon, en Italie, et qu'il avait promis de continuer, sous le consulat et même sous l'empire; la voilà rayée de nos annales par le sénat conservateur. La dynastie de Napoléon n'est plus l'héritière de la révolution, sa base n'est plus l'élection populaire : elle se rattache aux dynasties des Mérovingiens, des Carlovingiens et des Capet!

Lacépède exprime ensuite le dévouement du sénat au roi de Rome; il passe rapidement sur la campagne de Russie, et il termine sa harangue en promettant à l'empereur une inviolable. fidélité.

La réponse de Napoléon fut aussi sévère et hautaine que l'adresse du sénat avait été humble et courtisanesque. Voici cette réponse :

<< Sénateurs,

>> Ce que vous dites m'est fort agréable. J'ai à cœur la gloire de la France; mais mes premières pensées sont pour tout ce qui peut perpétuer la tranquillité intérieure et mettre à jamais mes peuples à l'abri des déchirements des factions et des horreurs de l'anarchie. C'est sur ces ennemies du bonheur des peuples que j'ai fondé, avec la volonté et l'amour des Français, ce trône auquel sont attachées désormais les destinées de la patrie.

» Des soldats timides et lâches perdent l'indépendance des nations; mais des magistrats pusillanimes détruisent l'empire des lois, les droits du trône et l'ordre social lui-même.

» La plus belle mort serait celle d'un soldat qui périt sur le champ de bataille, si la mort d'un magistrat périssant en défendant le souverain, le trône et les lois, n'était plus glorieuse

encore.

Lorsque j'ai entrepris la régénération de la France, j'ai demandé à la Providence un nombre d'années déterminé. On détruit dans un moment, mais on ne peut réédifier sans le sc

cours du temps. Le plus grand besoin de l'Etat est celui de magistrats courageux.

» Nos pères avaient pour cri de ralliement : « Le roi est mort, vive le roi!» Ge peu de mots contient les principaux avantages de la monarchie. Je crois avoir bien étudié l'esprit que mes peuples ont montré dans les différents siècles ; j'ai réfléchi à ce qui a été fait aux différentes époques de notre histoire; j'y penserai encore.

» La guerre que je soutiens contre la Russie est une guerre politique. Je l'ai faite sans animosité; j'eusse voulu lui épar gner les maux qu'elle-même s'est faits. J'aurais pu armer la plus grande partie de sa population contre elle-même, en proclamant la liberté des esclaves: un grand nombre de villages me l'ont demandé; mais lorsque j'ai reconnu l'abrutissement de cette classe nombreuse du peuple russe, je me suis refusé à cette mesure, qui aurait voué à la mort et aux plus horribles supplices bien des familles. Mon armée a essuyé des pertes, mais c'est par la rigueur prématurée de la saison.

J'agrée les sentiments que vous m'exprimez.

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A la réception du conseil d'Etat, la parole fut portée par M. le comte Defermont, président de la section des finances. Répondant plutôt à ses préoccupations intérieures qu'aux banalités officielles que l'orateur lui a débitées, Napoléon s'exprime ainsi : « Conseillers d'Etat,

>> Toutes les fois que j'entre en France, mon cœur éprouve une bien vive satisfaction. Si le peuple montre tant d'amour pour mon fils, c'est qu'il est convaincu par sentiment des bienfaits de la monarchie.

>> C'est à l'idéologie, à cette ténébreuse métaphysique qui, en recherchant avec subtilité les causes premières, veut sur ses bases fonder la législation des peuples, au lieu d'approprier les lois à la connaissance du cœur humain et aux leçons de l'histoire, qu'il faut attribuer tous les malheurs qu'a éprouvés notre

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