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- Voilà qui est clair, s'écria l'empereur.

Et dès qu'on l'eut vu décidé ainsi à persister dans la politique qui avait amené la campagne de 1812, tout le Conseil s'empressa d'émettre le même avis.

Le 27 mars, M. de Krusemarck, ambassadeur du cabinet de Berlin à Paris, demanda ses passeports en remettant à Napoléon la déclaration de guerre du roi son maître, allié de l'empereur de Russie. Le système adopté sur la simple nouvelle de la défection du général prussien ne pouvait subir de modifications devant l'hostilité même de la Prusse. La dignité de la France était intéressée au strict maintien du statu quo européen. La coalition ne comprenait encore, d'ailleurs, que la Russie, la Prusse, la Suède et l'éternelle Angleterre.

Ce fut donc avec la résolution bien arrêtée « de ne pas aban» donner un seul village de l'empire » que Napoléon quitta Saint-Cloud le 15 avril 1813, à 4 heures du matin, pour aller prendre le commandement de ses armées d'Allemagne. Le 16, il est à Mayence, où il passe en revue les troupes qui vont entrer en ligne. Quelques princes de la confédération du Rhin lui apportent l'assurance de leur dévouement. Le 25, il se trouve à Erfurth, au centre d'une armée formidable, dont les divisions, accourant de tous les points de l'empire, se réunissent, se groupent et prennent chacune leur place avec un ensemble parfait. C'est sur les bords de la Saale que va se décider le sort de l'Europe. Nos généraux y trouveront des champs de bataille déjà illustrés par leurs armes, sous la république et sous l'empire. A tout prendre, la situation n'est rien moins que désespérée. Cette coalition qui menace de loin encore nos frontières n'est-elle point la même qui campait en 1792 à quelques étapes de Paris, dans les défilés de l'Argonne, et que Dumouriez contraignit à une retraite précipitée? Si la France, depuis quinze ans, a eu ses journées glorieuses et ses victoires éclatantes, n'a-t-elle pas eu aussi ses mauvais jours, ses dé

faites? Et puisqu'elle a su se relever des abaissements du Directoire, alors que l'impéritie de son gouvernement l'avait mise à deux doigts de sa perte, lui sera-t-il impossible de se relever d'un échec que la fatalité et la rigueur du climat ont seules produit?

CHAPITRE XV.

Les débris de la grande armée, après le passage du Niémen. Défection des Prussiens. Murat abandonne l'armée, qui se replie sur l'Elbe. - Les cabinets de l'Europe, au commencement de 1813.- La Russie forme une sixième coalition. Proclamation adressée aux Français par le prétendant Louis XVIII. -Ouverture de la campagne d'Allemagne. - Victoires de Lutzen, de Bautzen et de Wurtchen. - Armistice et congrès de Prague Trahison du prince de Metternich; l'Autriche entre dans la coalition. La France de Napoléon.

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Avant de suivre Napoléon sur de nouveaux champs de bataille, il nous faut jeter un regard en arrière et reprendre un à un les événements qui se sont passés sur le théâtre de la guerre. depuis sa rentrée à Paris. Les intrigues de l'Angleterre et les manœuvres de la Russie qui ont déjà détaché la Prusse de notre alliance, et qui travaillent à entraîner l'Autriche, appellent aussi notre attention. Les catastrophes qui vont se précipiter n'auront rien de soudain, rien de spontané; l'œuvre en aura été laborieusement préparée par le cabinet de Saint-Pétersbourg et par les ministres de la Grande-Bretagne.

Les débris de la grande armée, après le passage du Niémen, avaient cherché en vain un point de ralliement et une ligne de défense. D'abord on avait espéré que les Russes ne franchi

raient pas le fleuve; mais, le 14 décembre 1812, l'ennemi traversa le Niémen et se répandit dans les plaines de Pologne, où les Cosaques massacrèrent et firent prisonniers tous les détachements isolés qui cherchaicnt à gagner les bords de la Vistule. Murat et le prince Eugène se dirigèrent vers Kænisgberg. Le duc de Tarente tenait Tilsit avec neuf mille Français et le contingent prussien qui se trouvait à Taurogen, sur la rive droite du Niémen. Ce contingent, placé sous les ordres de Masséna, était commandé par le duc d'York. Reynier, le prince de Schwartzenberg et Poniatowski entrèrent à Varsovie. Le roi de Naples crut un instant à la possibilité de tenir sur la Vistule, en attendant les renforts que Napoléon devait lui envoyer dès son arrivée à Paris. Les chefs de chaque corps reçurent, en conséquence, l'ordre de se cantonner le long du fleuve, à Plock, Thorn, Marienbourg, Marienwerder et Elbing. Le général Rapp prit le commandement de Dantzick. Ce fut alors que le preinier signal des trahisons fut donné à nos alliés par le contingent prussien. Le 31 décembre, le prince d'York ayant traité secrètement à Taurogen avec les Russes, passa de leur côté, et le duc de Tarente se replia sur Koenigsberg, que Murat avait abandonné le 1er janvier 1813, à la nouvelle de la défection de notre allié. Cet événement malheureux n'est pas le seul qui frappe notre armée, déjà éprouvée par de si cruelles catastrophes. Dans le cantonnement de la Vistule, nos soldats ont trouvé une température plus douce et des aliments en abondance. Le bien-être, après tant de privations affreuses, est fatal à un grand nombre, dont les forces délabrées ne peuvent supporter un aussi brusque changement. Les hôpitaux sont encombrés; la mortalité décime les tristes débris de nos divisions, et les généraux Lariboissière et Eblé succombent à ce nouveau fléau. Murat semble avoir perdu la tête, et il se montre complétement audessous de la tâche que lui a laissée Napoléon. Sa retraite est une véritable fuite. Le quartier général a été transporté de Ko

nigsberg à Posen, où viennent se rallier sept mille hommes du duc de Tarente, six mille hommes de la division Heudelet, et seize cents cavaliers de la division Cavaignac, ayant fait partie du onzième corps commandé par le duc de Castiglione. Le roi de Naples, un instant remis de sa panique, parle cependant de reprendre l'offensive et de courir sur les bords de la Vistule, que les Russes sont à la veille de franchir. Mais, le 16 janvier, il transmet son commandement au prince Eugène, abandonne l'armée et part en poste pour son royaume de Naples. Murat croit l'étoile de Napoléon éclipsée pour toujours; il voit l'empire français disloqué par les résultats inattendus de la campagne de Russie, et il se hâte d'aller se placer à la tête de ses sujets, pour sauver sa royauté au milieu du grand naufrage des dynasties napoléoniennes. L'empereur qualifie en termes sévères la conduite de son beau-frère, et il écrit à sa sœur Caroline, reine de Naples :

<< Le roi a quitté l'armée le 16. Votre mari est un fort brave » homme sur le champ de bataille; mais il est plus faible » qu'une femme ou qu'un moine quand il ne voit pas l'en» nemi. Il n'a aucun courage moral. »

Et le 26 janvier, écrivant à Murat, il lui dit:

« Je ne vous parle pas de mon mécontentement de la con» duite que vous avez tenue depuis mon départ de l'armée; » cela provient de la faiblesse de votre caractère. Vous êtes » un bon soldat sur le champ de bataille; mais hors de là. >> vous n'avez ni vigueur ni caractère. Je suppose que vous » n'êtes pas de ceux qui pensent que le lion est mort. Si vous » faisiez ce calcul, il serait faux... »

L'ennemi ayant traversé sans obstacle la Vistule, trois de ses divisions s'avancent vers l'Oder, menaçant de couper le prince Eugène et de tourner ses positions de Posen. Le prince Eugène, investi du commandement de l'armée, se maintient dans cette ville du 16 janvier au 11 février; par cette ta

TOME V.

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