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commence à midi, et pendant six heures le bronze tonne de part et d'autre sans discontinuer. Bautzen, après une vive résistance, est occupé par le général Compans, ainsi qu'un autre village; les hauteurs qui formaient la première position de l'ennemi, rejeté alors sur Wurtchen, derrière ses secondes lignes, sont couronnées par nos troupes. A huit heures du soir, Napoléon établit son quartier à Bautzen.

Cette première journée nous donnait la rive droite de la Sprée, et avait fortement entamé le camp formidable devant lequel les coalisés croyaient nous arrêter. Mais les divisions. du maréchal Ney n'avaient pas encore paru, et nous savons que c'était sur elles que comptait l'empereur pour enlever le succès. Le combat recommença le lendemain, entre Bautzen et Wurtchen, avec un grand acharnement. L'empereur a calculé que le prince de la Moscowa doit déboucher sur la droite du camp, entre midi et une heure. Dans le but de détourner l'attention du point vulnérable, il ordonne aux ducs de Reggio et de Tarente d'entretenir l'attaque sur la gauche de l'ennemi, et de l'occuper assez pour qu'il ne puisse se dégarnir et renforcer sa droite. Vers les onze heures, Napoléon estime que Ney doit approcher; il fait battre les redoutes et tous les retranchements par le duc de Raguse, qui engage une canonnade épouvantable, après s'être porté hardiment à mille toises en avant de ses positions. La grande diversion attendue n'a point lieu encore, et jusqu'à deux heures la lutte continue avec des chances diverses. Les Français gagnent du terrain; ils enlèvent de temps en temps une redoute; les positions ennemies sont entamées; mais chacun de ces succès coûte si cher, le nombre des morts et des blessés est déjà si considérable, qu'au prix de tant de pertes, la victoire vaudrait presque une défaite, dans de telles conditions.

Nos soldats commencent à s'inquiéter de cette bataille acharnée qui dure depuis deux jours, et dont le dénouement sem

ble incertain; lorsque Napoléon, qui domine le feu du haut d'un mamelon, reconnaît à la direction des feux, au bruit qui s'élève sur la droite des coalisés, que le prince de la Moscowa a exécuté son mouvement et se trouve au rendez-vous qu'il lui a assigné.

L'arrivée de Ney, de Lauriston et de Reynier avec leurs soixante mille hommes, par la route de Berlin, apporte une immense perturbation dans les positions de l'ennemi, qui est obligé de changer sa ligne. Sa droite devient son centre, son centre sa gauche, car il faut qu'il s'allonge tout à coup par sa droite avec ses meilleures troupes pour repousser l'attaque sur un terrain qu'il n'a nullement étudié.

Le duc de Dalmatie, les divisions de Latour-Maubourg, plusieurs batteries se portent sur le nouveau centre des coalisés. Les généraux Dulauloy et Drouot s'avancent avec soixante pièces et enlèvent des files entières de Russes et de Prussiens. Bertrand avec le quatrième corps italien, le duc de Trévise avec les divisions de la jeune garde, secondent ce mouvement. L'ennemi est forcé de dégarnir sa nouvelle droite, de peur d'être enfoncé par le centre. Ney en profite pour pousser des colonnes en avant; il envahit le village de Preilitz, et déborde déjà l'armée ennemie. Il est trois heures. Napoléon annonce à ceux qui l'entourent que la bataille est gagnée. En effet, voyant leur droite tournée et leur centre ébranlé, ne pouvant renforcer l'une de ces positions sans que l'autre ne soit immédiatement perdue, et trop affaiblis pour les défendre l'une et l'autre à la fois, les généraux coalisés font sonner la retraite. A six heures du soir, Ney et Lauriston pointent sur Wurchen; le duc de Raguse attaque toutes les redoutes et tous les villages fortifiés. Blücher qui a tenu jusque-là sur les hauteurs de Kreckwitz, assailli par trois côtés, est précipité sur les pentes. Toutes les redoutes sont en notre pouvoir, toutes les collines sont emportées et couronnées; mais cette dernière partie de

TOME V.

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l'action a été fort meurtrière; chaque hauteur a dû être enlevée à la baïonnette après une résistance des plus opiniâtres, et ces combats corps à corps ont été d'affreuses boucheries. A sept heures du soir, Ney et Lauriston arrivent à Wurtchen; le duc de Raguse s'avance dans la direction d'Horckich. Le champ de bataille nous appartient. Napoléon s'établit, au milieu de sa garde, dans l'auberge de Klein-Baschwitz, où se trouvait le quartier général d'Alexandre deux heures auparavant. L'empereur de Russie a payé de sa personne à Bautzen et à Wurtchem, et il a même failli tomber entre les mains des Français dans la journée du 20.

On poursuivit l'ennemi, le lendemain 22, jusqu'au village de Hottendorf, à huit lieues de Wurtchen; mais cette poursuite n'eut pas le succès qu'on aurait indubitablement obtenue, si elle s'était effectuée avec des masses de cavalerie. Les coalisés, pendant la nuit, avaient pu rallier leurs régiments rompus, et ils échappèrent ainsi à une déroute. Les pertes des deux côtés sont à peu près égales. On les évalue, tant en blessés qu'en tués, à soixante mille hommes ! Nous n'avons pas fait de prisonniers. Le général Bruyère a été tué par un boulet perdu ; deux généraux ont été blessés : Franquemont et Lorencez. Dans la soirée du 22, nous éprouvons une perte cruelle. Devant le village de Makerdoff, l'arrière-garde ennemie, en défendant cette position, tire trois coups de canon. Le maréchal Duroc, duc de Frioul, se trouvait sur une éminence avec le duc de Trévise et le général Kirgener. Un boulet rencontre un arbre à quelques pas du groupe, ricoche après l'avoir fracassé, jette raide mort le général Kirgener et déchire le bas-ventre à l'infortuné maréchal. Duroc est relevé sanglant; on le transporte dans une maison du village qui vient d'être occupée; les docteurs Yvan et Larrey visitent le blessé : il n'a plus que quelques heures à vivre. Napoléon apprend que son meilleur ami est au moment d'expirer. Cette triste nouvelle le frappe de stupeur; il accourt

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