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pas été ainsi. La division s'est introduite et éclate dans les hautes. régions de l'armée. Les ordres sont mal compris, ou ils sont volontairement transgressés et modifiés, de manière que l'unité vient à manquer tout à coup à l'immense ligne de baïonnettes qui enveloppe toute la basse Russie.

Quand on a appris que la garde impériale, quittant la route de Saint-Pétersbourg, semble indiquer par sa marche que la ville de Moscow sera le but de la campagne, des murmures se sont élevés. Napoléon se plaint vivement de cet esprit d'indiscipline et de désorganisation dans ses lettres au prince de Neufchâtel, major général. L'événement qui l'affecte le plus, c'est la retraite du roi de Westphalie. Bagration était enfermé dans les bois marécageux de Neswig, Slusk, Glusk et Bobruisk, tout près des sources de la Bérésina. Il était perdu, sans la mollesse de la marche de Jérôme. Napoléon, pour reparer les fautes de son frère, investit Davoust, prince d'Eckmülh, d'une autorité supérieure qui place le roi de Westphalie sous ses ordres; celui-ci croit sa dignité royale atteinte, et il abandonne son corps dans un moment décisif, pour rentrer dans ses États. Bagration, qui se croyait perdu, s'était jeté en avant, décidé à combattre l'ennemi, quelle que fût sa force, et à s'ouvrir un passage l'épée à la main. Grâce aux antagonismes qui règnent dans l'aile droite de la grande armée, à l'indécision qui s'est emparée des Polonais et des Westphaliens abandonnés par Jérôme, il se tire de ce pas difficile sans avoir rencontré un seul obstacle, et il manœuvre pour opérer sa jonction avec Barclai de Tolly du côté de Witepsk.

Napoléon continue à poursuivre une bataille qu'on lui refuse toujours, soit que les deux armées ennemies ne veuillent combattre que lorsque leur jonction aura doublé leur force, comme le prétendent les historiens russes, soit que les deux généraux en chef, pour se conformer au plan de campagne de Wilna, cherchent à attirer les divisions françaises au cœur de la Russie

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et à gagner du temps, pour attendre les diversions de la saison rigoureuse. Barclai de Tolly marche sur Witepsk par la rive gauche de la Dvina; il compte y trouver Bagration. Mais celuici, échappé, par l'événement que nous savons, aux défilés de la Bérésina, était venu se heurter à Mohilow contre une barrière infranchissable. Le prince d'Eckmülh, groupant deux divisions autour du hameau de Soultanowka, rejette les Russes sur la route de Smolensk, et c'est désormais sur cette ville que Barclai de Tolly et Bagration devront opérer pour trouver ce point de jonction qu'ils cherchent depuis le passage du Niémen par l'armée française.

Le 25 juillet, l'avant-garde, commandée par le roi de Naples, a rencontré l'arrière-garde de Barclai sur la route de Witepsk. Un engagement a lieu, et les Russes sont repoussés. Le combat recommence le lendemain, avec l'appoint du prince Eugène. C'est presque une bataille. Pendant la nuit, l'ennemi a renouvelé ses lignes par des troupes fraîches, et nous éprouvons une vive résistance. Mais Napoléon et le gros de l'armée arrivent; les Russes continuent leur marche, laissant deux mille cinq cents morts. Le 27, nous heurtons une troisième fois l'arrière-garde de Barclai de Tolly; de nouvelles escarmouches semblent nous annoncer une bataille pour le lendemain. Napoléon dispose donc tout pour une grande journée; les deux armées sont en présence sous les murs de Witepsk.... Le 28, le camp et la ville sont vides et silencieux. Le lieutenant d'Alexandre a reçu un courrier de Bagration qui lui donne rendez-vous aux environs de Smolensk, et il a profité de la nuit pour nous dérober une marche.

L'armée française occupe Witepsk, où il ne reste plus que quelques juifs et quelques familles pauvres. Tout le reste a fui, emportant les objets précieux et les subsistances. Les Russes ont manœuvré dans l'obscurité avec un tel art et de telles précautions, qu'ils n'ont laissé derrière eux aucune espèce de trace,

pas un chariot abandonné, pas un traînard, pas un mort. On ignore, dans les premiers moments, la direction qu'ils ont prise. L'avant-garde de l'armée française se porte à Aponovchtchina, avec l'empereur, le roi de Naples et le prince Eugène, qui bivouaquent tous les trois, pendant la nuit, sous la même tente. Là, on apprend que l'ennemi se retire par une route qui conduit à Smolensk. Le 29, Napoléon rentre à Witepsk, où il séjournera pendant deux semaines. Ce temps d'arrêt, comme celui de Wilna, est indispensable à la grande armée pour rappeler et souder entre elles toutes ses divisions, qui n'ont que trop de tendance à s'écarter et à s'éparpiller; pour substituer une pensée commune, un vaste plan homogène dans toutes ses parties, aux impulsions personnelles, aux petites initiatives que chaque chef est prêt à écouter lorsque les troupes qu'il commande sont trop éloignées du quartier général. Mais, de ce qu'elles sont nécessaires, il ne fau

drait pas conclure que ces deux longues haltes, prenant trente jours sur les quarante-quatre premiers de la campagne (du 24 juin, passage du Niémen, au 13 août, sortie de Witepsk), devront amener d'heureux résultats. Elles ne sont qu'une nécessité fatale d'une campagne mal conçue dans son ensemble, et qui doit aboutir à nous laisser surprendre, au centre même de la vieille Russie, à Moscow, par les rigueurs d'un hiver dont nos soldats n'ont aucune idée. Commencée un mois plus tôt, cette campagne aurait pu se terminer par une tentative de Moscow sur Saint-Pétersbourg, après un repos suffisant donné à nos troupes harassées. Mais nous n'entrerons à Moscow que dans le milieu de septembre; une troisième halte d'un mois sera encore indispensable, et lorsque nous pourrons reprendre notre marche, ce sera pour opérer une retraite et non pour continuer nos mouvements offensifs. En admettant que cette retraite ait lieu dans les meilleures conditions, que nous ramènions la grande armée intacte entre Witepsk et Smolensk, pour

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