Page images
PDF
EPUB

une courte et vive résistance, et conservons l'honneur français.

« Paris, le 29 mars 1814.

« Signé JOSEPH, lieutenant-général de l'empereur,

commandant en chef la garde nationale. ».

Cette proclamation officielle fut suivie d'un placard sans signature, émanant sans doute du ministère de la police, et d'une forme toute révolutionnaire :

« Nous laisserons-nous piller? Nous laisserons-nous brûler?

« Tandis que l'empereur arrive sur les derrières de l'ennemi, vingt-cinq à trente mille hommes, conduits par un partisan audacieux, osent menacer nos barrières! En imposerontils à cinq cent mille citoyens qui peuvent les exterminer? Ce parti ne l'ignore point, ses forces ne lui suffiraient pas pour se maintenir dans Paris; ils ne veulent faire qu'un coup de main. Comme ils n'auraient que peu de jours à rester parmi nous, ils se hâteraient de nous piller, de se gorger d'or et de butin, et quand une armée victorieuse les forcerait à fuir de la capitale, ils n'en sortiraient qu'à la lueur des flambeaux qu'ils auraient allumés.

<< Non, nous ne nous laisserons pas piller! nous ne nous laisserons pas brûler! Défendons nos biens, nos femmes, nos enfants, et laissons le temps à notre brave armée d'arriver pour anéantir sous nos murs les barbares qui venaient les renverser! Ayons la volonté de les vaincre, et ils ne nous attaqueront pas! Notre capitale serait le tombeau d'une armée qui voudrait en forcer les portes. Nous avons en face de l'ennemi une armée considérable, commandée par des chefs habiles et intrépides; il ne s'agit que de les seconder.

« Nous avons des canons, des baïonnettes, des piques, du

fer; nos faubourgs, nos rues, nos maisons, tout peut servir à notre défense. Établissons, s'il le faut, des barricades; faisons sortir nos voitures et tout ce qui peut obstruer les passages; crénelons nos murailles, creusons des fossés, montons à tous nos étages les pavés des rues, et l'ennemi reculera d'épouvante!

Qu'on se figure une armée essayant de traverssr nos faubourgs au milieu de tels obstacles, à travers le feu croisé de la mousqueterie, qui partirait de toutes les maisons, des pierres, des poutres qu'on jetterait de toutes les croisées!

« Cette armée serait détruite avant d'arriver au centre de Paris. Mais non; le spectacle des apprêts d'une telle défense la forcerait de renoncer à ses vains projets, et elle s'éloignerait à la hâte pour ne pas se trouver entre l'armée de Paris et l'armée de l'empereur. »

Une invitation si énergique à prendre les armes, ce tableau de la ville transformée en un vaste camp, cet appel aux barricades, aux piques des faubourgs, devaient nécessairement produire dans le peuple une agitation d'autant plus grande, qu'il y était moins préparé. Les groupes se grossirent; des bandes d'ouvriers, de femmes et d'enfants se mirent à parcourir les rues, se portant vers les Tuileries, les hôtels des ministres, vers tous les points d'où pouvait partir une impulsion régulatrice de l'énergie commune. Les royalistes, les agents du comité Talleyrand et du comité de Louis XVIII se répandirent alors dans la foule, cherchant à calmer, à rassurer les faubouriens. Transformés en orateurs populaires, ces endormeurs publics firent remarquer à ceux qui les entouraient, qu'évidemment il y avait de l'exagération dans le placard anonyme. On parlait d'un parti de vingt-cinq à trente mille hommes; jamais un général n'oserait attaquer une ville de huit cent mille habitants, avec des forces aussi minimes. Les agents engageaient les citoyens à rentrer chez eux, à se reposer avec confiance sur les

autorités. Ils réussirent très-bien dans leur œuvre ténébreuse. Peu à peu, le bruit et le tumulte de la rue fit place au mouvement habituel. Chacun se retira à ses affaires ou à ses plaisirs, et, le soir, tous les théâtres furent ouverts. On jouait au théâtre impérial de l'Opéra-Comique Richard-Cœur-de-Lion. Cette pièce était tristement de circonstance. Celui qui commandait au monde entier allait être abandonné de tous.

La capitale reposait donc tranquillement, lorsque l'avantgarde des troupes alliées prenait possession des points importants de sa banlieue. Et le complot des fonctionnaires publics, des autorités supérieures fut si flagrant, que le lendemain le Journal de l'Empire n'ayant pas reçu d'autres communications (*), publiait l'article que voici :

[ocr errors]

L'empereur est en marche depuis le 27 pour venir au secours de la capitale. Aujourd'hui les ducs de Trévise et de Raguse ont fait leur jonction avec les troupes commandées par le général Compans. L'armée ennemie, qui a passé la Marne à Meaux, aura à combattre des troupes de ligne puissamment secondées par le dévouement de tous les citoyens et le zèle de la garde nationale. Elle échouerait dans sa tentative, quand même l'empereur ne serait pas sur ses derrières. >>

Mortier et Marmont arrivaient sous les murs de la capitale, après avoir franchi la Marne à Charenton. Réunis aux troupes de ligne dont le commandant de la division militaire pouvait disposer, ils allaient retarder de quelques instants les progrès de l'ennemi. A quatre heures du matin, le 30, les deux maréchaux débouchant avec impétuosité par le chemin de Charenton à Charonne, chassèrent l'avant-garde ennemie des villages de La Villette, de La Chapelle, de Romainville, de Pantin,

(*) Le Journal de l'Empire feignait d'ailleurs une telle quiétude, la veille do la grande catastrophe de la prise de Paris, qu'il consacrait le tiers de sa feuille à un article de Malte-Brun intitulé: Variétés de ce jour sur les polypes monstrueux qui habitent le fond de la mer.

et couronnèrent toutes les hauteurs. La bataille s'engagea. Aux éclats des feux de peloton, aux sourds grondements du bronze, les Parisiens connurent toute l'étendue du danger. A trois heures du matin le rappel avait été battu, et la garde nationale avait pris les armes. Évidemment, c'était le moment ou jamais de mettre à exécution ces moyens révolutionnaires de défense annoncés dans les feuilles, et indiqués dans le placard de la veille : distribuer les fusils, les cartouches et les quatre-vingt mille piques fabriquées depuis un mois. Le peuple s'attendait à tout cela; un peu découragé par le départ de la régente et des dignitaires, il aurait bientôt repris confiance s'il eût vu l'autorité militaire tenir ses promesses et remplir son devoir. Aussi, aux roulements du tambour, une immense quantité de bourgeois, une multitude d'ouvriers se rendirent aux postes de réunion, pêlemêle avec la garde nationale, demandant des armes à grands cris. Un rassemblement de plusieurs mille citoyens se forma sur la place Vendôme, et y demeura depuis cinq heures jusqu'à neuf; un tumulte sans nom y régnait. Fatigués d'attendre, les citoyens commençaient à accuser les ministres de livrer Paris aux étrangers, lorsque quelques officiers vinrent offrir... des piques. Presque tous ceux qui faisaient partie du rassemblement se retirèrent en criant à la trahison (*). Plusieurs coururent aux barrières, dans l'espoir de parvenir jusque sur le champ de bataille et d'y trouver des armes; mais les grilles étaient fermées, on ne laissait sortir personne. Il y avait pourtant vingt mille fusils à l'Arsenal. On les y laissa. Ces faits se renouvelèrent sur plusieurs points; mais de plus graves encore eurent lieu dans la journée et nous donnent la mesure de la trahison. Des compagnies de la garde nationale, celles qui étaient pourvues de fusils et qui avaient pu se procurer des munitions, quittèrent

(*) Ces détails se trouvent consignés dans une brochure publiée en 1815, intitulée Siéges soutenus par la ville de Paris, par N. L. P.

:

leur place d'armes pour se joindre aux troupes de ligne. Aussitôt les membres du Comité se donnèrent un grand mouvement, afin de détourner les citoyens de cette résolution patriotique. On vit M. de Fitz-James arrêter le commandant d'un bataillon qui conduisait ses hommes à La Villette; haranguant les gardes nationaux, il leur persuada que leur rôle, dans de telles circonstances, était tout passif et devait se borner à maintenir l'ordre et la tranquillité dans les rues. Ces messieurs obtinrent ce qu'ils voulaient, en quelques endroits, et nos généraux furent ainsi privés d'un concours précieux.

En même temps les agents royalistes répandaient et commentaient une proclamation adressée aux Parisiens par les alliés, et dont ils étaient parvenus à faire imprimer un grand nombre d'exemplaires :

« Habitants de Paris,

« Les armées alliées se trouvent sous Paris. Le but de leur marche vers la capitale est fondé sur l'espoir d'une réconciliation sincère et durable avec elles. Depuis vingt ans l'Europe est inondée de sang et de larmes. Les tentatives faites pour mettre un terme à tant de malheurs ont été inutiles, parce qu'il existe dans le pouvoir même du gouvernement qui nous opprime un obstacle insurmontable à la paix. Quel Français qui ne soit pas convaincu de cette vérité?

« Les souverains alliés cherchent de bonne foi une autorité salutaire en France, qui puisse cimenter l'union de toutes les nations et de tous les gouvernements. C'est à la ville de Paris qu'il appartient, dans les circonstances actuelles, d'accélérer la paix du monde. Son vœu est attendu avec l'intérêt que doit inspirer un si immense résultat. Qu'elle se prononce, et dès ce moment l'armée qui est devant ses murs devient le soutien de ses déci sions.

« PreviousContinue »