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« de nature à permettre immédiatement que la France soit con« sidérée en état de paix avec elles. >>

La paix, quoique décrétée par le Gouvernement provisoire, n'était point cependant acceptée par l'armée; et Napoléon, déchu par la volonté du Sénat et du Corps Législatif, ne se considérait pas moins comme empereur. Soixante-cinq mille hommes étaient encore autour de lui, à Fontainebleau. Il pouvait réunir les divisions du maréchal Soult et celles de Suchet, rallier les garnisons qui tenaient nos places du nord, recevoir des renforts du prince Eugène; et, avec une masse imposante de troupes régulières, cent cinquante mille hommes à peu près, secondées par les paysans de la Champagne, de la Picardie, de la Lorraine, de l'Alsace, de la Bourgogne, menacer sérieusement les vainqueurs. La régence s'était établie à Blois; les bureaux qui l'avaient suivie s'étaient organisés. Marie-Louise rappelait aux Français, par une proclamation, le pacte qui les unissait au régime impérial. Deux gouvernements se trouvaient donc en présence, celui de Blois et celui de Paris; et le moins fort n'était pas celui de Blois, si l'on songe à l'organisation puissante que Napoléon avait su imprimer à toutes les parties de l'administration. Mais ici, il fallait compter sur le dévouement des hommes; et il n'y avait plus de dévouement en 1814, il ne restait au fond de toutes les consciences que des intérêts. Les intérêts sont à Paris.

Supérieur de cent coudées aux événements qui le frappent, Napoléon médite depuis deux jours, à Fontainebleau, le plan de la campagne difficile qui doit délivrer sa capitale. Il l'a enfin trouvé. Le 3 avril il passe sa garde en revue. Jusqu'à présent la fidélité du soldat a été pure comme l'or; il va l'éprouver une dernière fois.

« Officiers, sous-officiers et soldats de ma vieille garde, dit-il, l'ennemi nous a dérobé trois marches, et il est arrivé à Paris avant nous. Quelques factieux, restes des émigrés à qui j'avais

TOME V.

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pardonné, ont entouré l'empereur de Russie; ils ont arboré la cocarde blanche, et ils veulent nous forcer à la prendre. Depuis la révolution la France a été maîtresse chez elle, souvent chez les autres, mais toujours chez elle. J'ai offert la paix, j'ai proposé de laisser la France dans ses anciennes limites, en perdant tout ce qu'elle avait acquis. On a tout refusé. Dans peu de jours j'attaquerai l'ennemi; je le forcerai de quitter notre capitale. J'ai compté sur vous; ai-je eu raison? »

Un immense cri s'élève : « Comptez sur nous! Vive l'empereur!»> «Notre cocarde est tricolore, dit Napoléon en terminant; plutôt que d'y renoncer, nous péririons sur notre sol! »

Les acclamations se multiplient: « Paris! Paris! marchons sur Paris!» Tel est le vœu de la vieille garde, et Napoléon rentré dans les salons du palais. Il devait y trouver beaucoup moins d'enthousiasme.

Tout se prépare pour une action décisive. Marmont forme toujours l'avant-garde à Essonne, avec ses principaux divisionnaires Souham et Bordesoult. Son corps est de douze mille hommes. C'est lui qui couvre toute l'armée. La vieille garde va prendre, après la revue du 3, ses positions derrière la rivière d'Essonne, où elle sera en seconde ligne. Le quartiergénéral suivra ce mouvement, et sera placé entre Essonne et Ponthierry. Sûr de ses moyens, rassuré sur l'esprit de son armée, Napoléon se résout cependant à un grand sacrifice. Le duc de Vicence, de retour de Paris, lui a rendu compte de sa mission et de l'accueil qui lui a été fait à l'hôtel Talleyrand. Les maréchaux sont appelés; ils opinent tous pour un système de concessions. Des plénipotentiaires seront de nouveau envoyés auprès des souverains alliés, et Napoléon leur remettra un acte d'abdication conditionnel. Les termes en ont été mesurés de manière à garantir tous les droits du roi de Rome, ceux de F'impératrice régente, et ils laissent en même temps une porte

ouverte aux éventualités favorables qui pourraient survenir. Voici cet acte d'abdication:

« Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il est prêt à descendre du trône, à quitter la France, même la vie, pour le bien de sa patrie, inséparable des droits de son fils, de ceux de la régence de l'impératrice et du maintien des lois de l'empire.

<< Fait en notre palais de Fontainebleau, le 4 avril 1844.

NAPOLEON. »

Le duc de Vicence, Ney et Macdonald furent chargés de porter cétte déclaration à l'empereur Alexandre; un double fut envoyé au prince de Metternich qui attendait les événements sans y prendre part, à Villeneuve-l'Archevêque, près de Sens. Les trois plénipotentiaires devaient, en passant à Essonne, communiquer l'objet de leur mission au duc de Raguse; celui-ci était autorisé à les accompagner, s'il ne jugeait pas sa présence indispensable à Essonne.

Nous touchons à la catastrophe. Augereau avait manqué Ouvertement à ses devoirs, en livrant la ville de Lyon sans combattre; Marmont va briser les liens qui l'attachent à l'empereur, ét il n'apportera point dans sa conduite la franchise des camps. Sa défection prendra toutes les apparences d'une fourberie, et la ruse du diplomate se glissera sous l'uniforme du soldat. Au moment décisif, quand Napoléon comptait le plus sur le concours du duc de Raguse, sentinelle avancée de l'armée de Fontainebleau, le maréchal signait une convention avec le prince de Schwartzenberg. L'intrigue avait été conduite avec une grande habileté, par l'entremise du général Dessole et de quelques amis

de Marmont, enrôlés dans la conspiration Talleyrand. Le 3, le prince de Schwartzenberg envoya au maréchal une invitation des membres du Gouvernement provisoire à se ranger sous les drapeaux de la bonne cause française. Cette invitation était accompagnée de tous les actes, décrets, arrêtés, proclamations du Sénat, du Corps Législatif et du nouveau gouvernement. Le généralissime des armées alliées, pour conduire lui-même à sa fin la négociation, était venu s'établir à Chevilly, tout près d'Essonne. Marmont se laissa entraîner, et lui écrivit : « L'ar« mée étant déliée par le Sénat de son serment de fidélité, je << suis prêt à quitter, avec mes troupes, l'armée de Napoléon, <«< aux conditions suivantes : 1° Le prince de Schwartzenberg «< garantira à toutes les troupes françaises qui quitteront les drapeaux de Napoléon Bonaparte, de pouvoir se retirer libre<< ment en Normandie, avec armes et bagages; 2° Si, par suite << de ce mouvement, les événements de la guerre faisaient tom<< ber entre les mains des puissances alliées la personne de Napo«<léon Bonaparte, sa vie et sa liberté lui seront garanties dans << un espace de terrain et dans un pays circonscrit, au choix des « puissances alliées et du gouvernement français. »

Ces conditions ayant été acceptées, la convention était déjà ratifiée lorsque Ney, Macdonald et Caulaincourt arrivant à Essonne, communiquèrent à Marmont les ordres et l'abdication conditionnelle de l'empereur. Marmont, en apprenant le sacrifice que Napoléon vient de faire, ne laisse pas que d'être embarrassé. Il confie à Ney et Macdonald la négociation de Chevilly. Les deux maréchaux, auxquels se joint le duc de Vicence mis au courant de cette confidence, s'efforcent de le ramener à la cause de la régence. Évidemment cette cause était ruinée, si une défection avait lieu dans l'armée. Après quelques paroles assez vives, Marmont prétend que tout n'est pas perdu, qu'il est certain de se faire rendre sa parole par Schwartzenberg. Il offre au prince de la Moscowa, au duc

de Vicence et au duc de Tarente de les accompagner à Chevilly, pour tout réparer: ce qui est accepté. Avant de partir, il affecte de dire hautement à ses deux divisionnaires Souham et Bordesoult, que le mouvement de retraite qu'il leur a prescrit ne doit plus avoir lieu. De Chevilly, où Marmont s'expliqua seul avec le prince de Schwartzenberg, ils se rendent tous quatre à Paris; les conférences avec l'empereur Alexandre sur la possibilité d'une régence s'ouvrent immédiatement.

C'était le 5 avril, et la capitale présentait ce jour-là un aspect étrange. Les bulletins de Napoléon à son armée étaient parvenus dans les faubourgs; on s'émut à leur lecture. Le peuple, le vrai peuple, celui qui paie le plus lourd de l'impôt d'argent et de l'impôt du sang, rougissait de voir nos places publiques inondées d'uniformes étrangers. Les troupes de Blücher, surtout; s'étaient fait remarquer par leur insolence. Puis, quoiqu'il ne connut en rien cette famille de Bourbons, ces prétendants qui lui tombaient du ciel avec des promesses de liberté, d'allégement de charges, il se rappelait que la révolution s'était accomplie contre cette même famille, contre ces émigrés dont on lui annonçait le retour. Et la révolution c'était la liberté, l'émancipation, la grande réforme moderne. Comment les ennemis de la liberté en 1789 et en 1792, en deviendraient-ils les soutiens et les zélateurs en 1814? Le peuple, d'ailleurs, avait foi dans le génie de Napoléon, dans ses ressources du champ de bataille; il le savait à quelques lieues de Paris seulement, à la tête de sa vieille garde invincible. Et comme une lionne qui rugit, si muselée qu'elle soit, lorsque le vent lui apporte les mâles émanations du roi des forêts, la population de la capitale tressaillait et commençait à gronder sous le joug, en flairant les approches de son empereur. Une terrible insurrection était toute prête dans les faubourgs, et les barricades de Saint-Antoine, du Temple, du quartier Saint-Marceau se fussent dressées au premier coup de canon d'un combat sous Paris. Aussi l'inquiétude

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