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poléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il renonce, pour lui et ses héritiers, aux couronnes de France et d'Italie, et qu'il n'est aucun sacrifice, même celui de la vie, qu'il ne soit prêt à faire dans l'intérêt de la France,

<< Fontainebleau, le 14 avril 1844. »

Le même jour, Macdonald, Ney et Caulaincourt signaient à Paris un traité entre les puissances alliées et l'empereur Napoléon, qui devait être ratifié et échangé dans les quarante-huit heures. L'empereur Napoléon et Marie-Louise conservent leurs titres et rangs, ainsi que tous les membres de la famille impériale. L'ile d'Elbe est concédée à Napoléon pour former, sa vie durant, une principauté séparée qu'il possédera en toute souveraineté et propriété, avec deux millions de revenu, dont la moitié reversible sur l'impératrice. Les duchés de Parme, de Plaisance et de Guastalla sont donnés en toute propriété et souveraineté à Marie-Louise, pour passer à son fils et ses descendants en ligne directe. Des domaines ou rentes produisant un revenu de deux millions cinq cent mille francs, sont alloués aux princes et princesses de la famille impériale, qui conservent en outre les propriétés mobilières ou immobilières leur appartenant en vertu du droit public et individuel. L'empereur sera conduit dans ses nouveaux États sur une corvette qui lui restera; il pourra prendre avec lui et garder auprès de sa personne quatre cents hommes de son armée, officiers, sous-officiers et soldats volontaires. Les hautes puissances garantissent l'exécution du traité et s'engagent à obtenir qu'il soit accepté et garanti par la France (7).

Quel que soit le jugement que l'on porte sur Napoléon, on sera forcé de convenir que jusqu'à la signature de son abdication aucune marque de faiblesse, de défaillance morale n'a été donnée par ce grand capitaine. Il tombe noblement; il a

consenti à l'abaissement de sa fortune, à la déchéance de son pouvoir héréditaire; au nom de la France du moins il n'a fait aucune concession. Le 12, un plénipotentiaire russe étant arrivé à Fontainebleau pour procéder à l'échange des ratifications, demande à l'empereur un ordre pour la remise des places fortes. Napoléon repousse avec énergie cette prétention nouvelle; il a perdu sa couronne, mais il ne veut pas qu'un seul fleuron tombe par sa main de la couronne nationale. Il renvoie cependant au lendemain la ratification du traité dont il a accepté toutes les conditions. Un projet s'est emparé de son esprit; il songe à se dérober à l'humiliation de signer lui-même la perte de sa dynastie; il en a les moyens entre les mains: le poison. Dans la nuit du 12 au 13, il essaie de se donner la mort. Le suicide se comprend chez le philosophe; il ne va pas à l'homme d'action. Caton, Condorcet, Rousseau, quittant volontairement la vie, désespérant de la vertu, sont avoués par la logique. Leur mort sera encore une leçon. Une telle fin rentre dans les conditions de ces luttes soutenues contre leurs contemporains, par le penseur et le sage qui ne travaillent que pour les générations futures. Mais chez celui qui a accompli tout entière son œuvre au grand soleil, qui est arrivé à l'apogée de ses destinées, et qui ne sait pas être grand dans le malheur, comme il l'a été dans la prospérité; chez celui-là, le suicide est une faiblesse. Napoléon, succombant à Fontainebleau, léguait à la postérité un nom amoindri. Il ne devait point mourir ainsi, et le poison fut sans effet sur son organisme. Il lui était réservé d'accomplir plus tard sur son lit de mort une grande mission : celle de flétrir pour toujours la diplomatie des rois.

La vieille garde va recevoir les adieux de son héros. Le 20 avril a été fixé pour une amère séparation. Quatre commissaires des puissances alliées attendent Napoléon pour le conduire à Saint-Raphaël, petit port sur la Méditerranée, lieu fixé pour son embarquement. Drouot, Cambronne et Bertrand

l'accompagnent dans l'exil. La garde se rassemble dans la cour du château; l'empereur passe une dernière fois en revue ses compagnons fidèles. D'une voix émue, il leur adresse ces paroles :

« Officiers, sous-officiers et soldats de la vieille garde, je vous fais mes adieux.

« Depuis vingt ans que je vous commande, je suis content de vous, et je vous ai toujours trouvés sur le chemin de la gloire.

« Les puissances alliées ont armé toute l'Europe contre moi; une partie de l'armée a trahi ses devoirs, et la France a cédé à des intérêts particuliers.

« Avec vous et les braves qui me sont restés fidèles, j'aurais pu entretenir la guerre civile pendant trois ans; mais la France eût été malheureuse, ce qui était contraire au but que je m'étais proposé. Je devais donc sacrifier mon intérêt personnel à son bonheur : c'est ce que j'ai fait.

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Soyez fidèles au nouveau souverain que la France s'est choisi; n'abandonnez point cette chère patrie trop longtemps malheureuse! ne plaignez point mon sort je serai toujours heureux quand je saurai que vous l'êtes. J'aurais pu mourir; rien n'était plus facile; mais non, je suivrai toujours le chemin de l'honneur ; j'écrirai ce que nous avons fait. Je ne puis vous embrasser tous; mais je vais embrasser votre chef. Venez général. »

Le général Petit s'avance et Napoléon le presse dans ses bras. « Qu'on m'apporte l'aigle ! »>

L'aigle lui est apportée.

« Chère aigle, s'écrie-t-il en l'embrassant, que ces baisers retentissent dans le cœur de tous les braves!

<«< Adieu, mes enfants! adieu, mes braves! entourez-moi encore une fois. »

Une telle scène valait mieux que le suicide.

11 nous faut reprendre les événements qui ont marqué les

premiers jours du mois d'avril. Le 4, une commission de cinq sénateurs avait été nommée par le Gouvernement provisoire, afin de préparer un projet de Constitution. En quelques heures MM. Lebrun, Lambrechts, Destut-Tracy, Emmery, Barbé-Marbois, terminèrent ce projet. Présenté le 6 au Sénat, une nouvelle commission dite d'examen fut désignée, composée de MM. Vimar, Cornet, Abrial, Fabre (de l'Aude), Grégoire, Garat et Lanjuinais. Grégoire, Lanjuinais et Garat votèrent contre le projét, qui fut adopté par le Sénat. L'article premier de cette Constitution décrétait que le gouvernement français était monarchique et héréditaire de mâle en mâle par ordre de primogéniture. Par l'article second, le peuple français appelait librement àu trône de France LOUIS-STANISLAS-XAVIER DE FRANCE, frère du dernier roi, et après lui les autres membres de la maison de Bourbon, dans l'ordre accoutumé. Le Sénat et le Corps Législatif étaient conservés. Les départements étaient appelés à élire directement les membres de cette dernière assemblée. L'article vingt-neuf et dernier était, pour l'avenir du pays, de la plus haute importance: il témoignait du moins chez les auteurs de la révolution du 31 mars, d'une tendance vers les idées de 1789. C'était encore quelque chose, dans les circonstances si pénibles où se trouvait la France, que cet éclair des idées révolutionnaires mêlé aux vapeurs épaisses qui couvraient le pays. L'article 29 disait : « La présente Constitution sera soumise à l'acceptation << du peuple français, dans la forme qui sera réglée. Louis-Sta<< nislas-Xavier sera proclamé roi des Français aussitôt qu'il « l'aura jurée et signée par un acte portant: « J'accepte la Con«<stitution, je jure de l'observer et de la faire observer. » Ce << serment sera réitéré dans la solennité où il recevra le serment « de fidélité des Français. >>

Ainsi l'abolition de la légitimité et du principe de droit divin est maintenue; la souveraineté du peuple, cette base de notre réforme politique, ce premier jalon posé par la Constituante sur

la route qui doit conduire la France à un complet affranchissement, ne périme point. Au moment d'être absorbés par une restauration, les droits imprescriptibles des citoyens sont rappelés à l'Europe absolutiste coalisée contre nous. Oublions quels sont les instruments de ce fait capital, leur indignité et leurs mobiles. La semence est jetée, tôt au tard elle germera.

La cocarde et le drapeau tricolores furent remplacés officiellement par la cocarde et le drapeau blancs; le 9 l'armée quitta ces nobles couleurs, avec lesquelles s'étaient identifiées nos libertés. Mais du moins elles eurent de belles funérailles; une dernière bataille, un dernier coup de canon les glorifiaient encore, le lendemain du jour où le Gouvernement provisoire les faisait disparaître. Soult, forcé par Wellington d'abandonner la ligne de l'Adour, s'était replié sur Toulouse, dans l'espoir d'opérer sa jonction avec Suchet. Le 10, l'armée anglaise, forte de soixante mille hommes, attaqua le maréchal qui ne disposait guère que de vingt mille soldats. Nos divisions occupaient les approches de Toulouse de trois côtés, au nord, à l'est et à l'ouest. La principale action eut lieu à l'ouest de la ville, où nous tenions sur les hauteurs du Calvinet fortement défendues par des bastions. L'action fut des plus meurtrières. L'ennemi perdit plus de quinze mille hommes; les Français n'eurent guère que trois mille cinq cents hommes hors de combat. La victoire nous fût restée sans la mort du général Taupin qui opérait à notre extrême droite; les soldats le voyant tomber, se débandèrent; les hauteurs du Calvinet furent tournées et nous dûmes opérer notre retraite. Soult apprit l'abdication, la proclamation des Bourbons. Il fit comme tous les autres : le 29 avril, le duc d'Angoulême recevait son serment à Toulouse.

Le prétendant Louis XVIII, roi des Français par la grâce d'une soixantaine de sénateurs et de six cent mille baïonnettes, était encore en Angleterre, et le duc d'Angoulême dans le midi, lora

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