Page images
PDF
EPUB

les hostilités et obtenir de la coalition un traité qui garantit au moins son existence. Le commandant de la Méduse lui fit tenir une troisième proposition: c'était la plus sérieuse à coup sûr. Le brave capitaine Ponet attaquerait avec sa frégate de 60 canons le vaisseau le Bellerophon; il promettait de prolonger le combat, dût-il être coulé; et pendant ce temps, la Saale passerait et prendrait le large avec l'illustre fugitif. Tout l'équipage de la Méduse adhérait à cet acte de dévouement. Le commandant de la Saale fit encore évanouir cet espoir de salut, en déclarant qu'il n'userait point de violence contre les vaisseaux d'une puissance amie.

Sur ces entrefaites, le capitaine d'un brick danois en partance pour Copenhague se fait fort de conduire l'empereur en Amérique, sous pavillon neutre, avec trois personnes de sa suite, déguisées en matelot. Un traité est même signé pour l'exécution de ce projet, entre le capitaine et le chambellan Las Cases. Un dernier moyen se présentait. Joseph Bonaparte était arrivé à l'ile d'Aix; il apprit à Napoléon qu'il allait s'embarquer à Bordeaux pour passer en Amérique. La ressemblance des deux frères était telle, qu'une substitution de personne pouvait facilement avoir lieu. Il en fut question; mais l'empereur refusa. Tout subterfuge lui répugnait. Napoléon, après avoir mûrement réfléchi, s'était enfin arrêté à une détermination sur laquelle il ne devait plus revenir. Le 14 juillet, il annonça qu'il était décidé à demander l'hospitalité à l'Angleterre. Le capitaine Maitland, déjà sondé sur la conduite qu'il tiendrait, dans le cas où l'empereur se confierait à lui, avait répondu : << Je suis autorisé à << recevoir Napoléon pour le conduire en Angleterre, où, dans << ma conviction, Sa Majesté trouvera tous les égards auxquels << elle peut prétendre. » L'empereur chargea le général Gourgaud et le comte Las Cases de se rendre sur le Bellerophon, afin d'annoncer sa résolution. Gourgaud reçut en même temps une lettre autographe pour le prince régent d'Angleterre. Voici

cette pièce, qu'aucun Anglais, sans rougir, ne pourra transcrire dans les annales de sa patrie :

« Altesse royale,

«Rochefort, le 13 juillet.

<< En butte aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des plus grandes puissances de l'Europe, j'ai consommé ma carrière politique, et je viens, comme Thémistocle, m'asseoir au foyer britannique; je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de Votre Altesse royale comme celle du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis :

NAPOLÉON. »

Et le lendemain, aux premières lueurs du jour, l'empereur, accompagné de quelques amis fidèles, montait sur le Bellérophon. « Monsieur, dit-il au capitaine Maitland qui l'attendait au premier échelon de l'escalier de parade, je viens à votre bord me mettre sous la protection des lois d'Angleterre. »

Il oubliait qu'entre lui et les lois d'un pays civilisé, les haines de la diplomatie avaient jeté la Déclaration du congrès de Vienne. Le foyer que l'Angleterre lui réservait était une prison au milieu de l'Océan, et le plus généreux de ses ennemis allait lui donner un geôlier : Sainte-Hélène et sir Hudson-Lowe.

D'autres historiens, à ce dénouement du grand drame européen commencé à Marengo et fini à Rochefort, ont trouvé de belles inspirations, à propos d'une grande infortune. L'abaissement inattendu et les mauvais jours du plus illustre conquérant que les temps modernes aient produit, ont éveillé leur sensibilité, et ils ont eu des mots heureux et profonds pour peindre le malheur du héros de cent batailles. Nous comprenons de tels sentiments, de telles préoccupations; mais à Dieu ne plaise que nous fassions ainsi. Une image désolée se dresse devant

nous, dont les douleurs inénarrables absorbent toutes nos sympathies et qui seule, en ce moment, nous semble avoir droit à une pieuse attention. Pour le héros, il est des chutes qui rehaussent l'éclat de la gloire; et le front qui a ceint toutes les couronnes, le bandeau impérial et la branche de laurier, emprunte au martyre une dernière auréole. Napoléon sera le martyr de l'Europe aristocratique. Mais une nation frappée au cœur par la conquête, décimée dans ses enfants, ruinée dans ses intérêts, violée dans ses principes, subit l'affront, demeure pendant do longues années dans la prostration et l'affaissement; et, lorsqu'elle se relève enfin, les pages brillantes qu'elle ajoute à son histoire ne retranchent pas une seule des pages où furent inscrits ses revers. La France a été cette nation. Nous ne l'oublierons jamais, ne serait-ce qu'afin de nous rappeler ce qu'il en coûte à un peuple pour abdiquer sa souveraineté, pour s'incarner dans un prince, ce prince fût-il un homme de génie.

CHAPITRE XXIII.

Le Bellerophon conduit l'empereur en rade de Plymouth. Il est question do livrer Napoléon au gouvernement de Louis XVIII.-La transportation à SainteHélène est décidée. Protestation de l'empereur. Le Northumberland. Arrivée à Sainte-Hélène. Six années de captivité. - Premiers symptômes do la maladie. Mort de Napoléon.

JUILLET 1815.-MAI 1821.

La foi punique a été flétrie par l'antiquité. La foi britanniquo subira-t-elle la même injure dans l'avenir?

Savary, duc de Rovigo, le général Bertrand, Lallemand, Gourgaud, le comte de Montholon, le comte Las Cases, le chirurgien Mengeaud, avaient accompagné l'empereur sur le Bellérophon. Le soir même, ce vaisseau faisait route pour la rade de Torbay, de conserve avec la corvette le Slany, que le capitaine Maitland avait mise à la disposition de Gourgaud. Le Slany devait aborder à Plymouth, afin que le général se rendit tout do suite auprès du prince régent avec la lettre de Napoléon. Mais lorsque le Slany arriva en rade de Plymouth, le capitaine de cette corvette déclara à Gourgaud qu'il ne pouvait le laisser descendre et que la lettre de l'empereur serait transmise par

la voie ordinaire au prince régent. De la rade de Torbay, où il demeure à l'ancre du 24 au 26 juillet, le Bellerophon va mouiller également dans les eaux de Plymouth. C'est là que Napoléon doit attendre la décision du cabinet britannique. Car on délibère en ce moment à Saint-James, et les hommes d'état, torturant et interprétant la fameuse déclaration de Vienne, se demandent si cette déclaration ne met pas complétement Napoléon en dehors des lois humaines et divines. Les uns penchent pour la transportation dans une île lointaine; les autres, auxquels répugne le rôle de geôliers, veulent laisser au gouvernement français tout l'odieux des mesures ultérieures à prendre contre l'ennemi commun; ils opinent pour que Napoléon soit purement et simplement livré à Louis XVIII. Quelques Anglais ne parlent de rien moins que de le traduire devant une haute cour martiale (10).

En rade de Plymouth, 'des bateaux armés entourent jour et nuit le Bellerophon, empêchant toute communication avec la terre. Cependant le bruit des sinistres dispositions du cabinet britannique parvient jusqu'aux compagnons d'exil de l'empereur; mais ce n'est que le 31 juillet que Napoléon connaît enfin le sort qui lui est fait. L'amiral Keith et le sous-secrétaire d'état Bembury se rendent à bord du Bellerophon, et lisent à l'empereur la dépêche suivante :

« Comme il peut être convenable au général Bonaparte d'apprendre sans un plus grand délai les intentions du gouvernement britannique, à son égard, Votre Seigneurie (l'amiral Keith) lui fera l'information suivante.

« Il serait peu d'accord avec nos devoirs envers notre pays et les alliés de Sa Majesté, que le général Bonaparte conservât le moyen ou l'occasion de troubler de nouveau la paix de l'Europe. C'est pourquoi il est absolument nécessaire qu'il soit restreint dans sa liberté personnelle, autant que peut l'exiger ce premier et important objet.

« PreviousContinue »