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CHAPITRE XIII.

Conspiration Malet. Exécutions

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Les partis en France vers la fin de 1812. sanglantes. Retraite de la grande armée. - Bataille de Malo-Jaroslavetz. — Combat de Wiasma. - Désastres et souffrances de l'armée. Smolensk est abandonné. Les Russes s'emparent de Minsk par la faute de Schwartzenberg. -Passage de la Bérésina.-Les débris de la grande armée se concentrent sur Wilna. Napoléon quitte Smorgoni après avoir confié l'armée à Murat, et part pour Paris.

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L'établissement de brumaire, le consulat à vie et l'empire avaient eu pour causes virtuelles, d'un côté, la lassitude et l'impuissance des partis; de l'autre, l'ambition secondaire d'une foule de personnages qui cherchèrent tous à consolider leur fortune à l'abri d'un gouvernement fort, puissant, richement doté par le pays en pouvoirs, et dont l'éclat et les faveurs pussent rejaillir sur eux. Il était naturel qu'un moment arrivât où l'une et l'autre de ces causes, qui, après avoir servi à l'avénement de Napoléon Bonaparte, devaient continuer à lui faciliter son étonnante élévation, se distendissent, éprouvassent un certain affaiblissement : faisant subir au régime impérial quelques unes de ces crises qui avaient si considérablement

TOME V.

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troublé les régimes précédents. Sans aucun doute, des crises se seraient produites dès les premières années de l'empire, si la politique agitée, remuante, de Napoléon, et une série de succès militaires inouïs dans notre histoire, n'eussent fourni à l'opinion publique un aliment continuel. En outre, nous l'avons remarqué ailleurs, les levées extraordinaires ôtaient chaque année à la France la presque totalité de ce que l'on peut appeler les forces vives d'une nation. L'activité du pays était tout entière aux camps, et ce qu'il en restait en deçà de nos frontières suffisait à peine aux sentiments d'admiration excités par les prodiges de tant de batailles et de tant de conquêtes. Nous ajouterons à cela les bienfaits de la justice et de l'égalité civiles que Napoléon avait définitivement introduites dans nos lois; un système administratif d'une grande perfection; le mouvement que le blocus continental donnait à notre fabrique et au travail national, et nous aurons tout le secret de cet ordre intérieur que rien ne troublait, de l'oubli dans lequel paraissaient tombés les grands principes qui avaient profondément remué la France de 1789 à 1800, et aussi de la disparition de cette faction royaliste, dont les derniers efforts avaient abouti au crime de Georges Cadoudal.

Mais, comme nous venons de le dire, un moment devait arriver où les partis se réveilleraient. En 1812, quelques symptômes se firent sentir de ce phénomène. Seuls, ils eussent été impuissants à provoquer la chute de l'empire; combinés avec la lassitude, les velléités d'indépendance, disons le mot, l'ingratitude d'un grand nombre de généraux dont Napoléon avait fait la fortune, ils allaient affaiblir le pouvoir du maître. Les désastres qui vont se dérouler sous notre regard attristé et les intrigues de la diplomatie achèveront la ruine de la dynastie impériale, et nous enlèveront la gloire, sans nous rendre la liberté.

Vers la fin de 1812, et tandis que Napoléon transportait à sa

suite au-delà des frontières de la Pologne, avec les quatre cent mille hommes de la grande armée, une partie considérable de ses moyens d'action ou plutôt de pression, deux partis sortaient peu à peu d'une longue atonie, et, jetant les yeux sur la marche des affaires, ne désespéraient pas de ressaisir le pouvoir dans un avenir prochain. L'un de ces partis avait pour lui l'Idée; il devait être étouffé dès son réveil, mais après avoir jeté un germe fécond dans le sol : c'était le parti de la révolution. L'autre allait avoir pour lui les Intérêts; il devait triompher; mais les intérêts, en se déplaçant, l'abandonneront un jour c'était le parti de l'aristocratie, du privilége et des monopoles.

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Sans doute, les masses avaient presque perdu le sentiment des passions révolutionnaires, après douze années du régime impérial; et, depuis son émigration, le frère et l'héritier de Louis XVI, malgré ses protestations contre le couronnement de Napoléon, était tout à fait oublié par le peuple. Mais quelques esprits opiniâtres gardaient précieusement les traditions de 1792 ou celles de 1788, et le nuage qui voilait l'opinion publique renfermait des orages que nous verrons éclater plus tard.

A Paris, les partisans de la royauté légitime, quelque rares qu'ils fussent à l'époque qui nous occupe, comprenaient vaguement l'instabilité de l'empire, et se préparaient à une restauration dont le terme leur échappait encore, mais qu'ils regardaient comme certaine. Le document que nous allons produire prouvera la ténacité de ces hommes, justifiée par l'événement. Certes, nous ne voulons pas donner plus d'importance qu'il n'appartient à des opinions isolées, à des vœux qui se cachaient soigneusement dans l'ombre; mais l'histoire, chargée d'expliquer et d'apprécier le passé, demeurerait incomplète si elle négligeait ces faibles murmures qui sont dans la foule, pour les partis, ce que le gland est pour le chêne dans les entrailles de la terre. Les trente voix auxquelles les royalistes

imposaient silence en 1790, dans l'Assemblée nationale, c'était deux ans plus tard toute la Convention, l'abolition de la royauté et l'avénement de la démocratie. La pièce inédite qu'on va lire, et que les royalistes se communiquaient, dans leurs confidences intimes en 1812, c'était deux ans plus tard l'intronisation de Louis XVIII. On y trouvera l'expression fidèle de la pensée de ces esprits en arrière d'un siècle, qui devaient revenir au pouvoir avec tous les préjugés que l'émigration avait emportés au-delà du Rhin, et que la France, épuisée et saignée aux quatre veines par l'invasion, adopta ou plutôt subit au milieu des convulsions de l'agonie.

« LOUIS XVIII, ROI DE FRANCE.

..... Dieu m'a protégé sous l'ombre de sa main; il m'a mis en réserve comme une flèche choisie, et me tient caché sous son carquois.... ISAÏR. »

>> Tous ceux qui ont l'honneur d'approcher de la personne, de Louis XVIII et de lui être attachés, connaissent parfaitement sa bonté naturelle, l'étendue et la capacité de son esprit, la dignité de son âme; ils savent quel charme il répand autour de lui, dans le sein de sa famille et au milieu des serviteurs qui lui sont restés fidèles, et combien sa sagesse, sa prudence, sa modération, deviendraient précieuses pour la circonstance où il serait rétabli sur le trône de ses pères.

» Mais ce n'est pas sous le rapport de ses vertus qu'on a voulu le considérer lorsqu'on a fait choix de l'épigraphe : «Dieu dans l'ombre, etc. » C'est sous celui du droit sacré de la légitimité inhérent à sa personne. Ce n'est point l'intérêt privé de Louis XVIII, ni celui de son auguste race, que cette note a pour objet; mais d'appeler fortement l'attention sur une vérité fondamentale que les hommes d'État chargés de la direction du

cabinet de l'Europe paraissent ne pas avoir envisagée jusqu'à présent avec le degré d'importance qui lui appartient.

» Cette vérité, dont on a négligé de faire l'application au soutien des grands intérêts des souverains, indique assez, dans la crise actuelle, que les destinées de l'Europe sont attachées à celles de Louis XVIII. Comme héritier du trône de France, il offre un palladium à l'aide duquel on peut encore arracher le continent à la honteuse servitude dont il est accablé.

>> Une matière de cette importance exigerait un travail particulier et des développements plus étendus que ne le comporte la brièveté d'une note. On se bornera donc à ne présenter ici que deux questions qui, dépouillées des secours oratoires, pourront peut-être, dans leur simplicité, répandre plus de lumièressur l'extrême danger des opinions politiques, que les plus intéressés au maintien des troubles ont toujours eu l'art si funeste de faire prédominer.

Quelle a été l'origine de tous les désordres, de tous les malheurs qui depuis plus de vingt années affligent l'Europe, et quelle est la cause qui les perpétue?

L'usurpation du trône de France! Un royaume aussi puissant que l'était celui de France, riche d'une population naturellement guerrière et active, et situé de manière à être en con tact, par l'étendue de ses frontières, avec les principales contrées de l'Europe, ne pouvait être altéré dans la base essentielle de son gouvernement sans que cette commotion épouvantable se fit sentir aux distances les plus éloignées.

» Mais, dira-t-on, l'usurpation n'aurait-elle pas pu modérer sa marche révolutionnaire, et amener un gouvernement mieux ordonné, comme on en a vu des exemples dans d'autres monarchies? Ne pourrait-on pas. l'espérer encore, si l'usurpateur était autre que celui qui s'est emparé du pouvoir?

>> On ose répondre affirmativement: Non... Et particulièrement pour une portion du continent de l'Europe, située comme

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