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Il est donc évident que nous avons là, outre une matière vernissante du plus grand intérêt, une matière propre à être admise comme préservateur contre l'humidité des munitions de guerre. Nous espérons que d'autres expériences aussi démonstratives, auront pour résultat final de faire agréer nos laques, préparées et non-préparées, par les industriels métropolitains. Les applications de laque sur bois ont pour effet, tout en le revêtant d'un vernis très agréable à l'œil, de le protéger des intempéries et des actions des xylophages. Nous avons vu des bois laqués, mangés par les poux de bois mais leur intrusion dans le bois a eu lieu justement par des endroits qui n'avaient pas été enduits de laque. Ce vernis est d'une grande durée; il ne donne pas de craquelage ni de soufflures; il fait corps avec le bois et on ne peut l'enlever qu'au rabot. Se comporte-t-il ainsi avec les métaux ? C'est encore là une expérience à faire, car dans ce cas, pourrait-il convenir comme peinture sous-marine?

II° L'ARBRE A LAQUE DU CAMBODGE

Melanorrhea laccifera (Pierre) des Anacardiacées.
Cochinchinchine : Cây sơn on sương tiên ; sơn đạo.
Cambodge Dóm kreul (l'arbre), meréak (le produit).

Habitat. Le Melanorrhea laccifera habite, à peu près, tout le Cambodge et les provinces de Bièn-hoa et de Thu-dau-Một de même que l'île de Phu-quoc, en Cochinchine. En Annam il nous a été signalé dans les provinces du Quang-nam et du Quang-ngai. Il est probable que les parties forestières de l'Extrème SudAnnam doivent renfermer des sujets de cette espèce.

Les provinces cambodgiennes qui apportent les plus sérieux contingents de laque dans le commerce local sont celles de :

Kompong-Chnang, circonscriptions de Lovek, Rola Peir et Babaur.
Kompong-Thom, circonscription de Stoung.

Kompong Speu, circonscriptions de Phnom Sruoch et Sam-Rong-Tong.

Le Siam et la Birmanie exploitent, pour l'obtention de la laque une espèce très voisine: le Melanorrhea usitata (Wall.). Les procédés d'extraction sont à peu près les mêmes que ceux pratiqués au Cambodge et la laque obtenue a une grande affinité avec l'or. Les dômes laqués et dorés des pagodes et des palais de Bangkok seraient revêtus de laque du M. usitata et ces revêtements de grande durée seraient, dit-on, inaltérables.

Description botanique. Nous ne saurions mieux faire que de produire celle de Pierre, dans sa Flore forestière de Cochinchine :

Feuilles obovées arrondies ou atténuées arrondies, aïguës à la base et décurrentes sur le pétiole très court et aplati, entièrement glabres, coriaces, munies de 18 à 24 paires de petites côtes, de même que la nervation tertiaire, plus élevées en dessous qu'en dessus. Grappes

plus courtes ou plus longues que les feuilles, nues à la base, à ramifications assez distantes, papilleuses ou pubérulentes. Pédicelles plus longs que la fleur. Calice glabre. Pétales entièrement velus en dehors. Etamines au nombre de trente. Pédicule de l'ovaire pubescent. Ovaire glabre. Drupe sphérique plus longue que son pédicule.

Arbre de 15 à 20 mètres. Rameaux épais de 6-8 m/m., glabres, mais à jeunes bourgeons velus. Pétiole large de 3 à 6 mm, un peu bombé dessous ou aplati en dessus et plus ou moins ailé ou nu. Limbe long de 12 à 20 c/m., large au dessus du milieu de 7,5 à 10 c/m., obconique. Grappes longues de 14 à 20 cm., nues à la base dans une longueur de 5 à 10 cm. Elles sont axillaires et terminales, et leurs ramifications sont longues de 4 à 8 cm. Les pedicelles sont longs de 4 à 5 m/m, et velus. Le calice conique ou ovale-lancéolé, nervé, est long de 4-5 mm. et tombe d'une seule pièce. Les pétales enroulés, oblongs, lancéolés et aigus, larges de 11/2 ш/m. sont longs avant l'anthèse de 7-12 mm. Il sont un peu épaissis à la base, en dedans, et là pubescents. Les étamines sont au nombre de 30 ordinairement et formant 4 séries sur un disque cylindrique long de 1,5 m, et les anthères, déhiscentes bien avant l'anthèse, ont 1/2 à 3/4 de long. Le disque se prolonge au-dessus de l'insertion des étamines ou en pédicule long de 1 mm, portant un ovaire ovale oblique, long de 3 4 mm. que termine un style excentrique long de 1 m/m 1/4. L'ovule inséré latéralement à la base de la cavité est ascendant, avec un micropyle situé au coin intérieur et supérieur de sa courbure. Le fruit est porté par un pédicule, long de 1,-5 cm., et les pétales persistants, longs de 9 à 12 mm., forment une couronne à la base de ce dernier. Son diamètre. de 3 à 4,2 c/m., est supérieur à sa longueur qui n'a que 2,6 à 3 c/m. Le péricarpe, un peu fibreux, a une épaisseur d'un peu plus de 2 mm. Il est pourvu d'une zone de cellules scléreuses contre l'endocarpe assez mince, subspongieux, brillant en dedans. Je n'ai pas vu de tégument. L'embryon est formée de deux gros cotylédons dressés, unis en haut et latéralement à une courte tigelle.

Cet arbre a un suc un peu jaune qui ne tarde pas à se solidifier à l'air et à devenir sec et noirâtre. Ce suc rougeâtre, que les Kmers appellent mairac ou méréac, est assez abondant et est un vernis d'une très grande beauté servant à laquer tous les objets de pierre et de bois, etc. Il est recueilli dans des noeuds de bambou taillés en biseau et enfoncés dans l'écorce et le liber, après un battage qui a pour but de faciliter son écoulement. Ce suc reste liquide pendant dix à quinze jours. Pour le conserver tel, sans quoi il deviendrait résineux, on le tient dans des vases dont le plein est fait avec de l'oléorésine, produit de Diptérocarpées et principalement des espèces D. alatus et D. intricatus. En cet état, le vase étant luté, le mairac peut servir pendant longtemps, au delà de deux années. Les huiles de coco, de ricin, ont la propriété de le durcir. Voilà pourquoi ces mêmes huiles servent à délaquer les objets recouverts de mairac. Ainsi les statues de pierre ou de bois qui ont été laquées avant de recevoir un revêtement ou d'or ou d'argent, sont facilement délaquées par ces huiles.

Le Melanorrhea laccifera a une croissance rapide, et déjà après deux ans de plantation, des incisions peuvent y être faites sans inconvénient. C'est donc un arbre à recommander dans les cultures forestières. Il mérite encore la culture pour son bois dont le cœur, chez un arbre âgé d'une centaine d'années, a un diamètre de plus de 30 /m., d'un rouge intense. A cet âge, l'aubier rougeâtre a 9 c/. de diamètre. L'aubier donne de bonnes planches, des manches d'outils et le cœur est un bois d'ébénisterie de grande valeur commerciale. Ce bois est assez lourd et se conserve bien. En Birmanie, d'après Kurz, on emploie celui du M. Usitata, (Wall pour traverses de chemin de fer, manches d'outils et autrefois il servait d'ancre et de refouloir à canon. Un coccus vit aussi sur cet arbre, et sa gomme laque est estimée, d'après les Kmers. La feuille est pourvue d'un hypoderme presque aussi large que l'épiderme, et le mésophylle supérieur comprend deux ou trois rangées de palissades formant une bande un peu plus large que le mésophylle inférieur. Les faisceaux des nervures atteignent l'un et l'autre l'épiderme. Le contenu des canaux est jaune orangé. Le nombre de ces canaux est considérable en dedans du ́ péricycle, ils manquent au pourtour de la moëlle. Du cylindre central, ainsi que cela a lieu dans la famille, trois faisceaux bien distants s'échappent, pour la feuille. Le méristème qui en

est formé est oblong transversal, et sa gaine est formée d'une multitude d'arcs fibreux pénétrant plus ou moins le liber dans lequel on trouve autant de canaux secréteurs correspondants.

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Loureiro (Fl. coch. (1790) page 337) semble avoir décrit pour son Augia sinensis ou Cây sơn, à la fois le Rhus succedanea (L.) qui habite le Tonkin et la Chine et quelque espèce de Melanorrhea; cela n'est pas le M. Laccifera puisqu'il parle de 100 étamines pour la fleur, et quant au fruit et aux feuilles, c'est bien d'un Rhus qu'il s'agit.

Valeur du bois en ébénisterie.

faux acajou est ligneux, à cassure sèche.

Le bois communément appelé

De nuance rouge, avec quelques veines noires, il acquiert au travail un beau poli. Il se prète bien aux travaux d'ébénisterie, se sculpte et se tourne assez aisément. Enfin il fournit, surtout en Cochinchine, de belles colonnes de maison pour les habitations des indigènes un peu fortunés.

En Annam, à Tourane, M. Tabel, ébéniste qui s'approvisionne de ce bois dans les provinces du Quang-ngai et du Quang-nam, en fait de jolis meubles qui sont expédiés, démontés en France pour y être vendues. Les industriels de Nancy ont donné au bois du Melanorrhea le nom de bois Jonquille.

La laque du Melanorrhea. Mais si le bois de Cây sơn a quelque bonne valeur d'emploi, le produit qu'il exsude sous la provocation d'incisions, et connu au Cambodge sous le nom de Morak ou Meréak, constitue un vernis d'un excellent choix, utilisé comme vernis de meubles, d'objets du culte, des charrettes de luxe, des bâts d'éléphants, etc.

M. Pierre, dans la notice que nous venons de reproduire in extenso, explique le procédé employé par les indigènes pour recueillir ce latex ou mieux cette laque. Nous ne pouvons y ajouter que quelques observations personnelles.

Nous dirons tout d'abord que l'extraction de cette laque n'est guère effectuée qu'au Cambodge et sur quelques rares emplacements forestiers de la province cochinchinoise de Tay-ninh. C'est donc dire que la production de cette matière pourrait prendre des développements plus importants.

L'écoulement du latex est provoqué par des incisions pratiquées sur le tronc, mais préalablement à cette opération, les indigènes ont eu le soin de battre l'écorce à coups de maillet, de manière à faire des décollements partiels. Au dessous des incisions on fixe des tubes de bambou chargés de recueillir le latex. La laque est recueillie tous les 4 ou 5 jours et versée dans des jarres hermétiquement closes pour éviter les oxydations. L'écoulement du latex a lieu pendant, à peu près, deux mois de l'année. Tel qu'il est recueilli, le produit peut être livré

au commerce.

Pour le rendre propre au vernissage, il subit diverses préparations; il est ordinairement mélangé avec de l'huile de bois (Oléo-résine du Dipterocarpus alatus, partie claire) dans la proportion de 1/3 contre 2/3 de laque.

Le mélange, exposé d'abord au soleil afin de lui donner une certaine fluidité, est ensuite passé au tamis pour le débarasser des matières étrangères ou de quelques grumeaux qui auraient pu se former.

Ainsi préparé le Méréak constitue un vernis très brillant.

Les Chinois établis en Cochinchine mélangent cette laque avec de l'huile d'abrasin (Aleurites cordata) de provenance chinoise (ou du Tonkin); c'est-àdire qu'ils suivent en cela les mêmes pratiques que celles que nous avons vues au Tonkin pour la laque du Rhus succedanea.

On distingue au Cambodge trois qualités de laques provenant du Melanorrhea laccifera; elles se différencient par leur netteté et il faut être très connaisseur en la matière, comme pour la laque du Tonkin d'ailleurs, pour en distinguer de visu les qualités; cependant on attribue les différences de qualité à l'âge des arbres producteurs et le latex des vieux arbres parait être le plus recherché.

Prix. La laque se vend ordinairement en cruche de 3 néals 1/2 (le néal correspond au can annamite et à la cattie chinoise (ok 600 grammes). Le produit pur se vend à Kompeng Speu 1 piastre 30 (La piastre 2 fr. 40) la cruche soit 3 fr. 12 les 2k 100 grammes.

=

Mélangé en partie à l'huile de bois Chorr Tuk provenant du Dipterocarpus alatus, la cruche ne vaut plus que 2 fr. 40.

produit devait donner lieu à des exportions sur la métropole, nous pensons qu'il serait utile de le faire voyager en bonbonnes de verre noir afin d'éviter l'oxydation et enfin de faire le plein du goulot avec l'oléo-résine du Dipterocarpus alatus.

CH. CREVOST,

Conservateur du Musée Agricole, Industriel et Commercial.

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