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lumières et des progrès de notre temps, e nforme aux lois de la science moderne et d'une saine démocratie! Le patriotisme nous fait désirer à tous le rétablissement de nos finances au niveau de nos besoins. Si nous pouvons différer sur quelques moyens, le but poursuivi par le gouvernement mérite assurément toutes nos sympathies!

M. Clément Juglar n'est pas opposé à l'impôt sur le revenu; mais il croit devoir faire la réserve que la science économique indique.

L'impôt doit frapper toutes les formes de la richesse : le capital, le revenu et les salaires. Il s'agit de déterminer là où il nuira le moins à l'épargne et à la formation du capital.

Parmi les peuples qui nous entourent, nous savons que la richesse publique dépend entièrement de la meilleure répartition du capital; les revenus et les salaires sont en proportion de la quantité toujours disponible: or, l'impôt sur le revenu n'est-il pas indirectement un impôt sur le capital? et sur le capital saisi au moment le plus critique de son existence, au moment où il se forme! Convaincu de son importance comme instrument de la production, et diminuer la force de cet outil indispensable, n'est-ce pas affaiblir le développement de la richesse dans la même proportion?

Les économistes comprennent tout ce qu'il y a de délicat à mettre un impôt sur le capital; aussi, dans tous les pays civilisés qui se distinguent surtout, à ce point, de ceux qui le sont moins, ce sont les taxes indirectes qui fournissent la plus grosse part du budget des recettes.

D'où vient le capital? de l'épargne sur les revenus et sur les salaires; dans quelle proportion? Sans pouvoir le préciser ici, on sait que c'est l'épargne sur les revenus qui fournit la plus grosse part. On peut puiser à cette source pour l'impôt, mais tout ce qu'on prend sous cette forme diminue directement, il ne faut pas l'oublier, l'efficacité de notre travail.

Quant à l'impôt indirect qui frappe sur les consommations et auquel l'ouvrier prend part par son salaire, sans nier tout ce qu'il y a d'inégalité dans sa répartition, il suffit de jeter un coup d'œil sur les salaires eux-mêmes pour se convaincre qu'ils sont très-différents dans les grandes et dans les petites villes, ainsi que dans les campagnes. Dans de très-étroites limites, ils paraissent proportionnés aux dépenses auxquelles il faut faire face.

L'élévation des taxes, l'inégalité de leur répartition pour certains produits, ne paraissent pas avoir une grande influence sur l'accroissement des consommations, si nous en jugeons par ce qui se passe

à Paris pour les boissons, le vin en particulier, quand nous constatons que la consommation du vin par tête de 1840 à 1867 a augmenté de 92 à 192 litres (soit de 100 litres par tête), tandis qu'un objet de première nécessité, la viande, n'a augmenté que de 50 à 67 kilog., soit de 16 kilog. seulement par tête, quoique la taxe soit beaucoup plus légère.

La hausse des salaires à Paris explique donc la vente toujours de plus en plus considérable des produits les plus taxés, pourvu qu'ils plaisent aux consommateurs. Voilà l'emploi de l'excédant des salaires dont une partie aurait dû être épargnée.

En résumé, sans repousser l'impôt sur le revenu comme une cause de discorde, M. Clément Juglar se demande si ce n'est pas par une voie détournée atteindre le capital. Il faut puiser l'impôt à toutes les sources de la richesse, mais dans l'application gardonsnous bien de tarir la principale ou de diminuer la fécondité qu'elle répand autour d'elle.

M. Henri Fould, négociant, fait remarquer qu'on entend toujours citer dans ces questions le régime douanier des États-Unis. En effet, l'exemple d'un pays qui a contracté des emprunts si immenses, qui en paie les intérêts, les amortit régulièrement, et dont les particuliers achètent chaque année au pair des quantités considérables de titres qu'ils avaient laissé souscrire primitivement à une perte colossale par des étrangers, est fait pour séduire un peuple qui se trouve dans une situation financière semblable. C'est toujours des États-Unis dont parle M. le ministre des finances; c'est toujours sur ce régime douanier que s'appuient les partisans de la protection.

Mais il ne faut pas oublier que ces impôts indirects n'ont pas empêché cette nation d'établir des impôts directs tout aussi élevés, et qu'après tout ce sont les Européens qui par leurs achats indispensables pour eux de coton, de tabac, de blé, de pétrole, de bois, etc., paient réellement les droits que supporte la marchandise fabriquée.

M. Fould est de ceux qui croient que la situation géographique de la France, son génie industriel, son esprit d'invention, ses aptitudes particulières, lui permettraient, à bien plus juste titre que l'Angleterre, d'être l'entrepôt du monde; il est convaincu que la liberté commerciale largement appliquée augmenterait considérablement la richesse de notre pays, et que c'est seulement dans cette voie qu'il trouvera les moyens nécessaires pour acquitter la dette effrayante qu'il a dù contracter. Il ne désire pas toutefois se placer à ce point de vue, mais examiner seulement si le système douanier,

tel qu'il est proposé par le ministre des finances, est applicable et s'il est possible que son budget se balance par les nouveaux impôts qu'il propose et que je veux supposer admis tous par l'assemblée.

La première chose qui frappe tout négociant en regardant ces chiffres, c'est de voir que M. le ministre prétend pouvoir compter sur la même importance de transactions que précédemment. Comment, la France vient de traverser la plus épouvantable crise de toute son histoire, rien ne lui a été épargné: l'invasion, la guerre civile l'ont dévastée, et malgré tous ces maux on prétend que la consommation doit être la même, que l'exportation, qui vit sur le crédit, sur les moyens de fabrication, sur la confiance, ne doit pas diminuer. Tout homme sage n'hésiterait pas à prévoir, même sans un changement de système, une forte diminution sur les transactions du pays; mais c'est au moment où la fortune publique a diminué, où on oblige tous les manufacturiers d'augmenter considérablement leurs prix, quand évidemment la consommation doit diminuer pour ces deux motifs, que l'exportation risque de se voir réduite aux marchandises de luxe et à quelques articles spéciaux, que l'on vient nous présenter un budget qui prend comme base les chiffres d'années de prospérité stimulée par la concurrence, c'est-àdire par un semblant de liberté commerciale. Chacun comprendra qu'il est impossible d'admettre cette base, si on ne veut rencontrer les plus grandes déceptions.

Il serait impossible en si peu de temps d'examiner en détail tous les impôts qui sont proposés, mais les deux exemples suivants suffiront pour démontrer que le projet de M. Pouyer-Quertier est une œuvre bâtive, non suffisamment étudiée et impraticable.

Notre ami M. Hennessy, de Cognac, ici présent, pourrait vous dire que la différence du droit qui serait établi sur l'alcool, et celui sur la bouteille d'eau-de-vie, que l'on a cru pouvoir assimiler au vin de Champagne à raison de 20 cent. par bouteille, est telle que si sa maison établit une succursale hors de France, où elle expédiera son cognac pour le faire mettre en bouteille, elle réalisera une économie de près de 800,000 francs. Or il est fort douteux qu'un négociant hésite à réaliser une pareille économie pour ne pas troubler l'équilibre du budget, et j'imagine que le produit de l'impôt, estimé d'après l'ancienne exportation des caisses de cognac, risque fort de présenter un grand déficit, si même il ne disparaît pas complétement.

Dans un autre ordre d'idées, les calculs sur les résultats du nouvel impôt sur les assurances est complétement faux. En calculant le droit proposé sur l'année où ces affaires ont eu le plus grand déve

leppement on arrive à un total maximum de 9 millions au lieu de 15 millions indiqués au budget.

Il est maintenant un autre point délicat qu'il est important d'indiquer. Avec des droits élevés sur des matières comme de la soie, il est impossible d'éviter la contrebande. Quand un ouvrier peut apporter sur lui chaque jour en entrant une centaine de francs de droits, vous n'empêcherez pas ce trafic de se faire. . Dans toutes nos villes de frontière, beaucoup d'ouvriers de la nationalité voisine viennent travailler chaque jour et retournent le soir chez eux. Ils formeront un des mille moyens qui seront employés.

Si le commerce de la soie est imposé fortement, il faut lui supprimer sa liberté, il faudrait constituer une régie comme pour le tabac, c'est-à-dire empêcher la liberté de la vente, seul moyen de protéger les droits contre les contrebandiers en donnant à ceux-ci la difficulté d'écouler.

Et dans l'industrie, quand la contrebande existe, elle se fait pour les plus grandes fabriques, comme pour les plus petites, car les plus importants établissements sont en fort peu de temps ruinés et obligés de fermer, s'ils ont une concurrence qui, par des moyens quelconques, a la matière première à un prix inférieur à celui qu'ils la payent.

M. H. Fould parle ensuite du système des drawbacks. « Étant, dit-il, à la tête d'une affaire d'exportation, il pourrait sembler que j'ai un grand intérêt à voir ce système établi, mais j'avoue que je le trouve dangereux pour l'économie financière d'un pays, peu praticable, et ne donnant même pas les avantages qu'il semble as

surer. »

Dans la fabrication d'une étoffe de soie (le raisonnement pourrait s'appliquer aussi bien à la laine, au coton, etc.) on peut la charger à volonté, c'est-à-dire que certains tissus ne contiennent que 35 0/0 de soie et 65 0/0 de charge, c'est-à-dire de noir, produits chimiques, gomme, etc. Pour restituer les droits, l'administration des douanes serait obligée de lever un échantillon sur chaque pièce et de l'analyser, travail impossible! Le fabricant peut même faire un tissu chargé, mettre de la soie pure à chaque bout de sa pièce et du tissu chargé au milieu, il faudrait donc tout déplier et vérifier attentivement ou risquer par ces systèmes de fabrication ajoutés à la contrebande, de faire restituer par l'État à la sortie beaucoup plus de droits qu'il n'en aurait perçu à l'entrée. Notons aussi quelle lenteur toutes ces opérations diverses avec des administrations aussi ridiculement compliquées que les nôtres apportent dans les affaires, de tracassories inévitables, que de perte de temps!

que

On sait que toutes les grandes commandes pour l'exportation se

traitent sur échantillons. Nous rencontrons principalement en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Belgique, une concurrence redoutable sur laquelle nous emportons quelquefois la victoire, et c'était chaque année davantage, grâce au système libéral, mais c'est souvent à prix égal ou à 1 ou 2 0/0 de différence. Comment veut-on que le fabricant, qui sait que son drawback sera discuté, débattu, amoindri si possible, accepte ce risque sans se réserver une latitude de 2 à 3 0/0 qui lui feront presque toujours manquer des opérations importantes.

M. le ministre des finances, dit M. Fould, en finissant, s'est montré enthousiasmé, comme tous les Français l'ont été à juste titre, du succès inouï du plus colossal emprunt qui s'était jamais présenté au public; il s'en est même montré un peu surpris et a prouvé qu'il ne se figurait pas les ressources du pays aussi considérables. Il me semble impossible qu'il n'ait pas songé en ce moment que c'était à ce système libéral, à ce commencement de liberté commerciale que notre pays devait ces richesses! Quant à moi, je suis convaincu qu'un seul grand impôt, celui du revenu, peut être établi sans trop peser sur le pays, sans ruiner son industrie et son commerce, dont l'essor ne doit pas être arrêté. C'est aussi le seul moyen pratique de faire un grand acte de justice, celui de faire payer la plus grande partie. de nos désastres par ceux qui en ont le moins souffert !

M. C. Lavollée, ancien préfet, croit que l'opinion de la Société des Économistes n'est point douteuse sur l'effet des taxes douanières qui sont projetées. Ces taxes ne sont demandées que comme étant le moyen le plus facile de procurer immédiatement des recettes au Trésor. La question est donc, avant tout, financière. Il y aurait, dès lors, plus d'intérêt à examiner ce que l'on pourrait retirer des taxes directes, notamment de l'impôt sur le revenu, qui existe en Angleterre et dans d'autres pays. Les économistes et les financiers ne sont pas d'accord sur ce point, dont l'examen est opportun à la veille de la discussion qui doit s'engager à l'Assemblée nationale.

BIBLIOGRAPHIE

L'INDUSTRIE COTONNIÈRE AUX ETATS-UNIS, par M. ALFRED ENGEL; Mulhouse, 1870. Extrait des Bulletins de la Société industrielle de Mulhouse.

De cette Alsace, à laquelle il semble que songeait Schiller, lorsque frappé du puissant organisme de l'unité française il s'écria: «On arra

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