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Vivre en soi, ce n'est rien ; il faut vivre en autrui.
;

A qui puis-je être utile, agréable aujourd'hui ?
Voilà, chaque matin, ce qu'il faudrait se dire;
Et le soir, quand des cieux la clarté se retire,
Heureux à qui son cœur tout bas a répondu :
Ce jour, qui va finir, je ne l'ai pas perdu ;
Grâce à mes soins, j'ai vu, sur une face humaine,
La trace d'un plaisir ou l'oubli d'une peine.

Que la société pcrterait de doux fruits,

Si par de tels pensers nous étions tous conduits!

Sénèque a eu raison de diré : Discenda virtus est; ars est bonum fieri. Erras si existimas vitia nobiscum nasci: supervenerunt, ingesta sunt (il aut apprendre la vertu ; il est un art de produire le bien. Tu te trompes si tu penses que nos vices sont nés avec nous: ils nous sont survenus, on nous en a remplis).

Il en est un peu, aux yeux de M. Virgilio, de l'éducation et de la morale qui doit en être le fruit, comme de ces phénomènes dont parle Lucrèce :

Sunt aliquot quoque res, quarum unam dicere causam

Non satis est, verùm pluris, undè una tamen fit..., etc.

<< Il est d'autres phénomènes, dit le grand poëte de la nature, à l'explication desquels une cause unique ne suffit pas : il leur en faut plusieurs, quoique entre toutes il n'y en ait qu'une de véritable. Si tu aperçois de loin le cadavre d'un homme étendu sans vie, il est bon que tu énumères toutes les causes possibles de mort, afin de nommer l'unique cause de la sienne. A-t-il succombé au fer, au froid, à la maladie, au poison? Tu ne peux le décider au juste; mais tu sais bien qu'il a dû être victime de quelque fléau de ce genre. »

Quoi qu'il en soit, on peut dire que le mémoire de M. Jacopo Virgilio est l'œuvre d'un homme de bonne volonté qui, sur ce mot de morale économique, a le secret de parler de toutes choses, et même de prêcher l'économie proprement dite (dans le sens étroit du mot) aux classes populaires. et il a raison de rappeler à la classe indigente de la société les ressources et les bienfaits de cette sorte d'économie qui va d'ailleurs si bien avec la dignité de l'homme. Aussi préconise-t-il fort les caisses d'épargne, et, encore une fois, avec raison. L'épargne est la deuxième providence du genre humain ; la nature se perpétue par des reproductions; elle se détruit par des jouissances; il faut faire en sorte que la substance du pauvre ne se consume pas tout entière; obtenir de lui, non par des lois, mais par la toute-puissance de la raison, qu'il dérobe une petite portion de son travail pour la confier à la reproduction du temps. Il faut que le travail de l'homme, dans sa vigueur, puisse le nourrir dans sa vieillesse. Ce n'est pas dans l'inégalité des fortunes qu'il faut chercher la cause du

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malheur des individus: elle est tout entière dans l'imprévoyance de Pavenir, dans la corruption des mœurs, et surtout dans cette consommation continuelle sans remplacement qui provient de l'ignorance des vrais principes de la production des richesses. M. Virgilio s'élève avec une remarquable vivacité contre tous vices qui contribuent au malheur des classes populaires, et particulièrement contre l'ivrognerie, ce fléau des mœurs et des lois, ce vice ignoble et abrutissant qui ravale l'homme au-dessous de la bête.

M. J. Virgilio nous sembl cependant préconiser trop vaguement son système lorsqu'il dit:

« De tout ceci, il résulte que le sort des nations et leur plus grand degré de prospérité dépendent principalement de la connaissance plus ou moins grande qu'ont les individus qui les composent des vérités de la morale économique; elles sont d'autant plus heureuses que plus grand est chez elles le nombre des hommes doués de caractères vigoureux et élevés qui sachent mettre un frein aux volontés vulgaires et malfaisantes de la foule, etc. >>

Il y a beaucoup de ces considérations plus politiques qu'économiques dans le travail de M. J. Virgilio, tant l'économie politique lui paraît être la science générale des choses humaines. Son mémoire est d'ailleurs d'un style élégant et d'une facile lecture, mais qui accuse la jeunesse de l'auteur. Nous n'avons pas l'honneur de connaître personnellement M. J. Virgilio, mais nous serions fort surpris s'il était arrivé même au milieu du chemin de notre vie :

Nel mezzo del camin di nostra vita.

Tout son livre est écrit, pour ainsi dire, d'abondance de cœur; l'importance qu'il attache à certaines questions semble prouver qu'il en est en quelque sorte frais émoulu; n'importe on aime à voir, dans ces 125 pages, combien l'auteur a à cœur le bonheur général de l'humanité devant naître des progrès même de l'économie politique. « Nous ne sortons de l'état de faiblesse et de dépendance où la nature nous a mis, a dit un de nos maîtres (Charles Dunoyer), que par nos conquêtes sur les choses et par nos victoires sur nous-mêmes; nous ne devenons libres qu'en devenant industrieux et moraux. » La thèse si chaleureusement soutenue par M. Virgilio revient un peu à cela, et c'est cela, au fond, que M. Virgilio appelle du nouveau mot qu'il préconise : « la morale économique. »> C. ROMEY.

LE DEVOIR DEVANT LA PATRIE NAUFRAGÉE. Ce que doit être la révolution politique et économique, par M. JOSEPH PIOCHE. Paris, Librairie internationale, 1871.

Monsieur, ne pensez-vous pas que « des assurances générales, — gratuites contre la perte des capitaux confiés aux entreprises et travaux

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d'intérêt général, contre le chômage, les maladies, les infirmités et la vieillesse, pour tous les citoyens qui se seront approvisionnés à des magasins généraux, les indemnités ayant pour base la quotité des achats faits par les consommateurs ; que ces assurances généralisées feraient disparaître tous les risques de perte ou d'amoindrissement du capital épargné... »? Monsieur, fis-je en interrompant doucement mon interlocuteur, je ne veux pas vous prendre en traître, mais j'appartiens à la secte impopulaire des économistes et je crois que vous êtes socialiste; nous procédons, par suite, de deux principes si opposés que nous ne pourrions vraiment nous entendre. Mais nous pouvons cependant discuter un peu, ne fût-ce que pour passer le temps. Je ne le crois pas. -Et cependant nous discutâmes, sans nous convaincre bien entendu, avec une grande modération de part et d'autre, d'ailleurs, grâce à la parfaite urbanité de mon compagnon de route et au découragement profond où me plongeait cette lutte navrante d'une coalition formidable du socialisme et du jacobinisme contre la civilisation, dont, après deux longs mois, s'est produit l'épouvantable dénouement.

Ce dialogue avait lieu, le 8 mai (jour où je me décidai, sous la pression d'obligations professionnelles, à opérer mon exode de Paris à Versailles), sur le haut de l'omnibus de Saint-Denis qui, les limites de l'occupation prussienne au centre d'action de la vaillante armée du gouvernement national, cheminait à travers les vestiges de l'invasion étrangère et les signes de la guerre civile. En me quittant, mon interlocuteur me remit, comme souvenir de lui, la brochure dont je voudrais dire quelques mots et qui porte, au commencement et à la fin, cette mention : « Tous les bénéfices de la vente sont destinés à fonder des magasins coopératifs au profit des classes laborieuses. Je ne suis pas de ceux qui croient à la panacée de la coopération, ce qui ne m'a point empêché de contribuer de mes deniers à une expérimentation coopérative, dont l'insuccès n'a pas tardé à confirmer mes prévisions. Cela ne devait pas m'empêcher de lire la brochure consacrée, par un honnête concitoyen, à la solution des difficultés avec lesquelles nous sommes aux prises. C'est ce que je fis, une fois installé dans le campement provisoire qu'un de nos compatriotes, qui n'était pas marchand de logement mais qui se connaissait en appartements meublés, me prêta fort obligeamment pour beaucoup d'argent.

Comme l'indique le sous-titre de l'opuscule, l'auteur envisage les deux points de vue politique et économique, qui seront, en effet, distincts jusqu'au jour, encore bien éloigné, où les Français seront assez instruits pour comprendre toute l'inanité dangereuse de la politique et la réalilé féconde de l'économie sociale. A ces deux points de vue, M. J. Pioche ne reconnaît qu'une seule règle la justice,» tout en disant auparavant que « la politique vraie n'a qu'un but l'intérêt des peuples, » ce que

:

donnerait plutôt le pas à l'utilité. « Mais, qu'est-ce que la justice?

C'est

la règle morale qui conduit le fort à protéger le faible et à lui rendre le mandat social plus facile; c'est cette règle qui nous entraîne à faire le bien et nous guide vers tout ce qui est beau dans la société et dans l'humanité. »>

En conséquence, pour n'indiquer que le côté économique de la réforme politique (1) proposée par l'auteur, le mécanisme administratif des inté rêts du pays ne comporterait qu'un ministère unique (AGRICULTURE), confié au chef du pouvoir exécutif et dont dépendrait un certain nombre de directions, parmi lesquelles celle « des finances et des assurances générales. » Indépendamment de cette « simplification constitutionnelle et administrative,» il y aurait « dégrèvement de tous impôts qui pèsent, sans utilité, sur l'Agriculture, l'Industrie, le Travail et le Capital » et disparition des « entraves de toute nature qui nuisent à leur action bienfaisante. »

-((

Au chapitre des « réformes économiques, » qui doivent pouvoir «largement émanciper, protéger et encourager l'agriculture et l'industrie, » se trouvent les moyens :· 1° Abolition de tous les impôts directs et indirects en vigueur. - 2o Réduction des frais et charges de l'Etat aux services publics dont l'utilité est prouvée. 3o Les frais et charges de l'Etat et des communes sont prélevés sur les bénéfices du commerce. A cet effet, des magasins généraux sont créés pour la vente, en gros et en détail, des produits français et étrangers. Nul producteur ou fabricant ne peut vendre ses produits que par les soins de ces établissements. — Par ce mode de perception, l'impôt est unique; son assiette est équitable. 4° Assurances générales (celles dont je parlais en commençant . 50 Organisation d'un large crédit aux communes, aux associations coopératives agricoles et industrielles. -6° Instruction primaire, professionnelle, scientifique et sociale, gratuite et obligatoire, pour les deux sexes, jusqu'à 20 ans révolus. Par les moyens économiques qui précè dent, nous nous sommes attachés à faire disparaitre surtout les conséquences iniques du privilége commercial. »

Si des amis du peuple, dont la sincérité ne peut pas être mise en

(1) Les emplois de la hiérarchie administrative donnés au concours, ce qui est mon idée fixe : tous les citoyens soldats de 21 ans à 50 et, par suite, la suppression fondamentale de la garde nationale; le vote direct, obstacle matériel aux bonnes conditions de l'élection, tout le monde le reconnaît,» remplacé par l'élection à deux degrés et, par suite, la modification du suffrage universel; tels sont des points principaux qui me rapprochent de M. J. Pioche, en politique, autant que je m'en éloigne en économie sociale,

doute et qui savent penser et tenir une plume, formulent des projets aussi complétement en désaccord avec les enseignements les plus élémentaires de la théorie et de la pratique, que voulez-vous attendre du peuple lui-même, illettré comme vous le voyez? Aucun résultat ne sera obtenu avant que l'ignorance générale soit terrassée, avant que l'économie politique soit vulgarisée. La tâche écœurante des Économistes paraît donc fort simple, c'est celle de Sisyphe!

E. LAME FLEURY.

CHRONIQUE ÉCONOMIQUE

SOMMAIRE. La nouvelle loi sur les conseils généraux. — Discussion sur les impôts nouveaux : à l'Assemblée nationale, à la Réunion des députés partisans de la liberté commerciale, à la Société d'économie politique et dans le présent numéro. - Situation financière de Paris; rapport du Préfet de la Seine; proposition d'un emprunt de 350 millions. Les indemnités pour les faits de guerre. Paiement du troisième demi-milliard aux Prussiens; expédients de ceux-ci pour retarder les évacuations convenues. Enquête et statistique de l'insurrection du 18 mars, les conseils de guerre, les livres, le rapport du maréchal Mac-Mahon. Sur qui pèse la responsabilité de ces horribles faits. — M. de Rémusat succède à M. Jules Favre. Le système métrique devant la Chambre des Communes.

L'Assemblée nationale, après une longue et laborieuse discussion, vient d'adopter, dans la séance du 10 courant, la nouvelle loi sur les conseils généraux. Cette loi, qui inaugure la réforme administrative, question à laquelle le premier article de ce numéro est consacré, est un grand progrès dans les institutions de la France, malgré les inévitables imperfections qu'elle renferme et qui seront corrigées peu à peu par l'expérience. Votée à une grande majorité, de 509 voix contre 126, elle va entrer en application avec une grande autorité.

La division des votes nous montre que, sans le vouloir peut-être, plusieurs adversaires des nouvelles institutions ont voté une loi forcément républicaine, et réciproquement que plusieurs partisans déterminés de la république ne se rendent pas un compte bien exact des conditions de la liberté en matière administrative.

Il y a tout lieu d'espérer que la pratique de la nouvelle organisation era une école salutaire pour les autoritaires de toutes les couleurs,

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