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pour frapper équitablement à cette porte, par un appel direct fait au revenu ? C'est en ce sens que s'est particulièrement prononcé, depuis déjà longtemps, l'honorable M. Hippolyte Passy, ancien ministre des finances, qui formulait encore naguère cette opinion au sein de la Société d'économie politique. Cette façon de chercher à rétablir un équilibre budgétaire si profondément troublé serait bien autrement féconde en bons résultats que la peine inutile qu'on se donne pour demander à des consommations, en train de diminuer, de nouveaux vingtièmes.

Si l'on entrait enfin résolument dans cette voie, au lieu de formuler cette excuse, si peu de mise dans une assemblée souveraine, que le temps manque pour arrêter un système d'impôts et se reconnaître un peu, non-seulement le travail, revenu à lui-même, reprenant courage, rendrait au centuple de ce qu'on lui laisserait, mais beaucoup plus vite qu'en recourant à l'impôt de consommation, l'on verrait avancer la liquidation plus que difficile dont chacun se préoccupe à bon droit.

C'est surtout en France, on l'oublie trop, pays qui s'est si promptement relevé d'anciens désastres, parce qu'il est plus que d'autres sans doute doué d'un puissant ressort, comme le prouve cette affluence d'hommes industrieux de tout état, d'ouvriers arrivant de tous les coins du monde, c'est de ce pays qu'on peut surtout dire que plus le travail est encouragé, plus chacun y gagne, s'en ressent. Aussi, est-ce le cas de répéter, comme il y a quelque vingt ans, qu'ici « le peuple est plus riche de ce qu'on lui LAISSE que de ce qu'on prétend lui RENDRE par l'impôt (1). »

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PAUL COQ.

DE L'IMPOT

SUR LES ALLUMETTES

CHIMIQUES

S'il est un principe bien constaté en économie politique, c'est que, pour qu'un impôt indirect donne à l'État un revenu sérieux, il faut qu'il n'augmente le prix de revient de l'objet imposé que d'une

(1) LE SOL ET LA HAUTE BANQUE ou les intérêts de la classe moyenne; par Paul Coq; Paris Guillaumin, 1859. 1 vol in-32.

manière légère, sans quoi la consommation diminue dans des proportions considérables, le fisc est frustré dans ses espérances, l'industrie frappée subit des perturbations ruineuses, et la masse des consommateurs éprouve des privations gênantes, sans profit pour personne. Financièrement et économiquement parlant, toute taxe de consommation exagérée constitue une ineptie désastreuse dont les conséquences amènent un amoindrissement dans la fortune publique.

Les contre-coups en sent faciles à déterminer : on se prive autant que l'on peut de l'obj t trop renchéri; on cherche des similaires, des équivalents; on s'ingénie à fuir la taxe, et on y parvient toujours, au moins en partie. Par suite, la consommation diminue du quart, du tiers, de la moitié, de beaucoup plus quelquefois, quand la taxe est relativement énorme. L'industrie, installée pour satisfaire à une consommation auparavant plus grande, se trouve bientôt hors d'état de faire face à ses frais généraux : elle subit une crise redoutable. Un grand nombre d'établissements tombent : c'est la faillite pour les chefs d'industrie et la misère pour leurs ouvriers. De plus, l'État, qui comptait sur une perception calculée sur la consommation antérieure, est trompé dans ses calculs. Il n'entre au Trésor que la moitié, le tiers, le quart des sommes espérées, et les embarras financiers augmentent. Ils se compliquent, ils s'accroissent encore des suites indirectes, des désastres qui frappent l'industrie surtaxée. L'industriel en faillite, en effet, ne peut plus payer sa patente ni es autres impôts; sa consommation, réduite à l'indispensable, donne peu de prise aux contributions indirectes de toutes natures, et il en est de même pour des milliers d'ouvriers qui sont jetés dans la misère. La taxe, mal assise, mal calculée, devient ainsi pour le Trésor public une cause directe et indirecte de déficits qu'il faut combler au moyen d'expédients qui sont touours eux-mêmes de nouvelles sources de préjudices.

Si, au contraire, la taxe est légère, la surélévation du prix de revient est minime. Le consommateur la paye sans trop s'en apercevoir; la consommation ne diminue pas. Conséquemment la production en est peu affectée; elle éprouve tout au plus un temps d'arrêt de courte durée. Les industriels et leurs ouvriers n'ont point de crise sérieuse à supporter; le fisc perçoit les revenus espérés et n'éprouve aucun mécompte dans ses recettes. Tout marche régulièrement et sans trop de souffrances.

Avant de frapper un produit d'une taxe quelconque, il importe donc de se bien rendre co revient, afin de déter

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toute erreur sur ce point entraînera infailliblement la ruine de l'industrie atteinte, au grand détriment du Trésor lui-même. On aura tué la poule aux œufs d'or; on aura pris une mesure maladroite et désastreuse. Or, s'est-on bien pénétré de ces principes si simples que la science nous donne, et qu'à son défaut le bon sens tout seul indiquerait, en fixant la taxe projetée sur cet humble produit des allumettes chimiques. Voyons.

Une grosse d'allumettes chimiques qui se compose de 144 boîtes contenant 20,000 allumettes se vend au prix maximum de 4 francs, en fabrique. On propose de la taxer à 10 fr., c'est 50 centimes par 1,000 allumettes, 5 cent. par 100. A cela, il faut ajouter les effets des impôts nouveaux qui porteront sur le fil, le papier, le phosphore; les frais de banques et les risques qui seront considérablement augmentés par le surenchérissement énorme du produit, et ceux nécessités par le travail de l'apposition des timbres. Les fabricants n'estiment pas à moins de 18 francs le prix futur de revient en fabrique des 144 boîtes d'allumettes qui se vendent aujourd'hui à 4 francs. Le prix actuel serait donc plus que quadruplé par l'impôt. Comme les bénéfices des divers intermédiaires doivent, par la force même des choses, se proportionner aux avances et aux risques; qu'un produit encombrant, s'avariant facilement, d'une manipulation dangereuse, doit nécessairement donner au détaillant qui le met à la disposition du public des profits relativement élevés, on peut dire que la boîte d'allumettes qui se vend aujourd'hui 5 cent. se vendra après l'impôt établi au moins 25 cent.

Ainsi, pour le consommateur, l'impôt projeté équivaut à une surélévation de prix du quadruple? Est-ce raisonnable? N'est-il pas évident, même pour les moins clairvoyants, qu'une pareille augmentation de prix amènera une diminution énorme dans la consommation?

Aujourd'hui l'allumette chimique est à si bas prix qu'elle a chassé tous ses concurrents. L'ancienne allumette soufrée qu'on allumait au foyer a disparu. Soyez sûr qu'elle reparaîtra t qu'elle reprendra dans la consommation la place considérable qu' lle y tenait. Nous retournerons, sous ce rapport, en arrière. Combien exclura-t-elle d'allumettes chimiques? Toutes les personnes d'un certain âge se rappellent l'ancienne allumette de papier que les fumeurs allumaient dans les cafés à une lampe ou à un bec de gaz. Elle reviendra certainement si l'allumette chimique est portée à un si haut prix. Enfin on ménagera ses allumettes parce qu'elles coûteront cher. Au lieu de les dépenser à profusion, sans compter, on les économisera. La diminution dans la consommation sera énorme. Si la taxe projetée se réalise, je ne serais pas étonné qu'elle fût des 4/5, peut-être sera-t

elle plus grande encore, car on prendra d'autres habitudes. Mais je suppose qu'elle ne fût que d'un tiers: ce serait plus que suffisant pour amener la ruine de l'industrie. Il faudra, en effet, qu'un tiers des fabriques aujourd'hui existantes disparaissent. Mais quelles seront celles qui seront condamnées à périr? Une lutte désespérée s'engagera nécessairement entre elles. La concurrence fera raison des plus faibles; mais dans cette bataille industrielle, les vainqueurs seront-ils beaucoup mieux traités que les vaincus? Il est clair qu'ils ne sortiront eux-mêmes de la lutte que meurtris et à peu près ruinés.

Et le matériel, quelle dépréciation ne subira-t-il pas, quand un tiers forcément de celui qui existe aujourd'hui devra rester absolument inemployé? Il est hors de doute que la valeur vénale des usines est destinée à tomber presqu'à zéro. Or, on n'estime pas à moins de 30 à 40 millions les capitaux fixes qui sont, à l'heure qu'il est, engagés dans la modeste industrie des allumettes chimiques. Mais, suivant toutes les vraisemblances, ce n'est pas d'un tiers seulement que la consommation diminuera, mais de trois quarts au moins. Alors, quel revenu l'impôt donnera-t-il, malgré l'exagération de la taxe? Trois ou quatre millions. Et c'est pour un si mince résultat qu'on aura détruit une industrie modeste mais prospère, diminué la fortune publique des profits qu'elle donne, presque anéanti 20 à 25 millions de capitaux fixes! A-t-on bien réfléchi? Ce projet a-t-il été suffisamment mûri? A-t-on su en prévoir les conséquences?

Mais d'où viennent les défectuosités? De ce qu'on ne s'est pas réndu un compte exact de la véritable situation de l'industrie qu'on veut imposer, et du prix de revient du produit à taxer. L'industrie est modeste, il fallait proportionner à sa faiblesse la charge qu'on veut lui faire supporter. Le produit est de peu de valeur, il fallait ne le frapper que d'une taxe légère en rapport avec son prix de revient. On s'expli que difficilement l'étourderie, la légèreté avec laquelle on a procéd. Ainsi, les auteurs du projet estiment à 18 milliards la quantité des allumettes chimiques qui se consomment en France; les fabricants assurent qu'il s'en consomme pour 120 milliards! Comprend-on de pareils écarts? Et c'est sur ces calculs si justes qu'on arrive à quintupler la valeur de vente du produit, dans l'espérance d'obtenir 9 à 10 millions!

Il est bien vrai que si on s'obstine à marcher dans cette vole funeste, la consommation tombera à 18 milliards, et même au-dessous. Mais quel intérêt aurait-on à en arriver là? Est-ce que le public y gagnerait? Est-ce que la fortune publique s'en trouverait bien? Quelle utilité voit-on à détruire d'un seul coup 20 à 25 millions de capital fixe? à ruiner deux ou trois cents industriels, à

enlever le travail à 20 ou 25 mille ouvriers, qui la plupart ont des familles? Est-ce ainsi que nous réparons nos désastres?

Prenez donc l'industrie telle qu'elle est, et taxez ses produits si légèrement que le prix de revient n'en soit que peu sensiblement augmenté. Alors vous aurez fait une œuvre utile. Les consommateurs supporteront l'impôt sans se plaindre et même sans trop s'en apercevoir; l'industrie continuera à vivre; vous n'aurez point détruit de capital, et le trésor public y trouvera son compte.

Or, rien n'est plus facile. Taxez à un centime seulement le cent d'allumettes chimiques, et les 120 milliards qui se consomment en France vous donneront 12 millions. C'est deux millions de plus que vous ne demandez. A ce taux, le produit sera frappé d'un droit de 50 p. cent; car le prix de revient de cent allumettes chimiques est en moyenne de deux centimes. Est-ce que ce n'est pas suffisant? Est-il possible qu'une industrie supporte, sans mourir, une taxe plus élevée ? Le fabricant, alors, fera des boîtes qui, au lieu de 130 à 140 allumettes, n'en contiendront plus que cent; il reprendra ainsi le centime qu'il vous donnera; le consommateur se préoccupera peu de l'amaigrissement de sa boîte, il n'en consommera pas une allumette de moins : tout marchera comme par le passé, et vous aurez douze millions au lieu des dix millions que vous espérez.

Mais, soyez-en sûrs, par la voie que vous avez choisie, vous n'arriverez pas à vos fins; vous tuerez une industrie et vous ajouterez à nos désastres un désastre de plus.

A. CONSTANT.

CENTRALISATION ET DECENTRALISATION

A PROPOS DE LA LOI SUR LES CONSEILS GÉNÉRAUX.

I

La discussion de la loi sur les conseils généraux nous a fait assister à un spectacle étrange. Nous avons vu, à propos de la question de la décentralisation, non-seulement les partis opposés les uns aux autres, mais les membres d'un même parti différant entre eux d'opinion, et il nous a été donné d'entendre le parti républicain combattre la décentralisation que défendait le parti légitimiste, quand

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