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Constantin Copronyme prescrivit la capitation. Les Égyptiens, outre ce tribut, fournissaient à Rome, en vertu du cens, 4 mois de récolte et de blé. « Elle donnait ainsi, en un mois, plus que la Judée en un an (1). » Quand elle devint tributaire, Auguste en tira pour le trésor à peu près ce que César avait tiré de la Gaule tributaire; Strabon porte le chiffre à environ 7 millions d'or (2).

On disait parfois simplement « la tête » pour l'impôt par tête. « Grande joie des parents, dit Flavien, ils n'ont plus à déplorer le nombre de leurs enfants. Tu as supprimé 7,000 têtes, plus du quart de nos impôts. »

Quel impôt monstrueux, digne des Lestrigons!

Pour vivre, il faut payer la valeur de trois têtes. (3)

Il y avait la capitation des hommes et la capitation du bétail. «... Excepté, dit le Code Théodosien, toutes les concessions faites pour la capitation, soit des hommes, soit des animaux. »>

Remplacée, sous Tullius Servius, par le cens, la capitation fut également supprimée par Auguste. La Loi des Douze-Tables mentionne le cens.

Les Juifs, selon saint Mathieu (4), fournissaient par tête 1 didrachme pour le service du temple. Ce qui servit de prétexte à Vespasien pour exiger de chacun d'eux, dit Zonaras, 2 drachmes pour le temple de Jupiter Capitolin à Rome.

La capitation épargnait la population de la ville, mais frappait toute celle hors les murs. L'impôt, dans la campagne, fut d'abord établi sur chaque tête d'homme et sur 2 têtes de femmes; les empereurs l'adoucirent encore, le réduisant à une seule capitation pour 2 et 3 têtes d'hommes, pour 4 têtes de femme. Il se payait en 3 termes. Salvien parle de la capitation des propriétés : « la possession peut cesser, mais la capitation ne cesse pas. » On pouvait donc rester sans biens, mais non pas sans impôts. Si le vendeur accusait moindre une capitation trouvée supérieure, l'acheteur n'en payait pas moins, comme s'il eût su le chiffre réel et connu la fraude. Cette capitation des propriétés s'appelait « jugation, jugération », car, dit Varron, les uns comptent par joug, jugum, les autres par arpens, jugera.

(1) Josèphe.

(2) Liv. xvii.

(3) Lestrigonas nos esse puta, monstrumque tributum,

Hic capita, ut vivam, tu mihi, tolle tria.

(4) Chap. 17.

Les tabulaires se rendaient compte du nombre des jougs; les champs, d'ailleurs, étaient inscrits au cens, avec le chiffre d'arpens de chaque bien-fonds.

Ceux à qui l'empereur faisait remise de l'impôt par tête étaient aussi exempts de l'impôt du cens. Cicéron plaint « la triste condition de ceux qui payent directement l'impôt, celui de la tête et celui du champ; c'est le véritable esclavage.» Tertullien se sert à peu près des mêmes termes : « Rien n'avilit plus les biens et les per

sonnes. >>

Alexandre, dit Lampridius, abaissa tellement les impôts, que ceux qui avaient, sous Héliogabale, payé 10 pièces d'or, ne payaient plus que le tiers d'une pièce. C'est alors aussi qu'on fabriqua, pour la première fois, des demi-as et des tiers d'as, semisses, tremisses; Alexandre avait même promis des quarts d'as, ne pouvant plus.

La suite prochainement.

LES TELEGRAPHES FRANCO-ALGÉRIENS

L'histoire du télégraphe franco-algérien peut, toute proportion gardée, se comparer à celle du câble transatlantique, cette épopée de l'entêtement scientifique.

J'ai parlé ici (1) de cette dernière ligne de télégraphie sous-marine; par la constance dans l'adversité que l'on a su opposer aux échecs, si longtemps répétés, comme par le succès final qui a couronné l'œuvre, la petite ligne méditerranéenne, complétée seulement depuis quelques semaines, mérite également d'être étudiée au point de vue historique.

Les premiers essais de la télégraphie sous-marine furent timides, et lorsque, en 1853, dans les Châtiments, Victor Hugo écrivait :

Paris, Londres, New-York, les continents énormes,
Ont

pour lien un fil qui tremble au fond des mers.
Une force inconnue, empruntée aux éclairs,
Mêle au courant des flots le courant des idées.

(1) Journal des Economistes, t. XV, p. 264, août 1869.

3 SERIE, T. XXIII.

15 septembre 1871.

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les prévisions du poëte précédaient celles des savants les plus hardis; ce ne fut que l'année suivante que les électriciens eurent la première pensée du télégraphe transatlantique. A cette époque, on ne se hasardait encore à poser que de petits câbles aussi, pour relier la France à l'Algérie, pensa-t-on tout d'abord à diviser la ligne par des stations intermédiaires établies dans les îles de la Méditerranée.

1re direction: la Spezzia-Bône. La première concession fut accordée le 10 juin 1853 à une compagnie anglaise qui se chargeait de construire une ligne de la Spezzia à Bône à travers la Corse et la Sardaigne. M. John Watkins Brett était le concessionnaire et l'ingénieur en chef de l'entreprise. Le 21 juillet 1854, le Persian commença la pose. Le bout du conducteur fut attaché au cap SantaCroce, près de la Spezzia, et le vapeur commença le dévidement. Le lendemain, le câble se précipita si rapidement dans une vallée sousmarine, profonde de 700 mètres, dont l'existence était inconnue, que les efforts tentés pour modérer la descente du câble le mirent complétement hors de service; il fallut repêcher, retrancher le tronçon endommagé et faire une soudure, ce qui demanda trente-six heures. On arriva sans autre accident, le 25 juillet, au cap Corse et le câble fut atterri près de la tour d'Aguelto, à 145 kilomètres du point de départ.

L'exécution de la ligne aérienne, sur toute la longueur de la côte orientale de la Corse, présenta de bien autres difficultés. La malaria régnait; les quatre cinquièmes des ouvriers et l'ingénieur qui les dirigeait y succombèrent. La ligne s'acheva pourtant, et le 29 août le Persian la prolongea en immergeant un câble de 15 kilomètres à travers les bouches de Bonifacio. Bientôt le fil aérien atteignit l'extrémité méridionale de la Sardaigne. Il restait à franchir la grande dépression de 250 kilomètres de largeur et de 2000 à 4000 mètres de profondeur qui sépare cette île de la côte africaine.

La première tentative de pose fut faite le 25 septembre 1855 par le vapeur Result; le lendemain le câble se rompit, quand déjà 95 kilomètres étaient immergés. La seconde tentative commença le 7 août 1856. Le câble était porté par le Dutchman. L'extrémité fut fixée à la Croce de Chia, non loin de Cagliari. Après avoir heureusement posé 113 kilomètres de fil, la rapidité de déroulement devenant trop grande, on serra les freins, et la pression écrasa le câble qui cessa dès lors de transmettre les signaux. La pose ayant continué quelques heures encore, il devint nécessaire, pour découvrir et supprimer le défaut, de relever tout ce qui avait été dévidé. Le navire, après être retourné à terre, s'achemina derechef vers le

large en soulevant le conducteur, qui retombait ensuite immédiatement à la mer en arrière du bateau. Mais, à 28 kilomètres de la côte, le câble, retenu par les aspérités du fond, ne put plus être amené à bord, et l'on dut en perdre 85 kilomètres. Le fil emmagasiné à bord fut soudé avec le bout relevé et la pose recommença pour la troisième fois, le 14 avril. L'immersion marcha dès lors avec une régularité parfaite. Malheureusement le bâtiment de guerre français qui pilotait le Dutchman se trompa de route, ainsi que dans l'estimation de la vitesse de marche, et tout le fil se trouva déroulé quand on était encore à 120 kilomètres de l'Afrique. On espérait pouvoir attacher le câble à une bouée et le compléter plus tard, mais le navire pilote s'étant attardé à la recherche de cette bouée, une tempête survint et le câble fut perdu.

Un nouveau conducteur, plus léger, ne contenant que quatre fils au lieu de six, fut construit et la pose recommença pour la quatrième fois le 7 septembre 1857. Cette fois on suivit la route inverse et l'on quitta l'Afrique pour se diriger vers la Sardaigne. L'extrémité du câble, chargé sur l'Elba, étant jointe au cap Garda, près de Bône, le vapeur cingla vers le cap Teulada. Le croira-t-on, le câble, dont la longueur n'était que de 272 kilomètres, se trouva trop court encore! et l'on dut s'arrêter près de la rive; heureusement l'eau y était trop peu profonde pour que le câble pût se perdre cette fois. Un fragment supplémentaire fut fabriqué en Angleterre et la ligne fut complétée le 31 octobre 1857.

Après avoir fonctionné pendant plus de deux ans, le câble cessa de parler au commencement de 1860. Vainement on essaya de le relever l'année suivante, on n'en put retirer que quelques fragments des grandes profondeurs où il gisait.

De nouvelles lignes ayant été construites, les câbles de l'Italie à la Corse et de la Corse à la Sardaigne cessèrent de servir en 1863, et la compagnie anglaise n'ayant pas obtenu, pour rétablir les communications, le délai qu'elle pouvait moralement espérer en faveur des services qu'elle avait rendus, fut dépossédée de tous ses priviléges et fit faillite. Les deux câbles abandonnés ont été vendus, en 1869, pour la somme insignifiante de 25 000 francs.

2e direction: Espagne-Alger. - En 1860, on essaya de nouveau de réunir la France à l'Algérie, cette fois par un fil direct de Marseille à Alger. Ce fut encore une compagnie anglaise qui se chargea de l'opération, mais au compte et aux risques de l'administration française des Télégraphes.

Le câble fabriqué avait une longueur de 885 kilomètres, la distance de Marseille à Alger étant de 750 kilomètres. Le nouveau

conducteur ne contenait qu'un seul fil. Le William Cory commença pour la cinquième fois, la pose le 10 septembre 1860, en partant d'Alger. Le lendemain une coque, un tour de câble non déroulé, passa dans les frins et s'y écrasa, ce qui interrompit les communications. Le fond était alors à 2 400 mètres; il fallut relever le câble de cette profondeur, ce qui était facile puisqu'il résistait sans se rompre à une traction de six tonnes. Le tronçon endommagé fut retranché et la pose recommença; mais le jour suivant éclata une violente tempête et, à 30 kilomètres seulement de Marseille, le câble se rompit!

Cependant, tout ne fut pas perdu : le fil passait tout près de Minorque; or, depuis le 29 août précédent, cette île venait d'être reliée électriquement à Mayorque, à Iviza et au cap Saint-Martin, en Espagne. Le 16 janvier 1861, elle le fut également avec Barcelone.

Après quatre jours de dragages, on put saisir le câble dans les hauts-fonds des environs de Mahon, et le 30 septembre 1860, en raccorder avec la ligne espagnole la portion qui s'étendait entre Minorque et Alger. Une nouvelle communication médiate se trouva ainsi réalisée entre la métropole et sa colonie.

On tenait beaucoup et avec raison à avoir une ligne directe qui nous permettrait de correspondre sans avoir à solliciter l'agrément d'une puissance étrangère, et plus encore sans que les télégrammes aient à être d'abord traduits en italien ou en espagnol et ensuite retraduits en français, ce qui augmentait dans une proportion énorme les délais de transmission et les chances d'erreur.

Le William Cory se rendit à Mahon avec un câble, et, le 13 novembre 1860, essaya encore d'atteindre Marseille. Cette tentative d'immersion était la sixième. Cette fois ce fut le navire de l'État, chargé de convoyer le William Cory qui, se jetant sur lui par une fausse manœuvre, fracassa toute la machinerie de ce dernier et obligea à couper le câble dont on avait déjà posé 162 kilomètres. En janvier 1861, on essaya de le repêcher, mais inutilement. L'art des dragages à de très-grandes profondeurs était encore dans l'enfance à cette époque, et d'ailleurs le fond inégal et rocheux de la Méditerranée les rendra toujours difficiles dans cette mer.

3° direction: Port-Vendres-Alger. Ayant échoué dans cette direction, pour faire autrement, on essaya d'une autre. Un nouveau cable fut chargé sur le Berwick, qui le déroula de Mahon à PortVendres, du 31 août au 7 septembre 1861. Cette fois l'opération de la pose, la septième, réussit sans encombre; et, réunissant par un bout de câble contournant Minorque, les deux sections de Mahon à Port-Vendres et d'Alger à Mahon, le relai de l'ile espagnole se

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