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trouva supprimé et la communication fut directement établie entre la France et l'Algérie, sur une étendue de 850 kilomètres, le 25 septembre de cette année.

Ce ne devait pas être pour longtemps. Le 25 novembre 1862, à la suite d'une terrible tourmente dans le golfe de Lion, le courant cessa de passer. Fontenelle disait que lorsqu'une chose peut être de deux façons, elle est presque toujours de celle qui semble au premier abord la moins naturelle. L'aphorisme devait se réaliser une fois de plus. Tout le monde crut que le câble était rompu près de la côte française; un navire l'y releva; il ne découvrit rien; il alla sonder près de Minorque, et là, s'assura que le câble était brisé dans les profondeurs, entre cette île et Alger. Tout était perdu.

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4 direction: Carthagène-Oran. En désespoir de cause, on en revint au système que l'on avait voulu proscrire, celui de passer par les pays étrangers dans le but de diminuer la longueur et la profondeur des trajets maritimes. La section de Port-Vendres à Mahon étant encore en bon état, on résolut de faire passer les dépêches par Port-Vendres, les Baléares, Carthagène et Oran. Pour la pose de cette dernière section, on s'adressa cette fois à M. Siemens, ingénieur en chef des télégraphes prussiens. Il fit fabriquer un câble d'un nouveau système, d'un très-petit diamètre, protégé, au lieu de fils de fer, par des rubans de cuivre rouge. Il avait également imaginé un nouvel appareil de pose.

Le câble côtier, le seul qui fut cuirassé de fils de fer, fut fixé à la plage d'Aïn-el-Turk, près d'Oran, le 12 janvier 1864. Les accidents et les négligences signalèrent même la pose de ce bout côtier, habi-. tuellement la plus simple du monde. Le surlendemain, après quelques heures d'immersion du câble profond, le nouvel appareil de déroulement fonctionnant très-mal, le câble se brisa. C'était la huitième fois que l'on essayait d'établir une communicatiou électrique entre l'Algérie et l'Europe. On ne put relever qu'un fragment du conducteur, le reste fut retenu par les roches sous-marines. Après s'être débarrassé de l'appareil malencontreux de dévidement, le vapeur spécial de l'administration des télégraphes, le Dix-Décembre (1), recommença la pose, pour la neuvième fois, le 28 janvier. Mais le nouveau système de câble présentait une si faible résistance à la rupture que, malgré la profondeur modérée de la mer sur la ligne d'Oran à Carthagène, et quoique le temps fût très-propice, le conducteur se brisa avant la fin de la journée... Il

(1) Appelé l'Ampère depuis la chute du gouvernement impérial.

fallait y renoncer. Vainement on essaya de repêcher le câble au mois de septembre, on n'y put parvenir.

D'un autre côté le câble de Port-Vendres à Mahon était devenu muet. L'administration des télégraphes avait perdu environ trois millions. On abandonna définitivement la voie espagnole.

5 direction: Reggio-La Calle. En 1855, la Sicile avait été unie à l'Italie par un câble de 9 kilomètres, jeté de Reggio à Messine, à travers le Phare. Le 2 juin 1858, un second fil avait été immergé entre les mêmes points.

Comme on attribuait les insuccès aux grandes profondeurs que l'on avait à franchir, on cherchait des eaux moins profondes; c'est dans ce but déjà que la ligne d'Oran à Carthagène avait été étudiée; mais il en existait une autre où les épaisseurs d'eau étaient bien moindres encore entre l'extrémité occidentale de la Sicile et la pointe septentrionale de l'Afrique, s'étend un haut-fond, soumis à l'action de volcans sous-marins. On a tout lieu de supposer que ce haut-fond remplace un isthme qui joignait l'Afrique à l'Europe à une époque très-récente, postérieure à l'apparition de l'homme et touchant à l'âge fabuleux. Ce fut sur ce haut-fond que l'on résolut de déposer un nouveau conducteur, de Marsala à Bizerte en Tunisie. Mais la Tunisie ne nous appartenant pas et le pays étant peu sûr, un second câble, côtoyant le littoral, devait être immergé de Bizerte à la Calle, abritant ainsi sous la mer le fil électrique contre la malveillance.

Cette double ligne fut établie en juin 1865, par le Dix-Décembre, ce fut la dixième tentative de pose. Le câble principal de Marsala à Bizerte avait 302 kilomètres; le petit câble de Bizerte à la Calle était fait avec le reste du conducteur de la ligne abandonnée de Carthagène à Oran. Cette ligne sicilienne n'a jamais fonctionné que de la façon la plus imparfaite, surtout par suite de l'extrême lenteur de la transmission à travers toute la longueur de l'Italie. Le câble côtier de Bizerte à la Calle, brisé au bout de quelques mois, fut remplacé par une ligne aérienne. Le conducteur principal, de Bizerte à Marsala, rompu et raccommodé deux fois, a tout à fait cessé de fonctionner en 1868, détruit par les pêcheurs de corail ou peutêtre par quelque convulsion volcanique.

Ces interruptions perpétuelles étaient très-préjudiciables aux intérêts du commerce et à la prospérité de la France africaine, et en outre elles étaient fort coûteuses. Lors du voyage de l'ex-empereur en Algérie, par suite de l'interruption des télégraphes, on fut obligé d'avoir toujours quatre avisos sous vapeur qui portaient plusieurs fois par jour les dépêches d'Oran à Carthagène et réciproquement.

Ce service, qui ne dura que fort peu de temps, coûta plus cher que la construction d'une nouvelle ligne télégraphique.

Pendant la durée de ces essais infructueux, la télégraphie sousmarine progressait constamment, on apprenait à poser les câbles sur de grandes longueurs et dans des mers profondes avec certitude de succès, et on réussissait à les relever sans difficultés, en cas d'accident.

Sur ces entrefaites, l'Angleterre complétait sa ligne des Indes, ayant en Égypte son point de départ. Il devenait, dès lors, de la plus haute importance de multiplier les relations télégraphiques avec cette contrée, de façon à ce que, si l'une des lignes sous-marines, se reliant à l'Égypte, venait à se rompre, ou si la guerre venait à éclater avec un des États où les câbles atterrissent, d'autres lignes fussent toujours en état de fonctionner. De plus, la France manquait complétement de relations directes avec l'Égy te et les Indes.

6 Direction: Marseille-Bône. - Dans ces circonstances, des compagnies anglaises s'offrirent pour réunir la France à l'Égypte. Le 23 janvier 1870, un traité fut conclu entre l'administration des Télégraphes et une compagnie anglaise, représentée par M. d'Erlanger, pour établir deux lignes sous-marines de Marseille à Bône, et de ce port à Malte, d'où partent deux lignes de câbles allant à Alexandrie. La longueur des deux sections devait être d'environ 1515 kilomètres. La première a été posée avec un plein succès par le William Cory. Le cable fut fixé à Marseille même, à l'embouchure de l'Huveaune, le 24 juillet 1870; quatre jours plus tard, la terre algérienne était en vue. Cette dernière tentative de pose, la onzième! avait enfin pleinement réussi. En arrivant pourtant, le navire dévia et déroula le câble sur des hauts-fonds où il aurait pu être détruit, mais l'habile ingénieur de la compagnie, M. Ternant, s'en aperçut aussitôt et le fit relever; il fut ensuite déposé sur un fond excellent, dans la baie des Caroubiers, à Bône. On était au 28 juillet 1870. Pour une distance de 740 kilomètres, 830 kilomètres de câble avaient été déroulés (1).

7 Direction: Marseille-Alger. Il avait été explicitement entendu avec la compagnie Erlanger que l'autorisation qui lui était accordée

(1) Les détails de la pose du câble de Marseille à Bône sont extraits d'une intéressante relation que publient en ce moment les Annales industrielles. Nous remercions cordialement le directeur de ce journal, M. Cassagnes, et M. l'ingénieur Ternant, des précieux renseignements qu'ils ont eu la complaisance de nous communiquer.

ne constituait pas un privilége en sa faveur et que l'administration restait entièrement libre de concéder de nouvelles lignes. Elle fit presque aussitôt usage de cette clause de son contrat, l'expérience ayant prouvé que les communications télégraphiques ne sont assurées qu'avec deux câbles. Au mois de mars 1870, une nouvelle compagnie anglaise, représentée par M. Eugène Bretmayer, fut autorisée à construire une autre ligne télégraphique entre la France, l'Algérie et l'Égypte. Les deux câbles, d'une longueur totale de 3 340 kilomètres, devaient aller des environs de Marseille à Bône et de ce port en Égypte, sans croiser sur aucun point la ligne précédemment autorisée: c'était la seule obligation imposée à cette compagnie. Mais la révolte de l'Algérie a prouvé qu'une insurrection de la Kabylie pouvait interrompre les communications télégraphiques entre les provinces d'Oran et d'Alger et celle de Constantine, où aboutit le câble Erlanger et où devait également atterrir la nouvelle ligne. Pour obvier à cette nouvelle interruption, dont la cause cette fois est toute politique, le trajet de la ligne a été modifié et divisé en sept sections: un câble de Marseille à Alger, cinq câbles côtiers d'Alger à Djidjelli, de Djidjelli à Bougie, de Bougie à Collo, de Collo à Stora et de Stora à Bône, et un grand conducteur direct de Bône à Alexandrie.

Le câble de Marseille à Alger vient d'être placé du 13 au 18 juin 1871. C'est la douzième fois que l'on a immergé un câble entre l'Europe et l'Algérie.

La pose en a été opérée par l'International sous la direction de sir Samuel Canning. Le conducteur, fixé près d'Alger sur la plaged'Hussein-Dey, a une longueur de 931 kilomètres. Il a été constaté qu'un défaut assez important existait près de Mahon. Au moment où paraîtront ces lignes, du 10 au 15 septembre, l'International supprimera et remplacera la portion endommagée et posera la section de Stora à Bône; les autres sections côtières fonctionnent déjà.

Le prix des dépêches entre la France et l'Algérie, fixé autrefois à 8 francs, n'est plus aujourd'hui que de 5 francs.

Les nombreux conducteurs déroulés entre la France et l'Algérie, pendant une période de 17 ans, comprennent toute la série des progrès réalisés dans la construction de cet outil extraordinaire de l'esprit, et il est assez intéressant d'en réunir une brève description. Les câbles immergés entre l'Italie et la Corse, cette île et la Sardaigne, en 1854, et ceux que l'on tenta de poser entre la Sardaigne et l'Afrique, en 1855-56, comprenaient 6 fils conducteurs isolés séparément chacun par une gaine de gutta-percha, réunis ensemble par des cordages saturés de goudron, et le tout était protégé extérieu

rement par 12 fils de fer tangents. Le diamètre total était de 30 millimètres, le poids était de 5 000 kilogrammes par kilomètre.

Le câble posé avec succès en 1857 entre la Sardaigne et Bône était plus léger. Il ne contenait plus que quatre conducteurs séparés, formés chacun de 4 petits fils de cuivre tressés ensemble, chaque cordelette était enveloppée de gutta, le tout était réuni par les tours d'une corde de chanvre et protégé par 18 fils de fer. Le poids était de 4 000 kilogrammes par kilomètre.

Les câbles de 1860-61 entre Marseille, Port-Vendres et Alger, ne contenaient plus comme conducteur qu'une seule corde faite de 7 brins de cuivre tressés ensemble, à partir de cette époque on a toujours employé le même conducteur central. Dans le câble de 1860-61, il était entouré de 4 couches de gutta, alternant avec 4 couches de mastic de M. Chatterton, puis de filin goudronné, et enfin de 10 fils d'acier, entourés chacun de filin goudronné.

Le câble que l'on tenta d'immerger entre Oran et Carthagène en 1864, et celui qui fut posé de Bizerte à la Calle, en 1865, se composaient de la corde de cuivre recouverte d'une enveloppe de gutta, puis d'une seconde gaîne de caoutchouc, ensuite de 2 couches de cordes de chanvre, imbibées de goudron, enroulées en sens contraires, et enfin de lames de cuivre phosphorisé, tangeantes et enroulées en spirale; le diamètre était de 13 millimètres.

Le câble de 1865, entre Marsala et Bizerte, était protégé par dix fils de fer nus.

Celui de 1870, de Marseille à Bône, est composé du toron ordinaire de cuivre, du poids de 26 kilogrammes par kilomètre entouré de 3 couches de chatterton alternant avec 3 couches de gutta-percha (la gutta recouvre toujours le mastic), protégé par 16 fils de fer galvanisé, et recouvert extérieurement par un fourreau de 2 couches de jute, enroulées en sens inverse, alternant avec deux couches de composition bitumineuse de M. Clark (l'asphalte en dehors). Le diamètre est de 22 millimètres, le poids est de 1 000 kilogrammes par kilomètre.

Le câble de 1871, entre Marseille et Alger, est à peu près identique au précédent.

CHARLES BOISSAY.

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