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BULLETIN

LA BANQUE DE FRANCE ET LE GOUVERNEMENT.

PAPIER-MONNAIE

A ÉVITER.

Nous ne prétendons pas que la Banque de France soit parfaite, la perfection n'est pas de ce monde. Mais il faudrait de parti pris fermer les yéux à la lumière pour ne pas reconnaître qu'aucune autre grande institution de crédit n'a été dans l'ensemble aussi bien gouvernée, qu'elle est un des organes essentiels du pays, une de ses forces vitales, qu'il importe au plus haut degré de n'en pas compromettre la solidité, de n'en pas ébranler le crédit. Telle qu'elle est, avec la puissance dont elle est investie et la confiance qu'elle inspire, la Banque de France est le produit de soixante-dix ans d'efforts soutenus et d'une masse indéfinie de labeur, de prudence et de circonspection. Si, en exerçant sur elle une pression quelconque, le gouvernement l'entraînait dans des mesures qui fussent contraires aux règles qu'a révélées l'expérience, et de nature à lui ravir son auréole de sagesse et de force, il porterait un grand dommage à la prospérité publique, il priverait le commerce et l'industrie d'un appui indispensable.

Si nous en faisons l'observation, ce n'est pas que nous supposions l'imminence de quelque grand péril pour la Banque, mais nous avons. comme on va le voir, quelque lieu de croire que le danger pourrait bien se présenter un jour. Il y a quelque chose d'inquiétant dans la contexture du bilan que la Banque de France publie chaque semaine. Ensuite, ce n'est pas sans regret que nous remarquons la continuité des demandes que le gouvernement adresse à la Banque, afin qu'elle lui fasse des avances, et spécialement afin qu'elle se dessaisisse, au profit du Trésor, d'une partie du numéraire métallique qui lui reste ou qui lui revient. C'est ainsi qu'il y a peu de jours, il en a obtenu une somme nouvelle de 100 millions.

Le bilan de la Banque constate que, présentement, la Banque est devenue avant tout une machine à l'usage du gouvernement, et que c'est seulement fort en seconde ligne qu'elle est une institution commerciale. A Paris et dans les départements, le portefeuille de la Banque renferme en lettres de change des commerçants, y compris celles dont l'échéance a sonné sans qu'on les payât, la somme de 563 millions, tandis qu'elle a, en bons du Trésor, contre lesquels elle a donné des billets de banque, la somme de 1,196 millions, à laquelle il faut ajouter l'avance de 60 mil

lions stipulée par la loi de 1857, et 210 prêtés à la ville de Paris, ce qui fait un total de 1,466 millions, d'où suit que la somme avancée à l'Etat est bien plus que double de celle qui est avancée au commerce proprement dit. Si aux lettres de change escomptées on ajoute les avances sur effets publics et sur lingots, qui montent à 107 millions, on arrive à 670 millions, ce qui est au-dessous de la proportion du simple au double. En se reportant à l'époque où apparut la candidature du prince de Hohenzollern au trône d'Espagne, c'est-à-dire aux premiers jours de juillet 1870, on voit qu'alors les chiffres respectifs du gouvernement et du commerce, avec les particuliers pouvant n'être pas commerçants, étaient 60 et 717 millions, c'est-à-dire que les avances au commerce et aux particuliers en général faisaient douze fois les avances à l'Etat. C'était la situation normale et habituelle.

C'est pourtant un fait d'expérience que, pour réussir et contribuer autant qu'il leur appartient à la prospérité publique, les banques doivent se consacrer à escompter les effets de commerce à courte échéance, c'està-dire n'ayant pas plus de trois mois à courir, quelquefois quatre, et à faire aux particuliers des avances sur des valeurs publiques de premier choix ou sur métaux précieux.

L'histoire atteste que lorsque les banques ont eu le bon esprit de se renfermer dans ces attributions, et que d'ailleurs elles les ont remplies avec intelligence et vigilance, elles n'ont eu qu'à s'en féliciter pour leur compte, c'est-à-dire qu'elles ont régulièrement réalisé de beaux bénéfices. Au contraire, ce fut presque toujours à leur détriment qu'elles transgressèrent ces limites et se laissèrent couvertir en instruments du Trésor public, en lui livrant contre des titres quelconques des quantités indéfinies de leurs billets.

Il est rare que cette complaisance ne leur ait pas été mortelle. La Banque de l'Ecossais Law, modeste institution, car elle n'avait que 6 millions de capital, était en pleine prospérité quand Law commença les opérations qui devaient bientôt la convertir en banque d'Etat. Trois out quatre ans après, elle était ruinée et n'existait plus. L'histoire de la Caisse d'escompte est à peu près la même. Elle succomba par suite des faiblesses qu'elle avait eues pour le gouvernement, en consentant à lui prêter, en billets de banque, des sommes relativement très-fortes. Pareille fut l'origine des grands embarras qu'éprouva la Banque d'Angleterre à partir de 1795, sinon de 1793, et qui, à la fin de février 1797, l'obligèrent à solliciter du Parlement la permission de suspendre le remboursement de ses billets en espèces. Elle ne put le reprendre que vingt et quelques années plus tard. Pendant tout ce temps, l'Angleterre resta au régime du papier-monnaie, dont les inconvénients et les périls sont si grands. Au milieu de tous ces écueils, la Banque d'Angleterre manœuvra avec assez d'art pour ne pas sombrer, et le gouvernement l'y

aida puissamment, parce qu'il eut l'intelligente inspiration de ne pas outrer ses demandes à la Banque, et même de les restreindre plus qu'auparavant, en émettant des rentes de préférence. Toutefois, les Anglais ont gardé la mémoire des difficultés qu'ils eurent à traverser alors et de la charge qui, du fait du papier-monnaie plus ou moins déprécié, pesa sur le Trésor. Ils en ont retenu cette leçon, qu'à aucun prix il ne faut tolérer le papier-monnaie.

Le papier-monnaie est très-séduisant pour des gouvernements présomptueux et ignorants, ou pressés par le besoin. Il ne coûte presque rien à fabriquer. Dans le cas où il se produit sous la forme de billets de banque, parce qu'une banque est la complice violentée ou volontaire de l'Etat, il n'exige, à titre d'intérêt annuel, qu'un sacrifice modique. Si c'est le gouvernement qui fabrique le papier-monnaie lui-même, comme ce fut en France du temps des assignats, comme on l'a vu récemment aux Etats-Unis par les greenbacks, le fardeau des intérêts est nul. Le gouvernement peut donc se dire, de même que le Joueur de Regnard,

que

Dans ses heureuses mains le papier devient or.

Les gouvernements besoigneux suivent une pente naturelle lorsque. voyant à côté d'eux une banque puissante et bien accréditée, ils s'adressent à elle pour s'en faire délivrer les ressources et pour en exploiter le crédit. Si l'Etat est dans une situation difficile, ils en tirent un argument pour (mouvoir les chefs de la banque, et ceux-ci, par zèle pour la chose publique, cèdent une première fois, une seconde, et ainsi de suite, non sans faire des représentations. Le gouvernement finit par prendre l'habitude de considérer la banque comme un de ses bureaux, la planche aux billets de banque comme un engin à lui, et ainsi le mal empire le plus souvent jusqu'à devenir irrémédiable.

Il serait utile que les financiers de l'Assemblée voulussent bien lire dans l'excellent livre de M. Macleod sur les banques (the Theory and Practice of banking) le récit de ce qui se passa entre Pitt et le gouvernement de la Banque d'Angleterre, pendant les quatre années qui s'écoulèrent entre la déclaration de guerre à la République française et le 26 février 1797, jour où la Banque fut forcée de cesser le remboursement de ses billets en espèces métalliques. Le beau rôle fut tout le temps pour la Banque. Elle résistait aux demandes d'avances que Pitt renouvelait. Elle lui remontrait que la loi le défendait, que l'assentiment préalable du Parlement était indispensable. Elle fixait une limite qu'elle ne dépasserait pas. Elle rappelait, non sans fermeté, au tout-puissant premier ministre les engagements qu'il avait pris avec elle, les promesses formelles qu'il lui avait faites. Mais Pitt ne se déconcertait pas. Il payait d'audace. Il réitérait ses promesses, sauf à ne pas mieux les tenir. Il restituait une partie de ce que lui avait avancé la Banque, sauf à obtenir

davantage ensuite. Il faisait voter par le Parlement des résolutions dont la rédaction était insidieuse et qu'il pouvait interpréter ensuite de manière à éluder les bonnes raisons de la Banque. Il fallut que celle-ci passât, à la fin de février 1797, sous les fourches caudines: ses billets remboursables à vue cessèrent d'être remboursés au public.

Chez nous, la position de la Banque est moins avantageuse, parce que la Banque n'est pas maîtresse chez elle. Elle a dans son conseil un gouverneur et deux sous-gouverneurs qui lui sont imposés, qu'elle rémunère chèrement de son argent, et qui ne peuvent qu'obéir aux ordres du ministre des finances. Elle a, de droit, parmi ses régents, plusieurs receveurs généraux qui ne peuvent que suivre la consigne du même ministre. Cependant beaucoup d'observations ont été adressées au gouvernement par le conseil de la Banque, et il a dû se conformer quelque peu à quelques-unes.

En somme, la Banque a été forcée de faire ce qui était contraire à sa mission et à l'intérêt même de sa conservation, et un des membres les plus éclairés et les plus honorables du conseil de régence, M. de Waru, plutôt que de se prêter à ce qu'on demandait de la Banque, a donné sa démission. C'était un peu avant le 4 septembre 1870, alors que le gouvernement impérial voulait, ce qui fut autorisé par les deux Chambres, l'établissement du cours forcé des billets de banque jusqu'à concurrence de la somme inouïe de 2 milliards 400 millions.

De la part du gouvernement impérial ces mesures étaient de lourdes fautes. Je crois avoir le droit de le dire ici maintenant, puisque alors je l'ai dit sans détour à la tribune du Sénat. Placer l'industrie et le commerce dans les conditions anormales du cours forcé des billets, avec une marge de 2 milliards 400 millions, c'était mettre la perturbation dans tous les intérêts et la semer dans les esprits. Mais du moins on avait l'excuse des inexorables nécessités d'une guerre qui débutait par de grands revers. On pouvait alléguer que, la ressource du crédit devenant très-difficile pour le gouvernement, il fallait, même par la violation des règles recommandées par la sagesse, lui ménager des moyens financiers.

La paix étant signée et sanctionnée par l'Assemblée nationale en février 1871, la scène était changée. L'excuse de la guerre disparaissait. Celle tirée de ce que le crédit de l'État était détruit n'existait plus. Il importait de dégager la Banque de la situation pénible où on l'avait jetée pendant la guerre. Il importait de rendre aux transactions leur activité et leurs facilités en restituant à la Banque la liberté de ses allures. A cet effet, on devait aviser à faire reprendre à la Banque le remboursement de ses billets en espèces, ou, en d'autres termes, à mettre fin au cours forcé des billets. L'unique moyen, c'était que l'État lui rendît une partie de ses énormes avances, afin qu'on fût moins éloigné des conditions imposées par la loi de 1857 sur la Banque.

C'est alors que par une erreur bien regrettable, au lieu de diminuer les avances exorbitantes que le Trésor avait arrachées à la Banque pendant cette fatale guerre, elles montaient à 1 milliard 330 millions, on a décidé qu'on les accroîtrait de 200 millions encore. C'est à ce moment que fut lâchée la parole peu réfléchie que les billets de la Banque de France faisaient prime à l'étranger.

On a lieu d'être désabusé sur ce point. Au lieu que les billets de banque fassent prime au dedans ou au dehors, ils éprouvent une légère perte, bien légère, il est vrai, mais c'est un avertissement. Le cours du change avec l'Angleterre, dont le pair est de 25 fr. 20 c., ou même 25 fr. 15 c., en tenant compte des frais de monnayage, est coté aujourd'hui 25 fr. 47 c. Pour se procurer une livre sterling payable à vue à Londres, il faut donner en billets de la Banque de France 25 fr. 47 c. Nous commençons donc à être sur le mauvais revers de la montagne. Nous n'y sommes pas tellement engagés qu'il ne soit facile de s'en retirer. Il n'est pas moins vrai que ce symptôme mérite toute l'attention de l'Assemblée et du gouvernement. C'est une recommandation d'être circonspect et de ne pas ajourner davantage les mesures qui rapprocheraient la Banque de sa position normale, celle où elle n'aurait plus le cours forcé. Elle-même en serait ravie. C'est présentement sa grande, son unique ambition. C'est aussi un motif pour qu'on discute résolument la question de savoir si l'on ne doit pas enfin rendre à la Banque son autonomie. Ce serait de la décentralisation et de la bonne.

Il y a lieu de déplorer qu'on ait abandonné, lors de l'emprunt, l'idée première d'après laquelle le montant aurait été d'un demi-milliard de plus, ce milliard étant destiné à être remis à la Banque, à valoir sur les avances sans pareilles qu'elle avait faites à l'Etat. Il est nécessaire que, dans un très-bref délai, cette idée salutaire soit remise sur le tapis.

Si l'Assemblée se séparait pour aller en vacances sans avoir pourvu à un cas aussi grave et aussi pressant, elle pourrait bien avoir lieu de s'en repentir. Nous faisons appel à son patriotisme. Elle en a un fonds inépuisable. (Débats.) MICHEL CHEVALIER.

LE TRAITÉ DE 1860 ET L'AGRICULTURE.

VOTE DE LA SOCIÉTÉ

D'AGRICULTURE DE SAINT-LO.

(Sur la proposition de M. le comte Hervé de Kergorlay, son président, la Société d'agriculture de l'arrondissement de Saint-Lô a voté, à l'unanimité, la délibération suivante, qui constate les bons effets de la réforme commerciale et témoigne du progrès qui s'est accompli dans l'esprit des populations agricoles naguères protectionnistes.)

La Société d'agriculture de l'arrondissement de Saint-Lo,

Considérant que par sa délibération du février 1870, elle a adopté

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