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presque toujours sans effet tant qu'elle n'a qu'un caractère d'individualité, comment ne pas craindre que les ouvriers ne se montrent exaspérés d'un nouvel état de choses qui rendrait impossible toute amélioration à leur position; comment ne pas redouter, dans cet état d'exaspération, un recours à la violence pour obtenir un changement dans les lois? Il est donc plus équitable et plus conforme à une sage politique de laisser aux ouvriers la même liberté qu'aux patrons, c'est-à-dire la faculté de se concerter pour déterminer leurs salaires et pour faire prévaloir leurs réclamations auprès de leurs patrons respectifs.

L'orateur ajoute que l'exercice d'un droit naturel a entraîné, assez souvent, de justes inconvénients. Comme les abus que l'on a eu à déplorer jusqu'ici tiennent presque tous à l'ignorance et aux mauvaises dispositions d'un assez grand nombre de simples travailleurs, le remède souverain contre le mal ne peut venir que d'une instruction plus répandue, plus solide, et surtout plus religieuse et plus morale. Malheureusement la transformation désirable exige bien des actes de dévouement et un temps fort long.

En attendant les bons effets d'une semblable transformation dans les aspirations, dans les convictions et dans les habitudes, M. l'abbé Tournissoux pense qu'il serait avantageux que les patrons et les ouvriers fussent d'accord pour constituer un tribunal appelé à juger en dernier ressort tous les grands litiges qui pourraient être soulevés par rapport aux salaires. L'orateur croit devoir ajouter qu'une telle institution, tout en étant impuissante à empêcher tous les abus, n'en serait pas moins fort utile dans un grand nombre de

cas.

M. Villiaumé répond à M. l'abbé Tounissoux que nul n'a le droit d'interdire les coalitions d'ouvriers formées sans violence; mais qu'on n'a pas non plus le droit de les obliger à revenir aux chambres syndicales pour juger leurs différends avec les patrons. En effet, il n'existe aucun tribunal entre deux classes de la société. Le seul moyen d'empêcher les coalitions, c'est de faire de bonnes lois, de propager l'instruction et de favoriser l'association ouvrière sur des bases véritablement économiques.

M. J. Laverrière, bibliothécaire de la Société centrale d'agriculture dit qu'en Allemagne, le problème de la conciliation entre les intérêts ouvriers et les intérêts des patrons paraît être sérieusement à l'étude. A en juger par ce qui s'imprime dans ce pays, on y sent que la question est urgente, et on se préoccupe surtout des moyens propres à conduire à une solution pratique.

Déjà, l'année dernière, plusieurs fabricants et patrons s'étaient réunis à Bonn (1), pour s'entendre sur la meilleure manière d'étudier cette question. On décida de fonder une feuille hebdomadaire, d'organiser des conférences, enfin d'instituer à l'élection un comité chargé d'assurer l'exécution des résolutions arrêtées dans des assemblées générales qui devaient se tenir une ou plusieurs fois chaque année.

Suspendus par la guerre, ces divers projets viennent d'être repris. Prochainement une réunion d'industriels doit avoir lieu (2). Comme organe de la conférence, on publiera une feuille spéciale intitulée Concordia, journal de la question du travail. Cette feuille paraîtra tous les quinze jours. Sa publication est annoncée pour le 1er octobre prochain, chez A. Eslin, imprimeur à Berlin.

M. Clamageran, ancien adjoint à la mairie de Paris, est d'avis, comme les préopinants, que les ouvriers doivent être libres de se coaliser, à leurs risques et périls, pourvu qu'ils n'aient recours ni à la violence ni à l'intimidation.

Il pense même que les coalitions, légitimes en principe, sont quelquefois efficaces et salutaires; mais il reconnait qu'elles donnent lieu très-souvent à de coupables désordres. Le mal est d'autant plus grave qu'il a des racines profondes dans notre éducation, nos mœurs, nos lois et nos pratiques administratives. La liberté du travail, peu respectée par les ouvriers, ne l'est guère davantage par nos industriels qui les emploient.

Sous une forme ou sous une autre, les uns poursuivent le droit au salaire, les autres le droit au profit. On sollicite des tarifs de douane qui assurent à certaines industries des bénéfices exceptionnels, par des taxes contraires à l'équité, on ménage les gros revenus et on surcharge

(1) Voir le compte-rendu de ce Congrès dans le n° de juillet 1870, XIX, p. 63.

(2) Les lettres de convocation mettent à l'ordre du jour les points suivants :

1o La question du travail est un problème dont la question est posée à la société contemporaine, surtout aux classes qui possèdent et qui ont l'instruction. Cette solution n'importe pas seulement aux intérêts de ces classes, elle est encore d'obligation étroite pour ceux qui obéissent aux lois du devoir et de la conscience.

20 La solution du problème peut être obtenue non-seulement à l'aide de moyens matériels, mais encore et surtout par des moyens moraux. 30 Pour atteindre ce but, il faut, comme dans toutes les circonstances importantes, agir par la collectivité des forces, par l'accord sur les bases et l'objectif en vue.

les petits, on réclame toutes sortes de priviléges, on maintient toutes sortes d'abus, et on s'étonne ensuite de voir les ouvriers sortir à leur tour du droit commun, troubler l'ordre par des prétentions absurdes, demander le crédit gratuit, menacer le capital, fouler aux pieds les libertés individuelles, ébranler les bases de l'ordre social. La nature du mal indique le remède. Il faut, comme le demande M. Joseph Garnier et la Société tout entière, que l'économie politique soit universellement enseignée, il faut qu'elle entre dans le programme des plus humbles et des plus hautes écoles, il faut surtout que les conservateurs, avertis par les crises que nous avons traversées, abandonnent les vieux errements, qu'ils donnent les premiers l'exemple d'ainer et de pratiquer la liberté, la liberté pour tous, la liberté tout entière. Appuyée sur un principe rationnel, forte de son impartialité, l'autorité pourra alors, sans de trop grands efforts, imposer aux ouvriers, comme aux patrons, le respect du droit d'autrui.

Ouvrages présentés par M. le Secrétaire perpétuel.

Le travail et le capital et leur accord (1), démonstration à la fois simple et solide qui arrive à propos, par M. Henri Rozy, professeur à la Faculté de droit de Toulouse et membre de la Société.

Les clubs rouges pendant le siége (2), par M. G. de Molinari, recueil d'articles remarqués dans le Journal des Débats par un membre de la Société qu'il faut autant féliciter de sa courageuse curiosité que de ses piquants tableaux. La 2e édition contient en plus une savante introduction sur Paris capitale.

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Manuel du droit civil (3); - l'idée du droit (4); — principes philosophiques et juridiques du mariage (5), par M. E. Acollas, actuellement professeur à l'Université de Berne.

Enquête publique sur les octrois, déposition d'un contribuable (6), charge à fond contre ce mode d'impôts, par M. A. Moullart, professeur d'économie politique à la Société industrielle d'Amiens.

L'impôt du sel fléau du pauvre (7), autre vigoureuse attaque par M. Arthur Comandré.

(1) Paris, Guillaumin; - Toulouse, librairie centrale, 1870, in-8° de 172 pages.

(2) Paris, Garnier frères; 1871, 2e éditian, un vol. in-18.

(3) Tome III, 1re partie pour le 4 examen; Paris, Germer-Baillière, in-8°.

1871,

(4-5) Genève, Desrogis; Berne, Dalp. In-8° de 42 et 52 pages.

(6) Paris, Guillaumin, 1870-71, in-8o de 158 pages.

(7) Paris, Guillaumin, 1871, in-8° de 62 pages.

Projet de réorganisation de l'instruction publique en France (1), par J.-J. Picot. L'auteur termine cette étude approfondie par ce desideratum financier « le crédit ouvert à l'instruction est illimité. »

Combinaison financière pour le payement immédiat et l'amortissement de huit milliards de francs (2). Le procédé de M. H. Serres consiste dans une émission d'obligations, amortissables en 20 ans, au moyen de l'impôt du tabac et de celui des boissons.

DEUX CHAMBRES DE COMMERCE LIBRES.

Dans un récent voyage au Havre et à Marseille, nous avons eu occasion de relever un double fait, que les écomistes constateront comme nous avec plaisir, car il répond à un de ces exemples d'initiative individuelle malheureusement trop rares en France.

A Marseille, en 1869, à l'époque où notre pays était de nouveau agité par la question du libre-échange et de la protection, et où le premier semblait devoir succomber dans la lutte, il s'est formé une sorte de chambre de commerce libre, dite Société pour le développement et la défense du commerce et de l'industrie de Marseille. Cette Société comporte aujourd'hui environ 400 membres, tous négociants, armateurs, courtiers, fabricants, et elle a franchement arboré pour pavillon les principes libre-échangistes.

Fidèle à son programme, elle a adressé, toutes les fois qu'il était nécessaire, et elle adresse encore aux ministres compétents ses observations sur toutes les grandes questions en discussion à la Chambre. Sa voix a été souvent écoutée. Parmi les travaux remarquables qu'elle a publiés et fait imprimer, on peut citer :

1o Le transport et le commerce des charbons à Marseille; 2o La question de la marine marchande;

3o Observations présentées à M. le garde des sceaux concernant les élections consulaires et l'organisation des tribunaux de commerce;

4 Rapport adressé à M. le ministre du commerce sur la situation commerciale, industrielle et financière de Marseille en 1870.

Nous passons sous silence une foule de mémoires, lettres, rapports de moindre importance adressés à l'Assemblée ou aux ministres compétents sur les nouveaux impôts, sur la jurisprudence étrangère à propos de la prorogation ou des échéances, etc., etc.

La Société publie toutes les semaines le prix-courant le plus complet des marchandises sur la place de Marseille. Elle est représentée par une Chambre syndicale, composée de trente membres re

(1) Tours, Grassière, 1874, in-8° de 120 pages. (2) Havre, Santallier, in-4° de 16 pages.

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nouvelés par tiers tous les ans, et nommés par une Assemblée générale à la majorité absolue des suffrages. Le bureau est composé d'un président, de deux vice-présidents, d'un trésorier et d'un secrétaire. Un agent retribué est chargé de la correspondance et de la conservation des archives. En outre la Société a depuis peu, comme la Chambre de commerce de Marseille, un représentant à Paris.

Il ne sera pas sans intérêt de faire connaître les branches de commerce et d'industrie représentées dans la Chambre syndicale, car cette liste indique dans son ensemble tous les genres d'affaires qui se font sur la place de Marseille. Ce sont les armements de navires, les assurances maritimes, la banque, le courtage, la fabrication des huiles de graines, des produits chimiques, des savons, la minoterie, la raffinerie de sucre, la métallurgie, l'importation et le commerce des céréales, les cotons, les cuirs, les laines, les denrées coloniales, les drogueries, les graines oléagineuses, les soies, les pétroles, les charbons, les bois, les vins et spiritueux, enfin le transit, la commission et le commerce général.

La Société du Havre compte moins de membres que celle de Marseille, environ 115. Elle est, du reste, plus jeune, et le Havre est aussi un port moins important que Marseille, bien que venant immédiatement après lui pour le chiffre du tonnage.

Comme la Société de Marseille, celle du Havre a adopté un programme entièrement libre-échangiste. Les deux Sociétés sœurs opèrent souvent de compagnie en poursuivant simultanément auprès des Chambres la solution des mêmes questions. C'est ainsi que tout récemment elles ont agi de concert et très-vigoureusement auprès du président de l'Assemblée, de la commission du budget, du ministre et des députés compétents, pour faire rapporter ou du moins renvoyer à une délibération plus attentive le projet de loi sur la marine marchande qui allait être si inconsidérément voté. Elles sont parvenues à leur fin. La Chambre a décidé que l'étude de cette question ou plutôt la discussion à laquelle elle allait donner lieu, ne viendrait qu'après le rôle de l'impôt sur les matières premières.

La Société du Havre porte à peu près le même titre que celle de Marseille Société pour le développement et la défense des intérêts commerciaux du Havre. Elle a été fondée en 1870, et n'a pas encore publié, comme la Société de Marseille, certains travaux de longue haleine; mais ses vœux et observations à la commission du budget au sujet des nouveaux impôts, deux brochures qu'elle a fait imprimer, sont empreints d'un esprit à la fois pratique et libéral qu'on aime à rencontrer dans les sociétés de ce genre. A une époque où les intelligences sont si troublées, et où l'on voit une assemblée natio

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