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SÉANCE DU MERCREDI 22 JUIN 1870.

SOMMAIRE. Déposition de M. Roger. Fils employés pour les velours d'Utrecht. Fabrication de ces velours. La suppression des droits sur les laines nuisible à l'agriculture, sans profit pour l'industrie qui avait la compensation du drawback. — La consommation n'a pas profité de l'abaissement du prix des laines. Importance du droit qui doit protéger les laines indigènes. Production lainière en France : proportion de laines étrangères consommées dans la Somme. ture de poil de chèvre continu.

Déposition de M. Planche. milaires n'a rien à réclamer.

Fila

L'industrie des mérinos et genres si

Pourquoi Roubaix a abandonné la
Roubaix a besoin d'un droit de

production des orléans et alpagas. 20 au lieu de 10 0/0. Provenance de divers tissus. Certaines industries frappées par les traités se sont rejetées sur la fabrication des tissus laine pure. - Loi des coalitions, livret de l'ouvrier.

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Déposition de M. Carlhiau. Causes des souffrances de l'industrie. -Les traités ont ouvert de nouveaux débouchés. - Droits sur les satinettes. Tissus que le déposant importe ou exporte. Provenance des laines employées à la fabrication des tapis. - Suppression de la petite vitesse, modifications aux tarifs. Comparaison avec les prix payés en Angleterre. - Loi des coalitions. - Vente publique des articles préemptés. Substitution du droit spécifique aux droits ad valorem, abaissement du droit sur l'outillage; écoles pratiques d'ouvriers, impôts qui pèsent sur la production. - Extension des attributions des Chambres de commerce.

Déposition de M. Auber. - Réduction des droits sur les retors deux bouts laine longue. - Concurrence de l'Allemagne dans la passementerie; conversion du droit ad valorem en un droit spécifique. - Chiffre des importations de tresses de laine.

M. ROGER, négociant en laines, membre de la Chambre de commerce d'Amiens, déclare que la Picardie ne souffre pas directement de l'admission des laines filées étrangères; leur admission est, au contraire, indispensable à quelques fabriques, telles que celles du velours d'Utrecht, de la passementerie, des dentelles, etc. On ne produit pas ces laines en France. Depuis deux cents ans les fabricants de velours d'Utrecht sont obligés de se fournir à l'étranger. Au temps de la prohibition, les fils de poils de chèvre étaient admis au tarif actuel et même 20 0/0 de moins. Les fabricants demandent un droit à l'entrée sur les velours d'Utrecht étrangers, et un drawbach à la sortie de leurs velours. Les Allemands font concurrence et reçoivent leurs fils en franchise. La fabrication a augmenté depuis 1860 en 1850 il entrait 193,000 kilog. fils de poils de chèvre :

en 1859, il en entrait 377,000 kil. ; il n'en est entré que 272,000 kil. en 1868. La différence provient d'un meilleur classement des fils à la douane, car la fabrication a augmenté. On expédie en Amérique. Les filatures montées en France n'ont pu réussir, leurs produits étaient inférieurs. Le velours de coton vaut de 1 fr. à 1 fr. 25 le mètre, le velours d'Utrecht vaut 12 à 14 fr. Les pièces à dessin sont des pièces marquées : une pièce de 400 fr. ne vaut plus que 200 à 250 fr. quand, n'étant pas bien réussie, on est obligé de la gaufrer. Le gaufrage sert à dissimuler l'imperfection des filés. Il n'y a en Angleterre que trois filatures de première marque et deux de seconde marque. Le beau filé vaut de 25 à 36 fr. le kilog. Le poil provient des chèvres angoras de la Turquie d'Asie on les tond comme les moutons.

Les beaux alpacas donnent une laine noire avec laquelle on fait l'orléans les alpacas jaunes ou blancs sont teints en toutes couleurs. Il y a encore la gingerline qui provient d'une espèce de mouflon qui se trouve en Sibérie.

Depuis 1860, la fabrication des escots et des tamises a beaucoup diminué à Cormeil 75 0/0 des producteurs ont été ruinés : à Bonneuil, à Esquenoy la fabrication a diminué de 23 0/0. La fabrication de la popeline commune n'existe plus à Amiens. Nous ne pouvons pas lutter avec les Anglais pour les lastings destinés à la chaussure. Il faut supprimer les droits ad valorem et les remplacer par des droits spécifiques, les déclarations se font de 25 à 50 0/0 au-dessous de la valeur, M. Roger s'étonne que Reims demande le maintien des traités de commerce.

Roubaix croyait n'avoir rien à craindre, et les Anglais, dès 1863, on introduit des articles similaires aux leurs. Un même genre d'étoffe faite avec du filé continu ou du filé mulijenny, donne deux tissus différents : la différence est encore plus grande si le fil a été ou non dégraissé. L'Angleterre nous achète maintenant des filés mulijenny en grande quantité, mais cela ne saurait durer.

La suppression du droit sur les laines n'a pas profité à l'industrie et a fait un tort immense à l'agriculture: le Trésor a perdu des revenus considérables qu'il a fallu remplacer par de nouveaux impôts. En 1789, la France avait 10 millions de moutons, nous en avons de 32 à 35 millions qui produisent 100 millions de kilog. de laine. à 3 kilog. de laine par toison en suint. M. Roger rappelle ce qu'ont dit les précédents déposants sur le mouvement et le prix des laines.

L'acheteur ne paye pas un habit, un pantalon, un mètre d'étoffe à meilleur marché: 40 0/0 d'abaissement de prix sur la laine brule. produisent 1 fr. 92 d'économie sur une redingolte de 100 fr. Pour

les tissus communs, le bon marché de la laine ne donne que 3 centimes par mètre d'abaissement de prix. M. Roger reconnaît que la main-d'œuvre s'est élevée, et que le prix de la façon s'est augmenté à proportion.

Une puissance aliène sa liberté quand elle fait des traités de commerce: il y a eu erreur envers l'industrie, le pays et les consommateurs. M. Roger réclame l'égalité et la réciprocité : si une nation produit à 10 0/0 plus cher, et qu'on protége ses produits par un droit de 10 0/0, il n'y a pas égalité, il y a privilége en faveur de l'étranger. L'introduction des marchandises étrangères ne doit pas nuire à l'industrie, au salaire et à la prospérité du pays. Les chiffres des tableaux de douane ne prouvent rien; s'ils ne sont pas plus considérables, c'est que notre consommation se refuse à absorber davantage. Ce n'est pas la quantité des produits qu'il faut considérer quelques centaines de mille francs jetés sur le marché font le cours de millions de produits français. Il a fallu être téméraire pour promettre le bon marché, car, quand une marchandise coûtait 45 c. à l'étranger et 50 c. en France, on l'imposait à 5 c., où était l'économie pour le consommateur? C'est maintenant l'étranger qui règle nos salaires depuis les traités nos matières alimentaires, locatives et autres ont augmenté de 30 à 40 0/0, et les prix n'ont pas varié en Angleterre. En résumé la Picardie demande : le maintien des droits. actuels sur fils de laine et poils de chèvre, conversion des droits ad valorem en droits spécifiques; suppression de la préemption, son remplacement par de fortes amendes; faire toutes réserves pour les droits à établir sur les tissus; suppression de tous traités de commerce. Il serait très difficile d'établir un droit sur les laines brutes, parce qu'il faudrait en même temps taxer les tissus, et ce dernier droit serait éludé.

Les genapp sont fils au continu, brûlés, passés au gaz qui les rase, on en fabrique des popelines à Lyon: la trame est en soie et la chaîne faite avec ces fils. Le déposant ignore quel droit il faudrait imposer sur la laine brute pour protéger l'agriculture, un droit de 15 0/0 augmenterait le prix d'une redingotte de 1 fr. 80, cela ne serait rien pour le consommateur. Il faudrait établir un drawback pour permettre l'exportation. La presque totalité des laines consommées à Amiens vient d'Australie et de la Plata. Dès 1853, les filateurs de laine au continu, à Amiens, demandaient à être protégés, les fabricants de velours repoussèrent cette réclamation et la repoussent encore, parce que les filés produits en France sont inférieurs. M. Delfosse, filateur, dit que si ce genre de filature n'a pas prospéré, c'est que la protection est insignifiante. M. Roger réplique qu'un droit

sur les fils poils de chèvre ruinerait l'industrie des velours et celle des nouveautés.

M. PLANCHE, président de la Chambre syndicale des tissus de Paris, fabricant de tissus de laine à Quesiny, Quevy et Poix, n'a rien à réclamer: son industrie exporte ses produits dans le monde entier, elle n'a pas besoin de protection. Sa fabrique fait le mérinos, le cachemire d'Ecosse, la popeline de laine, la mousseline, le mérinos double, etc. Partie du tissage est fait à la main, partie à la mécanique. La fabrique possède 150 métiers qui vont être portés à 300. La prospérité de Roubaix tenait à sa production d'articles de fantaisie; aujourd'hui les femmes portent beaucoup d'uni et la fabrication de Roubaix en souffre. Un article doit être protégé jusqu'au moment qu'il peut lutter sans désavantage : ce n'est qu'à l'abri de la protection qu'une industrie peut grandir. On ne fabrique plus d'Orléans ailleurs qu'à Bradford. La France n'importe pas de tissus de laine pure.

M. Delfosse déclare qu'aujourd'hui Roubaix produit pour 85 millions de tissus, dont 10 ne sont pas similaires des articles anglais : Roubaix fabrique donc pour 75 millions de tissus similaires aux Anglais. La protection devrait atteindre 20 0/0. Avec 20 0/0 de protection, ajoute M. Roger, nous pourrions exporter.

M. Planche dit que la consommation de mérinos a considérablement augmenté, plutôt à l'extérieur qu'à l'intérieur. Une partie des fabricants de Roubaix se sont rejetés sur la fabrication des popelines de laines et des mérinos qui font concurrence aux nôtres.

Le droit actuel ne protége rien les tissus de laine pure ne craignent aucune concurrence, seulement il faut se garder de mettre un droit sur la matière première.

La loi des coalitions offre de grands dangers : elle est faite contre les patrons; jamais les patrons ne se coalisent, la loi est un moyen de pression sur les patrons. Il faudrait revenir à l'ancienne loi la liberté de coalition est une mauvaise liberté. Une autre question est celle des livrets, leur suppression serait plus nuisible à l'ouvrier qu'au patron.

A Paris peu d'ouvriers ont leur livret. L'obligation de se présenter devant le commissaire de police est désagréable, il faut remplacer le commissaire par le maire.

M. Forcade expose que la demande de suppression des livrets a été faite par les ouvriers lors de l'Exposition.

M. Planche dit que la suppression des livrets entraînerait la suppression des avances.

Les traités de commerce assurent l'approvisionnement de l'Angleterre au détriment de la France.

M. CARLHIAN, négociant, membre de la Chambre de commerce de Paris, ne pense pas que les souffrances de l'industrie soient aussi vives qu'on le prétend, et ne les attribue pas aux mêmes causes. Tous les cinq ans il y avait autrefois une crise à Roubaix. Quand on produit trop, il y a trop-plein, puis dépréciation des produits et ruine des fabricants.

Les Expositions universelles ont poussé à une plus grande production les Anglais ont perfectionné leur production, nous avons augmenté la nôtre. Aujourd'hui il y a des stocks considérables partout. Il faut diminuer la production : les petites maisons sont tombées, les grandes résistent. Le trop-plein existe tant pour les tissus de coton que pour les tissus de laine. Les traités de commerce nous ont sauvés en nous ouvrant des débouchés et nous faisant mieux connaître les besoins des pays étrangers. Notre situation est trèsbonne, nous exportons beaucoup plus de produits manufacturés que nous n'en importons. L'importation d'Angleterre en tissus de coton est de 10 millions, et de 13 millions de tous pays : notre production étant de 600 millions, l'importation est de 2 1/8 0/0. Pour les tissus pure laine ou mélangés, la situation est la même. Si de 1867 à 1869 la proportion a été élevée, il faut l'attribuer à la mode qui a adopté les tissus en poil de chèvre. Pour les satinettes coton que nous importons d'Angleterre, teintes et apprêtées, le droit s'élève jusqu'à 28 0/0. Le déposant ne tire d'Angleterre que des tapis de feutre très-communs que l'on ne fait pas en France.

Depuis le traité de commerce, le nombre de nos métiers a doublé nous exportons des tapis riches, très-recherchés, et des tapis ras, mais on en fabrique peu.

M. Delfosse fait remarquer que, si l'exportation des tissus mélangés de Lyon a augmenté, celle de Roubaix a diminué. En 1860 l'exportation des tissus mélangés de toutes sortes a été de 63,500,000 fr.; en 1869, de 61,902,000 fr. De 1848 à 1854, l'exportation a été de 177,200,000 fr. De 1855 à 1861, elle s'est élevée à 340,300,000 fr., soit 96 0/0 d'augmentation. Ce n'est pas le traité de commerce qui a causé la progression suivante qui n'a été que de 85 0/0. L'exportation de mérinos de Reims pour l'Angleterre a subi une diminution de 100 0/0.

M. Werlé fait remarquer que cette diminution a eu lieu le jour où les États-Unis ont frappé les tissus d'un droit de 70 0/0. M. Planche ajoute que la mode a abandonné les mérinos pour les popelines, M. Desseilligny dit que la réduction dans l'exportation des étoffes mélangées provient de l'élévation des droits en Amérique.

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