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tous nos efforts, en répandant à flots l'instruction économique dans toutes les classes de la société. Qu'on ne dise plus surtout que cette science n'est pas faite pour le peuple. Il se charge de vous répondre. Vous ne l'instruisez pas, il s'instruit lui-même à sa manière et devient socialiste. Le socialisme, c'est l'économie politique des ignorants.

Voyons maintenant comment il sera possible d'atteindre le but qui est, à nos yeux, l'unique voie du salut. Les mesures à prendre sont multiples; on va voir qu'elles sont pratiques, et que, adoptées d'urgence et d'ensemble, elles ne tarderaient pas à produire de grands résultats.

Occupons-nous d'abord des lycées; la réforme est aisée: il suffit de la vouloir. C'est évidemment dans les lycées qu'il faut inaugurer l'enseignement de l'économie politique, précisément parce que les jeunes gens se dispersent au sortir du lycée dans des carrières diverses, et qu'il n'en est pas une seule pour laquelle l'économie politique ne soit une nécessité.

Qu'on se persuade, en effet, une fois pour toutes, que l'homme qui n'a aucune idée des lois qui régissent la société au milieu de laquelle il vit, qui ne sait pas ce que c'est que le capital, le travail et l'échange, que cet homme, fût-il un grand médecin, un grand avocat, un ingénieur distingué, un savant physicien, n'est pas capable de faire un citoyen. C'est en philosophie que l'étude de l'économie politique devrait être placée à l'âge où les jeunes gens arrivent à cette classe, leur esprit a acquis la maturité nécessaire pour étudier avec profit les sciences sociales, qui ont le mérite incontestable de développer le jugement et d'exiger une certaine pénétration d'esprit. Envisagée même comme de simples exercices de style et de dissertation, elles peuvent fournir matière à des sujets variés et non moins féconds que la philosophie. Enfin, quelque respect que nous professions pour cette dernière science, il nous est impossible de dissimuler que si nous trouvons bon qu'un jeune homme sache ce que pensaient Thalès et Pythagore, il nous paraît • encore plus indispensable qu'il soit de son temps, et qu'on veuille bien lui enseigner un peu quelque chose de la société au milieu de laquelle il va vivre.

En ce qui concerne l'instruction primaire, la diffusion des connaissances économiques présentera un peu plus de difficultés. Nous sommes convaincus, toutefois, que les plus grandes proviendront de la routine et des préjugés: on s'habituera difficilement à l'idée qu'il soit possible d'enseigner au peuple une science si peu connue. Et pourtant nous ne marcherons pas les premiers dans cette voie. Il y a longtemps que les Anglais se sont préoccupés de répandre dans leurs classes ouvrières de saines notions d'économie politique; on a publié à cet effet des livres nombreux dont on s'efforce de vulgariser la substance dans des conférences multipliées. Voici, en outre, ce qu'on peut lire dans le Journal

officiel du 26 juin dernier, et nous appelons sur ce fait, considérable à nos yeux, toute l'attention de nos lecteurs : « Le conseil de l'instruction publique à Londres vient de publier son plan d'organisation des écoles primaires. Il établit, pour les degrés supérieurs des classes d'adultes, un cours élémentaire d'économie sociale. >>

La réforme que nous réclamons est donc aujourd'hui accomplie en Angleterre; peut-être voudra-t-on bien en France ne plus la considérer comme une utopie.

Pour arriver à la réaliser chez nous, il convient, tout d'abord, de former des professeurs. A cet effet, il faut établir dans chaque école normale un cours d'économie politique et veiller avec soin à ce que les instituteurs les suivent très-assidument et parviennent à se l'assimiler. Lorsque les instituteurs posséderont les éléments de cette science, il deviendra facile de la répandre dans les campagnes en l'introduisant dans les cours d'adultes. Il faut surtout bien remarquer que la plus grande difficulté pratique est depuis longtemps vaincue, en ce que cet enseignement populaire n'est pour ainsi dire pas à créer. Bastiat a écrit pour le peuple des pamphlets qui sont de véritables chefs-d'œuvre, qui traitent à peu près de tous les éléments de l'économie sociale, et les présentent sous une forme si attrayante, si claire et si simple, que l'esprit le plus inculte peut le comprendre parfaitement; il suffirait de coordonner ces pamphlets, de les relier entre eux par de courtes explications complémentaires, pour obtenir le type le plus accompli d'une vulgarisation de la science économique. Avec un peu de bonne volonté, on arriverait donc à répandre assez vite dans les campagnes, aussi bien que dans les écoles primaires des villes, les connaissances qui sont notre véritable bouclier contre les prédications socialistes.

Quant aux ouvriers, voici un moyen encore plus simple de les instruire. Un grand nombre de nos meilleurs ouvriers, mécaniciens, modeleurs, forgerons, de ceux qu'un enseignement professionnel solide fait. promptement arriver dans nos ateliers aux fonctions de contre-maîtres, et même d'ingénieurs, sortent des écoles d'Angers, de Châlons et d'Aix. Ces jeunes gens débutent dans les ateliers, vivant de la vie des ouvriers, et exerçant sur leurs confrères l'influence légitime que leur donne leur instruction technique. Il faut que ces jeunes gens reçoivent dans leurs écoles des notions exactes et précises d'économie politique, et que surtout dans leurs examens de sortie, on attache autant d'importance à cette branche d'instruction qu'à leur éducation technique. C'est par eux que leurs confrères seront bientôt éclairés ; ils ne leur sont pas suspects, ils seront écoutés lorsqu'ils apporteront la vérité, et nous ne verrons plus ce spectacle désolant d'une réunion de pauvres gens recevant comme parole d'Evangile, sans que nul d'entre eux puisse répondre, de monstrueuses absurdités dignes de Charenton.

Qu'on soit donc enfin bien convaincu qu'il est impossible d'échapper désormais à la discussion des questions sociales; qu'aucune loi restrictive n'y parviendra; qu'il est infiniment plus difficile de rétablir la vérité dans des esprits dont l'erreur s'est emparée que de les pénétrer tout d'abord de notions saines et justes. Répandre la science économique dans toutes les classes de la société, avec ardeur, sans perdre un moment, voilà à nos yeux le salut. C'est une œuvre digne de réunir les efforts de tous les bons citoyens; jamais réforme n'aura été plus urgente, et si on veut enfin l'accomplir, n'aura produit sur la prospérité et la sécurité de la société, sur l'apaisement des passions mauvaises, sur l'union des classes, si nécessaire et si compromise aujourd'hui par de funestes erreurs, de plus grandes et de plus heureuses conséquences.

(Le Temps).

L. MOLINOS, ingénieur.

SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

REUNION DU 5 OCTOBRE 1871.

COMMUNICATIONS: Situation économique de la Roumanie. Observations faites en Belgique et en Hollande par M. Frédéric Passy : une séance de la Société néerlandaise de statistique; l'enseignement économique en Hollande; les Vierviersois et l'Internationale; réunion annuelle des instituteurs belges. — Le titre de membre de la Société d'économie politique peu propre à servir de passeport en Normandie. DISCUSSION. - Effets du payement des milliards à la Prusse sur la circulation monétaire.

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La diplomatie
La paix

OUVRAGES PRÉSENTÉS. Della libertà, par M. P. Sbarbaro. du second empire et celle du 4 septembre, par M. Eug. Poujade. sociale qu continuation de la guerre à l'ignorance, par M. Léon Lebon. Almanach des sociétés populaires à Verviers.

M. Vée, ancien maire de Paris, a présidé cette réunion, à laquelle avaient été invités M. Dameth, professeur d'économie politique à l'Université de Genève, et M. Boissonade, professeur suppléant d'économie politique, à la Faculté de droit de Paris.

Après la présentation de quelques ouvrages, par M. le secrétaire perpétuel (voir plus loin), M. Charles Vogel, membre de la Société, qui remplit, depuis quelques années les fonctions de conseiller chef de cabinet auprès de S. A. le prince de Roumanie, sollicité par M. le secrétaire perpétuel, donne un intéressant aperçu de la situation

économique et agricole de ce pays, qui commence à peine à tirer parti de ses avantages naturels.

Répondant aussi à une demande de M.le secrétaire perpétuel, M.A. Courtois égaye la réunion en racontant les péripéties d'une excursion qu'il vient de faire en Normandie. Arrivé à Rouen, un représentant de l'autorité lui demanda son passeport. Dépourvu de cet instrument de circulation, il exhibait divers papiers pouvant constater son identité, et il allait recevoir son exequatur, lorsque le bon gendarme lisant sur sa carte de visite la qualification de membre de la Société d'économie politique, lui dit : « J'allais vous laisser passer, mais actuellement mon devoir m'ordonne de vous conduire chez le commissaire de police. » Il était deux heures du matin à neuf heures, ce magistrat trouva, lui aussi, le cas grave, et il ne fallut rien moins qu'un télégramme de notre excellent collègue et ami, M. Léon Say, préfet de la Seine, pour lui persuader que la Société d'économie politique diffère sensiblement de la Commune ou de l'Internationnale.

M Frédéric Passy, qui vient de passer quelques jours en Belgique et en Hollande, où il a fait des conférences sur la paix sociale et sur la barbarie moderne, présente à la Société deux petits ouvrages qu'il a rapportés : L'un, intitulé la Paix sociale ou la Guerre à l'ignorance, dont le titre dit assez l'objet, est l'œuvre de M. Léon Lebon, chef du service de l'enseignement primaire en Belgique; l'autre est l'Almanach des soirées populaires de Verviers, excellente publication qui devrait être imitée dans toutes nos villes de France, ainsi que l'œuvre non moins excellente dont elle est l'annuaire et qu'elle fait parfaitement connaître.

A l'occasion de ces présentations, M. F. Passy, sur l'invitation de la Société, donne quelques renseignements sur ce qu'il a été à même d'entrevoir pendant son trop rapide passage dans les deux pays qu'il vient de traverser.

Arrivé à Amsterdam, dit-il, pour le dimanche 30 septembre, il s'y trouva, par une heureuse coïncidence, pour la séance de la Société de statistique, qui réunit deux fois par an, dans une grande et belle salle, les représentants des diverses sociétés locales qui s'occupent, en Hollande, des questions économiques.

Parmi les questions à l'ordre du jour, et qui furent l'objet de rapports et de discours faits par des hommes tels que M. Pierson, directeur de la Banque néerlandaise, Asser, professeur de droit à Amsterdam, Vissering, professeur à l'Université de Leyde, de Bamhauer, directeur de la statistique, etc., etc., figuraient entre autres les sujets suivants : De l'influence des emprunts multipliés,

tous nos efforts, en répandant à flots l'instruction économique dans toutes les classes de la société. Qu'on ne dise plus surtout que cette science n'est pas faite pour le peuple. Il se charge de vous répondre. Vous ne l'instruisez pas, il s'instruit lui-même à sa manière et devient socialiste. Le socialisme, c'est l'économie politique des ignorants.

Voyons maintenant comment il sera possible d'atteindre le but qui est, à nos yeux, l'unique voie du salut. Les mesures à prendre sont multiples; on va voir qu'elles sont pratiques, et que, adoptées d'urgence et d'ensemble, elles ne tarderaient pas à produire de grands résultats.

Occupons-nous d'abord des lycées; la réforme est aisée: il suffit de la vouloir. C'est évidemment dans les lycées qu'il faut inaugurer l'enseignement de l'économie politique, précisément parce que les jeunes gens se dispersent au sortir du lycée dans des carrières diverses, et qu'il n'en est pas une seule pour laquelle l'économie politique ne soit une nécessité.

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Qu'on se persuade, en effet, une fois pour toutes, que l'homme qui n'a aucune idée des lois qui régissent la société au milieu de laquelle il vit, qui ne sait pas ce que c'est que le capital, le travail et l'échange, que cet homme, fût-il un grand médecin, un grand avocat, un ingénieur distingué, un savant physicien, n'est pas capable de faire un citoyen. C'est en philosophie que l'étude de l'économie politique devrait être placée à l'âge où les jeunes gens arrivent à cette classe, leur esprit a acquis la maturité nécessaire pour étudier avec profit les sciences sociales, qui ont le mérite incontestable de développer le jugement et d'exiger une certaine pénétration d'esprit. Envisagée même comme de simples exercices de style et de dissertation, elles peuvent fournir matière à des sujets variés et non moins féconds que la philosophie. Enfin, quelque respect que nous professions pour cette dernière science, il nous est impossible de dissimuler que si nous trouvons bon qu'un jeune homme sache ce que pensaient Thalès et Pythagore, il nous paraît • encore plus indispensable qu'il soit de son temps, et qu'on veuille bien lui enseigner un peu quelque chose de la société au milieu de laquelle il va vivre.

En ce qui concerne l'instruction primaire, la diffusion des connaissances économiques présentera un peu plus de difficultés. Nous sommes convaincus, toutefois, que les plus grandes proviendront de la routine et des préjugés: on s'habituera difficilement à l'idée qu'il soit possible d'enseigner au peuple une science si peu connue. Et pourtant nous ne marcherons pas les premiers dans cette voie. Il y a longtemps que les Anglais se sont préoccupés de répandre dans leurs classes ouvrières de saines notions d'économie politique; on a publié à cet effet des livres nombreux dont on s'efforce de vulgariser la substance dans des conferences multipliées. Voici, en outre, ce qu'on peut lire dans le Journal

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