Page images
PDF
EPUB

De semblables décrets pouvaient autoriser des virements d'un chapitre à un autre.

En 1853 le ministre des finances, M. Bineau, exposant le nouveau mode de voter les budgets, n'hésitait pas à en avouer la portée : « Le pays, par ses députés, fixe annuellement la somme qu'il veut mettre à la disposition du chef de l'Etat pour le gouverner, l'administrer et le défendre. Cette somme une fois déterminée, c'est au chef de l'Etat à en régler l'emploi suivant les besoins et les intérêts du pays. »>

D'après cette doctrine, l'administration des finances de l'Etat devenait une entreprise à forfait et M. Troplong, lui donnant son vrai nom, l'appelait : « un abonnement ».

Toutefois, par une conséquence logique et dont il semblait impossible de s'affranchir, le ministre des finances ajoutait : « Le but sera atteint, mais à condition que, sauf des cas tout à fait extraordinaires et exceptionnels, les crédits supplémentaires disparaîtront. La faculté de virement d'un chapitre à un autre supprimera la presque totalité des annulations de crédits. Il faut par contre qu'elle supprime de même la presque totalité des crédits supplémentaires. »

On sait ce qu'a produit ce système.

De 1852 à 1861 les crédits supplémentaires, malgré la facilité de virement, se sont élevés - déduction faite des années de guerre 1854, 1855, 1856 et 1859 à plus d'un milliard, c'est-à-dire à 160 millions environ pour chacune des années de paix.

C'est ce que n'ont jamais manqué de faire ressortir, il faut le reconnaître, les rapporteurs des budgets; c'est ce qu'a souvent signalé et combattu une opposition qui suppléait à sa faiblesse numérique par le talent et l'activité, et plus d'une fois des bancs de la majorité même s'élevèrent d'honorables protestations.

Le mal avait pris de telles proportions qu'il amena le fameux rapport de M. Fould et le sénatus-consulte du 31 décembre 1861. Deux points principaux formaient la base du système de M. Fould, la suppression des crédits supplémentaires et extraordinaires à moins qu'ils ne fussent accordés par une loi le vote du budget par sections et la répartition par décret entre les chapitres des crédits votés. Des virements pouvaient avoir lieu entre les chapitres d'une section et même d'une section à l'autre, en vertu d'un décret.

Le Chef de l'Etat, ayant le droit de modifier par des décrets la répar tition des chapitres entre les sections pour lesquelles des crédits avaient été votés, le droit de virements devenait sans autres limites que celles du budget d'un ministère. En outre, ce n'était pas seulement sur l'ercedat des chapitres c'est-à-dire sur les sommes non necessaires — c'était sur le disponible c'est-à-dire sur les sommes non encore employées — qu'on avait le droit de faire porter les virements; de sorte que ces sommes de

venant plus tard nécessaires aux services auxquels elles avaient été d'abord affectées, il fallait les restituer au chapitre duquel elles avaient été distraites.

Deux ans ne s'étaient pas écoulés que l'événement avait démontré l'inanité de ce système. Il avait fallu recourir à des crédits extraordinaires en l'absence du Corps législatif, malgré les dispositions formelles du sénatus-consulte du 21 décembre 1861. Prétendre supprimer absolument les crédits supplémentaires et extraordinaires est une chimère. En effet, de quelque nom qu'on appelle les crédits destinés à faire face aux dépenses extra-budgétaires, il y aura toujours des services publics pour lesquels les prévisions du budget, si larges qu'elles soient, se trouveront accidentellement en défaut; de là, nécessité des crédits supplémentaires. De même il y aura toujours, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur, des circonstances imprévues impossibles à prévoir, qui exigeront l'emploi de sommes excédant les ressources du budget; de là les crédits extraordinaires que les assemblées législatives, à moins qu'elles ne soient permanentes, ne peuvent sanctionner que lorsque la dépense est engagée et souvent faite et payée.

C'est un des points les plus délicats et en même temps les plus importants d'une bonne administration financière. La première garantie de cette bonne administration est dans la spécialité rigoureuse que l'empire n'a jamais voulu accepter, car le sénatus-consulte de 1861 n'avait appelé le Corps législatif à voter séparément que sur cinquante-cinq grandes sections et la faculté de virement, telle qu'elle avait été établie, rendait le contrôle complétement illusoire. Le sénatus-consulte du 8 septembre 1869 a rétabli le vote par chapitre, mais n'a rien changé, du reste, aux dispositions du sénatus-consulte de 1861. Il est impossible d'en rester là. Tout crédit extraordinaire ou supplémentaire soumis à la nécessité de la sanction législative; le vote du budget par chapitre et tout virement interdit d'un chapitre à l'autre, telles sont les règles financières qui étaient observées sous le régime de la monarchie constitutionnelle et de la République de 1848; telles sont celles qu'il faut consacrer et maintenir. Ajoutons qu'avec une assemblée permanente les ouvertures de crédits doivent être assujetties à la sanction préalable. Ce n'est que pendant les prorogations que des arrêtés rendus en conseil d'Etat, non point sur la proposition d'un ministre, mais après délibération en conseil, pourront pourvoir à des besoins pressants, sous la condition d'être convertis en lois dès la plus prochaine réunion de l'Assemblée nationale. Les crédits supplémentaires ne pourront, comme sous la monarchie constitutionnelle de 1830 et sous la République de 1848, être ouverts que pour certains services volés, dont la nomenclature est jointe à la loi des finances. Cette nomenclature est celle de la loi de 1850; elle est beaucoup plus étendue que celle de la loi de 1834.

La Commission pense, en outre, que l'Assemblée voudra supprimer désormais la division du budget en budget ordinaire et budget extraordinaire. Tout a été dit sur cette question et nul n'a plus éloquemment condamné ce système que M. le président de la République.

-

Nous regrettons, Messieurs, de vous présenter un rapport moins complet que nous ne l'aurions souhaité. Nous aurions à nous en excuser si nous ne pensions que vous voudrez bien prendre en considération la multiplicité et la diversité des questions qui ont fait l'objet de nos travaux incessants.

LA QUESTION MONÉTAIRE (1).

Résumé de la déposition de M. LEON devant le conseil supérieur du commerce, séance du 28 avril 1870.

Le ministre du commerce (M. Louvet) préside la séance. Il donne la parole à M. Léon et l'invite à s'expliquer sur les différents points men tionnés au programme.

Ce programme comprend cinq questions. Le déposant se propose de répondre en même temps aux deux premières qui sont évidemment connexes et se rapportent à la pièce de 25 francs.

[merged small][ocr errors]

L'émission d'une pièce de 25 francs est-elle utile au

2e question.

[ocr errors]

Aurait-elle

point de vue de l'unification monétaire? des inconvénients au point de vue de notre circulation intérieure? Le déposant ne pense pas que l'émission d'une pièce de 25 francs ait de graves inconvénients pour notre circulation intérieure; mais il ne croit pas non plus qu'elle ait une grande utilité ou une grande portée. Les pièces actuelles suffisent à nos besoins, et s'il ne s'était agi que notre commerce intérieur, personne n'aurait songé à la pièce de

25 francs.

de

se

En réalité, et dans la pensée même des auteurs de la proposition, il n'y a là qu'une avance faite à l'Angleterre, afin de la déterminer à réduire sa livre sterling à la même valeur de 25 francs. Mais l'Angleterre montre peu disposée à accepter nos avances, et la commission spéciale qui avait été nommée pour examiner la proposition du gouvernement français a conclu au rejet de cette proposition. Elle a déclaré que la livre sterling lui paraissait une mesure tout aussi régulière, tout aussi commode que la pièce de 25 francs, et que la supériorité attribuée à cette pièce de 25 francs n'était pas justifiée.

(1) Voir la déposition de M. Joseph Garnier dans le n° de décembre 1870, tome XX, p. 321.

Cette supériorité, on ne la voit pas, en effet, et c'est là le côté faible des combinaisons qui ont prévalu dans la conférence de 1867. On a cherché à opérer un rapprochement entre les monnaies des divers pays, en augmentant un peu les unes et diminuant un peu les autres, sans règle bien fixe. Mais il y a dans ce procédé quelque chose d'arbitraire qui ne pouvait pas manquer de, soulever des objections. Il faudrait tâcher de donner à la communauté des monnaies une base plus solide et l'appuyer sur un principe rationnel que personne ne pût contester. Le déposant ne croit pas que ce soit impossible.

Au lieu d'insister pour obtenir des Anglais une concession qui leur répugne, nous devrions leur en demander une autre à laquelle ils sont tout disposés : ce serait de mettre leur monnaie d'or au titre de 9/10 de fin, titre adopté non-seulement par nous et par nos alliés monétaires, mais par les Etats-Unis d'Amérique et plusieurs autres puissances.

Les Anglais n'éprouveraient aucune difficulté pour introduire dans leur monnaie ce titre de 9/10; ils n'auraient qu'à laisser la même quantité d'or fin dans les pièces qu'ils frapperaient désormais, en y ajoutant un neuvième d'alliage en poids, au lieu d'un onzième qu'ils mettent aujourd'hui. Ils obtiendraient ainsi des pièces à 9/10 de la même valeur que les pièces actuelles, et ils ne seraient pas obligés de refondre immédiatement celles-ci. La petite différence existant entre les anciens souverains à 11/12 et les nouveaux à 9/10 ne serait appréciable ni à l'œil ni à la main; les nouveaux seraient un peu plus lourds; mais il faudrait des balances bien exactes pour constater l'augmentation de poids. On pourrait donc se contenter de refondre peu à peu les pièces les plus légères et, au bout de quelques années, on n'aurait plus que des pièces au titre de 9/10.

Ce serait un grand pas de fait vers l'uniformité des monnaies, car l'exemple de l'Angleterre entraînerait bientôt les nations qui résistent encore. Les Allemands, par exemple, ont frappé depuis quelques années une pièce d'or de dix grammes, en y ajoutant un gramme d'alliage, c'est-à-dire qu'au lieu de neuf parties d'or fin et une partie d'alliage, la pièce contient dix parties d'or fin et une d'alliage; mais, s'ils voyaient l'Angleterre adopter le titre de 9710, ils s'y rallieraient aussi et l'uniformité du titre serait ainsi établie chez toutes les grandes nations, ou du moins chez toutes celles qui sont déjà en communauté de civilisation.

Que resterait-il à faire ensuite pour compléter l'uniformité des monnaies? Il resterait à uniformiser les poids. En effet, si les pièces d'or de tous les pays ont le même poids et le même titre, il est évident qu'elles ont la même valeur. En obtenant l'uniformité du titre, nous aurons donc fait la moitié du chemin. L'attention, dès lors, se portera tout entière sur les moyens d'obtenir l'uniformité du poids, et on les trouvera bientôt.

[graphic]

Déjà, d'ailleurs, l'uniformité du titre donnerait certaines facilités au commerce. Les monnaies d'or, étant partout au même titre, auraient partout la même valeur à poids égal, en sorte qu'elles pourraient s'échanger d'un pays à l'autre poids pour poids, sans compter les pièces. Supposez, par exemple, que la Banque de France ait 100 kilogrammes de monnaie d'or anglaise, la Banque d'Angleterre 100 kilogrammes de monnaie d'or française, les 100 kilogrammes de l'une pourront s'échanger contre les 100 kilogrammes de l'autre, comme valeurs égales, sans aucun compte en livres sterlings ou en francs.

Commençons donc par l'uniformité du titre. Tout changement dans les monnaies demande du temps et des ménagements. Il s'est écoulé une longue suite de siècles depuis que les peuples ont adopté l'usage de la monnaie, et chacun d'eux a toujours eu la sienne. Ce n'est pas en un jour qu'on les amènera à se servir d'une monnaie commune. L'essentiel, en pareille matière, n'est pas d'aller vite; c'est de marcher sûrement, d'avancer graduellement vers le but, et d'éviter les fausses manœuvres.

Puisque les commissaires anglais, dans la conférence internationale de 1867, ont déclaré qu'ils n'avaient pas d'objection contre le titre de 9/10; puisque la commission spéciale nommée plus tard par le gouvernement anglais a émis un avis dans le même sens, ce gouvernement ne peut plus nous opposer un refus. Rappelons-lui les précédents, et comme nous avons de bonnes raisons à faire valoir, il s'y rendra infailliblement.

[ocr errors]

3e question. Les bases de l'unification monétaire générale, proposées par la Conférence internationale de 1867, soulèvent-elles quelques objections?

Le déposant pense qu'elles soulèvent une objection grave et n'atteignent pas le but qu'on doit avoir en vue. Ces dispositions laissent subsister des unités monétaires qui varient selon les pays.

Dans les Pays-Bas, le florin, qui vaut aujourd'hui 2 fr. 11 ou 2 fr. 12 serait réduit à 2 francs;

En Prusse, le thaler serait fixé à 3 fr. 75;

En Russie, le rouble à 4 francs;

Dans l'Allemagne du Sud et en Autriche le florin serail porté de 2 fr. 47 à 2 fr. 50;

Le dollar américain, qui est présentement de 5 fr. 17, serait réduit à 5 francs.

Enfin, la livre sterling, qui vaut 25 fr. 20 environ, serait ramenée à 25 francs.

Entre ces différents unités, le rapport n'est pas toujours simple. Ainsi, entre le florin de 2 francs et le thaler de 3 fr. 75, il n'existerait pas un rapport simple. Le rapport ne serait pas plus simple entre ce thaler de 3 fr. 75 et le rouble de 4 francs. De même entre la pièce de

« PreviousContinue »