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leur prix, forçaient l'accès de nos frontières, nous étions devenus, pour d'autres articles les fournisseurs par excellence de presque tous les marchés du globe. Comment ne pas reconnaître ces résultats et pourquoi en parler la rougeur au front, comme des hommes qui s'en repentent et qui les expient? Pourquoi, de gaîté de cœur, y renoncer? C'est une belle page pour l'activité de la nation; il est douteux que nous en retrouvions une pareille; au lieu d'en briser le cadre, on devrait, coûte que coûte, le conserver.

Resterait toujours un impôt à trouver. S'il est un fait démontré, c'est qu'il n'en est point de pire qu'un droit sur les matières premières. Sur ce point du moins les conclusions sont unanimes. La Commission du budget ne pense pas autrement que les chambres de commerce, et les chambres de commerce ne font que rendre avec plus d'autorité l'expression du sentiment général. Or, l'impôt sur les matières premières étant écarté, la question des traités qui en était l'instrument disparaît du même coup et avec les traités cette idée fixe d'un retour au régime de la protection qui n'est guère compatible avec l'esprit du temps. Le terrain sera ainsi dégagé de tout ce que le ministre des finances, avec la meilleure intention du monde, y avait semé d'obstacles, et l'on pourra, avec plus de liberté d'esprit, examiner les éléments de recette que la Commission du budget propose à l'Assemblée pour suppléer aux vides causés par ses conclusions. Quoi qu'on décide, tout expédient financier, si rigoureux qu'il soit, vaudra mieux qu'un étouffement à huis-clos de nos industries les plus dignes d'encouragements, celles qui exportent, et cela, comme le fait remarquer en termes excellents le rapporteur, M. Casimir Périer, « dans un moment où de la prospérité de ces industries dépend la reconstitution du capital national si rudement entamé par les dépenses de la guerre et par l'énorme rançon que la France doit payer. » Ainsi conclut la Commission, d'accord en cela avec tous les hommes sensés et que préoccupe exclusivement l'intérêt public (1).

LOUIS REYBAUD.

(1) V. dans le numéro d'août 1871, t. XXIII, page 288, l'exposé de la réunion des députés partisans de la liberté commerciale et plus loin dans le présent numéro un exposé statistique fait au club Cobden.

SOUVENIRS DU SIÈGE DE PARIS

CINQ MOIS A L'HOTEL-DE-VILLE

(SEPTEMBRE 1870- ·FÉVRIER 1871)

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SOMMAIRE. Les approvisionnements de Paris avant l'investissement.Difficultés provenant de l'octroi. Les magasins de la ville et les magasins du commerce. Effets du régime administratif. — Supériorité du mécanisme commercial. — La mairie centrale, les municipalités des arrondissements, la commission des subsistances et le gouvernement de la défense nationale. Effets des réquisitions, du rationnement et de la taxe.-—Manifestations et réclamations illibérales de l'opinion publique, des clubs, des assemblées des maires, de la presse. Les distributions gratuites. La période du ravitaillement. Nécessité d'une réforme morale en France pour corriger l'esprit autoritaire et réglementaire. Défauts et qualités de la popula

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tion française; symptômes de régénération.

A M. JOSEPH GARNIER, rédacteur en chef du JOURNAL DES ÉCONOMISTES.

Vous me dites, mon cher Garnier, que mon passage aux affaires, pendant le siége de Paris par les Prussiens, à dû me laisser des souvenirs et me suggérer des réflexions qu'il pourrait être utile de communiquer aux lecteurs du Journal des économistes.

J'ai eu en effet l'honneur d'être adjoint à la mairie de Paris, depuis le 5 septembre 1870 jusqu'au 15 février 1871. Mes attributions n'étaient pas très exactement définies, mais les subsistances en furent dès le début l'objet principal et peu à peu l'objet unique. Placé comme intermédiaire entre les chefs de service qui appartenaient presque tous à l'ancienne administration et les membres du gouvernement nouveau, en contact perpétuel avec le public, surveillant le travail des mairies locales, assiégé par des réclamations incessantes, en proie au zèle des donneurs d'avis, j'ai été à même d'observer, au milieu d'une crise terrible, l'état des esprits, les habitudes et les tendances, soit au dedans, soit au dehors de la sphère administrative; j'ai pu suivre de près les effets immédiats et de loin le contrecoup de mesures graves, les unes dont j'avais pris l'initiative ou que j'avais simplement approuvées et que j'étais chargé d'exécuter, les autres que j'avais combattues en vain.

Malheureusement les notes et les correspondances qui m'auraient aidé à préciser mes observations, ont disparu, pour la plupart, dans l'incendie de l'Hôtel de Ville. J'essaierai d'y suppléer en m'attachant à quelques faits qui ont laissé dans ma mémoire des traces profondes et nettes. Ce n'est pas sans une certaine tristesse que je me décide à le faire, car en se reportant à une époque de périls, d'angoisses et de souffances, on risque de raviver bien des douleurs, mais les épreuves que nous avons subies sont de celles qu'on ne doit pas oublier: leur amertume donne une saveur particulière aux enseignements qu'on y puise.

Entre la révolution du 4 septembre et l'investissement complet de Paris, douze jours s'écoulèrent. Les approvisionnements de toutes sortes affluaient. Aux commandes de l'État et du libre commerce venaient se joindre les récoltes et les réserves des cultivateurs fuyant effarés devant l'invasion, Dans les gares et aux barrières l'encombrement était prodigieux. Deux circonstances contribuaient à l'augmenter: l'insuffisance du camionnage et la visite de l'octroi. Les compagnies des chemins de fer déployaient beaucoup de zèle, mais, prises au dépourvu, elles n'avaient pas su réorganiser leurs services sur des bases suffisamment larges. Elles souffraient en outre de ce désordre général qui s'était glissé, sous l'empire, dans toutes les administrations; des masses de colis expédiés sous le couvert de l'intendance, pour le compte de divers négociants, n'étaient réclamés ni par l'intendance, ni par les négociants, ceux-ci se reposant sur l'intendance et l'intendance sur eux; il eût été bien plus commode et bien plus prompt de remettre le tout en bloc au destinataire véri table en le laissant se débrouiller ensuite avec les intermédiaires; on finit, je crois, par s'y résoudre, après avoir perdu un temps bien précieux.

Quant à l'octroi c'était un obstacle qu'un simple décret pouvait le ver. Je proposai de le suspendre d'une manière absolue, pendant une quinzaine. M. Et, Arago était alors maire de Paris; il ne redoutait pas les mesures radicales et son patriotisme saisissait avec emprese sement tous les moyens propres à prolonger la résistance. Il approuva le projet qui fut porté au conseil du gouvernement. Là des objections surgirent. On disait que cette immunité provisoire étendue aux marchandises des entrepôts ferait perdre au Trésor et à la Ville de grosses recettes; restreinte aux marchandises du dehors, elle créerait une inégalité choquante parmi les commerçants, au préjudice des entrepositaires. Nous répondions qu'il n'y a pas de dégrèvements, momentanés ou définitifs, qui ne nuisent à quelques intérêts privés, tout en diminuant les ressources fiscales, ce qui n'empêche

pas qu'on y ait recours quand l'intérêt public l'exige, On s'arrêta à un terme moyen: on exempta des droits les denrées et marchandises introduites en quantité limitée et pouvant être considérées comme provisions de famille. On facilitait ainsi le passage des réfugiés, mais on ne supprimait pas les retards causés par les visites et les perceptions aux barrières. Cet exemple permet d'apprécier de quel poids pèse sur les peuples un système contributif vicieux. Les impôts de consommation très-aimés des financiers, parce qu'ils sont très-productifs, critiqués par les économistes parce qu'ils sont iniques et gènent les transactions commerciales, créent à la longue autour d'eux un ensemble d'intérêts qui militent en leur faveur. Une crise arrive et met en évidence leurs défauts en les grossissant. Ils subsistent néanmoins protégés par le milieu où ils ont pris racine; ils compromettent, sans qu'on ose les écarter, les affaires les plus graves, les plus urgentes, celles qui touchent au salut même de la patrie. Conservateurs et révolutionnaires semblent d'accord pour les maintenir, les premiers ne voulant d'aucune réforme, les seconds poursuivant des réformes chimériques qui les dégoûtent des autres.

A mesure que nos magasins s'emplissaient, je les visitais, accompagné par un inspecteur des halles et marchés. Cette visite à laquelle je consacrai plusieurs jours, avait surtout pour but de vérifier les existences. Je me méfiais des tableaux qui m'étaient remis. Nous savions, par une cruelle expérience, quel abîme il peut y avoir entre les déclarations officielles et la réalité, L'administration française tout entière se trouvait, par suite de nos désastres, sous le coup d'une suspicion bien naturelle, trop souvent hélas! justifiée par les faits. Cette fois, heureusement, l'épreuve tourna en sens inverse. Nous n'eûmes à constater aucun déficit imprévu. Les sacs de farine énumérés dans les tableaux n'existaient pas seulement sur le papier, j'eus le plaisir de les voir et de les palper, non pas tous, car il y en avait près de deux cent mille, mais un nombre suffisant pour contrôler les écritures et en constater l'exactitude.

Rassuré sur le point le plus inquiétant et le plus essentiel, je portai mon attention sur des détails qui ne laissaient pas d'avoir une certaine importance et j'eus alors l'occasion de comparer les magasins de la ville avec ceux du commerce. Les uns et les autres contenaient des dépôts de denrées alimentaires achetées par l'État pour la consommation de Paris. Les magasins du commerce me parurent bien supérieurs. C'était vraiment un spectale admirable que de voir de pareils amas de marchandises disposés avec tant d'ordre, surveillés avec tant de soin dans de longues galeries si bien aérées, si bien tenues de toute manière, si simplement et si commodément construites. Les greniers d'abondanoe situés près de la Bastille, les

établissements de MM. Moranvillé et Trotrot à la Villette, les derniers surtout, méritaient à cette époque d'être cités comme des modèles. Il serait injuste de les oublier aujourd'hui, car ils ont été brulés par la commune, malgré les services qu'ils avaient rendus pendant le siége.

Les magasins de la ville étaient loin d'offrir un spectacle aussi réjouissant. Établis pour la plupart dans des édifices d'un aspect monumental, leurs aménagements intérieurs ne répondaient pas aux apparences du dehors. A la halle au blé les sacs de farine étaient entassés sur une hauteur énorme, tandis qu'à la Villette les étages nombreux et bas permettaient d'isoler chaque rangée. Aux pavillons des halles centrales, le sous-sol humide et sale exposait beaucoup de denrées à se corrompre rapidement. Bien des fromages périrent ainsi, emportant avec eux les plus vifs regrets des Parisiens. Il y avait là également des pommes de terre qui se gatèrent bien vite; mais il faut dire qu'elles avaient été achetées au mois d'août dans de mauvaises conditions; c'était un legs de l'administration impériale. Dès les premiers jours de septembre, elles répandaient une odeur nauséabonde.

Les dépôts provisoires, improvisés à la hâte dans la cour des Invalides et derrière l'école militaire, présentaient des inconvénients bien autrement graves. Les approvisionnements s'y trouvaient sans abri, aux approches de la saison pluvieuse. On les couvrait, comme on pouvait, avec des bâches en cuir ou en toile, en attendant que les hangars sous lesquels on devait les mettre, fussent construits, construction commandée trop tard et conduite avec mollesse. Dans un quartier voisin une vaste usine était libre. On avait songé avec raison à l'utiliser et elle figurait en effet sur la liste de nos magasins; mais quand je la visitai, je la trouvai presque vide. Je ne dissimulai ni ma surprise ni mon mécontentement. On me donna comme excuse la difficulté de se procurer des chevaux. Or à deux pas de là, séparés de nous par une mince cloison, je découvris sans peine quatre-vingts chevaux robustes, parfaitement reposés, car ils ne travaillaient pas depuis quatre jours. Peu de temps après, l'usine était pleine; ce qu'elle recevait était autant d'enlevé aux dépôts en plein air du quartier des Invalides.

Je ne voudrais pas tirer de faits particuliers des conclusions trop générales, mais je ne crois pas être téméraire en affirmant que le régime administratif, conçu et pratiqué comme il l'est dans notre pays, étouffe l'initiative personnelle, énerve le sentiment du devoir, rend les hommes insouciants, inaptes aux affaires qui exigent une activité toujours en éveil, une exécution prompte et vive. Tous les agents de

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