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3 milliards qui fut laissé par Louis XIV. La pénurie du trésor fit accueillir favorablement l'Écossais Jean Law, qui vint à Paris avec une grande fortune et de grandes idées financières. Il obtint la permission d'établir une banque privée au capital de 6 millions, divisés en douze cents actions de 6,000 livres chacune. Cette banque était autorisée à escompter la lettre de change, à se charger des comptes des négociants et à émettre des billets au porteur. Law créa ensuite une compagnie des Indes occidentales pour exploiter la Louisiane et les bords du Mississipi. Elle était destinée à jouer en Amérique le rôle que l'East-India Company a rempli dans l'Hindoustan. Ainsi, Law, après avoir créé la banque de France, y ajoutait la société par actions et l'appliquait à une gigantesque entreprise. Malheureusement, comme il fallait à tout prix de l'argent, on eut recours à l'agiotage. La rue Quincampoix en fut le centre. Dans cette rue, qu'on appela le Mississipi, dit un historien anonyme, était une foule immense occupée à spéculer du matin jusqu'au soir; les souscriptions divisées en coupons, et rendues transmissibles comme des billets au porteur au moyen d'un simple endossement, avaient singulièrement facilité les spéculations. Toutes les classes de la société s'étaient confondues dans la trop fameuse rue, des gens d'épée et de robe, des hommes d'église, moines, prêtres, abbés, prélats, des bourgeois paisibles, des artisans laborieux, des domestiques, des femmes même s'étaient fait spéculateurs; aux Parisiens s'étaient bientot joints des provinciaux et des étrangers venus de toutes parts: tout le monde accourait au rendez-vous commun de la fortune. Les créanciers y apportaient leurs remboursements, les propriétaires la valeur de leurs terres; les grandes dames ellesmêmes la valeur de leurs diamants; les aventurières, qui n'avaient d'autres fonds que leurs talents de galanterie, voulurent essayer s'il ne leur serait pas possible de participer aussi aux gains du système. Il y en avait un bon nombre qui stationnaient dans les environs du Mississipi.

Les cafés, déjà très-nombreux à Paris, quoique le premier n'eût été établi que sous Louis XIV, étaient remplis de spéculateurs aux environs de la rue Quincampoix. Les boutiques et les appartements avaient été transformés en bureaux où l'on débitait des actions et des billets d'état. On cite un bossu qui se fit des rentes solides en prêtant son dos pour servir de table aux parties contractantes. Un savetier qui travaillait sous quatre planches adossées au mur d'un jardin, commença par garnir son échoppe de petits tabourets pour y faire asseoir les femmes que la curiosité attirait en ce lieu; cette idée lui réussissant, il abandonna son premier métier pour fournir des plumes et de l'encre dans les opérations qu'on venait faire dans sa petite boutique, lorsque l'impatience des négociants ne leur permettait pas d'entrer dans les bureaux ordinaires. Son attention dans sa nouvelle industrie, jointe à la rétribution des sellettes, lui valurent jusqu'à 200 livres par jour. Il y eut des fortunes si brusquement faites, qu'on prétendit que certains Mississipiens s'étaient oubliés jusqu'à monter par distraction derrière leur propre carrosse, en souvenir de leurs anciennes habitudes. On en cite un qui, pressé de célébrer sa nouvelle fortune par un grand festin, acheta en bloc le fonds de boutique d'un orfévre; sa femme, ne connaissant pas bien l'usage de tous les objets achetés, servit, au milieu de la vaisselle plate, des ornements destinés au culte et aux cérémonies religieuses. Tout à coup la panique se fit. Par un édit, en date du 5 mars 1720, la banque fut réunie à la Compagnie, le prix des actions fixé irrévocablement à 9,000 livres, et un bureau ouvert à la banque pour échanger à volonté une action contre 9,000 livres billets, ou 9,000 livres billets contre une action. Un autre édit, du 21 mai 1721, annonça la réduction progressive des actions et des billets. Elle devait commencer le jour même de la publication de l'édit, et continuer de mois en mois jusqu'au 1er décembre. A ce dernier terme, l'action ne devait plus valoir que 5,000 livres, le billet de 100 livres ne plus en valoir que 50, celui de 1,000 que 500. Law fut discrédité; on lui ôta la charge de contrôleur des finances, et il eût été victime de la rage des spéculateurs déçus, s'il n'avait pris le parti de s'enfuir à Bruxelles. L'élévation et la chute de Law et de son système sont les seuls événements auxquels Paris ait pris une part active jusqu'à la révolution. La cour s'amuse sans songer qu'elle creuse le gouffre du déficit. La bourgeoisie recueille évidemment la théorie des réformateurs; un vernis de frivolité et d'insouciance semble répandu sur toute la société ; l'esprit mobile du Parisien s'occupe tour à tour ou simultanément des

querelles religieuses soulevéee par la bulle Unigenitus et des discussions littéraires du café Procope; de ce qui se passe dans le boudoir des favorites et de ce qui se passe à Ferney, d'où Voltaire répand sa lave sur l'Europe; de l'Encyclopédie et de l'Opéra; de Gluck et de Piccini; des économistes; des parties fines, des insurgents, des pantins, du Mariage de Figaro, des ballons, de la décomposition de l'eau, du parfilage, du magnétisme, des coiffures au Tézisson, du compte-rendu de Necker et des poufs au sentiment.

Le règne de Louis XV vit naître les réverbères, qui furent inventés par l'abbé Matherot de Preigney et Bourgeois de Chateaublanc. Le privilége de l'éclairage public leur fut accordé le 28 décembre 1745, et le même jour parut un poëme intitulé: les nouvelles lanternes, dont l'auteur, Valois d'Orville, célébrait avec enthousiasme les bienfaits d'une découverte aussi utile pour la sécurité des habitants.

Le règne de la nuit désormais va finir;
Des mortels renommés par leur sage industrie,
De leur climat sont prêts à la bannir:
Vois les effets de leur génie :
Pour placer la lumière en un corps transparent,
Avec un verre épais une lampe est fermée,
Dans son centre une mèche, avec art enfermée,
Frappe un réverbère éclatant,

Qui, d'abord la réfléchissant,
Porte contre la nuit sa splendeur enflammée.
Globes brillants, astres nouveaux,
Que tout Paris admire au milieu des ténèbres,
Dissipez leurs horreurs funèbres

Par la clarté de vos flambeaux !

Sous l'administration de M. de Sartines, lieutenant de police, par un arrêt du 30 juin 1769, une compagnie fut autorisée à fournir Paris de réverbères, de les entretenir d'huile et de tout ce qui était nécessaire à leur service, à l'exception des boites et potences en fer: le tout moyennant quarante-trois livres douze sous par an pour chaque bec de lampe.

Paris contenait, en 1789, plus de 50,000 maisons, dont 500 beaux hotels. Il était percé de 967 rues, éclairées par un nombre suffisant de réverbères. On y comptait 46 églises paroissiales et 20 autres églises qui en remplissaient les fonctions, 3 abbayes d'hommes, 8 de filles, 133 monastères ou communautés séculières ou régulières d'hommes ou de filles, 15 séminaires, 10 colléges, 26 hôpitaux, 45 égouts, 60 fontaines, 12 marchés, 3 arcs de triomphe et 5 statues colossales de bronze. Le corps de la maison de ville, dont les bases électives avaient été graduellement sapées, comprenait le prévôt des marchands, nommé par le roi pour deux ans, mais dont la commission était ordinairement renouvelée; un gouverneur et lieutenant général de la ville, prévôté et vicomté de Paris; sept échevins; sept conseillers du roi de l'Hotel de Ville; quatorze conseillers-échevins; quinze conseillers et vingt quarteniers de la ville; soixante-quatre cinquanteniers (quatre dans chaque quartier); deux cent cinquante-six dizainiers (seize dans chaque quartier); un procureur et avocat du roi et de la ville; un substitut; un greffier; un trésorier; plusieurs payeurs des rentes et contrôleurs; un directeur général des domaines et octrois de la ville; un architecte des bâtiments; un arpenteur géographe; deux inspecteurs des fontaines publiques; un bibliothécaire historiographe.

Tous les ans, le jour de Saint-Roch, le prévôt des marchands, les échevins, les conseillers de ville, les quarteniers, et deux bourgeois notables, mandés de chaque quartier, s'assemblaient dans la grande salle de l'Hôtel de Ville et procédaient à l'élection de deux échevins, en remplacement des deux anciens échevins qui sortaient. La force armée de la ville se composait des anciennes compagnies d'arbalétriers, d'archers et d'arquebusiers, et d'une compagnie de fusiliers, créée par lettres patentes du 14 décembre 1769. Les mêmes lettres accordaient à cette petite troupe de trois cent quatre hommes (soixante-seize par compagnie) le rang de gendarmerie et de maréchaussée de France. Elle était commandée par un capitaine général colonel, et à son service étaient attachés un capitaine d'artillerie, garde des armes de la ville, et un conducteur des feux d'artifice. Constitués de la sorte, ni le corps municipal, ni la force armée, ne pouvaient porter le moindre ombrage à la royauté.

Appelés par lettres patentes du 28 mars 1789 à nommer des électeurs qui choisiraient des députés aux États-Généraux, les

Parisiens y procédèrent avec une vive animation; ils étaient autorisés à désigner quarante représentants, « les contributions de la ville de Paris, sa population, le commerce de ses habitants, ses relations nécessaires avec toutes les provinces du royaume devant lui assurer une députation proportionnée à son importance, à sa richesse et aux ressources qu'offraient en tous genres ces établissements. >>

Les élus furent, pour le clergé :

Perrotin de Barmond, conseiller-clerc au Parlement de Paris; de Juigné, archevêque de Paris; Bonneval, chanoine de NotreDame; Dom Chevraux, général de la congrégation de SaintMaur; Chevreuil, chancelier de l'église de Paris; Dumouchel, recteur de l'Université; Gros, curé de Saint-Nicolas du Chardonnet; Legros, prévôt de Saint-Louis du Louvre; Veytour, curé de Saint-Gervais; l'abbé de Montesguières, agent général du clergé de France.

Pour la noblesse :

Le comte de Clermont-Tonnerre, pair de France; Dionis du Séjour, conseiller au Parlement; le comte de Lally-Tollendal; le duc de la Rochefoucauld; le marquis de Lusignan, lieutenant général des armées du roi; le comte de Mirepoix; le marquis de Montesquieu; Lezensac, premier écuyer de Monsieur; Le Pelletier de Saint-Fargeau, président au parlement; le comte de Castries; Duport, conseiller au Parlement. Pour le tiers état :

Sylvain Bailly, membre des Académies française, des sciences et des belles-lettres; Berthereau, procureur au Châtelet; Bévière, notaire; Debourges, Germain, Peignot, négociants; Desmeuniers, homme de lettres; Desfaus, notaire; Garnier, conseiller au Châtelet; le docteur Guillotin; Target, Hutteau, Martineau, Ducellier, Treilhard, Camus, Tronchet, avocats; Lemoine, orfévre; Siéyès, chanoine et grand vicaire de Chartres; Vignon, ancien consul.

La majorité des représentants de la ville de Paris appuya la métamorphose des États-Généraux en Assemblée nationale constituante, et fut soutenue par ses commettants, qui répondirent aux menaces des courtisans par la prise de la Bastille.

Paris, après la proclamation de 1791, ne paraissait pas vouloir aller plus loin. Les députés qu'il envoya à l'Assemblée législative étaient des hommes pleins de modération, dont les plus avancés, Condorcet et Brissot, se placèrent plus tard à la tête de la réaction. Malheureusement, les efforts de la faction aristocratique qui environnait Louis XVI et conspirait sans cesse avec l'étranger, la marche des puissances coalisées, l'invasion de la France, le soulèvement de la Vendée, amenèrent de tels dangers, que la plus terrible énergie devint nécessaire. On conçoit que nous ne tentions pas de faire l'histoire de cette époque, qui soulève des questions trop graves et trop controversées; la même réserve nous est imposée pour les événements politiques qui se sont accomplis jusqu'à nos jours. Ils sont trop près de nous pour être librement appréciés. Nous nous contenterons, dans l'histoire spéciale de chaque arrondissement, d'esquisser les principaux, de manière à ne laisser aucune lacune. Ainsi, nous nous occuperons de la prise de la Bastille; de la Fédération; du massacre du Champ de Mars; des

2 et 3 septembre 1792; de la mort de Louis XVI; du dor; des journées de prairial; du 13 vendémiaire; de sement du Consulat et de l'Empire; de la prise de Par Révolution de 1830; du 24 Février 1848; des journées du 2 décembre 1852, etc.

L'époque révolutionnaire fut féconde pour Paris. C' que datent l'établissement ou la réforme des Archiv nales, du musée du Louvre, du Conservatoire des art tiers, du Muséum d'histoire naturelle, du Bureau d tudes, du Musée d'artillerie, de l'Institut, de l'École de l'École polytechnique, des Expositions industrielles du 19 vendémiaire an iv détruisit la division de Paris rante-huit sections, adoptée par la Convention nation y substituer douze arrondissements. Le Consulat et travaillèrent activement à l'embellissement de Paris. un système de numérotage régulier fut admis; dans parallèles à la rivière, les numéros en suivent le a nombres pairs sont à droite, et les nombres impair gauche. Dans les rues perpendiculaires à la Seine, * est observé ordre en partant du rivage.

Des trottoirs furent établis le long des rues pri mais l'opinion ne leur était point favorable. L'auteur è tures parisiennes disait encore en 1808 : « Les rues ne sont point susceptibles d'être ornées de trottoirs, plusieurs personnes se l'imaginent; la multiplicité dei cochères y met un obstacle presque insurmontable.

L'Empire continua le Louvre, créa des quais, des abattoirs, l'entrepôt des vins et les greniers de réser cret du 2 mai 1806 porte que les soixante-cinq for bliques existantes dans Paris seront mises en état enstamment de l'eau aux habitants de la ville, et qu construit quinze nouvelles. Avant la fin de l'année s décret était exécuté presque dans tous ses points, et Paris comptait parmi ses nouvelles fontaines celles de l'École, de la rue Censier, de la place Dauphine de Sèvres, du Marché aux Chevaux, de l'École de mě parvis Notre-Dame, de Popincourt, du lycée Bonapar ché Saint-Martin, de la place Maubert, de la rue de derie, de la rue de Vaugirard, et enfin de la place d

La Restauration fit peu de chose pour Paris; so mérite est d'avoir, en 1822, déclaré que les rues ser rées au gaz à mesure que les anciens contrats seraie Le règne de Louis-Philippe fut plus fécond; il term deleine, l'Arc de l'Étoile, le palais du quai d'Orsa le musée des Thermes et de l'hôtel de Cluny, con ponts Louis-Philippe et du Carrousel, perça la rue F commença la restauration de Notre-Dame et du Pal tice. Tous ces travaux ont été poursuivis et complét chute de la branche cadette des Bourbons. De 11 Paris a pris une physionomie toute nouvelle : n essayer de la dépeindre en parcourant tour à tour le rondissements. Nous recueillerons pieusement les qui se rattachent aux pierres dispersées, en même nous ferons la description des monuments not s'élèvent.

FIN DE L'HISTOIRE GÉNÉRALE DE PARIS.

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CHAPITRE PREMIER.

Préambules. Anciens ouvrages sur Paris. Nécessité d'un nouveau travail.

Tous les ouvrages sur Paris, par leur sujet même, attirent l'attention publique. Ce ne sont pas seulement les Parisiens qui les recherchent, puisque cette grande cité appartient à la France entière, et que sa population, souvent renouvelée, se compose d'éléments empruntés à tous les départements. Qui ne s'intéresse à ce centre de la civilisation, à ce foyer où viennent se concentrer toutes les lumières, où tous les talents cherchent leur consécration, où toutes les découvertes sont fécondées pour l'avantage commun de tous les hommes?

Que de fois, depuis Mercier, on a tenté la description des mœurs et des habitudes de Paris! Que de fois, depuis Félibien et Sauval, on a raconté l'étonnante histoire qui commence dans une île de la Seine aux temps fabuleux de Lutèce! Il existe sur Paris d'innombrables recueils qui, presque tous, peuvent être

Paris.

consultés avec fruit par quiconque désire s'instruire des destinées de la nation française, car celle-ci se résume pour ainsi dire tout entière dans Paris. Certes, nous le répétons, ce n'est pas une ville qui ait une existence personnelle : elle appartient à tous les Français. Elle est habitée par des émigrés de tous les départements. Le Parisien proprement dit, le Parisien autochthone, s'en va dans des contrées lointaines, tandis qu'à sa place accourent de toutes parts les hommes qui veulent vivre de la vie intellectuelle, ou qui, dans leurs industries respectives, aspirent à la perfection.

Après tant d'ouvrages sur Paris, on peut se demander s'il n'est point téméraire d'en produire un nouveau; mais il est facile de constater que, loin d'être surabondante, une pareille entreprise est nécessaire.

Paris est transfiguré; les gothiques masures de nos pères sont tombées sous le marteau des démolisseurs. Les vicilles rues étroites ont fait place à de larges artères qu'inonde le soleil. De grandes voies de communication s'ouvrent tous les jours. Des communes entières ont été englobées dans l'enceinte des forti

Imprimerie de J. Claye, rue Saint-Benoît, 7.

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