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Louis XVIII, frappé des dégâts qui avaient eu lieu dans cette belle promenade, entreprit, en 1817, de la réparer et même de l'embellir. Après avoir fait abattre les arbres que les chevaux de l'ennemi avaient dépouillés de leur écorce, il fit élargir plusieurs allées, entre autres celle qui s'étend le long des jardins situés sur les derrières des maisons du faubourg SaintHonoré. Cette allée, naguère si fangeuse, si malpropre, devint une belle chaussée bordée de barrières, pour l'usage des voitures suspendues, et s'étendit, en formant un demi-cercle devant le jardin de l'Élysée-Bourbon jusqu'à celle de Marigny, pour se réunir à une autre chaussée non moins large, qui, à son extrémité, alla se joindre à la grande avenue.

Outre ces allées, de larges avenues furent pratiquées du même côté, pour favoriser la circulation de l'air et celle du peuple, les jours de réjouissances publiques.

Au sud de la grande avenue, d'autres travaux non moins utiles furent exécutés. L'enceinte du grand carré fut élargie et bordée, sur chacun de ses côtés, d'un rang de marronniers; plusieurs arbres furent abattus pour découvrir aux regards des promeneurs la superbe façade de l'hôtel des Invalides. L'allée parallèle à la grande route, du côté de l'eau, qui naguère restait couverte de gazon, fut aussi ouverte aux voitures suspendues.

En vertu d'une ordonnance royale de 1823, une compagnie représentée par M. Constantin fut autorisée à créer un nouveau quartier entre la grande avenue, la Seine, l'allée des Veuves et l'allée d'Antin. On y amena de Moret une maison dont les délicates sculptures sont de Jean Goujon, et dont la travée centrale porte les médaillons de la reine Marguerite, de Diane de Poitiers, d'Anne de Bretagne, de Louis XII, de Henri II et de François II.

Les premières rues ouvertes prirent les noms de Bayard et de Jean Goujon, et la place celui de François Ier. Ces parages désolés commencèrent à se peupler; néanmoins on y voyait encore des repaires tel que celui qu'a décrit Eugène Sue dans les Mystères de Paris.

« Un escalier creusé dans la terre humide et grasse conduisait au fond de cette espèce de large fossé; à l'un de ses pans, coupés à pic, s'adossait une masure basse, sordide, lézardée; son toit, recouvert de tuiles moussues, s'élevait à peine au niveau du sol. Deux ou trois huttes en planches vermoulues, servant de cellier, de hangar, de cabanes à lapins, faisaient suite à ce misérable bouge.

« Une allée très-étroite, traversant le fossé dans sa longueur, conduisait de l'escalier à la porte de la maison; le reste du terrain disparaissait sous un berceau de treillage qui abritait deux rangées de tables grossières plantées dans le sol.

«Le vent faisait tristement gémir sur ses gonds une méchante plaque de tòle; l'enseigne se balançait à un poteau dressé au-dessus de cet antre, véritable terrier humain. »

Décrivant ensuite l'intérieur, Eugène Sue nous le montre meublé d'un comptoir, d'un billard éclopé, de tables et de chaises de jardin, dont la peinture verte est effacée; deux croisées étroites, aux carreaux félés, couvertes de toiles d'araignée, éclairent à peine ces pierres, ces murailles verdâtres, salpêtrées par l'humidité.

Ce tableau n'est nullement exagéré; pour régénérer les Champs-Élysées, il fallait qu'ils cessassent d'appartenir à l'État, dont le temps était absorbé par de trop nombreuses préoccupations. Le comte Chabrol rédigea un mémoire dans ce sens, et une loi, à la date du 20 août 1828, concéda à la ville de Paris, à titre de propriété, la place Louis XVI et la promenade dite des Champs-Élysées, y compris les constructions dont la propriété appartenait à l'État, et à l'exception des deux fossés de la place Louis XVI qui bordaient le jardin des Tuileries. Ladite concession était faite à la charge par la ville de Paris : 1o de pourvoir aux frais de surveillance et d'entretien des lieux ci-dessus désignés; 2o d'y faire dans un délai de cinq ans des travaux d'embellissement jusqu'à concurrence d'une somme de 2,230,000 fr. au moins; 3o de conserver leur destination actuelle aux terrains concédés, lesquels ne pourraient être aliénés en tout ou en partie.

Dès lors les Champs-Élysées furent transfigurés; des fontaines s'élevèrent entre les quinconces; des cafés élégants remplacèrent les masures informes; on vit des habitants dans le quartier François Ier, où logea longtemps Victor Hugo. A l'extrémité de la grande avenue, sur l'emplacement des jardins de Beaujon et de Marbeuf, s'ouvrirent des rues nouvelles; un

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cirque spacieux, dont l'avant-corps est surmonté d'une gracieuse amazone de Pradier, fut édifié dans le carré de Marigny, par M. Hittorf. Chaque soir, pendant la belle saison, le public fut attiré et retenu aux Champs-Élysées par des spectacles, des concerts, des bals publics. En 1840, Mabille, maître de danse qui donnait à l'hôtel d'Aligre, rue Saint-Honoré, d'excellentes leçons à un grand nombre d'élèves, fonda l'établissement chorégraphique qui a illustré son nom. Quoique avec moins de luxe, il fut dès le principe à peu près tel que nous le connaissons. « Arrivé au rond-point des Champs-Élysées, dit un écrivain du temps, prenez l'allée des Veuves qui s'ouvre à votre gauche; au bout de trente pas vous apercevrez à votre droite la porte illuminée d'un bal public, où glissent, comme des ombres, des femmes sans cavaliers; elles reviendront pour la plupart, mieux accompagnées. Peut-être vous déciderez-vous à prendre le même chemin qu'elles; vous suivrez alors une longue galerie tapissée de plantes grimpantes, éclairée au gaz; puis le jardin s'ouvrira devant vous. Au centre, un kiosque élégant, une espèce de pavillon chinois abrite l'orchestre; cette construction légère est entourée à distance par un cercle de palmiers factices; leurs feuilles vertes retombent comme des panaches et tiennent suspendus des globes de gaz. Plus loin, dans le clair-obscur, s'étendent de véritables bosquets, et des arbres naturels frémissent en ombrageant des tables près desquelles chacun peut offrir le petit verre et le cigare à la dame éphémère de ses pensées. Un jeu de bague toujours en mouvement vous laisse le choix du cheval de bois ou de la gondole. Un vaste hangar sert de refuge au bal en cas de pluie. »

Le Jardin Mabile est resté le temple de la chorégraphie parisienne. Les célébrités de cette danse demi-sauvage accompagnée de gestes, de contorsions, de trémoussements, y brillèrent sous des pseudonymes, sans que le public ait jamais su leurs véritables noms. C'était Chicard, honnête négociant de la rue Quincampoix, dont la pantomime expressive, la voix tonnante, l'infatigable agilité, auraient entraîné dans les rondes les plus folles les êtres les plus flegmatiques; c'était Pritchard, homme sec, sérieux, taciturne, mais d'une vivacité que rendaient plus comique sa figure impassible et ses lunettes bleues; c'était la reine Pomaré, connue d'abord sous le nom de Rosita, et Céleste Mogador, qui a épousé plus tard le comte Lionel de Chabrillan, et qui charme les ennuis de son veuvage en cultivant la littérature.

En face de la cité Beaujon s'est formé un établissement rival de Mabile, le Château-des-Fleurs, dans un jardin plus vaste et plus anciennement planté. Quelques nuances séparent ces deux localités : la société féminine de Mabile est exclusivement recrutée dans la classe des femmes qui, suivant l'expression subtile de Gavarni, gagnent à être connues; les adorateurs qui se pressent autour d'elles sont en général des jeunes gens riches, des étrangers ou des hommes mûrs, bourrelés d'affaires, fatigués de la vie domestique, qui s'évadent de leurs foyers pour courir après des distractions interlopes. Au Château-desFleurs se montrent quelquefois des familles du quartier, et l'on y rencontre des enfants qui jouent sous les bosquets.

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Au milieu de toutes ces améliorations, on pouvait croire que les Champs-Élysées allaient disparaitre, tant ils étaient resserrés entre des bâtisses de plus en plus multipliées: la construction du palais de l'Industrie vint encore rétrécir l'espace réservé à la verdure. Le 27 mars 1852, Louis-Napoléon, président de la République française, considérant qu'il n'existe à Paris aucun édifice propre aux expositions publiques qui puisse répondre à ce qu'exigeraient le sentiment national, les magnificences de l'art et les développements de l'industrie; considérant que le caractère temporaire des constructions qui, jusqu'à présent, ont été affectées aux expositions, est peu digne de la grandeur de la France; sur le rapport du ministre de l'Intérieur, décrète :

Art. 1. Un édifice destiné à recevoir les expositions natio

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nales et pouvant servir aux cérémonies publiques et aux fêtes civiles et militaires, sera construit d'après le système du palais de Cristal de Londres et établi dans le grand carré des ChampsÉlysées.

Art. 2. Le ministre de l'Intérieur est chargé de faire étudier le projet énoncé dans l'art. 1er, et de nous proposer, d'accord avec la ville de Paris, les moyens les plus propres à arriver à une prompte et économique exécution.

Le bâtiment fut immédiatement commencé sous la direction de l'architecte Viel; il est entièrement en pierre, en fer et en verre, et couvre une superficie de 32,062 mètres; on y compte 408 fenêtres; on y a employé 822,000 mètres de pierre de taille, sans compter la pierre meulière et le béton; 4,500 tonnes de fonte à 1,000 kilogrammes chacune, 3,600 tonnes de fer et 33,000 mètres carrés de verre dépoli.

La porte principale s'ouvre sous une arcade immense, dans un avant-corps orné, de chaque côté, de colonnes corinthiennes et surmonté d'un attique que couronne la statue colossale de la France. Cet avant-corps, qui se détache en saillie du reste du monument, est dessiné dans les plus larges proportions. Son ornementation se compose de huit médaillons de grands hommes, de deux groupes de génies soutenant les armes impériales, d'un relief qui occupe toute la longueur de l'attique, de deux Renommées dans les tympans, et d'une statue colossale de la France distribuant des couronnes d'or à l'Art et à l'Industrie assis à ses pieds.

Le groupe est de M. Regnault, les enfants et les Renommées sont de Diéboldt, la frise de Desbœufs; enfin Victor Vilain, sous la voûte, a sculpté un aigle de quatre mètres d'envergure avec quatre femmes représentant la Gloire et l'Abondance, les Arts et l'Industrie.

Sur la frise qui règne autour du palais et des quatre pavillons dont il est flanqué aux angles, sont gravés en lettres d'or

des noms de savants, de philosophes, d'artistes, de mathématiciens, d'industriels, d'économistes, d'hommes qui à divers titres ont mérité l'estime et la reconnaissance du genre humain. Tels sont Erwin de Steinbach, architecte de la cathédrale de Strasbourg; Blaise Pascal; Denis Papin qui fit des expériences sur l'application de la vapeur comme force motrice; François Arago; Richard Lenoir qui introduisit en France les filatures de coton; Georges Cuvier; le chimiste Humphray Davy, le médecin Galvani, l'horloger Janvier; Pinson, inventeur du modelage en cire coloriée pour les pièces académiques; les économistes Ricardo et Adam Smith; l'horticulteur Thouin, l'ornemaniste Boule. C'est une galerie des plus intéressantes où l'on a placé des hommes de tout les temps et de tout les pays. Elle remonte même à l'antiquité, à laquelle elle a emprunté les noms d'Apelles, d'Archimède, de Pythagore.

Le palais fut inauguré par une exposition universelle des produits agricoles et industriels, et qui fut ouverte le 1er mai 1855, et close le 30 septembre suivant. Toutes les nations répondirent à l'appel avec tant d'empressement que le bâtiment de l'exposition se trouva insuffisant; on y réunit un panorama que M. Langlois avait fait construire, et une annexe fut établie sur une longueur de 1,200 mètres le long du Cours-la-Reine. Une enceinte de 22,087 mètres carrés fut en outre réservée aux objets d'un grand volume ou modèles de construction, et un hangar de 1,500 mètres carrés abrita les voitures ou les machines agricoles.

Depuis cette époque, le palais a servi à l'exposition des beaux-arts, des fêtes, à des exhibitions particulières, mais, sauf dans les grandes circonstances, il reste désert et improductif. Aussi était-il illusoire d'en faire l'objet d'une spéculation. Le gouvernement a pris le parti de l'acquérir, et nous doutons que les actionnaires aient été fachés de le lui abandonner. A

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l'ouest du palais de l'Industrie s'élève un nouveau panorama qui occupe une surface de 1,750 mètres carrés. Sur l'immense toile qui en garnit l'intérieur, trente artistes ont travaillé pendant près d'une année à représenter la prise de Sébastopol. M. Langlois, qui a dirigé leurs travaux, a passé trois ans en Crimée, et son œuvre est le résultat d'études consciencieuses et assidues.

De la place de la Concorde à l'allée d'Antin, entre la Seine et la grande avenue, les Champs-Élysées ont été transformés en jardin anglais. De l'allée d'Antin à l'ancien chemin de ronde, des maisons continuent à s'élever. Le Jardin d'Hiver, dont les frais excédaient les recettes, a disparu pour faire place à une rue nouvelle, qui s'intitule rue de Marignan.

Des hôtels princiers font pendant à ceux du quartier Beaujon.

Ceux de Me de Montijo, de M. Émile de Girardin, sont contruits sur l'emplacement de jardins paysagers formés au xvm siècle par M. de Jansen, et possédés jusqu'à la Révolution par la comtesse de Marbeuf.

Le prince Napoléon Jérome a fait bâtir dans la rue Montaigne une maison qui n'est pas une des moindres curiosités de ces parages. Elle a été inaugurée le 14 février 1860, par une fête dans laquelle on a joué une comédie de M. Émile Augier, en présence de l'Empereur et de l'Impératrice. « La maison nouvelle, dit M. Édouard Fournier, est une vraie maison pompéienne, sortie toute neuve de ses cendres. Elle a été construite et ornée, avec le goût le plus fin et le plus grand tact archéologique, d'après les merveilleux débris exhumés de la cité fossile. Les reconstructions faites par l'architecte-antiquaire Mazois, au commencement de ce siècle, et par l'auteur des Pompeiana, M. Gell, ont servi de modèle. On se croirait dans une maison de la rue du Forum ou de la rue des Tombeaux, chez Salluste ou chez Pansa, chez le poëte tragique ou bien

encore chez Diomède. Voici le prolyrum, sorte de corridor qui suivait la porte d'entrée. Sur le seuil est écrit le salut hospitalier salve, et l'inscription bonne conseillère: Cave canem (prends garde au chien).

« L'on pénètre, de là, dans l'atrium, au milieu duquel se trouve un bassin (cavædium), et qui est entouré de colonnes supportant le toit ouvert de l'impluvium. Le jardin (xystus) vient ensuite, rattaché à l'atrium par le large passage appelé tablinum; les diverses salles, notamment les triclinia (salles à manger), y prennent leur entrée. Toutes sont meublées et décorées à l'antique avec un goût et un soin dignes du reste. C'est exquis de délicatesse archaïque; et puisqu'il n'est pas une maison de la ville inhumée qui n'ait fourni là quelque détail à imiter, quelque peinture reproduire, on peut dire que cette villa du prince, résumant ce que la gracieuse sœur d'Herculanum a de plus charmant et de plus précieux, est, comme eussent dit les Grecs, une sorte de Panthéon pompéien.

« Une foule de débris rappelant le théâtre des masques, des mosaïques, dont une représente une répétition dramatique et l'autre une scène comique, ont été trouvés à Pompéi, et sont un indice du goût que professaient les habitants pour les jeux scéniques. Il était donc intelligent, puisqu'on ressuscitait la ville morte, de la faire revivre au milieu d'une de ces joies du théâtre qui semblent l'avoir si souvent animée. La Comédie-Française fut invitée par le prince à venir représenter au milieu de cette jeune antiquité quelque pièce d'accord avec son archaisme. Le Joueur de flûte, de M. Émile Augier, qu'on n'a pas joué depuis neuf ans environ, fut la comédie choisie.

« Voici l'affiche qui fut placardée sur les brillantes murailles et dont chaque spectateur reçut une copie, en lettres rouges sur papier glacé :

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THEATRE DE POMPÉI.

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« Ce dernier trait ne manque pas de malice. Il y a neuf ans, si je ne me trompe, la comédie de M. Augier, bien qu'elle eût été jouée sans sifflet, aussi bien qu'hier sans flute, n'avait eu que dix ou douze représentations. Pourquoi? on en accusa une sévérité rétroactive de cette même censure, qui, n'ayant pas puissance à Pompéi, avait pu hier être impunément éludée.

« Après la représentation, à laquelle LL. MM. avaient assisté, l'Impératrice adressa d'obligeantes félicitations à Mmes Madeleine Brohan et Favart, qui l'avaient, disait-elle, réconciliée avec le costume antique.

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L'histoire de la famille impériale se lie à celle de l'Élysée, où se sont accomplis deux faits qui tiennent une place importante dans ses annales.

L'Élysée eut pour premier propriétaire Henri-Louis d'Auvergne, comte d'Évreux, ancien colonel général de la cavalerie. Il se fit batir cette retraite en 1718, sur les dessins de Mollet; mais il le vendit bientôt à Mme Jeanne-Antoinette Poisson, marquise de Pompadour, moyennant la somme de 650,000 livres. La favorite de Louis XV acheta un terrain contigu, pour 80,000 liv., et, d'après ses comptes, dont le manuscrit est conservé dans les archives de la préfecture de Seine-et-Oise, elle y dépensa 95,169 livres 6 sols dans la seule année 1754. Sa paroisse était la petite église de la Madeleine de la Ville-l'Evêque. Elle en manda le curé à Versailles, aussitôt qu'elle se sentit en danger de mort; et comme il voulait se retirer après lui avoir administré les sacrements : « Monsieur le curé, lui dit-elle, attendez un instant, nous nous en irons ensemble. » Dès qu'elle eut rendu le dernier soupir, le 15 avril 1764, on la ramena à son hôtel, d'où elle fut portée, conformément aux volontés qu'elle avait exprimées par un testament du mois de novembre 1757, dans un caveau de l'église des religieuses capucines de la place Vendôme.

Son frère, Abel-François Poisson, marquis de Menars et de Marigny, directeur et administrateur des bâtiments, agrandit l'hôtel d'Évreux. Louis XV le lui acheta pour y loger les ambassadeurs extraordinaires et le mobilier de la couronne, jusqu'à l'achèvement des bâtiments destinés à servir de gardemeuble dans une des colonnades de la place Louis XV. En 1773, le financier Beaujon en devint propriétaire et y fit faire, par l'architecte Boullée, des embellissements considérables. «C'est, écrivait un contemporain, une des plus magnifiques maisons de la ville. Une belle et vaste cour, et deux plus petites

sur les côtés, annoncent son entrée. Dans une salle, à droite de l'antichambre, est un très-beau billard anglais, et Zéphyre et Flore, groupe de marbre par M. Tassaert, sculpteur du roi, dont on voit aussi les bustes en marbre des quatre parties du monde, sont placés sur des gaînes dans le salon qui est à côté. Dans la salle à manger, que l'on trouve à droite, sont deux magnifiques vases de Chine ornés de bronzes. Le grand salon, à gauche du premier, est remarquable par ses superbes glaces, les bronzes précieux, les marbres et les vases dont il est orné, ainsi que par le charmant point de vue du jardin dont les Champs-Élysées semblent former le parc: vue riante et animée par la quantité de monde qui se porte à cette promenade les jours de fête.

«La pièce suivante forme une chambre à coucher, donnant aussi sur le jardin, décorée de trois belles tapisseries des Gobelins, représentant le Sommeil de Renaud, son Départ, et Angélique et Médor. Quatre palmiers, ornés de draperies et de roses, supportent un riche couronnement au-dessus du lit. Le salon des Muses, qui est ensuite, sert de salon de musique. Les médaillons des Sœurs y sont peints en rehaussé d'or. On voit Zéphyre et Flore, groupe de marbre blanc exécuté par Guyard; une statue de marbre, placée sur une table entre les croisées, représente Louis XV en Apollon. Une autre statue de ce dieu se trouve sur une pareille table entre les croisées de retour. Par une autre pièce servant de chambre à coucher, l'on dégage dans les antichambres du petit hôtel qui est de ce côté; elles conduisent à un premier salon remarquable: 1° par quatre dessus de portes peints en bas-relief par M. Sauvage, peintre du roi; 2° par un saint Roch du Guide; Sénèque, par le Guerchin, et Antiope, par Rubens; 3o par une pendule dans un vase d'albâtre, et montée sur un fût de colonnes de même matière.

« Le cabinet, qui est à côté, contient quelques tableaux de Poter, Lancret, Vanloo, MM. Wille, Houel, Doyen, et plusieurs têtes d'étude deux fêtes grecques, par M. Le Barbier l'aîné; des portraits par Santerre et Grimoux; Dibutade et l'Offrande d'une jeune mariée, par Raoux, etc. Entre les croisées est un beau groupe de trois Muses soutenant une sphère mobile, autour de laquelle sont marquées les heures. Cette pièce est aussi ornée d'un superbe lustre enrichi de bronzes supérieurement exécutés et dorés d'or moulu. Elle communique à la grande galerie éclairée par le haut, et contenant plusieurs objets curieux et rares. Les armoires, formant soubassement dans le fronton, renferment une bibliothèque d'un choix précieux, dont la collection avait été formée par le sieur d'Hémeri dans le temps qu'il était inspecteur de la librairie. Sur les tablettes de marbre qui couvrent ce soubassement sont placés des vases de bronze, porcelaine, marbre, etc., tous d'un grand prix.

« Aux deux extrémités de cette galerie sont deux statues de marbre montées sur des piédestaux, dont un sert de cheminée et l'autre de poêle; l'une de ces statues est une belle copie de l'Apollon du Belvédère, faite à Rome par M. Guyard; l'autre une copic de la Diane antique, dont la tête représente le portrait de feu Me la marquise de Pompadour, par M. Tassaert. Aux quatre angles de cette galerie sont autant de statues de marbre. Les deux du côté de la cheminée représentent Vénus pudique, et l'autre Vénus Callipyge. Les deux autres sont un flûteur et une figure académique. Tous les tableaux qui ornent cette galerie sont recommandables, étant tous morceaux de peintres ci-après, savoir: Santerre, Berghem, Rubens, Miéris, Le Brun, le Poussin, Carle Vanloo, David Téniers, Paul Brill, Rhotenamer, Zuccarelli, Terburg, Paul Poter, Karel-Dujardin, le Guide, Gérard Dow, Van Ostade, Van de Velde, Wouvermans, Jordaens, Bourdon, Joseph Vernet, Péter Neef, Murillo, Stella, Paul Cagliari, Cazanova, Rembrandt, Sneyder et Rubens, Carle Maratte, Backuysen, Cignani, Van Miel, Metzu, Veenix, etc.

« A côté de cette galerie est une bibliothèque particulière, mais dont le choix est ordinaire; cette pièce est aussi éclairée par le plafond.

:

<< Sortant de cette galerie, il faut passer par le grand cabinet pour aller à l'arrière-cabinet, où l'on doit remarquer quatre portraits donnés à M. de Beaujon, savoir le portrait de S. M. Louis XVI, par le roi; celui de Monsieur, frère du roi, par Monsieur; celui de Mgr le comte d'Artois, par ce prince, et celui du roi de Suède, dont ce monarque lui fit également don lors de son premier voyage en France. Deux tableaux de Le Prince, deux de Guérin, deux superbes vases d'albâtre

oriental posés sur des fûts de colonnes, et un buste du roi par M. Pajou.

On trouve dans la pièce suivante, formant le salon des petits appartements, le portrait de Me Adélaïde, tante du roi, donné par elle-même à M. de Beaujon, et quatre tableaux précieux exécutés en tapisserie par M. Cozette, directeur de la manufacture des Gobelins, représentant les portraits de Louis XV, de la feue reine son épouse, du roi et de la reine actuels, et deux beaux tableaux aussi exécutés en tapisserie d'après François Boucher. Les meubles de cette pièce sont d'une forme

nouvelle.

«De cette pièce on communique à la chambre à coucher, revêtue, depuis le haut jusqu'en bas, d'étoffes plissées. Le lit, agencé avec grâce, est placé dans un renfoncement, dans le fond duquel est une glace qui, lorsqu'on ouvre les portes de l'aile, offre le tableau des Champs-Élysées qui sont en face; cette pièce est éclairée par le haut. En traversant un cabinet fort agréable, vous entrez dans le boudoir qui termine l'aile. On ne sait ce qu'on doit admirer le plus dans cette pièce, de la richesse du décor, de la beauté des glaces disposées de manière qu'elles produisent des effets variés et piquants, ou du choix des étoffes drapées avec goût. Ce boudoir est couronné d'une voussure surmontée d'un attique percé de plusieurs œils-deboeuf qui rappellent la lumière sous la calotte qui est au-dessus, ornée de peintures agréables.

« Les pans coupés de ce boudoir charmant forment des renfoncements ornés de glaces, terminés par des groupes d'enfants; des draperies retroussées également couronnent le tout le bas est occupé par des sofas. Cette pièce conduit au jardin, planté dans une disposition très-agréable; les parterres en occupent le milieu, et se trouvent renfoncés entre plusieurs talus pratiqués avec intelligence sur les côtés pour donner du mouvement à ce terrain qui était plat. Sur les terrasses de ces talus sont les statues des Muses en pierre de Tonnerre. Les parterres sont terminés par un bassin, au milieu duquel est un groupe de marbre représentant des enfants jouant avec un cygne, du bec duquel sort le jet. Au delà du bassin, une terrasse de forme circulaire donnant sur les Champs-Élysées; on y jouit d'une vue fort agréable. Des bosquets bien variés et ornés de statues de marbre occupent le côté droit du parterrre; sur la gauche est un beau quinconce de marronniers. A l'extrémité droite du bâtiment est une serre chaude, précédée d'un pavillon décoré de treillages et d'une galerie tenant au bâtiment de l'aile de la chapelle. Cette serre, nouvellement établie, a été construite sur les dessins de M. Girardin, architecte. Derrière ce pavillon est une petite ménagerie.

La chapelle se trouve dans l'aile près de la salle à manger : elle est décorée de tableaux de stuc exécutés par le sieur Chevalier, stucateur.

« Le premier étage est divisé en deux appartements occupés par les amis de M. de Beaujon.

« L'on a placé dans la basse-cour des cuisines un grand réservoir contenant 600 muids d'eau. La mécanique de la pompe, qui y fait monter l'eau par le moyen de deux chevaux, est trèscurieuse, et a été imaginée par M. de Parcieux. Ce réservoir a une conduite dans la rue, dont le directeur des pompes a une clef pour en faire usage dans le cas d'incendie. »

Beaujon vendit cette résidence à la duchesse de Bourbon, mais en s'en réservant la jouissance durant sa vie, moyennant 1,100,000 livres, et 200,000 livres pour les glaces et les tableaux. Il possédait en outre, près de la butte de l'Étoile, une charmante habitation et des jardins très-étendus. A la mort du fastueux capitaliste, la duchesse vint habiter l'hôtel d'Évreux, qu'elle nomma l'Élysée. Devenu en 1793 propriété nationale, il fut loué à divers entrepreneurs, sous les dénominations d'Elysée, et ensuite de Hameau de Chantilly. Ses beaux jardins, livrés à de nombreux promeneurs, rivalisèrent avec les jardins de l'ancien Tivoli, de Monceaux, d'Idalie, de Beaujon, de Paphos. Ils servaient également de théâtre à des fêtes champêtres, tandis que les appartements étaient changés en salles de bals, de roulette et de trente et quarante. On voyait dans les jardins plusieurs chalets couverts en chaume; des sites pittoresques y avaient été ménagés et rappelaient le délicieux hameau que le prince de Condé avait fait construire dans son parc de Chantilly; le prix du billet d'entrée était de 1 fr. 20 cent., dont 75 c. pouvaient être dépensés en consommation de tous genres.

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En 1803 l'Élysée fut vendu au prince Murat, qui y tint sa petite cour jusqu'à son départ pour Naples, en 1808, époque à laquelle il fut cédé à Napoléon. L'édice fut alors appelé l'Elysée Napoléon. L'Empereur l'avait pris en affection et vint souvent y résider. Vaincu à Waterloo, Napoléon arriva à l'Élysée, le 20 juin 1815, à 11 heures du soir; il fut reçu par Caulaincourt, duc de Vicence, auquel il dit : « L'armée avait fait des prodiges, une terreur panique l'a vaincure; tout a été perdu... Je n'en puis plus... il me faut quelques heures de repos pour être à mes affaires... j'étouffe là! »

Il porta la main à son cœur.

Le lendemain accoururent Lucien et Joseph, les huit ministres à portefeuilles, les ministres d'État et le duc de Bassano. On tint un conseil dans lequel rien ne fut décidé. Le soir, Napoléon eut une entrevue solennelle avec un des représentants du parti libéral, Benjamin Constant, qui, dans ses Mémoires sur les Cent-Jours, raconte les détails suivants sur ce' drame intime :

«Si Bonaparte, dit-il, eût suivi jusqu'au bout le projet dont son retour à Paris n'était que la première partie; si, au lieu de se renfermer à l'Élysée, et de rassembler autour de lui les conseils de l'incertitude et de l'effroi, il se fût présenté au milieu des mandataires de la nation, un acte de courage, de grands souvenirs, des périls imminents, auraient peut-être contrebalancé les sentiments hostiles. Mais, comme tous les hommes dont les forces morales commencent à s'épuiser, on le vit s'arrêter à moitié chemin. Il avait pris sur lui la défaveur d'avoir abandonné son armée; il ne sut pas s'en relever en se montrant au peuple; et ses ennemis, s'apercevant qu'ils n'avaient rien à redouter de sa présence, sentirent bientôt que cette présence même était un tort de plus qu'ils pouvaient lui reprocher.

« Les transactions publiques sont assez connues, je n'ai point à les rappeler ici; et dans tout ce que je vais dire, Napoléon m'occupera seul.

« Ce fut vers sept heures du soir qu'il me fit appeler à l'Élysée. Les chambres avaient décrété leur permanence, et la proposition d'abdication était déjà parvenue jusqu'à lui. Je le trouvai sérieux, mais calme. Je ne rendrai point un compte détaillé d'une conversation qui dura près de trois heures. Je ne me vanterai point, comme d'autres, de lui avoir dit sans ménagement la vérité dans son malheur; en fait de franchise ou de rudesse, il eût fallu, ce me semble, commencer plus tôt. Je me bornerai à exposer les impressions que je remarquai en lui, et celles que sa conversation produisit sur moi.

« Je ne me déguisais point qu'une pensée pouvait s'être naturellement présentée à son esprit. Ceux qui l'avaient pressé de convoquer une assemblée représentative semblaient, d'après les résultats, n'avoir voulu que lui tendre un piége. On a vu combien ces soupçons étaient injustes; mais, dans les circonstances où nous nous trouvions, ils n'en rendaient pas moins ma position pénible. Je prévoyais qu'il me parlerait de l'abdication qu'on exigeait de lui. Or, autant avant son arrivée et avant la démarche de la chambre des représentants, j'avais considéré cette abdication comme funeste, autant elle me semblait devenue inévitable. Le matin, je l'avais combattue comme le projet pusillanime de quelques serviteurs impatients de jeter loin d'eux l'importune solidarité d'un malheur sans espoir; mais, proposée publiquement, offerte au peuple comme une ressource sûre, elle avait déjà produit son effet. Déjà la France était divisée; et puisqu'on ne pouvait la conserver unie sous Napoléon, il fallait tâcher de la réunir sous le drapeau de l'indépendance nationale.

« Néanmoins, en présentant à Bonaparte les motifs qui rendaient son abdication indispensable, je justifiais en quelque sorte sa défiance; j'avais l'apparence de le pousser au dernier pas qui restait à faire pour achever l'ouvrage des chambres, dont j'avais sollicité si vivement la convocation immédiate. En second lieu, si, dans l'intérêt de la France, il fallait conseiller à Bonaparte cette abdication, en était-il de même dans son intérêt? S'il descendait du tròne, où était son asile? Les promesses de ceux qui l'abandonnaient me satisfaisaient peu. Les

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