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nombre de ballets, du sieur de Benserade, furent dansés par Louis XIV et ses courtisans, tant au Petit-Bourbon qu'au Palais-Cardinal, à Fontainebleau, à Saint-Germain-en-Laye, à Chambord, à Villeneuve-Saint-Georges, à Chantilly, etc.

Un Lyonnais, l'abbé Perrin, eut la gloire de donner le premier opéra français, avec le concours de Cambert, surintendant de la musique de la reine-mère et organiste de la collégiale de Saint-Honoré. Leur Pastorale fut jouée à Issy, en 1659, chez M. de La Haye. « Ce fut, dit Saint-Évremont dans la comédie des Opéras, comme un essai d'opéra qui eut l'agrément de la nouveauté; mais ce qu'il y eut de meilleur encore, c'est qu'on y entendait des concerts de flûte. » La Pastorale attira tant de monde que le chemin de Paris à Issy fut encombré de carrosses pendant plusieurs jours. Elle fut jouée de nouveau au château de Vincennes, en 1660. La même année, on applaudit Hercule et Aminte. Le théâtre du Marais donna, le 15 février 1661, la Toison d'Or, que le marquis Alexandre de Rieux de Sourdeac avait déjà fait représenter dans son château de Neubourg, avec des machines de son invention. Deux autres tragédies entremêlées de chants, de machines et de divertissements, attirèrent une grande affluence au théâtre du Marais: les Amours de Jupiter et de Sémélé, par l'abbé Boyer, musique de M. Molière; les Amours du Soleil, par Devizé.

Après toutes ces tentatives l'Académie royale de Musique fut enfin fondée, au mois de mars 1671, dans un jeu de paume de la rue Mazarine.

L'abbé Perrin en fut le premier directeur privilégié, et y fit jouer Pomone, avec la collaboration de Cambert et du marquis Alexandre de Rieux de Sourdeac pour les machines. La chronique a conservé les noms des acteurs qui parurent dans cette œuvre de début : c'étaient Miles de Cartilly (Pomone), Beaumavielle (Vertumne), Rossignol (Faune); Clédière; Tholet et Miracle, qui sont qualifiés, l'un de haute-contre, l'autre de taille; les danseurs Beauchamps, surintendant des ballets du roi; Saint-André, Favier et Lapierre.

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Pomone, a dit Saint-Évremont, est le premier opéra français qui ait paru sur le théâtre. La poésie en est fort méchante, la musique fort belle. M. de Sourdeac en avait fait les machines; c'est assez dire pour donner une grande idée de leur beauté. On voyait les machines avec surprise, les danses avec plaisir; on entendait le chant avec agrément, les paroles avec dégoût. Au reste, l'opéra est un travail bizarre de poésie et de musique, où le poëte et le musicien, également gênés l'un par l'autre, se donnent bien de la peine à faire un méchant ouvrage; mais ce qui me choque le plus, c'est de voir chanter toute la pièce, c'est de voir traiter en musique les plus communes affaires de la vie. Peut-on s'imaginer qu'un maitre appelle son valet ou qu'il lui donne une commission en chantant; qu'un ami fasse en chantant une confidence à son ami; qu'on délibère en chantant dans un conseil; qu'on exprime avec des chants les ordres que l'on donne, et que, mélodieusement, on tue les hommes à coups d'épée et de javelot dans un combat! >>

En dépit de ces railleries, le public accueillit favorablement le drame lyrique. Le second opéra, les Peines et les Plaisirs de l'amour, par Gilbert et Cambert, ne réussit pas moins que Pomone; mais au milieu de sa prospérité le directeur Perrin fut frappé par un acte de l'autorité royale, en vertu duquel M. de La Reynie, lieutenant de police, le déposséda. Le nouveau titulaire fut Lulli.

Fils d'un meunier florentin, il avait été placé par le chevalier de Guise chez Mlle de Montpensier en qualité de sous-marmiton; ses dispositions musicales furent remarquées par le comte de Nogent, qui lui donna un maitre, et l'apprenti cuisinier devint inspecteur des violons du roi et surintendant de la musique de la chambre. Les lettres patentes qui lui furent octroyées au mois de mars 1672 sont conçues en termes remarquables. « Les sciences et les arts, y dit Louis XIV, étant les ornements les plus considérables des États, nous n'avons point eu de plus agréables divertissements, depuis que nous avons donné la paix à nos peuples, que de les faire revivre en appelant près de nous tous ceux qui se sont acquis la réputation d'y exceller, non-seulement dans l'étendue de notre royaume, mais aussi dans les pays étrangers, et, pour les y obliger davantage à s'y perfectionner, nous les avons honorés de notre bienveillance et de notre estime, et comme entre les arts libéraux la musique y tient un des premiers rangs :

«A ces causes, bien informé de l'intelligence et grande con

naissance que s'est acquises notre très-cher et bien-amé JeanBaptiste Lulli, au fait de la musique dont il nous a donné et donne journellement de très-agréables preuves depuis plusieurs années qu'il s'est attaché à notre service, qui nous ont convié de l'honorer de la charge de surintendant et compositeur de la musique de notre chambre, nous avons audit sieur Lulli permis et accordé, permettons et accordons par ces présentes d'établir une Académie royale de Musique dans notre bonne ville de Paris, qui sera composée de tel nombre et qualité de personnes qu'il avisera bon être que nous choisirons et arrêterons sur le rapport qui nous en sera fait, pour y faire des représentations par-devant nous, quand il nous plaira, des pièces de musique qui seront composées tant en vers français qu'autres langues étrangères, pareilles et semblables aux académies d'Italie, pour en jouir sa vie durant; et d'autant que nous l'érigeons sur le pied de celles des académies d'Italie, où les gentilshommes chantent publiquement en musique sans déroger, nous voulons et nous plaît que tous gentilshommes et demoiselles puissent chanter auxdites pièces et représentations de notredite Académie royale de Musique, sans que pour ce ils soient censés déroger audit titre de noblesse, ni à leurs priviléges, charges, droits et indemnités. »

Ce privilége fut corroboré par ordonnances des 4 et 30 avril 1672. Le théâtre du Marais faisait concurrence à l'Académie en montant avec luxe des pièces mêlées de chant; défense fut faite aux comédiens français ou étrangers d'avoir à l'avenir plus de deux voix et six violons.

CHAPITRE II.

Le théâtre du Bel-Air. -Les opéras de Quinault. -Le musicien Cambert. La chancellerie sur le théâtre. Portrait de Lulli.

Lulli s'installa rue de Vaugirard, auprès du Luxembourg, au théâtre du Bel-Air. Il y donna les Fêtes de l'Amour et de Bac-| chus, dont Quinault avait composé les paroles et Gaspard Vigarini les machines. La première chanteuse, Mile Brigogne, avait annuellement douze cents livres d'appointements!

Au mois d'avril 1673 fut représentée, au théâtre du Bel-Air, la tragédie lyrique de Cadmus et Hermione, paroles de Quinault, musique de Lulli. Puis l'Académie de Musique émigra pour se fixer dans la salle du Palais-Royal, située à l'endroit où l'on voit actuellement la cour des Fontaines et une partie de la rue de Valois. De 1674 à 1686, Lulli donna dans cette salle, en collaboration avec Quinault, Thomas Corneille et autres poëtes, les opéras ou ballets d'Alceste, de Thésée, du Carnaval, d'Athys, Isis, Bellerophon, Proserpine, Persée, Phaeton, Amadis, Roland, Armide. En récompense de tant de travaux, Louis XIV lui accorda divers priviléges. Il fut interdit de monter des opéras sans la permission du maitre florentin, tandis qu'un arrêt du conseil, signé au camp de Nancy, le 15 mars 1673, permettait aux gens de sa bande de jouer pour le public aux bals, noces, sérénades et autres réjouissances publiques, avec défense aux maîtres des violons de les y troubler, à peine de trois mille livres d'amende.

La manière dont les opéras étaient composés atteste l'importance qu'on y attachait. Quinault qui, moyennant la somme de quatre mille livres, était tenu de fournir annuellement un poëme, en soumettait d'abord le sujet à Louis XIV. Après s'être entendu avec le roi sur l'idée mère de la pièce, et avec Lulli sur le plan, il communiquait son scenario à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, et l'Académie française examinait l'œuvre en dernier ressort. Quoique si sérieusement faites, ces œuvres parurent mondaines à Quinault quand il approcha de la tombe. Suivant les Mémoires de Dangeau, dans sa dernière maladie, en avril 1686, il fit demander au roi de le dispenser de faire des opéras, et Sa Majesté trouva bon qu'il n'en fit plus.

L'Opéra était assidùment fréquenté par la cour, par l'élite de la noblesse et de la bourgeoisie, et même par les ecclésiastiques qui s'y rendaient incognito.

Le cardinal Delfini, nonce apostolique, était le seul qui osât s'y montrer franchement.

Le succès de Lulli fit oublier complétement le compositeur qui avait le premier écrit un opéra français. Il se retira à Løndres, où il mourut honoré d'ailleurs de l'estime de la cour. Devizé, dans le Mercure galant du mois d'avril 1777, éleva la

voix pour rappeler les services que Cambert avait rendus. « C'est à lui, dit-il, que nous devons l'établissement des opéras que nous voyons aujourd'hui. La musique de ceux de Pomone et des Peines et Plaisirs de l'amour était de lui, et depuis ce temps-là, on n'a point vu de récitatif en France qui ait paru si beau. C'est ce même Cambert qui a fait chanter le premier les belles voix que nous admirons tous les jours, et que la Gascogne lui avait fournies. C'est dans ses airs que la belle Brigogne a paru avec le plus d'éclat, et c'est par eux qu'elle a tellement charmé tous ses auditeurs, que le nom de la petite Climène lui en est demeuré. Toutes ces choses font connaître le mérite et le malheur du sieur Cambert; mais si le mérite de tous ceux qui en ont était reconnu, la fortune ne serait plus adorée, ou pour mieux dire, on ne croirait plus qu'il y en cút. »

Lulli fut comblé de richesses et d'honneurs. Anobli et nommé secrétaire du roi, il fut reçu par la chancellerie, le 30 décembre 1681, et donna à MM. les membres de ce corps un magnifique repas. Le soir, il les mena à l'Opéra, où l'on jouait le Triomphe de l'amour. Ce fut un spectacle étrange que de voir rangés autour de la scène une trentaine d'hommes graves, en manteau noir et en grand chapeau de castor.

Lulli eut, en 1675, un procès qui dura deux ans. Henri Guiscard, intendant des bâtiments de Monsieur et constructeur de l'Opéra, voulut, dit-on, l'empoisonner avec du tabac, par jalousie. Lulli aussitòt s'en plaignit au roi. L'affaire vint au Châtelet. Treize témoins furent entendus, des monitoires publiés. Tout finit par une transaction, et Guiscard alla établir un autre Opéra à Madrid. Le directeur de l'Académie royale de Musique eut une autre dicussion moins sérieuse avec La Fontaine, auquel il refusa, comme détestable, la pastorale de Daphné. La Fontaine se plaignit au roi, pria Me de Thiange de solliciter pour lui, et ne put obtenir qu'on représentât son poëme. Il s'en vengea en écrivant contre Lulli la comédie du Florentin. Lulli tenait sa troupe à la disposition du roi et la transportait, toutes les fois qu'il en était requis, à la cour ou chez les grands seigneurs. Au mois d'octobre 1685, il donna à Fontainebleau le Temple de la Paix, opéra-ballet où figurèrent à côté des sicurs Pécourt, Lestang, Favier, des demoiselles Laurent et Le Peintre, le marquis de Moy, le comte de Brioure, la princesse de Conti, la duchesse de Bourbon. Le 6 septembre 1686, les acteurs de l'Académie représentèrent au château d'Anet Acis et Galatée, pastorale héroïque en trois actes. « Le roi était malade d'un anthrax, raconte La Fare dans ses Mémoires; quoiqu'il fût effectivement en danger, il ne voulut pas qu'on le crût. Cette maladie n'empêcha pas que, pour divertir Ms le Dauphin à Anet, M. de Vendome, l'abbé de Chaulieu et moi n'imaginassions de lui donner une fête avec un opéra, dont Campistron, poëte toulousain aux gages de M. de Vendóme, fit les paroles, et Lulli, notre ami à tous, la musique. Cette fête coûta 100,000 francs à M. de Vendôme, qui n'en avait pas plus qu'il ne lui en fallait; et comme M. le grand prieur, l'abbé de Chaulieu et moi avions chacun notre maitresse à l'Opéra, le public malin dit que nous avions fait dépenser 100,000 livres à M. de Vendôme pour nous divertir, nous et nos demoiselles. »

Furetière a tracé de Lulli le portrait suivant : gros de corps et petit de taille; il n'était pas beau de visage; « Il était il avait la physionomie vive et singulière, mais point noble; noir, les yeux petits, le nez gros, la bouche grande et élevée, et la vue si courte, qu'il ne pouvait presque pas distinguer à deux pas. Il avait le cœur bon, moins d'un Florentin que d'un Lombard; point de fourberie ni de rancune, les manières unies et commodes, vivant sans hauteur et en égal avec le moindre musicien, mais ayant plus de brusquerie et moins de politesse qu'il ne convenait à un homme tel que lui, qui avait longtemps vécu dans un grand monde et dans une cour aussi polie que celle de France. Il avait pris l'inclination d'un Francais pour le vin et la table; mais il avait gardé l'inclination italienne pour l'avarice : aussi laissa-t-il dans ses coffres six cent trente mille livres en or. Il avait une vivacité fertile en saillies, racontait très-bien, mais il fallait qu'il montat sur un tabouret, ou fût debout pour gesticuler, comme quand il battait la mesure. Il n'avait aucun ressentiment des injures, excepté si on lui disait que sa musique ne valait rien. Il aurait tué, disait-il, celui qui lui aurait fait un pareil compliment. « Il excellait à la fois dans l'art de la composition de ses opéras et dans celui de les faire exécuter. Il s'attachait à dresser lui

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même les chanteurs et chanteuses qui lui plaisaient, leur enseignait à entrer, à marcher sur le théâtre, à se donner la grâce du geste et de l'action. C'est lui qui forma les Beaumavielle, les Dumesny, les demoiselles de Saint-Christophe et Rochois. Il voulait que les acteurs chantassent sans roulades ni brodures dans les récitatifs, et il le voulait si uni qu'on prétend qu'il allait se le former à la Comédie-Française sur les tons de la Champmeslé.

« Aux répétitions, il ne souffrait que les gens nécessaires.

« Il venait regarder presque sous le nez des acteurs, la main haute sur les yeux, afin d'aider sa courte vue, et ne leur passait quoi que ce soit de mauvais. Pour son orchestre, il avait l'oreille si fine, que du fond du théâtre il démêlait un violon qui jouait faux; il accourait et lui disait : « C'est toi; il n'y a pas sela dans la partie. » Il n'aimait pas qu'ils ajoutassent des notes d'agrément à leur tablature. C'était alors qu'il s'échauffait, et plus d'une fois il a rompu un violon sur le dos de celui qui ne le conduisait pas à son gré. La répétition finie, Lulli lui payait son violon triple et le menait dîner avec lui. »

Lulli se mélait beaucoup de la danse. Une partie du ballet des Fêtes de l'Amour et de Bacchus avait été composée par lui, et il eut une grande part dans les ballets de Beauchamp. Il réformait les entrées, imaginait des pas d'expression, et se mettait à danser devant les danseurs pour leur faire comprendre ses idées. Il n'avait pourtant point appris; mais il avait un talent extraordinaire pour tout ce qui appartenait aux spectacles.

Il mourut le 22 mars 1687, et fut enterré aux Petits-Pères, où son épitaphe a été conservée. Il s'était associé pour les machines, après Vigarini, Bernin, dessinateur ordinaire du cabinet de Sa Majesté, qui dessinait les machines, les décorations et les costumes.

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Après la mort de Lulli, l'Opéra passa entre les mains du mari de sa fille Magdeleine-Catherine Lulli; c'était Jean-Nicolas de Francine, maître d'hotel du roi. Il gouverna l'Opéra jusqu'en 1728, et il lui fut conservé une pension annuelle de 18,000 livres, sur les revenus de l'Académie royale, jusqu'à sa mort arrivée le 6 avril 1735.

La famille Francine, jadis Francini, était originaire de Florence, et établie et naturalisée en France dès 1500.

Francine obtint, le 27 juin 1687, un brevet du roi pour avoir la conduite et la direction de l'Académie royale de Musique pendant le terme de trois années.

Le 1er mars 1689, il obtint une prolongation de privilége pour dix ans, qui fut renouvelée à l'expiration.

Pendant son long règne, Francine aliéna plusieurs fois ses droits. Des lettres du 30 décembre 1698 stipulèrent qu'à partir du 1er mars 1699, un quart des bénéfices reviendrait à Hyacinthe Gourreault-du-Mont, écuyer commandant l'écurie de Mgr le Dauphin.

Par contrat, passé le 3 octobre 1704, devant Me Rataut, notaire à Fontainebleau, Francine céda le privilége à Pierre Guyenet, payeur des rentes de l'Hôtel de Ville de Paris; mais cet entrepreneur se ruina, et ses créanciers, avec lesquels Francine consentit à traiter, ne furent pas plus heureux, malgré les succès des opéras de Campistron, Duché, La Mothe, Fontenelle, Lagrange-Chancel, Pellegrin, auteurs associés aux musiciens Colasse, de La Barre, Louis Lulli, Rebel, Desmarets, Salomon, Baptistin, etc.

Voici comment Dufresny parle de l'Opéra dans ses Amusements sérieux et comiques (Paris, 1705):

(( L'Opéra est un séjour enchanté; c'est le pays des métamorphoses. On y en voit des plus subites; là les hommes s'érigent en demi-dieux, et les déesses s'humanisent. Ce sont des pays qui voyagent devant les yeux des spectateurs. Là, sans sortir d'une place, on passe d'un bout du monde à l'autre, et des enfers aux champs Elysées. Vous ennuyez-vous dans un désert affreux, un coup de sifflet vous fait retrouver dans le pays des dieux; un autre coup de sifflet, vous voilà dans le pays des fées.

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« Les fées de l'Opéra enchantent comme les autres, mais leurs enchantements sont plus naturels, au vermillon près.

« Quoiqu'on ait fait depuis quelques années quantité de contes sur les fées du temps passé, on en fait encore davantage sur les fées de l'Opéra; ils ne sont peut-être pas plus vrais, mais ils sont plus vraisemblables.

« Celles-ci sont naturellement bienfaisantes. Cependant elles n'accordent point à ceux qu'elles aiment le don des richesses, elles le gardent pour elles.

« Disons un mot des habitants naturels du pays de l'Opéra : ce sont des peuples bizarres, qui ne parlent qu'en chantant, ne marchent qu'en dansant, et font souvent l'un et l'autre, lorsqu'ils en out le moins d'envie.

«Ils relèvent tous du souverain de l'orchestre, prince si absolu, qu'en haussant et baissant un sceptre, en forme de rouleau, qu'il tient à sa main, il règle tous les mouvements de ce peuple capricieux.

« Le raisonnement est rare parmi ces peuples: comme ils ont la tête pleine de musique, ils ne pensent que des chants et n'expriment que des sons: cependant, ils ont poussé si loin la science des notes, que si le raisonnement se pouvait noter, ils raisonneraient tous à livre ouvert. »

Malgré les beautés de l'Opéra, l'entreprise en était ruineuse; elle était grevée de pensions à la famille Lulli, au batteur de mesure Colasse, au décorateur Bernin, à la cantatrice Marthe Le Rochois, qu'a tant célébrée Chaulieu; au danseur Louis Lesfang, à la danseuse Thérèse Sublaguy; à Marie Verdier, qui avait chanté à l'Opéra pendant quarante-cinq ans, et à plusieurs autres anciens acteurs.

En outre, il n'y avait aucun ordre dans l'administration. L'étendue du mal est signalée dans le préambule du règlement de 1713. Cette espèce de code dramatique instituait une école gratuite de musique, une école de danse et une école d'instruments. Il infligeait des amendes aux acteurs, figurants et employés en cas d'inexactitude ou de refus de role, et prenait des mesures pour assurer le paiement des appointements ou des pensions. Il fixait les honoraires du poëte et du musicien à 100 livres par mois pendant les dix premières représentations, et à 50 livres pendant les vingt représentations suivantes.

Afin de mettre le règlement à exécution, des lettres patentes créèrent divers fonctionnaires. Le sieur André Destouches fut nommé inspecteur général sur toute la régie de l'Académie royale de Musique, tant pour ce qui regardait la police intérieure que pour le service des spectacles, les recettes et les dépenses. Aucune pièce ne pouvait être représentée, aucun acteur reçu sans son autorisation. Il était chargé de maintenir toujours au complet l'effectif des chanteurs, danseurs, hommes ou filles de chœur et symphonistes. Il devait interdire l'accès des coulisses à ceux dont la présence n'était pas absolument indispensable et empêcher les acteurs d'entrer dans les loges des actrices et réciproquement.

Le duc d'Antin, pair de France, surintendant des bâtiments et chef du conseil du dedans du royaume, fut commis pour avoir connaissance de tout ce qui concernait la police et la régie de l'Académie royale de Musique.

Francine demeura directeur, mais de nom seulement; un arrêt du conseil d'État, du 19 novembre 1714, lui défendait même de s'immiscer dans la régie de l'Opéra, moyennant 20,000 livres stipulées à son profit.

On augmenta les ressources de l'Académie en l'autorisant, par lettres patentes du 2 décembre 1715, à donner des bals publics. Le chevalier de Bouillon, qui en avait eu l'idée première, en fut récompensé par une pension de 6,000 livres à prélever sur les bénéfices de l'affaire.

L'architecte Servandoni divisa pour les bals la salle en trois parties les loges, un salon carré et un hémicycle octogone orné de glaces; il trouva moyen d'élever avec un cabestan le parterre et l'amphithéâtre au niveau de la scène. Un règlement du 30 décembre 1715 défendit à toutes personnes de quelque qualité et condition qu'elles fussent d'entrer au bal sans payer, à visage découvert et avec des armes.

Une autre ordonnance du 10 avril 1721 portait qu'après que les intéressés au privilége auraient prélevé sur le produit de chaque représentation 600 livres pour leurs frais, ils seraient tenus de donner le neuvième du surplus au receveur de l'HotelDieu de Paris pour être employé au soulagement des pauvres.

Ce régime fut marqué par des succès. Les amateurs de mélodies archaiques se rappellent encore Callirhoe, de Roy et

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Les artistes de l'Opéra pouvaient, avec l'autorisation du directeur, contribuer à l'éclat des fêtes particulières. On en trouve un curieux exemple dans le Mercure de France du mois d'août 1728:

«Le 12 juillet furent célébrées, à l'hôtel d'Évreux, qui fut plus tard l'Élysée-Bourbon, les noces de Guy-Michel de Durfort de Lorges, duc de Durfort, et d'Élisabeth-Philippine de Poitiers. A cinq heures, après la signature du contrat, mesdemoiselles Hautier, Herwens et autres artistes, sous la direction du musicien Moure, chantèrent plusieurs morceaux, et terminèrent par un chœur du ballet de l'Europe galante:

Tendres amants, rassemblons-nous.

« Après le chœur, une troupe de masques entra au son du tambourin dans le salon. Les danseurs et danseuses de l'Opéra dansèrent; les demoiselles Camargo et Sallé s'y surpassèrent; toute la compagnie en fut enchantée, ainsi que des sieurs Blandy, maître de ballets, Dumoulin et Laval. Le comte de Duras, le chevalier de Lorges, dansèrent aussi plusieurs entrées. Le bal finit par une contredanse de tous les masques au son du tambourin, et cette légère troupe sortit en dansant, » Francine se retira en 1728. Il eut pour successeur l'inspecteur général Destouches; puis Gruer en 1730; les sieurs Lecomte, Leboeuf et associés en 1731. Deux ordonnances royales consolidèrent la police du théâtre : la première interdisait à qui que ce fût de se tenir dans les coulisses ou dans les loges des actrices; l'autre défendait d'entrer à l'Opéra sans payer, même aux gardes, gens d'armes, chevau-légers et mousquetaires; d'y commettre aucun désordre en entrant ni en sortant, de crier ni faire du bruit pendant le spectacle, de siffler et faire des huées, d'avoir le chapeau sur la tête et d'interrompre les acteurs. Les domestiques portant livrée étaient exclus de l'Opéra, même quand ils payaient.

En 1732, les sieurs Lecomte, Leboeuf et associés montèrent Jephte, tragédie-opéra de Pellegrin et Monteclair; mais le cardinal de Noailles, scandalisé de voir un héros de la Bible transporté sur une scène mondaine, obtint la suppression de la pièce. On lui substitua Hippolyte et Aricie, premier opéra de │ Rameau, dont la musique toute nouvelle ne fut point appréciée, quoique Campra eût dit au prince de Conti : « Voici un homme qui nous éclipsera tous. » Les coûteuses décorations du ballet | de l'Empire de l'Amour, peintes par Servandoni, consommérent la perte des associés. Un arrêt du conseil d'Etat, du 30 mai 1733, leur ota le privilége et le donna pour vingt-neuf ans, à compter du 1er avril 1733, à Louis-Armand-Eugène de Thuret, ci-devant capitaine au régiment de Picardie.

Sous cette direction parurent les Génies, de Fleury et Mile Duval; l'Enlèvement d'Europe, paroles et musique de Betizi; Isbe, de La Rivière et de Mondonville; Don Quichotte chez la duchesse, de Favart et Boismoutier; l'École des amants, opéra-ballet de Fuzelier et Niel, composé de trois entrées, dont les titres caractérisent singulièrement le goût de l'époque: la Constance couronnée, la Grandeur sacrifiée, l'Absence surmontée; mais les plus brillantes représentations qu'on eût vues peut-être depuis l'Armide de Lulli furent celles de Castor et Pollux (octobre 1735); Gentil-Bernard, auteur des paroles, fut comparé à Quinault, et Rameau reconnu pour maitre par tous les compositeurs. Monteclair s'avoua vaincu; Mouret, dont on venait partout d'applaudir l'opéra-ballet des Gráces, devint fou de jalousie et fut renfermé à Charenton.

Les Fêtes galantes, les Fêtes d'Hébé, Dardanus, consolidèrent la réputation de Rameau sans sauver le théâtre. Thuret, à bout de ressources, profita de son âge et de ses infirmités pour demander la permission de se retirer, et obtint, sur les produits du spectacle, une pension viagère de 10,000 livres. Ces pensions, qui se multipliaient, étaient une charge accablante pour l'Académie, qui, indépendamment d'un nombreux personnel d'acteurs, entretenait des gardes-magasins, des tailleurs, des brodeurs, des peintres, des menuisiers, des plumassiers, des fabricants de masques, et à laquelle un opéra coutait en moyenne 45,000 livres. Aussi le successeur de Thuret, Fran

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çois Berger, ancien receveur des finances du Dauphiné, mort le
3 novembre 1747, après trois ans et demi d'exercice, laissa-t-il
environ 500,000 livres de dettes.

Le gouvernement essaya pendant un an de la régie, qui fut confiée aux sieurs Rebel et Francœur, surintendans de la musique de la chambre. Le 4 mai 1748 on revint au système du privilége, dont les concessionnaires, Tresfontaine et Saint-Germain, furent promptement ruinés. Par arrêt du conseil d'Etat, du 26 août 1749, le roi, « pour empêcher la chute totale de ce spectacle, un des plus beaux ornements de la capitale, » cassa et annula tous les priviléges. Il donna la ville de Paris la direction générale de l'Académie royale de Musique, sous les ordres du comte d'Argenson, ministre de la maison du roi.

Les échevins inaugurèrent leur administration le 23 septembre 1749, par un opéra-ballet de Fuzelier et Mondonville, le Carnaval du Parnasse, où chantaient Jelyotte et Mile Fel, où dansaient Chassé et la Camargo. Ils espérèrent régénérer l'Opéra en y appelant une troupe italienne qui représenta la Serva padrona, de Pergolèse, la Donna superba, de Renaud de Capoue, et d'autres intermèdes. La présence des bouffons, c'était ainsi qu'on appelait les acteurs transalpins, sépara le public en deux camps: leurs partisans se groupèrent au coin de la loge de la reine; leurs adversaires, qui n'avaient pas de place déterminée, furent nommés par opposition Messieurs du coin du roi. La dispute passa de la salle dans les cafés, puis dans la presse. Grimm, Jean-Jacques et une foule de pamphlétaires, engagèrent une guerre de plume, après laquelle les novateurs furent forcés à la retraite.

En 1757, le bureau de la ville afferma l'Opéra pour trente années à Francœur et Rebel, qui en étaient inspecteurs. Ils eurent pour soutiens les poèmes de Moncrif, Danchet, Favart et Marmontel, la musique de Rameau, d'Auvergne et de Mondonville; le chant de Gélin, de Larrivée, de Sophie Arnould; le talent chorégraphique de Vestris Ier, de Gardel et de Mile Allard. Malheureusement, le 5 avril 1763, à huit heures du matin, un incendie dévora le théâtre.

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Privée d'asile, l'Académie s'établit provisoirement dans la salle des Tuileries où le public ne la suivit pas. Rebel et Francœur sollicitèrent et obtinrent la résiliation de leur traité. La ville en passa un autre avec MM. Trial et Breton; mais, en 1770, elle reprit l'exploitation et ne conserva les concessionnaires qu'à titre de régisseurs, en leur adjoignant les sieurs d'Auvergne et Joliveau. Un peu plus tard, elle rappela Rebel en qualité d'administrateur de la régie.

La salle, reconstruite par l'architecte Moreau et ouverte le 24 janvier 1770, avait quatre rangs de loges et une scène prefonde de quatre-vingts pieds, Curiosités de Paris (1771), se trouvait à peine dans les plus « ce qui, suivant l'auteur des vastes théâtres de l'Europe. » On y avait ménagé neuf sorties cemmodes; un foyer péristyle décorait la façade. Les premières pièces qu'on y représenta n'eurent aucun succès; mais l'Iphigénie en Aulide et l'Orphée de Gluck excitèrent un vif enthou

siasme.

La célèbre lutte de Piccini avec Gluck, d'Alceste contre Roland, d'Armide contre Didon, ne tira point l'Opéra de sa position fâcheuse.

Un second sinistre mit le comble aux misères de l'Opéra. La magnifique salle, si récemment bâtie à grands frais, fut détruite, le 8 juin 1781, par un rapide incendie, dont Bachaumont nous a laissé une effroyable description. L'architecte Lenoir se fit fort d'élever une salle provisoire en moins de trois mois; et en effet, en soixante-quinze jours et autant de nuits, on acheva sous sa direction le vaste théâtre qui est actuellement celui de la Porte-Saint-Martin, et dont la façade est ornée de huit belles cariatides du sculpteur Bocquet. Les gens du monde craignaient qu'elle ne manquât de solidité; on les rassura par un procédé analogue à celui des empereurs romains, qui faisaient essayer les aliments suspects par des esclaves. Le 25 octobre 1781, un spectacle gratis fut donné à l'occasion

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de la naissance du Dauphin, et la vile multitude se risqua la première dans l'édifice improvisé.

Le prix des places était ainsi fixé : balcon des seigneurs, aux deux côtés de l'orchestre, 10 livres; premières loges, 7 livres 10 sols; secondes loges, 4 livres; parterre et paradis, 2 livres. On joua successivement Adèle de Ponthieu, de Piccini; Renaud et OEdipe à Colone, de Sacchini; Tarare, de Salieri (paroles de Beaumarchais); Péronne sauvée, de Dezaide; le Premier Navigateur, de Philidor; l'Embarras des richesses, de Grétry; mais ce dernier sujet était moins que jamais de circonstance à l'Académie royale de Musique.

Le comité administratif, créé par Louis XVI en 1778, se composait d'acteurs, de musiciens, de l'inspecteur du théâtre, d'un secrétaire perpétuel, sous la présidence du compositeur Gossec.

Peu de temps après les journées des 5 et 6 octobre 1789, une députation de la commune de Paris, conduite par Bailly, vint proposer à Louis XVI de se charger exclusivement de l'Académie royale de Musique; mais après avoir écouté l'orateur et présenté quelques objections, le roi impatienté s'écria : «Allez au diable, vous et votre Opéra; je n'ai pas le cœur à la danse! »

Depuis 1792 jusqu'en 1803, l'Opéra porta tour à tour les noms de Theatre de la République et des Arts, Théâtre des Amis de la patrie, et enfin Théâtre des Arts. Il se fit propagateur des idées démocratiques, chanta les victoires des quatorze armées, et traita des sujets actuels et antiques, le Siége de Thionville, Fabius, le Camp de Grandpré, Miltiade à Marathon, Ce que peut la liberté, Horatius Coclès, Léonidas. Ses poëtes attitrés furent Gaillard, Chénier, Hoffmann, Arnaud; ses compositeurs, Gossec, Méhul, Persuis, Lemoyne, Kalbrenner, Salieri, Kreutzer, Grétry, Haydn et Mozart, dont les œuvres éminentes le soutinrent au milieu des troubles politiques. Il n'avait point périclité, lorsqu'un arrêt du 29 nivòse an XI (10 janvier 1803) donna la surveillance des arts au préfet du palais, et la gestion à un directeur et à un administrateur comptable, nommé par le premier consul. Aucune pièce nouvelle, aucun nouveau ballet ne pouvait être donné, aucune décoration nouvelle établie sans que l'aperçu de la dépense eût été soumis au gouvernement et approuvé par le premier consul. Le tableau des traitements et des gratifications accordées aux artistes sous le nom de feux devait être soumis par le préfet du palais à l'approbation du premier consul. Tous les six mois les dépenses, recettes et comptabilité étaient vérifiées par une commission de trois personnes désignées par le premier consul. Une subvention de 50,000 francs par mois était octroyée au Théâtre des Arts.

Un arrêté du même jour nomma le citoyen Bouret administrateur comptable du Théâtre des Arts, qui n'était pas dans une situation prospère, s'il faut en croire les ouvrages du temps, le Pariseum, par Blanvillain. « Ce spectacle, que Goldoni appelait le paradis des yeux et l'enfer des oreilles, coûte annuellement des sommes considérables à l'État; encore l'administration est-elle rarement au pair. Il est vrai que le gouvernement fait moins de sacrifices qu'autrefois, et que les dépenses se sont beaucoup accrues par la variété des pièces et la magnificence des ballets. On peut aller sur le théâtre voir le jeu de machines dont M. Bouilloi est directeur. Cet architecte se fait un plaisir de montrer chez lui, aux curieux, un mécanisme destiné à élever les murs de Thèbes, comme la fable nous a raconté qu'Orphée le fit jadis au son de la lyre. Le nombre des personnes attachées à ce spectacle monte à plus de cinq cents. »

Les principaux chanteurs de l'Opéra étaient alors Lais, Chéron, Dérivis, Nourrit père; Mues Maillard et Branchu. Parmi les danseurs brillaient Vestris' père et fils, et Gardel; la première danseuse était Mile Clotilde, grande blonde à laquelle le prince Pignatelli, comte d'Egmont, assurait 1,200,000 francs par an. La chronique scandaleuse prétend qu'elle ne s'en contentait pas, et que l'amiral espagnol Mazaredo y ajouta un léger supplément annuel de 400,000 francs. Elle avait, dans la rue de Ménars, un magnifique appartement dont les tentures coûtaient 70 fr. l'aune; le couvrepied de son lit était un cachemire noir d'une valeur de 15,000 francs. Le reste de l'ameublement avait la même magnificence; et pourtant cette danseuse si belle, si courtisée, si prodigue, mourut dans la misère et dans l'oubli.

En 1806, l'Opéra prit le titre d'Académie impériale de Mu

sique, et Picard en fut nommé directeur, sous la surintendance du comte de Rémusat. Les grands succès qui signalèrent son administration sont ceux de la Vestale et Fernand Cortez, de Spontini; des Bardes, du Triomphe de Trajan et la Jérusalem délivrée, de Persuis; des Abencérages, de Cherubini; mais l'Opéra-Comique, avec Boieldieu, Nicolo, Dalayrac et Berton; l'Opéra-Buffa, avec Paisiello et Cimarosa, faisaient une formidable concurrence à l'Académie impériale de Musique. Napoléon Ier constitua les théâtres secondaires en vassaux du grand Opéra, en lui permettant, par décret du 13 août 1811, de prélever une rétribution sur leurs recettes.

La monarchie des Bourbons plaça les quatre théâtres royaux sous la surveillance du ministre d'État, intendant général de la maison du roi, et du directeur général des Beaux-Arts. A la différence du régime impérial, la liste civile se chargea de l'Opéra pour son compte et à forfait, moyennant une subvention qui s'élevait, en 1830, à 850,000 fr. Pour la réception des pièces fut organisé un jury composé de Raynouard, Charles Nodier, Brard, Michaud, Baour-Lormian, Méhul, Cherubini, Boieldieu, Berton et Spontini, sous la présidence de M. de La Ferté, intendant des menus; le vicomte de Nugent était lecteur. Gardel, maître des ballets, Degoti, décorateur, et le machiniste, assistaient aux lectures, mais n'avaient que voix consultative (ordonnance du 18 septembre 1816). On nomma Chéron régisseur, Persuis directeur du personnel et Courtin administrateur du matériel. En 1818, les recettes de l'Opéra étaient, suivant le Moniteur, de 598,622 francs 40 centimes; les bals rapportaient 27,948 francs.

On avait transporté l'Opéra, en 1793, dans une salle construite par l'architecte Louis, rue Richelieu, en face de la Bibliothèque nationale. Cette salle pouvait contenir 2,800 spectateurs; elle avait été restaurée en 1819, et Cicéri en avait peint la coupole d'après les dessins de Debret. On la démolit après l'assassinat du duc de Berry, et 2,555,000 fr. furent consacrés à l'édification de la salle provisoire de la rue Lepelletier.

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Le bâtiment occupe une superficie de 1,900 mètres; celle des magasins et des dépendances est de 5,033. La salle, de forme circulaire, contient 1,950 places. La scène est immense. Les dessous, qui se divisent en trois étages, ont autant de profondeur qu'elle a de hauteur.

Le troisième dessous est un souterrain obscur, une véritable oubliette hantée par les rats. Un machiniste misanthrope s'y pendit en 1849, et on le chercha pendant six semaines dans tout Paris sans se douter qu'il était là.

Le magasin des décorations, qui longe la rue Rossini, a 25 mètres de longueur. Les loges où les acteurs s'habillent, les salles de répétitions, les bureaux de l'administration, occupent en partie un bel hotel bâti par Carpentier pour le financier Bouret, et qui appartint successivement à MM. de Laborde, de La Reynière et de Choiseul. Le foyer où s'exercent les danseuses est un ancien salon qui avait été décoré par Clériscau, peintre du roi, et qui a été coupé en deux horizontalement. On y a placé un magnifique buste de la danseuse Guimard, Coustou.

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Installée dans ce nouveau domicile, l'Académie impériale de Musique commença par remettre au répertoire Castor et Pollux, Tarare, les Danaides, de Salieri, et par monter l'Olympie, de Spontini. Voyant ses chants peu appréciés, elle suivit le conseil que la fourmi donnait à la cigale. Les ballets de Clary,

la Servante justifiée, Flore et Zéphyre, le Carnaval de Venise, Aline, les Pages du duc de Vendôme, attirèrent la foule; puis à cette période chorégraphique succéda l'ère musicale la plus brillante. Dans Aladin ou la Lampe merveilleuse, Nicolo Isouard de Malthe retrouva les gracieux accords de sa jeunesse. Le Siége de Corinthe, Moïse, le Comte Ory, Guillaume Tell, justifient l'honneur exceptionnel qu'on a fait à Rossini en lui érigeant de son vivant une statue dans le foyer du théâtre. Halévy donna le beau ballet la Tentation; Auber, la Muette de Portici.

Ce dernier opéra, dont les paroles étaient de Scribe et Germain Delavigne, et qui fut représenté le 29 février 1828, se trouva en situation lorsque survint le cataclysme de 1830. A Paris, une foule enthousiaste applaudissait au chœur: Amour sacré de la patrie. A Bruxelles, ce fut en sortant d'une représentation de la Muette, au théâtre de la Monnaie, que, le 25 août 1830, les Belges commencèrent la révolution qui aboutit à leur indépendance,

Au 27 juillet 1830, l'administrateur général de la musique était M. Lubbert; il était secondé par Hérold, Schneitzhoffer, Halévy, comme maîtres de chant; Aumer, Albert, Taglioni, comme maîtres de ballets; Habeneck et Valentino, comme chefs d'orchestre.

Les interprètes étaient dignes des œuvres. Adolphe Nourrit, quoiqu'il prit trop souvent la voix de tête, était aussi bon acteur que musicien consommé. Dabadie, Levasseur, Massol, Alexis Dupont, qui chantait si bien la barcarolle du premier acte de Guillaume Tell, et qui finit si misérablement, complé taient un ensemble qui méritait à l'Opéra sa haute réputation. Mile Jawuereck conservait encore des restes de la gràce qu'elle déployait en chantant dans Aladin :

Venez, charmantes bayadères,

Venez, enfants de la gaité,

Venez, par vos danses légères, Nous inspirer la volupté.

Mme Cinti-Damoreau était dans tout l'éclat de la jeunesse et du talent.

La chorégraphie était représentée par Paul, Montjoye, Coulon, Mérante; par MMmes Noblet, Montessu et Legallois.

Avec de pareils éléments de succès, il semblait que l'Académie royale de Musique dût être une excellente affaire. Cependant Louis-Philippe n'osa s'en charger, peut-être parce qu'il voulait rompre avec les errements du passé. Une ordonnance du 29 janvier 1831 livra l'Opéra aux chances de la spéculation privée. La subvention fut réduite de 850,000 à 820,000 fr. Conformément aux principes de liberté sur lesquels s'appuyait le nouveau régime, le tribut prélevé sur les théâtres secon daires fut supprimé, et le monopole des bals masqués enlevé au directeur.

Néanmoins, un bomme entreprenant, qui avait fait réussir la pâte pectorale de Regnault, le docteur Véron, se chargea intrépidement du fardeau qu'abandonnait la monarchie, et eut le bonheur de vérifier à son profit le proverbe : Audaces fortuna juvat. Giacomo Meyerbeer apporta au nouveau directeur son opéra de Robert le Diable (21 nov. 1831), qui fut monté par M. Duponchel, dont le goût artistique était éprouvé par de longues études, et qui, avant de commander à Cicéri les décorations du troisième acte, chercha des effets jusque dans la vieille prison du Mont-Saint-Michel.

Les frais de M. Véron, qui a d'ailleurs, dans ses Memoires, expliqué longuement son administration, furent couverts amplement par ses recettes. Une danseuse, dont la famille était depuis longtemps connue dans l'art chorégraphique, Mile Taglioni, débuta dans la Sylphide, et elle produisit une vive sensation par la manière dont elle conciliait l'enivrement de la danse avec une décence inusitée.

M. Véron monta avec succès le Serment et Gustave III, d'Auber; la Juive, d'Halévy, en 1835; les Huguenots, de Meyerbeer, au mois de mars 1836. Les plus gros appointements qu'il eût à payer ne montaient pas à plus de 36,000 fr.; aussi la liste civile, jalouse de ses succès, voulut-elle réduire la subvention qui fut fixée de 1832 à 1833, à 750,000 fr.; de 1833 à 1834, à 680,000 fr.; enfin, de 1834 à 1835, à 620,000 fr.

Ce fut alors que M. Véron jugea l'entreprise scabreuse; en 1836, il renonça à son privilége en faveur, et l'on pouvait dire au détriment de M. Duponchel.

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