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fications. Des monuments s'élèvent, et les anciens édifices, habilement restaurés, prennent un air de jeunesse. Tout suit ce mouvement progressif: le luxe se propage et s'infiltre dans toutes les classes. Quand on rentre à Paris, après l'avoir quitté quelques années, on ne le reconnaît plus. On trouve des palais improvisés, en remplacement des pignons vermoulus. La circulation des voitures a quadruplé; la population, considérablement augmentée, a changé de physionomie. Aussi, sans chercher à refaire ce qui a été fait tant de fois, sans ressasser Dulaure et Saint-Victor, on peut composer un livre où des documents entièrement neufs se mêleront à des détails peu connus sur l'ancien Paris.

C'est ce livre que nous allons tenter.

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Quelle distance de l'état actuel aux temps primitifs! Que de siècles il a fallu pour que la modeste Lutèce, sortant de son île, jetât sur les deux rives de la Seine des maisons, des églises et des remparts, et prit d'escalade les plaines et les coteaux circonvoisins! Longtemps la cité des Parisiens n'eut que des murailles grossièrement bâties, et qui, probablement, ne régnaient pas même dans toute sa modeste périphérie. On peut conclure, toutefois, de la charte de fondation de Saint-Germain des Prés, que, l'an 539, l'enceinte de Paris s'étendait déjà sur la rive gauche, puisque le roi Childebert annonce l'intention d'édifier un temple près des murs de la cité (prope muros civitatis). Il y avait donc des fortifications sur l'emplacement qu'occupent actuellement la rue Dauphine, la Monnaie et l'Institut. Sans cela, comment l'Abbaye que nous connaissons, et qui n'était pas loin du Luxembourg, eût-elle été contiguë aux ouvrages défensifs de la ville?

L'afflux de la population était à cette époque vers la rive gauche. En 1119, l'église Saint-Jacques de la Boucherie était encore dans le faubourg, in suburbio Parisiacæ urbis, comme dit une bulle du pape Calixte. Louis le Gros, qui cherchait à dominer le pouvoir des vassaux au profit de la monarchie, avança les murailles de Paris jusqu'au delà du palais des Thermes sur la rive gauche. Sur la rive droite, il forma un parallelogramme de tours et de courtines, dont la limite septentrionale était assez exactement dessinée par le tracé actuel de la rue de Rivoli, et qui avait pour frontière à l'est l'église de Saint-Gervais, à l'ouest Saint-Germain l'Auxerrois.

L'enceinte de Philippe-Auguste, plus solide et plus étendue que les précédentes, était flanquée de tours rondes et garnies de créneaux. Elle fut commencée en 1210, et elle était à peine achevée en 1240. Ceux qui connaissent Paris peuvent suivre aisément les contours de cette enceinte, grâce aux noms des portes principales qui se sont perpétués jusqu'à nous. Elle prend naissance entre Saint-Germain l'Auxerrois et le Louvre, et suit une ligne presque perpendiculaire à la Seine jusqu'à la porte Coquillière, dont l'appellation était due à la proximité du logis d'une certaine famille Coquillier. Dire qu'il y a des poëtes oubliés, des savants dont la foule ne saura jamais les titres, et que le hasard perpétuera, tant qu'il restera pierre sur pierre de Paris, la mémoire du bourgeois Coquillier!

De la porte Coquillière, nous passons à la porte Saint-Eustache; l'église voisine n'avait pas alors ses voùtes hardies, ses chefs pendants, ses élégantes nervures, et ce portail corinthien que Mansard de Jouy surmonta d'un fronton triangulaire. C'était une humble chapelle, dépendant d'abord du chapitre de Saint-Germain l'Auxerrois, érigée en cure l'an 1223. La muraille, arrivée là, courait parallèlement au fleuve; et, entre deux tours, juste à l'endroit où la rue Rambuteau coupe aujourd'hui la rue Saint-Denis, s'ouvrait la porte aux Peintres. C'était le quartier des artistes chargés de l'illustration des manuscrits; c'était près de cette porte que les Raphaël et les Titien du moyen âge s'étaient réunis pour enrichir de vignettes les chefs-d'œuvre calligraphiques qu'on admire encore dans nos collections publiques.

En longeant la rue Rambuteau, à la hauteur de la rue SaintMartin, nous trouvons une poterne qui, du nom de son constructeur, s'appelait porte de Nicolas-Huidelin.

Puis viennent les portes de Braque, dont messire Nicolas Braque avait pris à cens les péages; la porte Barbette, située près d'un hôtel appartenant à cette famille; la porte Baudoyer, la fausse porte Saint-Pol, la porte Bartéel-sur-l'Yeau. Interrompue par la Seine et la plus orientale de ses îles, l'enceinte reprenait sur la rive gauche, ayant pour point de départ une tournelle dont le quai actuel perpétue le souvenir. Les murs montaient la côte, coupés par les portes Saint-Victor, SaintMarcel ou Bordelle (Bordellum). Ce dernier mot signifiait une maison de campagne, une habitation isolée au milieu d'un jardin.

La rue d'Enfer n'a point d'étymologie diabolique; au point où elle s'élance d'un carrefour pour aboutir aux barrières, était une porte qui n'est devenue infernale que par corruption: Porta inferni quæ antiquitus solebat nominari de Ferto, comme disaient les actes des évêques d'Auxerre (acta epis. autissiod.). De cette porte de Ferte ou d'Enfer, le mur descendait le long de l'enclos du couvent des Cordeliers, sur l'emplacement duquel ont surgi depuis les amphithéâtres de l'École de médecine, le Musée Dupuytren et l'École de dessin. Les immenses dépendances de l'abbaye Saint-Germain des Prés empêchaient l'enceinte de Paris d'aller plus loin, elle était obligée de s'arrêter à ce que nous connaissons sous la dénomination de carrefour Buci; de prendre derechef une direction perpendiculaire à la Seine, et d'aboutir à une tour ronde qui, du nom de son constructeur, s'appelait tournelle de Philippe-Amelin.

Ce fut plus tard la tour de Nesle.

L'enceinte de Philippe-Auguste fut suffisante jusqu'en 1356. Quand la bataille de Poitiers avait consterné la France, quand les Anglais ajoutaient chaque jour à leurs conquêtes, quand la guerre civile et la guerre étrangère se déchaînaient à l'envi, il importait de consolider la défense de la capitale, et de ne pas laisser en dehors les quartiers populeux qui s'étaient formés sur la rive droite de la Seine. Les nouveaux murs partirent de la tour de Billy, en face de l'île Louviers. Ils suivaient les boulevards depuis la porte Saint-Antoine jusqu'à la porte SaintDenis. Ils enserraient le bourg de Villeneuve et la cour des Miracles, où trônait le grand Coësre au milieu des bohêmes et des truands. Pour conduire l'enceinte jusqu'à la Seine, prenons la rue des Fossés-Montmartre, coupons par diagonale l'hôtel de la Banque, le Palais-Royal et la place du Carrousel, et arrêtons-nous au pavillon Lesdiguières, où était alors une tour de bois dont les eaux battaient le pied.

La construction de l'enceinte dura quatre ans, et coûta 182,000 livres tournois. Elle fut entreprise grâce à l'énergique initiative d'Étienne Marcel, prévôt des marchands. Cet homme, longtemps populaire, et qui méritait de l'être, fut massacré à la porte Saint-Antoine, près de laquelle, en 1370, son successeur, Hugues Aubriot, jeta les fondements de la Bastille.

« Ce fut un grand fait, dit Froissard, que environner de fortes defenses une telle citez comme Paris, et dis que ce fust le plus grand bien qu'oncques prevost des marchands fist. » C'était un beau travail; il coûterait aujourd'hui le décuple de la somme qu'on y consacra, et qui n'équivaut pas à un million de francs. Les courtines étaient surmontées de créneaux qui reposaient sur des mâchicoulis. D'espace en espace se dressaient des tours barlongues, percées d'archières, munies d'échauguettes et de barbacanes; les portes, qui étaient au nombre de quinze, étaient toutes flanquées de tours de ce genre.

La porte Saint-Antoine était entre deux châteaux royaux; la Bastille, qui ne tarda pas à devenir exclusivement une prison d'État, et l'hôtel solennel des grands ébattements ou hotel Saint-Pol, vaste maison de plaisance, avec des jardins, des ménageries, des volières, des vergers, des cerisaies, des prés et des pièces d'eau.

La porte du Temple donnait intérieurement sur l'enclos que possédaient les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem ou de Malte, depuis la destruction de l'ordre hybride des Templiers. Des ponts de plusieurs arches, jetés sur des fossés profonds, aboutissaient aux portes Saint-Martin, Saint-Denis, Montmartre et Saint-Honoré. Cette dernière était à l'angle de la rue à moitié détruite du Rempart, dont tout le côté droit vient de disparaître dans les récentes démolitions. Ce ne fut que plus tard qu'on ouvrit sur le quai la porte Neuve.

Sur la rive gauche, la porte de Nesle se distinguait par la solidité de ses tours et de son pont de quatre arches.

Nous avons mentionné déjà les autres portes, entre lesquelles celle de Buci est célèbre par la trahison de Périnet

Leclerc, qui, le 29 mai 1410, en déroba les clefs à son père, quartenier du guet, et introduisit les Bourguignons dans la place.

Paris était en état de soutenir un siége, et, à plus forte raison, à l'abri d'un coup de main. Le duc d'Alençon, les comtes de Vendôme, de Clermont et de Laval, les maréchaux de Boussac et de Retz, vinrent camper, le 4 septembre 1429, sur la butte des Moulins; ils étaient accompagnés de Jeanne Darcq, dont le prestige était alors à son apogée. « Il n'en résulta pour eux que douleur, honte et meschef, » dit le Journal d'un Bourgeois de Paris, chronique curieuse et exacte, quoiqu'elle ait été rédigée avec partialité par un ecclésiastique ami des Anglais. « Le jour de la Nativité de Notre-Dame, dit cet écrivain, les Arminacs firent conjuration, tous d'un accord, de cestui jour assaillir Paris, et s'assemblèrent bien douze mille et plus; et viendrent environ heure grand' messe, entre onze et douze, leur Pucelle avec eux, et très-grande foison chariots, charrettes et chevaux, tous chargés de grandes bourrées à trois harts pour emplir les fossés de Paris. Et commencèrent à assaillir entre la porte Saint-Honoré et la porte Saint-Denys, et fut l'assaut très-cruel; et en assaillant disoient moult vilaines paroles à ceux de Paris. Et là étoit leur Pucelle avec son estendart, sur les enclos des fossés, qui disoit à ceux de Paris :

«Rendez-vous, de par Jésus! à nous tôt, car si vous ne vous rendez avant qu'il soit la nuit, nous y entrerons de force, veuillez ou non, et tous serez mis à mort sans mercy.

«Voire! dit un, paillarde! ribaude! et tirant de son arbaleste droit à elle, il lui perça la cuisse tout outre, et elle de s'enfuir; un autre perça le pied tout outre à celui qui portoit son estendart. Quand il se sentit navré, il leva sa visière pour voir à oster le vireton de son pied, et un autre trait le saigne entre les deux yeux et le navre à mort, dont la Pucelle et le duc d'Alençon jurèrent depuis que mieux ils aimassent avoir perdu quarante des meilleurs hommes d'armes de leur compagnie. L'assaut fut moult cruel d'une part et d'autre, et dura bien jusqu'à quatre heures. Ceux de Paris prindrent cœur en eux, et tellement les versèrent de canons et d'autres traits qu'il leur convint par force de reculer et laisser leur assaut, et s'en aller. Qui mieux s'en pouvoit aller estoit le plus heureux, car ceux de Paris avoient de grands canons qui jettoient de la porte Saint-Denys jusques par delà Saint-Ladre largement, qu'ils leur jettoient au dos, dont moult furent épouvantés; ainsi furent mis à la fuite; mais homme n'y eut de Paris pour les suivir, pour paour de leurs embusches. Eux, en allant, ils boutèrent le feu en la grange des Mathurins, auprès des Porcherons, et mirent de leurs gens qui morts estoient à l'assaut, qu'ils avoient troussés sur leurs chevaux, dedans celui feu grande foison, comme faisoient les payens à Rome jadis. Et maudissoient moult leur Pucelle qui leur avoit promis que sans nulle faute ils gagneroient à celui assaut la ville de Paris par force, et qu'elle y seroit ceste nuit, et eux tous, et qu'ils seroient tous enrichis des biens de la cité, et que tous seroient mis, qui y mettroient aucune deffence, à l'espée ou ars en leur maison. Mais Dieu qui mena la grande entreprise d'Holoferne, par une femme nommée Judith, ordonna par pitié autrement qu'ils ne pensoient, car le lendemain viendrent querir par sauf-conduit leurs morts, et le héraut qui vint avec eux fut sermenté du capitaine de Paris, combien il y avoit eu de navrés de leurs gens, lequel jura qu'ils estoient bien quinze cents, dont bien cinq cents ou plus estoient morts ou navrés à mort. Et vray est qu'en cet assaut n'avoit aussi comme nuls hommes d'armes, qu'environ quarante ou cinquante Anglois qui moult y firent bien leur devoir, car la plupart de leur charroy, en quoy ils avoient amené leurs bourrées, ceux de Paris leur enlevèrent: car bien ne leur devoit pas venir de vouloir faire telle occision le jour de la sainte Nativité de Notre-Dame. »

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d'un grand danger. François Ier avait été fait prisonnier à Pavie, et l'on pouvait craindre que Charles-Quint ne profitât de ses avantages pour conduire jusqu'à la capitale une invasion victorieuse. En 1523, les Parisiens se mirent en état d'opposer une résistance déterminée aux agresseurs, et les travaux entrepris se prolongèrent pendant plusieurs années. On abattit la vieille porte aux Peintres; on enleva d'énormes dépôts de gravois et d'immondices qui s'étaient accumulés à peu de distance des remparts, sur la rive gauche de la Seine. Mais ce fut surtout vers la rive droite que se porta l'attention du gouvernement et de la municipalité; seize mille ouvriers travaillèrent activement à réunir les deux fossés qui existaient, en un seul fossé plus profond.

Henri II conçut le projet d'imposer une limite fixe aux agrandissements de Paris. Par un édit, en date du mois de novembre 1549, il fut défendu à toutes personnes, de quelque qualité qu'elles fussent, de faire bâtir de neuf dans les faubourgs, à peine de confiscation du fond du bâtiment. On traça le plan d'une enceinte nouvelle qui aurait compris les faubourgs, et dont les bornes furent plantées du côté de l'Université, le 5 octobre 1550, en vertu d'un arrêté du conseil du 8 septembre. Mais ce projet n'eut pas de suite; la ville ne s'étendit que du côté de l'est. Le 6 juillet 1566, Charles IX posa la première pierre d'une muraille qui partait de la porte Saint-Honoré, enfermaft le jardin des Tuileries, de création récente, et aboutissait à un bastion construit à l'extrémité occidentale de l'allée connue sous la dénomination de Cours-la-Reine.

Lorsque Henri IV fit le siége de Paris, le 1er novembre 1589, avec douze mille fantassins et trois mille chevaux, il s'empara en moins de deux heures des faubourgs Saint-Jacques et Saint-Germain; mais il échoua contre le faubourg Saint-Martin. Son armée n'en bloqua pas moins Paris; son camp s'étendait depuis la Roquette, maison de campagne appartenant au sieur de Chiverny, jusqu'à la porte Montmartre, qui se trouvait alors au carrefour formé, en 1860, par les rues Montmartre, NeuveSaint-Eustache et des Fossés-Montmartre. Un de ses détachements tenta de s'introduire par surprise dans la ville, le 19 janvier 1591. Le gouverneur, M. de Belin, avait fait terrasser la porte Saint-Honoré des paysans s'y présentèrent avec un convoi de farines; les portiers leur dirent naivement que, la porte étant bouchée, ainsi que la porte Montmartre, il fallait aller prendre la porte Saint-Denis. On sut bientôt que ces prétendus paysans étaient des gentilshommes déguisés et bien armés, et, pour rendre grâces à Dieu d'avoir protégé Paris, on institua une cérémonie religieuse annuelle appelée la Fête des Farines.

Après son abjuration et son sacre, le 22 mars 1594, Henri IV franchit l'enceinte de Paris par la porte Neuve, d'où il put se rendre directement au Louvre et à Notre-Dame.

A partir de cette époque, cesse le rôle militaire de l'enceinte de Paris. Toutefois, sous Louis XIII, on construisit encore de nouveaux remparts. La vieille porte Saint-Honoré fut reportée à quatre cents toises à l'est. Les murailles qui en partaient étaient interrompues par la porte Richelieu, située à l'extrémité septentrionale de la rue de ce nom, qu'on venait de percer. Elles suivaient la direction de la rue Feydeau, au bout de laquelle était une nouvelle porte Montmartre, près de la rue des JeuxNeufs, qui devait sa qualification à deux jeux de boules très-fréquentés, et s'est appelée par corruption des Jeûneurs. L'enceinte rejoignait ensuite la porte Saint-Denis.

Tout ce reliquat du moyen âge disparut sous Louis XIV; l'unité française se constituait. La position de la capitale était moins précaire, la France moins exposée aux guerres civiles et agrandie par des conquêtes. Dès 1646, des lettres patentes, en date du 7 juillet, ordonnèrent de combler les fossés, d'aplanir les remparts, d'y construire des édifices et d'y tracer des rues. Aux portes féodales, munies de herses et de ponts-levis, on substitua des arcs de triomphe. Il y en avait un déjà à la porte Saint-Antoine, édifié sous Henri II, et orné par Jean Goujon des statues de la Seine et de la Marne. François Blondel le remania, donna les dessins des portes Saint-Denis et Saint-Bernard, et en composa les inscriptions: Ludovico magno, quod diebus vix sexaginta Rhenum, Wahalim, etc. Ce Rouennais était un homme de ressources; il avait débuté par être envoyé extraordinaire du roi de France à Constantinople. A son retour, il fut nommé conseiller d'État, professeur de mathématiques du dauphin et membre de l'Académie des sciences : ce fut alors qu'il s'adonna à l'architecture, et qu'il décora les églises de

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Saint-Jean en Grève et de Saint-Sauveur. Vers la fin de sa carrière, il se mit à étudier l'art de jeter les bombes et de fortifier les places, ce qui lui valut d'emblée le grade de maréchal des camps et armées du roi.

La porte Saint-Martin est de Pierre Bullet, qui la construisit en 1674. Quand elles furent exposées à la naïve admiration des Parisiens, ces deux portes jumelles passèrent pour des chefsd'œuvre comparables à tous ceux de l'antiquité.

Sous Louis XIV, les vieux remparts tombèrent en ruine ou furent démolis. La ville émancipée s'étendit capricieusement; ses maisons, s'alignant le long des grands chemins, rejoignirent celles de Vaugirard, de Chaillot, du Roule, de Monceaux, de Reuilly, le Romiliacum des Mérovingiens, et d'autres villages ou hameaux. Malgré les bornes plantées à l'extrémité des faubourgs, en vertu de lettres patentes du 26 avril 1672, avec défense d'aller au delà, la route de la Grande-Pinte et des Porcherons devint la Chaussée-d'Antin; le quartier de la NouvelleFrance prolongea le faubourg Poissonnière; des rues s'ouvrirent dans les jardins qu'avait possédés, au xve siècle, Jean de Popincourt, premier président au Parlement de Paris. La solitude de Picpus fut troublée, et des habitations s'élevèrent sur les bords de la Seine, autour de l'hôtel du sieur de la Rapée, commissaire général des guerres.

L'emplacement de la vieille enceinte se garnit de plantations. « Les L'Indicateur parisien pour 1767 en parle en ces termes : boulevards ou remparts sont des promenades pour les carrosses et le peuple; ils ont 5,000 pas ou 5 quarts de lieue, et sont arrosés tous les jours cinq mois de l'été. Il s'y rend un grand nombre de personnes de tous états, attirés par la musique des cafés et les parades des baladins. » De nouveaux boulevards furent ouverts, qui commençaient à l'hôtel des Invalides pour aboutir à l'hôpital général de la Salpêtrière.

Il vint un moment où, sans songer à rétablir l'enceinte détruite, le gouvernement jugea à propos d'intervenir pour empêcher la ville d'aller plus loin. Une déclaration royale du 16 mai 1765 défendit de construire aucun bâtiment, en quelque manière et sous quelque prétexte que ce fût, au delà des maisons déjà construites à l'extrémité de chaque rue des faubourgs. Pour la perception des droits d'entrée sur les boissons, la viande dépecée, le gibier, la volaille, le bois, le charbon, les fruits cuits, la paille, etc., dix-neuf barrières étaient établies: c'étaient celles de Saint-Jacques, de Saint-Michel, des Carmes, de Saint-Germain, de la Conférence, de Chaillot, du Roule, de la Ville-l'Évêque, de Saint-Denis, de Saint-Martin, de Montmartre, de Sainte-Anne, du Temple, de la Croix-Faubin, de Picpus et de Rambouillet. De nombreux commis y veillaient sous la direction d'inspecteurs à pied ou à cheval, de contrôleurs et de brigadiers; néanmoins, la fraude était grande, et les fermiers généraux se trouvaient lésés. En 1782, quand Louis XVI eut appelé M. de Calonne au conseil général des finances, ils obtinrent de ce ministre l'autorisation de faire un mur d'enceinte. On le commença pour ainsi dire clandestinement sur la route d'Orléans. Dès qu'il fut assez avancé, les Parisiens se récrièrent. On composa ce monostique :

Le mur murant Paris rend Paris murmurant.

Comme le chimiste Lavoisier était un des fermiers généraux les plus connus, on dit qu'il avait voulu enfermer Paris dans une cucurbite dont la caisse des fermiers était le récipient. On fit circuler ce quatrain :

Pour augmenter son numéraire

Et raccourcir notre horizon,
La ferme a jugé nécessaire

De mettre Paris en prison.

Au nord de la capitale, il y eut même un semblant d'émeute, et le Parlement nomma des commissaires pour rassurer les propriétaires, habitants, maraîchers, cabaretiers qui, dit Bachaumont, «se trouvaient grevés d'impôts directs ou indirects auxquels ils n'étaient point sujets, soit par la diminution des loyers de leurs maisons, soit par l'augmentation des denrées; impôts dont ils se regardaient comme affranchis par les limites de la capitale fixées depuis longtemps. » L'abbesse de Montmartre fit rédiger par M Belot, avocat et bailli de sa seigneurie, un mémoire contre l'enceinte nouvelle. Plusieurs particuliers intentèrent des procès à la Ferme, qui n'en continua pas moins son œuvre. L'architecte Le Doux décora chaque barrière d'édi

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Des raisons fiscales avaient motivé cette enceinte, et l'on avait lieu de supposer que l'idée de faire de Paris une place forte était à jamais abandonnée. Elle reparut inopinément sous le règne de Louis-Philippe. Une décision royale du 29 avril 1836 avait institué une commission de défense du royaume. Un des premiers soins de cette commission fut d'examiner s'il y avait lieu d'augmenter les moyens de défense et de sécurité de Paris. Après de longues délibérations, elle fut d'avis qu'en raison de la grande importance de la capitale, il était nécessaire de la fortifier suivant le double système adopté pour les grands dépôts de la marine; qu'en conséquence, on devait établir à la fois une enceinte continue autour de la cité, et au loin des ouvrages avancés ; que l'enceinte continue devait être pourvue de faces et de flancs terrassés, dont l'artillerie battrait les approches et éclairerait le terrain en avant autant que le permettraient les localités; qu'il était indispensable que le profil de cette enceinte la mit non-seulement à l'abri d'une escalade, mais encore en état de résister à des batteries ennemies qui s'établiraient momentanément entre les ouvrages avancés; que ces ouvrages, étant destinés à favoriser la défense active et à résister à des attaques régulières appuyées par la grosse artillerie, devaient être organisés de manière à pouvoir soutenir, au besoin, un siége en règle.

Le conseil des ministres délibéra sur ces bases; le 10 septembre 1839, il arrêta qu'il serait établi autour de Paris une enceinte continue et des ouvrages avancés casematés. Dode de La Brunerie fut nommé directeur supérieur des travaux, pour lesquels des ordonnances ouvrirent des crédits jusqu'à concurrence de 13 millions. Le 12 décembre 1840, le maréchal Soult, président du conseil et ministre de la guerre, vint demander à la Chambre des députés d'affecter une somme de 140 millions à l'enceinte et aux forts détachés de Paris.

Le 13 janvier 1841, M. Thiers présenta le rapport de la commission chargée d'examiner le projet de loi. Après une discussion animée, qui eut son écho dans la presse, le crédit demandé fut accordé par 237 voix contre 162. Soumis à la Chambre des pairs, le 11 février, le projet y fut également l'objet de vives critiques; cependant, le 1er avril, 149 voix contre 85 se prononcèrent en sa faveur.

Quelques observations du baron Mounier, organe de la commission de la Chambre des pairs, déterminèrent l'introduction, dans la loi du 5 avril 1840, d'un article ainsi conçu : « Les limites actuelles de l'octroi de la ville de Paris ne pourront être changées qu'en vertu d'une loi spéciale. »

C'est pour se conformer à cette disposition qu'en 1859 le gouvernement impérial, après avoir ordonné une enquête, a formulé un projet de loi qui a été adopté par le Corps législatif et le Sénat.

Les communes d'Auteuil, Passy, Batignolles, Montmartre, La Chapelle, La Villette, Belleville, Charonne, Bercy, Vaugirard, Grenelle, ont été entièrement absorbées, à partir du 1er janvier 1860. Des portions plus ou moins étendues sont retranchées des communes de Neuilly, des Prés-Saint-Gervais, de SaintMandé, Ivry, Gentilly, Montrouge, Clichy, Saint-Ouen, Aubervilliers, Pantin, Bagnolet, Vanves et Issy.

« L'agrandissement de la ville de Paris, dit M. le préfet de la Seine, dans un Mémoire présenté à la fin de 1859 au conseil général, change profondément la division du territoire et de la population, et la répartition des charges contributives du département, entre cette ville et les arrondissements de Saint-Denis et de Sceaux. Paris absorbe onze des principales communes de ces deux arrondissements, et s'augmente de portions plus ou moins notables du territoire de treize autres, que

fractionne l'enceinte fortifiée. Son périmètre n'embrassait que 3,288 hectares, peuplés de 1, 174,346 âmes; il comprend désormais 7,088 hectares et 1,525,942 habitants.

La banlieue, qui formait autour de Paris deux zones concentriques, séparées par la ligne des remparts, et qui se trouve privée maintenant de la zone intérieure, la plus étroite, mais la plus peuplée et la plus riche des deux, est réduite à la moins importante, quoique la plus étendue, que resserrent, d'une part, l'enceinte nouvelle de la capitale, d'autre part les limites du département de Seine-et-Oise, dont le territoire circulaire enveloppe aussi de tous côtés, mais à distance, l'immense

cité.

« L'arrondissement de Saint-Denis, qui comptait 37 communes et 356,034 habitants, n'a plus que 29 communes et 105,235 habitants; l'arrondissement de Sceaux, qui avait 43 communes, en conserve 40, mais avec une population restreinte de 197,039 à 96,245 âmes. Aussi, la part afférente à la ville de Paris, dans le montant des contributions payées par l'ensemble du département de la Seine, qui était déjà de 85 p. 100, atteindra désormais 93 p. 100.

« Ce dernier terme résume l'importance relative de la ville et de sa banlieue. La disproportion est énorme. Devant Paris, le reste du département semble disparaître; les arrondissements de Saint-Denis et de Sceaux ne sont évidemment que des appendices de Paris. Leur territoire n'est guère que l'espace nécessaire, et, s'il est permis de s'exprimer ainsi, le tour d'échelle ménagé en dehors de son enceinte, pour qu'elle puisse respirer à l'aise, pour qu'elle trouve, au delà de ses remparts, entre les têtes des chemins de fer et des routes impériales, l'emplacement des établissements de toute sorte qui doivent environner une grande capitale, sans rencontrer à ses portes une administration absolument étrangère à la sienne, et l'obligation de négocier pour toutes choses avec le département de Seine-et-Oise.

« Les campagnes et les villages, qui forment cette banlieue, n'ont pas à se plaindre, au reste, d'une telle situation. La presque totalité des dépenses départementales, faite au moyen de centimes additionnels dont la ville fournit presque tout le produit, leur profite d'une manière à peu près exclusive. En réalité, sous le nom de département de la Seine, c'est Paris qui, pour la majeure partie, crée et entretient, dans ses alentours, les routes départementales, les voies de grande communication, dont les lignes croisées relient entre elles les moindres localités comprises dans cette association départementale tout exceptionnelle; qui subventionne les chemins vicinaux, pour lesquels il reste place dans ce réseau à mailles serrées de voies plus importantes; qui aide à la construction des églises, des presbytères, des maisons d'école et autres édifices. Les soixanteneuf communes de la banlieue qui survivent sont donc comme les clientes de la cité, dont l'ombre bienfaisante les fait prospérer et grandir. Aujourd'hui, plus encore que par le passé, il est vrai de dire que l'entité administrative du département de la Seine, si on veut l'abstraire de l'unité parisienne, n'est guère qu'une fiction légale, et que son budget n'est qu'une annexe du budget municipal de Paris. »

Les passages ménagés dans l'enceinte pour l'entrée et pour la sortie sont au nombre de cinquante-deux. Dix-sept portes correspondent à des routes impéria.es;

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Dans ces dénominations on chercherait vainement un système général. Que viennent faire là Antibes, Toulouse et Bâle, à côté de La Villette et de Saint-Ouen? Chaque porte, barrière ou poterne aurait dû, ce nous semble, indiquer la localité la plus rapprochée ou la plus lointaine à laquelle on puisse atteindre en suivant la route. Si l'on avait voulu établir des distinctions, on aurait pu donner à chaque porte le nom de la ville de France la plus éloignée dans cette direction; à chaque barrière, le nom du chef-lieu le plus rapproché; à chaque poterne, le nom du village le plus voisin.

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D'après les calculs de M. le Préfet, le territoire de la capitale n'avait, avant 1860, que 3,288 hectares. Sous Louis XIV, il n'en avait que 1,337; sous Henri IV, il était de 483 hectares 61 ares; aux XIV et XVe siècles, de 439 hectares 18 ares; à la mort de Philippe-Auguste, de 252 hectares 87 ares; antérieurement, d'une quarantaine d'hectares tout au plus.

L'agrandissement de la capitale exigea la levée d'un nouveau plan, pour la triangulation duquel des observatoires furent élevés sur divers points.

Tous ces observatoires, construits par M. Bellu, avaient été établis en bois de sapin, à l'aide de poteaux moisés, avec un système de contre-fiches en croix de Saint-André, qui assurait la solidité de l'ensemble. Au centre était un escalier conduisant à la plate-forme du haut. En contre-bas du plancher de la plate-forme, qui était pourvue d'une balustrade et d'un montant d'un mètre, se trouvait un morceau de chène sur lequel s'appliquait une douille en fer et cuivre dans laquelle on fixait, au moyen d'une vis, le drapeau-signal.

Grâce à la disposition particulière des trois couleurs bleue, blanche et rouge sur chaque drapeau, l'observateur, de l'endroit où il était placé, reconnaissait de suite si celui avec qui il correspondait se trouvait sur un monument, sur un bastion ou à une barrière, et réciproquement. Une fois le signal donné, on faisait disparaître le drapeau, qu'on remplaçait par l'instrument spécial, nommé cercle répétiteur, qui servait à déterminer les angles que formaient les lignes dirigées dans l'espace, d'une station à deux stations opposées.

On comprend que la hauteur de chacun des observatoires en question avait dû être calculée de telle sorte que les monuments publics ne pussent gêner en rien le travail des ingénieurs. Le plus élevé de ces édifices, celui de la Madeleine, mesurait 37 mètres de hauteur; puis venaient ceux de Saint-Vincent-de-Paul et de la caserne du Prince-Eugène, qui n'avaient que 34 mètres. La hauteur de la majeure partie des autres était de 28 mètres. Lorsqu'on eut convenablement calculé l'espace compris dans la nouvelle enceinte, on chercha à le diviser, sous le rapport administratif, de manière à équilibrer la population et le territoire.

Les anciens arrondissements étaient au nombre de douze : Le premier comprenait les quartiers des Tuileries, des Champs-Élysées, de la place Vendôme et du Roule;

Le second, les quartiers Feydeau, de la Chaussée-d'Antin, du Palais-Royal et du faubourg Montmartre;

Le troisième, les quartiers du faubourg Poissonnière, de Montmartre, de Saint-Eustache et du Mail;

Le quatrième, les quartiers Saint-Honoré, du Louvre, des Halles et de la Banque;

Le cinquième, les quartiers du faubourg Saint-Denis, BonneNouvelle, Montorgueil et de la porte Saint-Martin;

Le sixième, les quartiers des Lombards, de Saint-Martin-desChamps, du Temple et de la porte Saint-Denis;

Le septième, les quartiers des Arcis, Sainte-Avoie, du Montde-Piété et du marché Saint-Jean;

Le huitième, les quartiers du Marais, du faubourg SaintAntoine, de Popincourt et des Quinze-Vingts;

Le neuvième, les quartiers de l'Hotel-de-Ville, de la Cité, de l'ile Saint-Louis et de l'Arsenal;

Le dixième, les quartiers du faubourg Saint-Germain, de la Monnaie, de Saint-Thomas-d'Aquin et des Invalides;

Le onzième, les quartiers du Luxembourg, de la Sorbonne, de l'École-de-Médecine et du Palais-de-Justice;

Le douzième, les quartiers Saint-Jacques, de l'Observatoire, du Jardin-des-Plantes et Saint-Marcel.

Aucune théorie fondée n'avait présidé à cette répartition. D'après les combinaisons nouvelles, vingt arrondissements, d'une étendue d'autant plus grande que la population y est moins agglomérée, partent du point central et se déroulent en spirale jusqu'à la circonférence; ils portent les noms suivants qui leur ont été conférés en vertu de la loi du 16 juin 1859, par un décret du 1er novembre de la même année :

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Le premier arrondissement est borné à l'ouest par le boulevard de Sébastopol, à l'est par la place de la Concorde, les rues Saint-Florentin et Richepance. Au nord, après avoir longé le boulevard de la Madeleine, il suit les rues Neuve-des-Capucines et des Petits-Champs; et la limite traversant des propriétés particulières, dont une rue projetée amènera la démolition, rejoint la rue Mauconseil. Au sud, la Seine longe le premier arrondissement, qui formerait un parallelogramme régulier, s'il n'empruntait à l'ile de la Cité l'emplacement où sont situés le Palais-de-Justice et la Préfecture de police.

On divise le premier arrondissement en quatre quartiers: Saint-Germain-l'Auxerrois, les Halles, le Palais-Royal et la place Vendome.

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Le centre de Paris, actuellement comme aux époques les plus reculées de la monarchie capétienne, c'est le Louvre, dont la grosse tour, grossa turris, était le siége de la puissance féodale des anciens rois. C'était, au XIe siècle, un donjon entouré de fossés profonds et duquel relevaient les grandes seigneuries du royaume. Il se transforma graduellement, à mesure que la monarchie dont il était l'emblème eut moins besoin de se défendre, et put renoncer aux combinaisons stratégiques pour sacrifier aux grâces et au bon goût. Pierre Lescot commença, en 1528, avec le concours de Jean Goujon, la partie qui longe le quai, depuis le pont des Arts jusqu'au premier guichet, et que l'on considère à juste titre comme un chef-d'œuvre d'élégance.

A l'ouest du Louvre s'étendaient des tuileries qui avaient fourni la plus grande partie des tuiles employées pendant plu

sieurs siècles à la couverture des maisons de Paris. Dans les environs était un enclos contenant quarante-deux arpents de terre labourable, dont François Ier fit l'acquisition. Sa mère, la duchesse d'Angoulême, désirant quitter l'humide château des Tournelles, il acheta une autre habitation connue sous le nom d'Hôtel des Tuileries, à Nicolas de Neuville de Villeroy, secrétaire des finances et audiencier de France; lorsque les vieux murs des Tournelles tombèrent sous le marteau, Catherine de Médicis chargea Philibert de Lorme et Jean Bullan de lui bâtir un palais sur le terrain des Tuileries.

Ce fut ensuite le rêve de tous les rois de réunir les deux palais au moyen de galeries parallèles et de les compléter l'un par l'autre. Louis XIV fit exécuter, en 1665, sur les dessins de Claude Perrault, la façade trop vantée qui fait face à SaintGermain-l'Auxerrois. On continua en même temps la galerie du bord de l'eau, mais avec lenteur et sans qu'il fût possible aux contemporains d'espérer en voir la terminaison. Le poëte Dufresny, qui était accueilli familièrement de Louis XIV, son cousin de la main gauche, lui disait un jour : « Sire, je ne regarde jamais le nouveau Louvre sans m'écrier : Superbe monument de la magnificence d'un des plus grands rois qui de leur nom aient rempli la terre, palais digne de nos monarques, vous seriez achevé si l'on vous eût donné à l'un des quatre ordres mendiants, pour tenir ses chapitres ou loger son général! »

Malgré la bonne volonté des rois, la cour du Louvre ne fut complétée que de 1803 à 1813, par les architectes Percier et Fontaine. Quant à la galerie destinée à relier le Louvre aux Tuileries, du côté de la rue de Rivoli, elle fut commencée par Napoléon Ier, puis brusquement interrompue. La construction qui fut ébauchée sous le règne de Louis-Philippe, en face la porte du Musée, fut entourée de planches et demeura abandonnée. En 1848, le Carrousel était un désert dans un coin duquel se dressait, comme une tour carrée, l'hôtel de Nantes, ouvert à tous les vents. De la place au Louvre, la voie publique était bordée de baraques, la plupart habitées par des marchands de bric-a-brac, qui débitaient de vieilles gravures, des médailles antiques, des flèches de sauvages, des armures rouillées, des têtes de Zélandais, des crocodiles empaillés, des bahuts et des momies. Cà et là gazouillait l'étalage emplumé d'un oiseleur, qui vendait aussi des chiens, des furets et des cabieças. On voyait aussi, adossées aux écuries d'Orléans, des bouquineries qui faisaient une concurrence fructueuse à celles des quais. Du côté de la rue Froid-Manteau, un égout s'engouffrait au pied de palissades vermoulues auxquelles sa fraicheur faisait un piédestal d'herbes hautes et luxuriantes. Quand la nuit venait, l'ombre enveloppait les alentours, encore augmentée par la masse noire des palais; et le passant attardé ne s'aventurait qu'en tremblant dans ces lieux solitaires, non loin desquels une population sinistre se cachait dans des cabarets borgnes et dans des maisons mal famées.

Le gouvernement provisoire décréta que le Louvre serait achevé, et l'assemblée législative vota le prolongement de la rue de Rivoli. Les travaux, mollement commencés, ne furent poussés avec activité qu'en 1852. La première pierre des nouvelles ailes du Louvre fut posée le 25 juillet. Sous la direction de MM. Visconti et Lefuel, la galerie qui longe la rue de Rivoli fut prolongée jusqu'au Louvre. Deux galeries parallèles partirent du Louvre et vinrent se relier à des corps de logis en façade sur la place du Carrousel. Les pilastres du premier étage reçurent des rangées de statues d'hommes célèbres, qui peuvent avoir du charme pour le passant, mais qui,vues de l'intérieur, ont l'inconvénient de n'offrir aux yeux qu'une suite de dos et de manteaux informes.

Les rez-de-chaussée furent percés d'arcades, et, pour éviter la monotonie des grandes lignes, on disposa de distance en distance des pavillons qui prirent les noms des ministres Mollien, Denon, Daru, Turgot, Richelieu et Colbert. MM. Ottin, Diebolt, Préault, Barye, Barthélemy Frison, et autres sculpteurs ont travaillé à la décoration de ces pavillons auxquels on peut reprocher une surabondance d'ornements qui n'est point toujours de bon goût. La plus belle partie du Louvre, au point de vue de l'art, reste celle qui finit au pavillon Lesdiguières et qui fut ornée d'une frise par Jean Goujon et ses élèves. Entre la place du Carrousel et le Louvre est dessiné un élégant jardin.

L'ensemble de ces édifices fut inauguré le 14 août 1857, et un banquet offert aux artistes et aux ouvriers dans une salle

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