Page images
PDF
EPUB

citade reçut son accomplissement. Au mois de juin 1670 parut l'édit qui mettait la fondation de saint Vincent de Paul au nombre des hôpitaux de l'État :

a Comme il n'y a point de devoir plus naturel et plus conforme à la piété chrétienne, portent les lettres d'institution, que d'avoir soin des pauvres enfants exposés, que leur faiblesse et leur infortune rendent également dignes de compassion, les rois nos prédécesseurs ont pourvu à l'établissement de certaines maisons et hòpitaux, où ils puissent être reçus pour y être élevés avec piété... Considérant combien leur conservation était avantageuse, puisque les uns pouvaient devenir soldats et servir dans nos troupes, les autres ouvriers et habitants des colonies, que nous établissons pour le bien du commerce de notre royaume, nous leur aurions donné par nos lettres patentes de juin 1614, 8,000 livres pour chacun an... A ces causes et autres bonnes considérations à ce nous mouvants, et de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, nous avons, par ces présentes, signées de notre main, dit, déclaré, statué et ordonné, disons, déclarons, statuons et ordonnons l'hôpital des Enfants trouvés l'un des hôpitaux de notre bonne ville de Paris: voulant qu'en cette qualité, il puisse agir, contracter, vendre, etc., etc. »

On transféra les enfants à Bicètre, dont l'air trop vif fut ensuite reconnu nuisible à leur santé. On les mit dans le couvent des sœurs de la Charité, et de là au faubourg Saint-Antoine, dans l'édifice qui est devenu l'hôpital Sainte-Eugénie. MarieThérèse d'Autriche posa la première pierre de l'église en 1676, et l'établissement fut enrichi par les dons d'Étienne d'Aligre, chancelier de France, d'Elisabeth Luillier, sa troisième femme, et du président de Bercy. Les enfants trouvés y étaient élevés jusqu'à la première communion et mis ensuite en apprentissage. Un second hôpital des Enfants-Trouvés fut établi au parvis Notre-Dame, dans les bâtiments qu'occupait, sous le règne de Louis-Philippe, l'administration de l'Assistance publique. Tous les enfants nouveau-nés y étaient reçus en tous temps, à toutes les heures du jour ou de la nuit, sans questions et sans formalités; le nombre en était de cinq à six mille par an. Le ministre Necker, dans son ouvrage sur l'administration des finances de la France, raconte qu'environ deux mille enfants étaient expédiés annuellement de province à Paris, comme une marchandise. Il provoqua un arrêt du conseil, à la date du 19 janvier 1779, par lequel le roi défendait ces transports qui, suivant Necker, faisaient périr neuf enfants sur dix, soit pendant la route, soit peu de jours après leur arrivée. « Sa Majesté, disait un des considérants, a remarqué que le nombre des enfants exposés augmente tous les jours et que la plupart proviennent de noeuds légitimes. »

L'Assemblée législative et la Convention nationale rendirent, en faveur des enfants trouvés, les décrets des 10 décembre 1790, 28 juin et 13 septembre 1792, 28 juin et 4 juillet 1793, 5 février 1794.

Un arrêté du Comité de salut public, en date du 15 brumaire an IV, créa une maison d'accouchement pour les femmes pauvres au noviciat de l'Oratoire de la rue d'Enfer, et une maison d'allaitement pour les enfants trouvés dans les bâtiments de l'abbaye de Port-Royal de Paris.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

En chassant dans la belle vallée de Chevreuse (qui fait aujourd'hui partie du département de Seine-et-Oise), PhilippeAuguste remarqua, dans une situation riante et solitaire, un site où se cachait une chapelle, et où il résolut de fonder un monastère. Eudes de Sully, évêque de Paris, réalisa ce vœu, et, en 1204, douze bénédictines de l'ordre de Citeaux s'établirent dans les batiments qui remplaçaient l'antique chapelle. Louis IX leur fit une rente. Honoré III, en l'année 1223, leur permit de célébrer l'office divin, même dans 'e cas où la France serait en interdit, et de recevoir des séculières disposées à faire pénitence dans la retraite sans prononcer des vœux.

Cette autorisation fut fatale, et le désordre s'introduisit dans

le monastère.

En 1602, Marie-Angélique Arnauld prit l'habit à huit ans,

213

fit profession à neuf ans entre les mains du général de l'ordre de Citeaux, et fut nommée abbesse à onze ans; néanmoins, comme nous l'apprend son historien, Jean Racine, elle avait été choisie de Dieu pour rétablir la règle dans son abbaye. « Un capucin, qui étoit sorti de son couvent par libertinage, et qui alloit se faire apostat dans les pays étrangers, passant par hasard à Port-Royal, en 1608, fut prié par l'abbesse et par les religieuses de prêcher dans leur église. Il le fit; et ce misérable parla avec tant de force sur le bonheur de la vie religieuse, sur la beauté et sur la sainteté de la règle de saint Benoît, que la jeune abbesse en fut vivement émue. »

La réforme fut introduite à Port-Royal, « quoique », dit Racine, « elle fût entièrement désapprouvée par un fort grand nombre de moines et même d'abbés, qui regardoient la bonne chère, l'oisiveté, la mollesse, et en un mot le libertinage comme d'anciennes coutumes de l'ordre, où il n'étoit pas permis de toucher. Toutes ces sortes de gens déclamèrent avec beaucoup d'emportements contre les religieuses de Port-Royal, les traitant de folles, d'embéguinées, de novatrices, de schismatiques même, et ils parloient de les faire excommunier. Ils avoient pour eux l'assistant du général, grand chasseur, et d'une si profonde ignorance qu'il n'entendoit pas même le latin de son Pater. Mais heureusement le général, nommé Dom Boucherat, se trouva un homme très-sage et très-équitable, et ne se laissa point entraîner à leurs sentiments. >>

En 1625, la mère de Marie-Angélique Arnauld acheta, rue de la Bourbe, dans le faubourg Saint-Jacques, une maison qu'elle donna à la communauté. Port-Royal-des-Champs fut abandonné par les religieuses jusqu'en 1648, époque à laquelle elles y envoyèrent une colonie; mais il servit de retraite à des hommes éminents, tels que l'avocat Le Maistre, Le Maistre de Sacy, son frère; Antoine Arnauld, docteur en Sorbonne, frère de la Mère Angélique; Arnauld d'Andilly, Lancelot, Nicole, Le Nain de Tillemont et Blaise Pascal.

Autour de Port-Royal de Paris vinrent se grouper des femmes de la cour qui désiraient faire leur salut. Ces succès, les tendances des sœurs et de leurs amis, l'esprit philosophique que ceux-ci mêlèrent à leurs enseignements, exaspérèrent la Compagnie de Jésus. Un de ses membres, Jean de Brisacier, dans un factum intitulé le Jansénisme confondu (Paris, 1651, in-4), accusa les bénédictines de Port-Royal d'être des vierges folles et asacramentaires; de ne point croire au saint-sacrement, de ne jamais communier, non pas même à l'article de la mort; de n'avoir ni eau bénite ni images dans leur église, de ne prier ni la Vierge ni les saints, de ne point dire le chapelet. Un autre jésuite, le Père Meynier, lança contre elles un pamphlet qui avait pour titre : le Port-Royal d'intelligence avec Genève contre le saint-sacrement de l'autel. « C'est le vice de la plupart des gens de communauté, dit Racine en flétrissant ces écrits, de croire qu'ils ne sauroient faire de mal en défendant l'honneur de leur corps. Cet honneur est une espèce d'idole, à qui ils se croient permis de sacrifier tout, justice, raison, vérité. On peut dire constamment des jésuites, que ce défaut est plus commun parmi eux que dans aucun corps; jusque-là que quelques-uns de leurs casuistes ont avancé cette maxime horrible, qu'un religieux peut en conscience calomnier et tuer même les personnes qu'il croit faire tort à sa compagnie. Cette doctrine a été enseignée en propres termes par une multitude d'auteurs de la compagnie, tels que le Père Lamy, Cours de Théologie, tom. Ier, disp. 36, n. 118, édit. d'Anvers, 1649; Escobar, Somme de la Theologie morale, traité 1, exam. 7, chap. 3, n. 45, et elle a été défendue par leur Père Pirot, auteur de l'infâme apologie des casuistes. >>

Par ces mots d'un poëte doux et inoffensif, on peut juger de la violence des querelles religieuses du xvII° siècle. Quand les Lettres provinciales eurent paru, les jésuites, furieux, firent tant qu'ils persuadèrent à Louis XIV que les filles de Port-Royal partageaient les idées de Jansénius sur la grâce efficace. Le lieutenant civil envahit le couvent, en compagnie du procureur du roi, pour en chasser les pensionnaires et les postulantes, avec défense d'en recevoir dorénavant. En outre, on imposa aux religieuses, en qualité de supérieur et de confesseur, M. Bail, curé de Montmartre et sous-pénitencier. « Ses cheveux, raconte Racine, se hérissoient au seul nom de Port-Royal, et il avoit toute sa vie ajouté une foi entière à tout ce que les jésuites publioient contre cette maison: très-dévot d'ailleurs, et qui avait fort étudié les casuistes. >>

La persécution ne s'en tint pas là; on voulut contraindre les

religieuses à signer un formulaire par lequel le clergé de France désavouait les propositions suivantes, extraites, au moyen d'une analyse subtile, des ouvrages de Jansenius:

1° Quelques commandements de Dieu sont impossibles aux hommes justes qui veulent les accomplir et qui s'efforcent de le faire selon les forces qu'ils ont, et ils n'ont pas la grâce qui les leur rendrait possibles;

2o Dans l'état de nature tombée, on ne résiste jamais à la grâce intérieure;

3o Dans l'état de la nature tombée, pour mériter ou démériter, il n'est pas nécessaire que l'homme ait une liberté exempte de nécessité; une liberté sans contrainte lui suffit;

4° Les semi-pélasgiens admettaient la nécessité des grâces prévenantes pour toutes les bonnes œuvres, même pour le commencement de la foi; et ils étaient hérétiques en ce qu'ils voulaient que cette grâce fùt telle que la volonté de l'homme pût y résister ou s'y soumettre ;

5° C'est être semi-pélagien que de dire que Jésus-Christ est mort et a répandu son sang pour tous les hommes.

Les religieuses de Port-Royal refusèrent d'adhérer au formulaire. «< Dans l'ignorance où nous sommes, disaient-elles, de toutes les choses qui sont au-dessus de notre profession et de notre sexe, tout ce que nous pouvons faire est de rendre témoignage de notre foi; nous déclarons très-volontiers par notre signature qu'étant soumises avec un très-profond respect à notre saint Père le Pape, et n'ayant rien de si précieux que la foi; nous embrassons sincèrement et de cœur tout ce que sa sainteté le pape Innocent X en a déjà décidé, et rejetons toutes les erreurs qu'elle a jugé y être contraires. >>

La transaction que proposaient les religieuses fut repoussée. Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, s'écria: « Qu'à la vérité, elles étaient pures comme des anges, mais qu'elles étaient orgueilleuses comme des démons. » Il se présenta d'abord à Port-Royal pour leur interdire les sacrements, et il y revint huit jours après, accompagné du lieutenant civil, du prévôt de l'Isle, du guet, de plusieurs, tant exempts que commissaires, et de plus de deux cents archers, dont une partie investit la maison, et l'autre se rangea, le mousquet sur l'épaule, dans la cour. En cet équipage, il se fit ouvrir la porte du monastère, et alla droit au chapitre où il avait fait venir toutes les religieuses; là, après leur avoir tout de nouveau reproché leur désobéissance, il tira de sa poche et lut tout haut une liste de douze des principales religieuses, au nombre desquelles était l'abbesse, qu'il avait résolu de disperser en différents monastères. Il leur commanda de sortir sur-le-champ de leur monastère et d'entrer dans les carrosses qui les attendaient pour les mener dans les couvents où elles devaient être renfermées. « Ces douze victimes, raconte Racine, obéirent sans qu'il leur échappât la moindre plainte, et firent seulement leurs protestations contre la violence qui les arrachoit de leur monastère; et tout le reste de la communauté fit les mêmes protestations. Il n'y a point de termes qui puissent exprimer l'extrême douleur de celles qui demeuroient. Les unes se jetoient aux pieds de l'archevèque, les autres se jetoient au cou de leurs mères, et toutes ensemble citoient M. l'archevêque au tribunal du Souverain Juge, puisque tous les autres tribunaux leur étoient fermés; elles s'attendrissoient surtout à la vue de l'abbesse, la Mère Agnès de Saint-Paul, qu'on enlevoit ainsi, à l'âge de soixante-treize ans, accablée d'infirmités, et qui avoit eu tout nouvellement trois attaques d'apoplexie. Tout ce qu'il y avoit là de gens qui étoient venus avec l'archevêque ne pouvoient eux-mêmes retenir leurs larmes. Mais l'objet, à mon avis, le plus digne de compassion étoit l'archevêque lui-même, qui, sans avoir aucun sujet de mécontentement contre ces filles, et seulement pour contenter la passion d'autrui, faisoit en cette occasion un personnage si peu honorable pour lui, et même si opposé à sa bonté naturelle.

« Quelques-uns de ses ecclésiastiques le sentirent et ne purent même s'en taire à des religieuses qu'ils voyoient fondre en larmes auprès d'eux; pour lui il étoit, au milieu de cette troupe de religieuses en larmes, comme un homme entièrement hors de lui; il ne pouvoit se tenir en place, et se promenoit à grands pas, caressant hors de propos les unes, rudoyant les autres sans sujet, et de la plus grande douceur passant tout d'un coup au plus violent emportement. Au milieu de tout ce trouble, il arriva une chose qui fit bien voir l'amour que ces filles avoient pour la régularité. Elles entendirent sonner None, et en un instant, comme si leur maison eût été dans le plus

grand calme, elles disparurent toutes du chapitre, et allèrent à l'église où elles prirent chacune leur place et chantèrent l'office à leur ordinaire.

« Au sortir de None, elles furent fort surprises de voir entrer dans leur monastère six religieuses de la Visitation, que M. l'archevêque avoit fait venir pour remettre entre leurs mains la conduite de Port-Royal. La principale d'entre elles étoit une Mère Eugénie, qui, étant une des plus anciennes de son ordre, avoit été témoin de l'étroite liaison qu'il y avoit eu entre la Mère Angélique et la Mère de Chantal. Mais les Jésuites, à la direction de qui cette Mère Eugénie s'étoit depuis abandonnée, avoient pris grand soin d'effacer de son esprit toutes ces idées, et lui avoient inspiré et à tout son couvent, qui étoit celui de la rue Saint-Antoine, autant d'éloignement pour Port-Royal, que leur saint fondateur et leur bienheureuse Mère avoient eu d'estime pour cette maison. Les religieuses de Port-Royal ne les virent pas plutôt, qu'elles se crurent obligées de recommencer leurs protestations, représentant que c'étoit à elles à se nommer des supérieures, et que ces religieuses, étant des étrangères et d'un autre institut que le leur, n'étoient point capables de les gouverner. Mais M. l'archevêque se moqua encore de leurs protestations. Ensuite il fit la visite des cloîtres et des jardins, accompagné du chevalier du guet et de tous ces autres officiers de justice qu'il avoit amenés. Comme il étoit sur le point de sortir, les religieuses se jetèrent de nouveau à ses pieds pour le conjurer de permettre au moins qu'elles cherchassent dans la participation des sacrements la seule consolation qu'elles pouvoient trouver sur la terre; mais il leur fit réponse qu'avant toutes choses il falloit signer, leur donnant à entendre que jusqu'à ce qu'elles l'eussent fait, elles étoient excommuniées. Cependant, comme si Dieu l'eût voulu démentir par sa propre bouche, en les quittant il se recommanda avec instance à leurs prières. »

Quand la maison de Port-Royal de Paris eut été désorganisée de la sorte, on laissa les religieuses tranquilles. Seulement, par lettre patente du mois de mai 1606, le roi se réserva la nomination de l'abbesse.

Un arrêt du conseil, en date du 22 janvier 1610, ordonna la suppression de Port-Royal-des-Champs. Des soldats et des ouvriers chassèrent les religieuses et démolirent le monastère, dont il ne resta que des pierres dispersées.

Quelques historiens prétendent même qu'on sema du sel sur la place, conformément aux vieux préjugés qui considéraient un champ ensemencé de sel comme frappé d'une éternelle stérilité.

Port-Royal de Paris conserva sa petite église, construite en 1646 sur les dessins de Lepautre; son cloître, planté d'iris et de tilleuls, et sa cour, ombragée d'un bel acacia. Philippe de Champagne avait fait pour le chœur une Cène, dont les fidèles ordinaires ne voyaient qu'une copie, les sœurs se réservant l'original.

Le couvent possédait deux reliques célèbres : une amphore, qui avait servi aux noces de Cana, et une épine de la sainte couronne qui, par une application miraculeuse, avait guéri de la fistule lacrymale une jeune pensionnaire de dix ans, Mile Perrier, fille d'un conseiller de la cour des aides à Clermont, et nièce de Blaise Pascal.

Ce miracle, que Racine rapporte très-longuement, fut attesté par des docteurs de Sorbonne, ainsi que par des chirurgiens, et il passa pour authentique malgré une protestation du Père Annat, intitulée : Le Rabat-joie des Jansenistes, ou Observations sur le miracle qu'on dit étre arrivé à Port-Royal, composé par un Docteur de l'Église catholique.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

«Les événements ne changent point son cœur; la liberté, l'égalité, la raison, sont toujours les divinités qu'il encense. «Mœurs, vertus, candeur, voilà les principes du vrai répu

blicain.

Nature, patric, raison, voilà son culte.

«Dans la liberté sont renfermés les droits de l'homme : c'est la raison, l'égalité, la justice.

«La république fait le bonheur de la société; elle range tous les hommes sous la bannière de l'intérêt commun.

Bien que Port-Royal, qui prit le nom de Port-Libre, fût trop souvent comme les autres prisons l'antichambre de l'échafand, les détenus y jouissaient d'une vie comparativement paisible: «Rien, dit l'auteur du Tableau des Prisons, ne ressemble moins à une prison que cette maison. Point de grilles, point de verroux; les portes n'étaient fermées que par un simple loquet: de la bonne société, excellente compagnie, des égards, des attentions pour les femmes; on aurait dit qu'on n'était tous qu'une seule et même famille réunie dans un vaste château.

Les hommes habitaient ce qu'on appelle le grand bâtiment, composé de deux étages ayant chacune un grand corridor et trente-deux cellules; les unes ayant vue sur l'Observatoire et sur la rue d'Enfer, et les autres sur le cloître, qui servait autrefois de cimetière.

Au bout de chaque corridor, il y avait deux grands poêles, bien échauffés.

[ocr errors]

« Il y avait, en retour, un autre bâtiment, faisant face à la rue d'Enfer, et ayant vue sur la campagne. Il était élevé de trois étages, à chacun desquels il y avait trois grandes salles communes, où, dans les premiers jours de la translation, on coucha jusqu'à vingt et vingt-deux. Celle du rez-de-chaussée portait le nom de l'Unité; celle du premier, celui de salle des Républicains; et celle du second, celui de salle des SansCulottes. Le troisième était divisé en quatre chambres à feu, et à trois et quatre lits.

« Les femmes occupaient un bâtiment séparé par un guichet. La décence et les mœurs exigeaient cette séparation.

« Les riches étaient au corridor du premier, dans les cellules à deux lits; et les sans-culottes au deuxième; car on en avait beaucoup amené de la Force et autres prisons.

« On remarquait dans cette maison trois classes bien distinctes.

« Celle de ceux qui payaient pour les indigents; celle de ceux qui se nourrissaient eux-mêmes, et celle des pauvres.

« Cette distinction répugnait à ceux qui avaient les principes d'égalité profondément gravés dans le cœur, et cette classe était nombreuse.

« Il y avait au fond du corridor du premier un grand foyer, qu'on appellait le salon, dans lequel on dressait six tables de seize couverts chacune, où dînaient les riches. On donnait trente sous par jour à ceux qui ne pouvaient pas se nourrir, et le pain à tous les prisonniers aux dépens des riches, qui donnaient chacun en raison de leurs facultés.

« Pour subvenir aux dépenses de la maison, on avait établi une administration intérieure, qui était parfaitement organisée, Un trésorier faisait la collecte, et ordonnançait toutes les dépenses, bois, eau, lumières, poêles, tablettes dans les cellules, chaises et autres menus meuble Tnt s'achetait et se faisait anx dépens des riches. On leur it même acheter un chien pour les garder, qu'ils payèrent deux cent quarante livres.

« Il ne faut pas oublier les frais de garde, qui montaient journellement à cinquante livres.

« On a constamment payé ces frais jusqu'en prairial; époque où la commune fit sa visite, et prit pour son compte l'administration pécuniaire des prisons. »

Le soir, on se réunissait au salon, au milieu duquel on dréssait une grande table; chacun apportait sa lumière, hommes et femmes.

Les hommes se mettaient autour de la grande table; les uns lisaient, les autres écrivaient; ayant l'attention de parler bas.

Les femmes se rangeaient autour d'une petite table, et y travaillaient aux ouvrages de leur sc.c; les unes à broder, les autres à tricoter. Parfois, le baron de Witembach y jouait de la viole d'amour. Matras, négociant de Lyon, y chantait des couplets de sa façon. Le poëte Vigée y lisait son Epitre à Conta! ou des fragments de la Vivacité à l'épreuve, comédie en trois actes. Souvent aussi les dames proposaient des bouts

rimés, sur lesquels s'évertuaient les beaux esprits de cette petite académie. Un soir, Me Guegan donna ces rimes indigentes:

Plaisir. Loisir.

Rebelle.

Fidèle.

Douleur.

Aigreur.

S'amuse.

Ruse.

Vigée les remplit ainsi :

Un songe, sous vos traits, m'offrait le doux plaisir.
Je m'approche, le vois, le contemple à loisir.

A mes vœux, m'écriai-je, ah! ne sois point rebelle;
Je porte une âme pure, un cœur tendre et fidèle.
En ces lieux où je suis en proie à la douleur,
Par grâce, de mes maux daigne adoucir l'aigreur!
Je m'éveille! l'amour ainsi de nous s'amuse,

Et un plus grand bienfait souvent cache une ruse.

Un autre concurrent, Laval Montmorency, fit à son tour lecture des vers suivants :

Au fond de la prison, vit encor le plaisir.
L'amour peut éclairer notre sombre loisir.
Ce dieu, toujours enfant, et rarement fidèle,
D'un seul de ses regards, soumet un cœur rebelle.
Il dispense aux mortels la joie et la douleur.
Des maux les plus cruels, il adoucit l'aigreur,
Mais il tourmente aussi le couple qu'il amuse,
Et sourit dans les airs, du succès de sa ruse.

Peu de jours après, le 29 prairial an 11 (17 mai 1794), Laval Montmorency, condamné comme complice de la conspiration de l'étranger et de l'assassinat de Collot-d'Herbois, était conduit en chemise rouge à l'échafaud.

Pendant toute la terreur, il y eut assez régulièrement à Port-Libre environ six cents détenus, parmi lesquels on peut citer le baron de Marguerite, maire de Nimes, ancien constituant, qui fut condamné à mort, le 20 mai 1794, par le tribunal révolutionnaire; Louis Robin, député de l'Aube à l'Assemblée législative et à la Convention nationale; Chéron La Bruyère, représentant du département de Seine-et-Oise à l'Assemblée législative; Malesherbes, Rosambeau; Larrive, artiste du Théatre-Français; Perigny, ancien administrateur des douanes, et son gendre Lamalière, ancien intendant des ponts et chaussées; Jules de Rohan; Chavilly de Cypierre, ancien intendant d'Orléans, des fermiers généraux et des receveurs généraux des finances; M. de Sombreuil et sa fille. « Tout le monde, dit le Tableau des prisons, sait que cette courageuse citoyenne se précipita, dans les journées du mois de septembre, entre son père et le fer des assassins, et parvint à l'arracher de leurs mains; depuis sa tendresse n'avait fait qu'accroître, et il n'est sorte de soins qu'elle ne prodigua à son père, malgré les horribles convulsions qui la tourmentaient tous les mois pendant trois jours depuis cette lamentable époque. Quand elle parut au salon, tous les yeux se fixèrent sur elle et se remplirent de larmes. »

Le défenseur de Louis XVI, Malesherbes, en entrant à PortLibre, y fut reconnu par un de ses anciens employés du ministère de l'intérieur.

- Vous ici, Monsieur! s'écria l'employé.

- Oui, mon cher, répondit gaiement le vieillard; je deviens mauvais sujet sur la fin de mes jours: je me suis fait mettre en prison.

Parmi les dames incarcérées à Port-Libre, nous mentionnerons MM de Sabran, Duplessis, Chenard de Magny, femme d'un ancien receveur général des finances; de Garille, de Montcrif, Leprêtre de Château-Giron, La Chabeaussière, dont le mari était aux Madelonnettes.

Cette dame avait un chien nommé Brillant, qui restait presque toujours couché en dehors de la porte et dans les cellules. Avait-elle besoin de quelque chose, elle disait à Brillant: - Je n'ai pas dîné; ou je n'ai pas déjeuné; ou j'ai besoin de prendre l'air; va chercher Garnier ou Desjardins. C'étaient deux gardiens qui avaient quelques égards pour

[ocr errors]

elle.

[ocr errors]

Brillant partait, s'adressait au premier des deux qu'il rencontrait, lui sautait au cou, et ne le quittait pas que le gardien

[graphic][merged small]

ne vînt près de sa maîtresse. Ce chien avait pris en haine le concierge; mais comme il ne pouvait se venger sur lui des mauvais traitements qu'il faisait éprouver à la pauvre femme, il s'en prenait à ses dogues, et, quoique beaucoup plus faible, il ne les quittait qu'après les avoir mordus et terrassés.

Lorsqu'on venait chercher Mme La Chabeaussière pour la conduire à la promenade, Brillant courait en avant, et, après que le gardien avait ouvert la porte, cet animal se jetait à son cou en signe de reconnaissance. Ensuite il entrait vite dans le cachot de sa maîtresse, qu'il aurait voulu ne quitter jamais. Tous les détenus qui avaient des chiens les avaient amenés avec eux; on en comptait cent quatre-vingt-dix. Le 28 messidor an II (16 janvier 1794), il vint un ordre de renvoyer tous ces animaux; tous les détenus réclamèrent une exception pour Brillant; Brillant resta, et ne sortit de prison qu'avec sa maîtresse.

CHAPITRE V.

Les élèves de la patrie. - École d'accouchement.- Décret du 19 janvier 1811.- Les tours.- L'hospice de la Maternité.- Fermeture des tours. Projets divers sur les Enfants-Assistés. - Législation actuelle.

Aussitôt que Port-Libre fut vide de prisonniers, la commission des secours publics y mit les maçons. Les bâtiments furent restaurés, appropriés à leur destination nouvelle, et quand ils furent prêts, ils reçurent les petits enfants et les nourrices qui avaient été provisoirement placés au Val-de-Grâce.

Ces enfants, quand ils grandissaient, étaient transportés dans la maison du faubourg Saint-Antoine, où ils recevaient une éducation primaire, et de là rue des Fossés-Saint-Victor, où ils prenaient le titre d'élèves de la patrie. Les uns fabriquaient des étoffes et des bas que l'on vendait à prix fixe; les autres

étaient initiés à quelques métiers qu'ils allaient exercer au dehors.

L'ancien noviciat de l'Oratoire reçut les femmes enceintes, et l'École d'accouchements instituée, le 30 juin 1802, par le ministre Chaptal.

La législation qui règle le sort des enfants trouvés fut établie par le décret du 19 janvier 1811. Il divise en trois classes les enfants dont l'éducation est confiée à la charité publique. Les enfants trouvés sont ceux qui, nés de pères mères inconnus, ont été trouvés exposés dans un lieu quelconque ou portés dans les hospices destinés à les recevoir. Dans chaque hospice il y aura un tour. Dans chaque arrondissement il y aura un hospice.

Des registres contiendront, jour par jour, l'arrivée des enfants, leur sexe, leur âge apparent, et décriront les marques naturelles et les langes qui peuvent servir à les faire reconnaître.

Les enfants abandonnés sont ceux qui, nés de pères ou de mères connus, et d'abord élevés par eux ou par d'autres personnes à leur décharge, en sont délaissés sans qu'on sache ce que les pères et mères sont devenus, ou sans qu'on puisse recourir à eux.

Les orphelins sont ceux qui, n'ayant ni pères ni mères, n'ont aucun moyen d'existence.

L'hospice doit donner les premiers soins à l'enfant, et le mettre en nourrice ou en sevrage jusqu'à l'âge de six ans. A six ans, l'enfant doit être placé chez des cultivateurs ou artisans, moyennant un prix de pension qui décroit jusqu'à

douze ans.

A partir de douze ans, les enfants sont à la disposition du ministre de la marine, et ceux dont il ne disposera pas seront placés en apprentissage.

Les enfants qu'on ne peut mettre en apprentissage et les

[graphic][merged small]

infirmes qu'on ne trouve pas à placer doivent rester dans l'hospice à sa charge.

Sous l'empire de ce décret, des tours furent ouverts dans soixante-dix-sept départements. Chaque tour se composait d'une sorte de boite assez spacieuse pour recevoir un nouveauné. La personne qui avait pris sur elle la responsabilité de l'abandon arrivait furtivement pendant la nuit, déposait son fardeau, tirait une sonnette et s'éloignait sans être inquiétée. Le berceau mobile avait tourné sur lui-même, et le malheureux délaissé se trouvait dans une salle convenablement chauffée, en présence d'une sœur de charité qui lui prodiguait les soins les plus empressés.

Le chiffre des enfants trouvés était de 55,700 en 1810, de 84,500 en 1815, et de 111,400 en 1823. A Paris, il variait de 2 à 4,000.

Après la restauration, la maison d'allaitement de Port-Royal devint l'hospice de la Maternité: on y compte aujourd'hui plus de 500 lits, et il y entre environ 5,000 femmes par an; les élèves sages-femmes y sont logées. Pour y être admises, elles doivent être âgées de dix-huit à trente-cinq ans et payer une pension de 600 fr.; elles supportent en outre les frais des livres nécessaires à leur instruction. A la fin de l'année elles passent, devant un jury recruté parmi les notabilités médicales, un examen, à la suite duquel des prix et des diplômes leur sont décernés.

De l'hospice de la Maternité (rue d'Enfer), on fit celui des Enfants-Trouvés, dont le service fut entièrement confié aux sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Dans la chapelle des Oratoriens fut érigée, à la mémoire de cet ami de l'humanité, une belle statue, par Stouff.

Cependant le gouvernement s'effraya du nombre toujours croissant d'enfants que les expositions mettaient à sa charge: les tours disparurent peu à peu, malgré les réclamations des

publicistes. La moyenne des infanticides, qui était annuellement de 10 avant la fermeture des tours, s'éleva, de 1835 à 1840, à 135; de 1840 à 1845, à 147, à 162 dans cette dernière année, et à 175 en 1847, pendant que tous les autres délits poursuivis par les tribunaux ne cessaient de décroître.

Les gouvernements qui se sont succédé depuis ont eu à plusieurs reprises la velléité de s'occuper des enfants trouvés. En 1849, une commission nommée par le ministre de l'intérieur se livra à une enquête consciencieuse; mais le projet qu'elle élabora ne fut pas même présenté.

En 1850, la commission de l'Assistance publique soumit à l'Assemblée législative un projet de loi qui ne fut pas discuté. En 1853, un nouveau projet de loi fut porté au Corps législatif, et retiré.

Au mois d'août 1856, le sénat confia l'examen de la question à une commission composée du comte Portalis, président; du comte Siméon, secrétaire et rapporteur; de MM. Daviel, Tourangin, Ed. Thayer, Berger, Mimerel de Roubaix, Delangle, Boulay de la Meurthe et Ségur-d'Aguesseau.

Les conclusions de la commission furent celles-ci : Déclarer enfants adoptifs de l'État tous les enfants confiés à l'Assistance publique, rendre le tour obligatoire et disposer que chaque département en aura au moins un.

Se référer pour la définition des enfants trouvés, pour les formalités de leur réception et les signes de reconnaissance, au décret du 19 janvier 1811.

Établir que les enfants trouvés seront admis aux tours avec le secret que comportent les circonstances de leur naissance. Constituer des colonies agricoles où seront recueillis les enfants assistés.

Malgré ces desiderata, les tours ne furent pas rétablis. La mère qui veut abandonner son enfant est astreinte à une déclaration préalable devant un commissaire de police, et sa

« PreviousContinue »