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CHAPITRE PREMIER.

Gare du Montparnasse. - Hôpital Necker. - Hôpital des Enfants-Malades.

Un chemin de fer sépare le XIV du XVe arrondissement. A la place où s'ouvrait pour nos pères la route du Maine, les voyageurs montent en wagon, à la destination de Versailles, de Rambouillet, de Chartres, du Mans, de Laval, de Rennes et autres villes occidentales. Ces lignes sont desservies par la compagnie du chemin de fer de l'Ouest, dont un décret, en date du 17 avril 1855, a autorisé la formation, en limitant la durée des concessions à quatre-vingt-dix-neuf ans, à partir du 1er janvier 1858.

Lorsque cette voie n'allait que jusqu'à Versailles, l'embarcadère avait été placé à droite de la chaussée du Maine, qu'il dominait de plusieurs mètres. Ce chemin devenant la tête d'une ligne importante, le gouvernement résolut de faire construire une gare monumentale sur le boulevard de Montparnasse.

Elle fut commencée en 1848 et achevée en 1852, sous la direction de l'ingénieur en chef Baude et de l'architecte Lenoir. La façade, percée de sept arcades à plein cintre, est flanquée de deux pavillons, dans lesquels s'ouvrent les deux principales entrées du monument. Les deux faces latérales présentent, au rez-de-chaussée, dix-sept arcades, et autant de fenêtres au premier étage. Toutes deux se développent sur de vastes cours entourées d'une grille. Tout l'édifice, bati en pierres de taille et en pierres meulières, offre un caractère remarquable de grandeur et de solidité. En y comprenant les salles d'attente,

les bureaux, les remises, il couvre une superficie de 8,000 mètres. Les fondements, qui reposent sur de vieilles carrières, ont été l'objet de soins particuliers.

Pour mettre le nouvel embarcadère au niveau de l'ancien, et rejoindre l'un à l'autre, il a fallu rapporter des terres, les border de murs de soutènement, et jeter un viaduc sur la chaussée du Maine. Les voies principales, celles de croisement et de garage, en y comprenant les cours où stationnent les voitures, au niveau du boulevard, occupent une superficie de 16,000 mètres.

Afin de faciliter les abords des chemins de fer de la Touraine et de la Bretagne, il a été promulgué, le 9 mars 1853, un décret qui approuve le percement d'une rue destinée à relier l'embarcadère du chemin de fer de l'Ouest au carrefour des rues de Vaugirard, Notre-Dame-des-Champs et du Regard. L'exécution de ce projet était déclarée d'utilité publique. La rue a été immédiatement ouverte par voie d'expropriation sur une largeur de 22 mètres.

La rue de Rennes doit être prolongée en ligne droite jusqu'à la Seine, et communiquer à l'aide d'un nouveau pont avec l'ancienne rue des Poulies, qui serait prolongée jusqu'aux halles centrales. Ainsi, le centre de Paris serait mis en communication facile non-seulement avec la banlieue, mais encore avec un groupe de départements, dont les plus voisins contribuent à l'approvisionner.

Si, du chemin de fer de l'Ouest, nous suivons à droite la ligne des fortifications, nous aurous longé la limite méridionale du XVe arrondissement. La Seine, qui nous arrête, le sépare du XVI. En remontant le cours du fleuve, nous retournons à

Paris. Imprimerie de J. Claye, rue Saint-Benoît, 7.

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notre point de départ, en laissant le Champ de Mars à gauche, par l'avenue de Suffren, la rue Pérignon, l'avenue de Saxe et le boulevard du Montparnasse. L'espace compris entre ces frontières se divise en quatre quartiers: Saint-Lambert, Necker, Grenelle et Javel. Avant de franchir les anciennes barrières, nous nous occuperous d'abord du territoire qu'elles renfermaient.

Le ministre Necker n'est pour rien dans la dénomination du deuxième quartier; elle rappelle le souvenir de sa femme, Suzanne Curchod de Na se, qu'il avait eu le bonheur d'épouser à Genève en triomphant de concurrents qui méritaient aussi bien que lui de l'emporter, entre autres de Gibbon, l'historien de la Décadence de l'Empire romain.

Des bénédictines de Rethel, dans le diocèse de Reims, ap'préhendant des discordes intestines ou des invasions étrangères, se réfugièrent à Paris, où elles fondèrent, rue du VieuxColombier, le couvent de Notre-Dame-de-Liesse. Elles se chargeaient principalement de l'éducation des jeunes filles, et elles obtinrent, outre l'approbation royale, la protection de la comtesse de Soissons et de la duchesse de Longueville. En 1645, ces religieuses prirent possession du jardin d'Olivet, maison de campagne qui, avec ses dépendances, avait sur la rue de Sèvres, la façade où se lit actuellement le numéro 151.

La communauté ne prospéra pas; elle disparut en 1778, et ce fut alors que Mae Necker eut l'idée d'employer les bâtiments à la fondation d'un hôpital modèle où régneraient l'ordre et la discipline, et où serait enfin mis un terme à l'abus monstrueux qui entassait plusieurs malades dans le même lit. Moyennant un loyer de 3,600 fr., Mae Necker eut la jouissance du couvent de Notre-Dame-de-Liesse. Elle y fit faire des réparations, et avec la somme annuelle de 42,000 fr. que lui accorda Louis XVI, elle put assurer aux malades 120 lits.

Il est assez étrange qu'une calviniste soit arrivée de Genève pour introduire des réformes dans les hôpitaux de la France catholique; mais un fait incontestable, c'est la supériorité de l'hôpital Necker sur tous ceux qui existaient antérieurement à Paris. Il porta d'abord le nom d'hôpital des paroisses Saint-Sulpice et du Gros-Caillou. La cour d'entrée était carrée et plantée d'arbres; au fond se trouvait la chapelle, construite en 1663. Les croisées des chambres destinées aux malades s'ouvraient sur un jardin botanique ou sur un corridor dont l'air pouvait être renouvelé à volonté. Quelques salles étaient réservées aux malades qu'il était nécessaire d'isoler; les lits, larges de trois pieds et demi, étaient garnis de deux matelas, d'une paillasse, de deux couvertures et d'une courte pointe. Ils étaient séparés par un intervalle de trois pieds et garnis de rideaux de siamoise ou de toile écrue. En hiver, le rez-de-chaussée était chauffé par des poèles, et le premier étage par des bouches de chaleur. Les ustensiles de cuivre avaient été bannis de la cuisine avec un soin scrupuleux.

Les malades étaient reçus à l'hôpital Necker sur un billet du curé de Saint-Sulpice ou de celui du Gros-Caillou. Leur entrée était constatée par un enregistrement chez le portier, et par celui que la supérieure et le médecin fai aient chacun de leur côté sur des registres particuliers. En outre, on donnait à chaque malade deux cartes: la première portait son nom, et la seconde indiquait le jour de son entrée. Une de ces cartes était attachée au pied du lit du malade, l'autre à ses habits; et quand la maladie était terminée par la guérison ou par la mort, ces deux cartes étaient remises l'une à la supérieure et l'autre au médecin, qui achevaient sur leur registre la notice relative à ce malade en constatant sa guérison ou sa mort.

Quatorze sœurs de charité suffisaient au service de cette maison, et se partageaient le travail. Elles étaient aidées par deux infirmières, un jardinier, un sacristain et un portier, et la supérieure vei!lait à toutes les parties de l'administration. Le service se faisait avec la plus grande régularité. L'attention était continuellement partagée entre la distribution des remèdes et celle des aliments; la propreté des salles et la tranquilité qui y régnait en tous temps étaient des preuves non équivoques de la discipline salutaire qui s'observait dans cet hopital.

Pour éviter toute erreur, chaque malade avait au pied de son lit des marques indicatives de l'espèce de régime auquel il était soumis, et le vin ne se distribuait que sur une marque particulière pareillement attachée au pied de son lit.

Les officiers de santé étaient un médecin, un chirurgienmajor et un chirurgien-élève.

Le médecin donnait chaque mois à l'administration un tableau nosologique contenant : 1° la température de l'air; 2o la

nature et le caractère des maladies qui régnaient; 3° le dénombrement des malades guéris ou morts; 4° une indication des faits les plus extraordinaires et des notes sur les maladies dont l'issue avait été fatale.

On recevait annuellement à l'hôpital des paroisses SaintSulpice et du Gros-Caillou environ 1,900 malades, dont les deux tiers étaient des hommes; cette différence ne venait pas de ce que les lits destinés aux femmes étaient en plus petit nombre ou restaient vides, mais de ce que les lits étaient beaucoup plus longtemps occupés par les malades du sexe féminin.

Aujourd'hui, l'hôpital Necker, qui a pris le nom de sa fondatrice après avoir porté celui d'hospice de l'Ouest pendant la révolution, compte plus de 400 lits, et reçoit annuellement près de 8,000 malades.

Au no 149 de la même rue, Languet de Gergy, curé de SaintSulpice, avait fondé, sous le titre de l'Enfant-Jésus et avec le concours de Marie Leczinska, une maison destinée à l'éducation de trente jeunes filles pauvres appartenant à la noblesse. Elles devaient fournir la preuve que le chef de leur famille avait eu la qualité de chevalier, et que celle de gentilhomme avait été reconnue à ses descendants au moins pendant deux siècles. Elles étaient reçues à l'âge de dix ans; on leur enseignait tout ce qui était propre à les faire briller dans le monde; mais elles apprenaient en même temps à diriger un établissement agricole, à s'occuper de la boulangerie, de la laiterie, de la bassecour, du blanchissage et du jardin; de la maison, dirigée par les filles de Saint-Thomas-de-Villeneuve, dépendait une filatue de coton et de lin qui employait une centaine d'ouvrières.

Lorsque les pensionnaires avaient atteint leur vingtième année, elles rentraient dans leur famille avec un trousseau.

A la suppression des maisons religieuses, un grand nombre d'orphelines trouvèrent asile à l'Enfant-Jésus. En 1802, le conseil des hospices affecta cet établissement aux enfants malades, qui jusqu'alors avaient été confondus avec les adultes dans les divers hôpitaux de Paris; les lits sont au nombre de 626, dont 321 pour les garçons et 305 pour les filles. Les enfants y sont reçus de deux à quinze ans. Des consultations et des médicaments sont délivrés gratuitement aux malades amenés du dehors.

Un gymnase a été récemment créé à l'hôpital des Enfants-Malades, qui se trouve dans d'excellentes conditions de salubrité, environné de grands jardins, et enfermant dans son enceinte des bâtiments isolés où sont traités les enfants atteints d'affec tions contagieuses. La superficie de cet hôpital est de 36,053 métres 90 centimètres, savoir: en constructions 5,015 mètres 73 centimètres, en terrains 31,083 mètres 17 centimètres.

CHAPITRE II.

Le puits de Grenelle.

La merveille du quartier Necker, c'est incontestablement le puits de Grenelle. Les acqueducs de l'antiquité nous étonnent par leur masse imposante; mais ce fut une entreprise plus hardie que de creuser le sol et d'aller chercher dans ses bancs les plus profonds une source jaillissante. Il était beau jadis de prendre l'eau à plusieurs lieues et de lui tracer un canal qui franchissait les montagnes et les vallons; mais, certes, il est plus beau d'avoir fouillé la terre à la profondeur de 547 mètres, de n'avoir pas reculé devant des difficultés qui paraissaient insurmontables et d'être arrivé à fournir chaque jour un million de littres d'eau excellente qui ne contient sur 100 litres que 14 grammes de résidu calcaire.

Le principe des puits artésiens ou puits forés est très-simple: comme tout liquide tend à recouvrer son niveau, si une nappe d'eau, descendue des montagnes, trouve en sa route une issue verticale, elle en jaillit avec force, et le jet atteint une hauteur égale à celle du réservoir qui l'alimente.

Fournies par le hasard avant d'être obtenues systématiquement, les sources jaillissantes durent être connues de temps immémorial; c'est probablement un puits foré que désigne le Cantique des Cantiques, par le verset 17 du chapitre Iv: Fons hortorum, puteus aquarum viventium, quæ fluunt impetu de Libano (Fontaine des jardins; puits des eaux vivantes qui coulent avec impétuosité du Liban). L'Artois fut la première

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un à Lillers dès l'an 1120.

Le puits de Grenelle, le plus remarquable de tous les puits forés par le volume de ses eaux et leur élévation au-dessus du sol, fut commencé, en 1833, aux frais de la ville de Paris, qui ne se dissimula aucune des difficultés du travail. Elle ordonna d'abord des sondages au carrefour de Reuilly, près de la barrière de Saint-Mandé, au boulevard extérieur du Combat et à celui de la Cunette. L'eau n'étant montée nulle part à la surface, il était évident que les nappes d'eau des bancs de sable supérieurs à la craie, étant coupées par la Seine au-dessous de Paris, n'avaient plus assez de pression pour jaillir au-dessus du sol dans le voisinage de ce point; il n'y avait à Paris de chance de succès pour les puits artésiens qu'en perçant l'énorme banc de craie sur lequel repose cette ville. L'administration conçut le projet d'en faire l'expérience.

Ce bane occupe une grande partie de la France, des PaysBas et même de l'Angleterre. Sur les points où son peu de profondeur permet de le percer facilement, en Artois, dans la Touraine, on a toujours trouvé par-dessous des bancs de sables verts contenant des eaux jaillissantes. Sa profondeur et son épaisseur, à Paris, étant considérables, on ne l'avait jamais percé. C'était donc une tentative des plus intéressantes que de vérifier, en perçant ce banc, les formations géologiques qui composent le terrain de Paris, indépendamment de l'intérêt spécial d'obtenir de l'eau.

Dans cette double pensée, l'administration municipale, à la fin de 1833, approuva le projet qui lui fut présenté par l'ingénieur en chef Emmery pour le forage d'un puits artésien d'une dimension qui permit le percement de la craie. Ce puits devait être tenté sur la place de la Madeleine, et l'on ne se décida qu'ultérieurement pour l'abattoir de Grenelle.

M. Mulot, ingénieur-mécanicien, se rendit adjudicataire des travaux; il n'avait point de concurrents. Les frais étaient considérables, et malgré les calculs de la science, le résultat paraissait douteux : les sables verts à atteindre, en traversant la craie, c'était l'Amérique à découvrir!

Mulot se mit à l'œuvre avec un appareil de trépans, de doubles tire-bourres, de capsules et de cuillers. Maintes fois ces instruments s'ébréchèrent sur la pierre et le silex; maintes fois des éboulements menacèrent son travail. Il creusa toujours; il creusa pendant sept années; et, le 26 février 1841, jour mémorable dans les annales parisiennes, les sables verts furent percés! La sonde y pénétra, par son propre poids, à plusieurs mètres de profondeur, la masse aquifère monta comme un torrent, comme un déluge; l'abattoir fut inondé, et les assistants, loin de s'en plaindre, poussaient des cris de joie. Ils étaient mouillés, mais contents, mais animés d'un enthousiasme que tout Paris partagea! La science humaine venait de remporter un de ses plus beaux triomphes. Honneur aux travailleurs qui n'avaient point désespéré! Mulot était le Christophe Colomb des puits artésiens!

Il fut décoré; ses frais s'élevaient à 260,000 fr., sur lesquels il perdait 40,030 fr.; le conseil municipal, non-seulement les lui remboursa, mais encore lui accorda une rente viagère de 3,000 fr.

On remarqua que l'eau arrivait chargée d'un sable identique à celui qui se trouve mêlé aux sources de la Touraine, et que cette eau avait une température normale de 28 degrés centigrades.

Des réservoirs de dimensions énormes furent construits sur la montagne Sainte-Geneviève, à l'angle de la rue de la VieilleEstrapade, pour recevoir les eaux du puits de Grenelle, qui montent à 33 mèt. 50 c. au-dessus du sol. Un appareil en charpente avait d'abord été construit pour les contenir : M. Delaporte, ingénieur, y a substitué une colonne hexagone, en fonte, posée sur un soubassement de pierre. Elle a trois étages et 42 mètres de hauteur.

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Depuis l'extension de Paris, le nombre des abattoirs est fixé à huit; ce sont ceux :

du Roule,

de Montmartre, de Ménilmontant, de Grenelle, des Batignolles, de la Villette, de Belleville,

de Villejuif,

Une ordonnance de M. Boitelle, en date du 31 janvier 1860, «Attendu que, par suite de l'agrandissement de Paris, les entrées affectées aux passages des bestiaux à destination de Paris sont reportées aux murs d'enceinte fortifiée, et que le nombre des abattoirs généraux se trouve augmenté des abattoirs publics des anciennes communes de Batignolles, la Villette et Belleville;

« Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de déterminer à nouveau et d'ensemble l'itinéraire qu'il convient de faire suivre actuellement aux bestiaux entrant dans Paris et conduits aux abattoirs généraux; »

A réglé l'itinéraire que devront suivre les bestiaux achetés pour la consommation de Paris, sur les marchés de Sceaux, de Poissy, de la Chapelle et des Bernardins.

Les tueries particulières établies dans la zone comprise entre l'ancien mur d'octroi et les fortifications ont été supprimées par une ordonnance du 27 décembre 1859.

Les abattoirs ont été créés sur un plan uniforme, par un décret du 9 février 1810, ainsi conçu :

« 1° Il sera fondé à Paris cinq tueries trois sur la rive droite de la Seine, deux sur la rive gauche.

« 2o Les trois tueries sur la rive droite seront: deux de vingtquatre échaudoirs et une de douze.

« 3o La première pierre des quatre tueries qui sont à construire sera posée, le 25 mars, par notre ministre de l'intérieur, qui ordonnera les dispositions nécessaires.

« 4° La corporation des bouchers de Paris sera maîtresse de faire construire les cinq tueries à ses frais, et elle en aura le privilége exclusif; sinon, les travaux seront faits sur les fonds de notre domaine extraordinaire et à son profit. >>

Un échaudoir n'est point, comme on pourrait le croire, un lieu où l'on échaude, mais un licu où l'on tue. Le bœuf condamné à mort y est amené. Attaché par les jambes et les cornes à un anneau scellé dans la dalle, et frappé au milieu du front de deux ou trois coups de merlin, il tombe sans pousser un cri.

Sternitur exanimisque tremens procumbit humi bos.

Quant aux moutons, pauvres êtres sans défense! leurs troupeaux sont conduits dans les cours ménagées derrière les échaudoirs, et on les égorge un à un. Ces affreuses exécutions sont accomplies silencieusement avec une dextérité sans égale et un imperturbable sang-froid.

L'air qui circule librement dans les échaudoirs, ouverts des deux cotés, emporte toute odeur fétide; une eau limpide ruisselle sur le pavé presque en même temps que le sang; une propreté minutieuse est entretenue tant dans les échaudoirs que dans les bouveries, les triperies et les fonderies de suif.

Les garçons d'échaudoir, sans cesse occupés à déchirer des membres palpitants, exercent sans répugnance ce métier auquel ils s'endurcissent. Ce n'est pas qu'ils soient cruels; ils ne torturent point sans nécessité, et n'obéissent pas à un barbare instinct; mais tuer un boeuf, le saigner, le souffler, sont pour eux des actions naturelles.

Après minuit, le garçon d'échaudoir charge la viande sur une charrette, et la porte à l'étal, où elle est reçue par le garçon étalier. Celui-ci la dépèce et la dispose pour la vente. L'hiver, avec un calque de papier, il découpe artistement les membranes intestinales des moutons, y dessine des arabesques, des fleurs, des trompettes de cavalerie, et expose avec orgueil à la porte des cadavres illustrés.

Le garçon étalier est plus civilisé que le garçon d'échaudoir. Celui-ci, avant de sommeiller, a le temps à peine de couper une grillade, et de l'aller manger chez un marchand de vin. Quand l'étalier a servi les pratiques, et conté fleurette aux cuisinières, quand il a plusieurs fois affilé son couteau sur son

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fusil, baguette cylindrique en fer et en fonte qu'il porte au coté, il lui est permis de lire les journaux, et après quatre heures, de prendre des leçons de musique ou d'aller déployer dans un bal ses talents chorégraphiques.

Cependant, par l'accoutumance au sang, les garçons étaliers ont quelque chose de leurs compagnons de l'abattoir, et nous tenons d'un des premiers une anecdote qui le démontre. Il y a quelques années, le quartier Montmartre était exploité par des maraudeurs nocturnes, dont la spécialité était le vol des gigots. A travers les grilles qui ferment les boucheries, ils décrochaient, avec une perche, les gigots pendus au plafond. Deux des voleurs tiraient en sens contraire deux barreaux qui s'écartaient, et livraient passage aux viandes enlevées.

Une nuit, notre étalier entend du bruit dans sa boutique; il descend à pas de loup, et voit plusieurs hommes ròder dans la rue. Sans appeler au secours, il saisit un couperet et se met en embuscade, prêt à couper le bras du premier qui se présenterait.

« Ah! nous disait-il tranquillement, comme s'il se fût agi d'une action toute simple, j'aurais voulu qu'il en vint un, j'avais belle de lui couper le bras. » Et il joignait une pantomime expressive à ce récit qui nous faisait frémir.

Les voleurs ne parurent pas, car ils étaient déjà venus, et avaient enlevé treize gigots dont l'étalier était responsable. Comme ils travaillaient à dévaliser une boutique voisine, l'étalier ouvrit brusquement sa grille, se mit à crier au voleur! courut sur les fuyards, et en empoigna un qu'il conduisit au poste, après l'avoir taraudé à coups de poing.

Le lendemain, l'étalier s'aperçoit de la disparition de ses treize gigots, et va en gémissant faire sa déclaration au commissaire de police; mais, o bonheur inespéré! en s'arrêtant auprès de la boutique d'un marchand de vin, il voit dans un cabinet un amas de viande enveloppé dans une serviette : c'étaient ses treize gigots déposés en ce lieu de recel. Cette bonne fortune ne laissait à l'étalier qu'un seul regret, celui de n'avoir pas coupé le bras d'un voleur.

L'étalier finit presque toujours par acheter un fonds. Le maître auquel il succède ne renonce pas absolument à son état. Il suit avec plaisir la marche ascendante du garçon qu'il occupait; il donne des conseils à quiconque veut l'entendre sur les affaires de la boucherie, s'informe du cours de la viande et du suif, et se rend à Poissy dans toutes les occasions importantes, par exemple, à l'époque de la mise en vente du bœuf gras.

Pour juger du rôle important que remplissent les abattoirs de Paris, il suffit de savoir qu'il en est sorti en 1858:

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Ces chiffres ont probablement doublé depuis l'annexion. La liberté du commerce de la boucherie a dû également augmenter la production de viande.

Puisque nous parlons des abattoirs et des bouchers, nous ne saurions oublier une cérémonie qui se rattache essentiellement à ce sujet la promenade du bœuf gras.

Suivant notre savant collègue Eugène d'Auriac, l'usage en viendrait des Égyptiens. Ils instituèrent cette fête pour rappeler les services rendus par le boeuf à l'agriculture. Dans leur reconnaissance, ils ne craignaient pas de diviniser l'animal dont ils tiraient leur meilleure nourriture et qui les aidait à tracer des sillons. Ils le nommèrent Apis et lui élevèrent des temples. Strabon, Hérodote, Pline et Ammien Marcellin nous ont successivement parlé du bœuf Apis, et l'on remarque que leurs descriptions diffèrent en certains points; mais cette différence s'explique par les différents changements du bœuf sacré. En effet, c'était un des principaux points du culte d'Apis de ne point le laisser parvenir à la vicillesse. Quand on l'avait tué, on lui faisait des obsèques magnifiques; puis tous ses sectaires portaient le deuil jusqu'à ce que les prêtres en eussent trouvé un autre.

De l'Egypte, la fête d'Apis passa dans la Grèce, et les Romains acceptèrent à leur tour cette cérémonie qu'ils regardaient aussi comme le symbole de l'agriculture. Ils la célébrèrent à

l'équinoxe du printemps. Le bœuf représentait à leurs yeux le taureau équinoxial, et un jeune homme, symbole de la force du soleil lorsqu'il entre dans le signe du taureau, lui plongeait un poignard dans le cou au moment du sacrifice.

Les Gaulois avaient une fête semblable à la même époque, En traversant les siècles, la cérémonie du bœuf gras, qu'on nommait bœuf villé, et plus tard viellé, parce qu'il était promené par les rues au son des violons et des vielles, nous est restée comme une fète essentiellement populaire. Les historiens de Paris en parlent peu, mais on en trouve l'indication dans l'énumération des jeux auxquels s'amusait Gargantua dans sa jeunesse.

La cérémonie du boœuf gras ne fut d'abord qu'un divertisse ment que se donnaient entre eux les garçons bouchers pendant les derniers jours de carnaval. Un maitre boucher prétait gratuitement le bœuf qui devait servir à la promenade; mais la corporation des bouchers ne s'immisçait en rien dans les détails de cette mascarade: elle accordait seulement une gratification assez forte aux garçons pour combler le déficit laissé par la recette que faisaient les conducteurs de la promenade chez les personnes de distinction qu'ils visitaient.

Un auteur du XVIIIe siècle, qui parle de cette cérémonie, nous la décrit telle qu'il la vit célébrer à Paris en 1739 : « Les garçons bouchers de la boucherie de l'apport-Paris, dit-il, n'attendirent pas en cette année le jour ordinaire pour faire leur cérémonie du bœuf gras. Le mercredi matin, veille du jeudi gras, ils s'assemblèrent et promenèrent par la ville un boeuf qui avoit sur la tête, au lieu d'aigrette, une grosse branche de laurier-cerise; il étoit couvert d'un tapis qui lui servoit de housse. >>

Il ajoute que le bœuf, paré comme les victimes que les anciens allaient immoler, portait sur son dos un enfant décoré d'un ruban bleu passé en écharpe, tenant d'une main un sceptre et de l'autre une épée nue. Cet enfant était nommé le roi des bouchers. Une quinzaine de garçons vêtus de corsets rouges, avec des trousses blanches, coiffés de turbans et de toques rouges bordées de blanc, accompagnait le bœuf gras, et deux d'entre eux le tenaient par les cornes. Cette marche était gaiement précédée, selon l'usage, par des violons, des fifres et des tambours.

Les bouchers parcoururent en cet équipage plusieurs quartiers de la ville; ils allèrent visiter ainsi les principaux personnages et les magistrats dans leurs maisons; mais ne trouvant pas dans la sienne le premier président du parlement, ils prirent le parti de l'aller attendre sur son passage. A cet effet, ils se décidèrent à faire monter dans la grand'salle du palais, par l'escalier de la Sainte-Chapelle, le bœuf gras et son escorte. Lorsque le premier président sortit, ils se mirent en haie sur son passage et lui donnèrent une aubade; puis ils promenèrent le pauvre animal dans diverses salles, le firent descendre par l'escalier de la cour neuve, du côté de la place Dauphine, et ils continuèrent ensuite leur cérémonie dans Paris.

On n'avait point encore vu, ajoute notre historien, le bœuf gras dans les salles du Palais, lesquelles sont au moins à la hauteur d'un premier étage; et on aurait peine à le croire si un grand nombre de personnes n'avaient assisté à ce spectacle singulier.

Cette relation nous apprend qu'il y avait alors deux bœufs gras. C'est là un fait à remarquer. L'un était accompagné par les bouchers de l'apport - Paris, c'est-à-dire par les représentants de l'ancienne grande boucherie; le second était promené par les bouchers de la ville. Ceux-ci exécutèrent leur promenade annuelle le lendemain jeudi gras; mais ils ne tentèrent pas de faire monter leur bœuf gras dans les salles du Palais. Un pareil tour de force ne leur parut pas devoir être imité.

La promenade du bœuf gras, toujours recherchée du peuple, cessa d'avoir lieu en 1790; mais, dans la suite, l'empereur crut devoir la rétablir, et, le 23 février 1805, elle reparut plus brillante qu'auparavant. Une ordonnance de police régla la marche du bouf gras, que les bouchers eurent le droit de promener dans la ville pendant trois jours. Le préfet fixa en outre l'ordre du cortége; il désigna le nombre des individus qui devaient le former, et détermina les costumes.. Alors, comme autrefois, on vit un jeune enfant porté, dans un beau fauteuil de velours rouge, par le boeuf richement enharnaché, ayant les cornes dorées et entouré de douze garçons bouchers, les

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