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principales, les pompiers mêmes qui étaient en permission furent aussitôt requis, et l'on coupa le feu de manière à préserver les grands établissements voisins.

Des régiments entiers, parmi lesquels la gendarmerie, les grenadiers, les cuirassiers de la garde, des détachements de presque tous les régiments en garnison à Paris, les chasseurs de Vincenues, les guides, portèrent des secours où il en fallait.

Les grenadiers arrachèrent aux flammes de nombreux sacs. On réussit également à sauver les papiers de la comptabilité et les farines. Les brigades centrales des sergents de ville se distinguèrent particulièrement.

Les autorités principales de Paris, le ministre de l'intérieur, le préfet de police et le préfet de la Seine, les généraux commandant la place et la garnison de Paris, le commandant des pompiers de La Condamine, le maire du It arrondissement, le commissaire de la section des Champs-Élysées, M. Collomb, et plusieurs de ses collègues des quartiers contigus accoururent des premiers.

D'immenses chaînes s'organisèrent.

A dix heures, une foule de tapissières furent mises en réquisition pour enlever ceux des amas de vivres qui purent être sauvés, et peu à peu on se rendit maitre de l'incendie en l'isolant dans un foyer déterminé. Des trois corps de logis de la Manutention, un seul fut brùlé avec les grains et les moulins qu'il renfermait. La perte fut évaluée à près de deux millions, quoiqu'on eût sauvé la plus grande partie des approvisionnements de l'administration en blé et en farine.

Sur l'emplacement de la Manutention était jadis la Savonnerie. Un peu plus loin, dans un petit hôtel d'un aspect mystérieux, conspirèrent, en 1804, Georges Cadoudal, Armand de Polignac, Pichegru et le général Moreau.

En continuant à descendre la Seine, nous arrivons devant une rampe qui monte à Chaillot, et où les jours de grande revue s'échelonnent des milliers de spectateurs. Il est question de disposer pour eux un amphithéâtre plus régulier, plus vaste, et que dominerait un monument nouveau où viendrait s'installer l'École polytechnique. Mais ce projet recevra-t-il son exécution? Que de plans ont été faits déjà pour utiliser cette belle position, d'où les yeux planent sur le cours de la Seine, sur le Champ-de-Mars, sur les pittoresques hauteurs de Meudon et de Saint-Cloud! Napoléon Ier songeait à y placer le palais du roi de Rome: Louis XVIII en fit le Trocadéro, et voulut y mettre un monument dédié à l'armée d'Espagne. En attendant qu'elle soit chargée de constructions, cette pente reste ombragée d'arbres verts, et cela vaut peut-être mieux.

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Près de l'ancienne barrière de Passy règnent les bâtiments noirs d'une raffinerie, créée par M. Benjamin Delessert. Cet habile industriel y perfectionna les procédés d'épuration du sucre, et quand le décret du 15 janvier 1812 affecta 100,000 hectares de terres à la culture de la betterave, sa fabrique acquit un développement qui la mit en première ligne.

C'était à cette place même que quelques cabanes formaient le hameau de Nigeon, dont le roi Clotaire II fit donation à Bernard, évêque du Mans. Celui-ci le céda à l'église de Paris. Plusieurs siècles après, les ducs de Bretagne y construisirent un castel qu'on appela le manoir de Nigeon, et auprès duquel était le château de Jean de Cérizy, bailli de Montfort-l'Amaury et controleur général de la maison de la reine.

Quand saint François de Paule vint en France consoler Louis XI à l'agonie, il y amena six ermites de l'ordre des Minimes qu'il avait fondé en Calabre. Il resta en France après la mort du roi, et fut enterré, le 2 avril 1508, dans la chapelle de Plessis-lez-Tours. Ses disciples, auxquels leur humilité et leur charité valaient le surnom de Bous-Hommes, avaient d'abord trouvé un asile au cloitre Notre-Dame, chez Jean Quentin, grand pénitencier de la cathédrale; mais Anne de Bretagne, pour les fixer à Paris, leur donna son manoir de Nigeon.

Les Bons-Hommes y furent longtemps à l'étroit. Leur mo

nastère et leur église, commencés en 1420, ne furent entièrement achevés qu'en 1578. L'église, dédiée à Notre-Dame-deToutes-Grâces, était décorée à l'extérieur d'une statue de la Vierge, et des écussons de France et de Bretagne. L'intérieur reçut pour ornements des tableaux de Sébastien Bourdon et de La Hyre; on y voyait les tombeaux du maréchal de Rantzau, mort le 4 septembre 1650, et un vice-amiral Jean d'Estrées, mort en 1707. Le réfectoire, la salle du chapitre et la bibliothèque méritaient l'attention par la richesse de leurs fresques et de leurs vitraux; mais longtemps avant que les bâtiments fussent vendus comme propriété nationale, les œuvres d'art que la Renaissance avait prodiguées dans ce sanctuaire étaient détériorées, anéanties ou à peine visibles. Cependant, quand on visite cette usine, on y voit encore çà et là des vestiges de grandeur et de magnificence.

Les jardins montaient par étages jusqu'au sommet du coteau; ils produisaient assez de légumes pour suffire à la consommation des moines, qui faisaient vou de carême perpétuel.

Si nous prolongions notre excursion le long de la Seine, nous trouverions les belles caves taillées dans les flancs de la montagne; puis une propriété qui, après avoir appartenu à la princesse de Lamballe et vu les dernières galanteries de la cour de Louis XVI, héberge en 1860 les aliénés que traite le docteur E. Blanche; mais cette route nous entraînerait loin de Paris. Gravissons la côte et pénétrons sur le territoire qui constituait la commune de Passy.

Passy, en latin Passiacum ou Paciacum, est un nom commun à plusieurs villes de France, et paraît avoir désigné un pas ou défilé près d'une rivière (passus al aquam). Il y a un Passy-sur-Marne, un Passy-sur-Loire, un Pacy-sur-Eure, un Passy-Grigny (Marne), un Pacy-sur-Armançon dans l'arrondissement de Tonnerre, un Passy-en-Valais (Aisne), un Passy dans l'arrondissement de Mâcon, un Passy daus l'arrondissement de Provins, un Passy près de Sens, deux Passy dans le département de Seine-et-Marne, un Passy en Faucigny (ancienne Savoie). Cette multiplicité de Passy rend l'histoire de ces localités difficile, en prêtant à la confusion. Ainsi des historiens mettent au nombre des seigneurs de Passy-lez-Paris Jacques-Paul Spifame, qui, après avoir été président au Parlement, maître des requêtes et conseiller, entra dans les ordres, devint évêque de Nevers, embrassa le calvinisme à Genève, et eut la tête tranchée, en 1566, à l'âge de soixante-dix ans, sous prétexte qu'il avait présenté comme son épouse légitime une femme qu'il avait enlevée à son parti, mais en réalité parce qu'il entretenait des correspondances avec la France et la Savoie. Ce héros de roman était seigneur de Passy-en-Champagne, village situé dans le canton de Sens. Dans les premiers temps de Passy-lez- Paris, nous n'y voyons d'autre château seigneurial que celui dont il reste encore une tourelle, et il appartenait aux rois de France. Philippe le Bel, comme nous le raconterons plus loin, attend à Passy la venue d'Arnauld de Catelan, et il date de Passy une ordonnance qui accorde aux QuinzeVingts le droit de porter une fleur de lis sur leur cotte. Charles V, par lettres patentes, autorise les habitants à clore de murs à chaux et à sable, pour préserver leurs récoltes de la dent des lapins, et même à tuer ces animaux destructeurs.

Malgré ces avantages, précieux à une époque où les paysans n'avaient pas le droit de chasse, Passy ne s'agrandissait point. Le village n'avait pas encore d'église, et les habitants étaient obligés d'aller à la messe à Auteuil; mais l'homme auquel était échu le petit port de Passy, messire Claude de Chahu, conseiller du roi et trésorier général des finances, obtint de Mgr de Péréfixe, archevêque de Paris, l'érection canonique d'une chapelle succursale. Voici l'acte authentique de cette importante fondation :

« Nous étant assuré, par le rapport de notre vicaire général, que les habitants de Passy ne peuvent aller sans beaucoup d'incommodité en leur paroisse d'Autheuil, pour y recevoir les sacrements et assister à l'office divin, à cause de la distance et de la difficulté des lieux, avons érigé et érigeons par ces présentes une église succursale au dit Passy, dépendante et aide de la paroisse d'Autheuil, et à cet effet avons permis et permettons d'achever la chapelle encommencée de bâtir, et sera la dite église succursale sous l'invocation de Notre-Damede-Grâce, de laquelle la principale fète se fera chaque année le jour de l'Annonciation de la Vierge, à la charge que le vicaire qui desservira la dite église de Passy sera nommé par le curé d'Autheuil, destituable à sa volonté. Lequel vicaire résidera

actuellement et personnellement au dit lieu de Passy, sera par nous spécialement approuvé pour faire les fonctions curiales en la dite église, savoir pour y baptiser, marier et administrer les sacrements de pénitence, d'eucharistie et d'extrême onction. Que, pour cet effet, il sera construit des fonts baptismaux en la dite église, un tabernacle posé sur l'autel pour y faire reposer le saint-sacrement, et un cimetière béni pour y inhumer les corps des défunts du dit Passy, seront tenus de fournir à la dite église succursale toutes choses généralement quelconques nécessaires à la célébration du divin service et administration des sacrements pour cette fois seulement. Que le dit vicaire aura pour sa rétribution cent cinquante livres données par les sieur et dame Chahu, d'une part, et cent cinquante livres, d'autre part, payables par les habitants de Passy, faisant en tout la somme de trois cents livres par chacun an, pour l'entretien du dit vicaire, comme il est porté et spécifié dans les dits contrats, et qu'il lui sera pourvu de logement par les dits habitant, avec les meubles nécessaires à un ecclésiastique, moyennant quoi il sera obligé de dire quatre messes par semaine, y compris les fêtes et dimanches, pour les habitants du dit Passy, et, pour les trois jours restants de chaque semaine, il célébrera à sa dévotion, ou de qui bon lui semblera, mais néanmoins en la dite église, pour la commodité des dits habitants. Qu'il dira la messe haute les fêtes et dimanches, à l'heure du diocèse, savoir à huit heures en été et à neuf en hiver. Qu'il percevra ses assistances des services, baptêmes, mariages et autres fonctions suivant la taxe du diocèse, et sera comptable au dit curé des dits mariages, baptêmes, services, enterrements et oblations, cire, pains bénits, ouvertures de fosses, suivant l'usage de l'église d'Autheuil, et sera tenu de donner avis au dit curé des baptêmes, mariages, etc., qui se feront en la dite église de Passy, excepté néanmoins les cas de nécessité; comme aussi de tenir l'école pour les garçons au dit lieu, et de faire les catéchismes suivant les ordonnances de notre diocèse. A la charge aussi que les habitants du dit lieu seront obligés de faire leurs confessions et communions pascales en la paroisse du dit Autheuil, et qu'il ne se fera le jour de Pâque ni eau bénite ni pain bénit, et que l'on n'y dira point de messe paroissiale ni de vêpres, et ne s'y fera point de prédication au dit jour, mais seulement se dira une messe basse le matin avant la grande messe du dit Autheuil, pour les infirmes et vieillards, et un salut au soir. Que les autres curiales néanmoins se pourront faire, suivant l'exigence des cas. Que l'on ne dira point aussi de grande messe dans l'église de Passy le jour de l'Assomption de la Vierge, patronne principale d'Autheuil, ni le jour et fête de la dédicace d'icelle, mais seulement une messe basse. Qu'en considération des bienfaits et fondations du dit sieur Chahu, le vicaire de la dite église de Passy dira à la fin de chaque messe un Salve, Regina pour les dits sieur et dame Chahu, et un De profundis à perpétuité pour le repos de leurs âmes. Et en reconnaissance de leur piété et bienfaits, nous leur avons permis de faire poser un marbre dans la dite église, contenant la fondation par eux faite au profit de la dite église, pour servir de perpétuelle mémoire. Tous lesquels, etc. »> En 1671, un décret de M. de Harlay déclara la chapelle église paroissiale, et la direction en fut confiée aux frères barnabites. Ces religieux, autrement dits clercs réguliers de la congrégation de Saint-Paul, occupaient à Paris, en vertu de lettres patentes du 12 décembre 1633, enregistré le 9 mai 1636, une maison dont le portail, construit en 1704 sur les dessins de Cartaud, et orné de pilastres d'ordre dorique et ionique, a été mis à découvert par les démolitions qu'exigeait la prolongation du boulevard de Sébastopol travers la Cité. Ils furent

autorisés à choisir le curé de Passy, à la condition qu'il serait agréé par le seigneur et par M. l'archevêque. Trois barnabites desservirent la cure jusqu'en 1736, et un quatrième leur fut adjoint aux frais de la marquise de Saillac.

Le financier Samuel Bernard, le marquis de Boulainvilliers, le fermier général La Popelinière, dont la cheminée à plaque tournante pivotait pour le maréchal de Richelieu, possédèrent successivement la seigneurie de Passy, où se bâtirent les hôtels du duc de Lauzun, du duc d'Aumont et de l'amiral d'Estaing. Lorsque Benjamin Franklin vint en France solliciter le concours de la France à l'émancipation des États-Unis, il logea à Passy, dans l'hôtel bâti par le duc d'Aumont, et qu'avait ensuite habité la duchesse de Valentinois. Au milieu de la société légère et guindée du XVIe siècle, le philosophe puritain fit sensation, avec ses longs cheveux blancs sans poudre, ses

lunettes, sa physionomie austère, son habit brun et son bâton de pommier. Celui dont Turgot a dit :

Eripuit cœlo fulmen, sceptrumque tyrannis,

posa sur le faite de la maison qu'il habitait un des premiers paratonnerres qu'on ait vus en France. C'est aussi à Passy, en 1824, que fut jeté dans le jardin de M. Delessert le premier des ponts suspendus.

A Passy vint loger, peu de temps avant la Révolution, un banquier hollandais, Jean-Conrad Kock, né en 1756 à Heusden, ville du Brabant septentrional. Réfugié en France à la suite des troubles de 1787, il entra comme commis chez MM. Giraudeau, Alez, et devint associé de la maison de banque Sertorius. Partagé entre la politique et les opérations financières, il se lia avec les membres influents de la commune et du club des Cordeliers. Il était du parti violent qui proclama le culte de la Raison, poussa aux mesures extrêmes, et voulut dicter des lois à la Convention. Il réunissait à Passy le rédacteur du Père Duchesne, Hébert, dont la femme avait été religieuse au couvent de la Conception-Saint-Honoré; Ronsin, commandant de l'armée révolutionnaire; Vincent, secrétaire général du département de la guerre; Michel Laumur, gouverneur de Pondichery; le Prussien Anacharsis Clootz, Montmoro, Perreyra et Proly. Ces conciliabules furent signalés par Camille Desmoulins dans le n° du Vieux Cordelier: « Toi qui me parles de mes sociétés, s'écriait-il en apostrophant Hébert, crois-tu que j'ignore que tes sociétés, c'est une femme Rochechouart, agent des émigrés; c'est le banquier Kock, chez qui, toi et ta Jacqueline, vous passez à la campagne les beaux jours de l'été? Penses-tu que j'ignore que c'est avec l'intime de Dumouriez, le banquier hollandais Kock, que le grand patriote Hébert, après avoir calomnié dans sa feuille les hommes les plus purs de la République, allait, dans sa grande joie, lui et sa Jacqueline, boire le vin de Pitt et porter des toasts à la ruine des réputations des fondateurs de la liberté? »

Dénoncés par Saint-Just à la tribune de la Convention, les hébertistes furent cenduits devant le tribunal révolutionnaire, et l'accusateur public, Fouquier-Tinville, n'oublia pas les diners de Passy. « Il paraît, dit-il, que c'est chez le banquier hollandais Kock, à Passy, que se rendaient les principaux conjurés; que là, après avoir médité dans l'ombre leur révolte criminelle et les moyens d'y pourvoir, ils se livraient, dans l'espoir d'un succès complet, à des orgies poussées fort avant dans la nuit. »>

Après de courts débats, Jean-Conrad Kock et les autres partisans d'Hébert furent condamnés à mort et exécutés le 4 germinal an 11 (24 mars 1794), « comme convaincus d'être auteurs ou complices d'une conspiration contre la liberté, la sûreté du peuple français, tendant à troubler l'État par une guerre civile, en armant les citoyens les uns contre les autres, et par suite de laquelle les conjurés devaient dissoudre la représentation nationale, assassiner ses membres et détruire le gouvernement républicain pour donner un tyran à l'État. »

Peu de jours avant de mourir pour une cause politique, JeanConrad Kock avait souri à son premier-né, et cet orphelin hollandais, sur le berceau duquel rejaillissait le sang de son père, cet enfant qui grandit au milieu des discordes civiles, est devenu le plus jovial des romanciers français !

C'est Paul de Kock.

Au reste, la Terreur épargna Passy. Ses élégantes villas, ses frais jardins n'étaient faits que pour abriter ceux qui cherchaient l'oubli loin de la scène politique. Quoiqu'il eût nourri dans son sein les plus fougueux démagogues, Passy assista aux événements avec une philosophique indifférence. La faction des athées y passa sans le détourner de son culte, et quand les autels étaient renversés, il conserva tranquillement le dernier curé institué en 1773 par les religieux de Saint-Barnabé. L'abbé Chauvet ne cessa point ses fonctions, en dépit des orages révolutionnaires, fut maintenu par le concordat, et mérita que la ville lui élevât un mausolée avec cette touchante épitaphe

« Ci-git Pierre-Antoine Chauvet, curé de Passy pendant plus d'un demi siècle, né à Château-Thierry, le 14 décembre 1739, décédé au milieu du troupeau qu'il aima et qui chérit sa mémoire, le 8 juin 1827. Prions Dieu pour le repos de son âme. Érigé par son neveu, sa nièce, et les habitants de Passy. »

En 1828, Benjamin Delessert fonda à Passy deux écoles destinées aux enfants de chaque sexe. La construction et l'entre

tien de ces deux écoles, tant au matériel qu'au personnel, furent à sa charge jusqu'à son décès. Indépendamment des prix et encouragements délivrés annuellement aux élèves aux frais de B. Delessert, il donnait huit livrets de la caisse d'épargne de 30 fr. chaque quatre livrets étaient remis aux garçons et quatre aux jeunes filles.

Passy s'embellit sous l'administration de M. Possoz, nommé maire en 1834, révoqué en 1848 et replacé en 1852. Cependant, cette ville n'apporte pas à Paris de monuments sérieux. L'église ne se composa d'abord que d'une nef et d'une aile gauche; on ajouta plus tard une aile droite et une chapelle dédiée à saint Augustin. Le remaniement total du monument fut accompli de 1845 à 1856, sous la direction de l'architecte Debressenne. Le plafond est à compartiments de bois carré et doré. Audessus de l'autel sont des fresques de Gabriel Bouré, qui représentent Adam et Eve chassés du Paradis, avec cette inscription: Ipsa conteret caput tuum; l'Annonciation, avec les mots de l'évangile de saint Luc: Ave, gratiá plena; le Sacrifice d'Abraham, dont la légende est : Benedicentur in semine tuo omnes gentes terræ.

Les vitraux de l'église sont de la fabrique des carmélites du Mans et donnés par le conseil municipal. L'orgue est dentelé avec délicatesse. A l'entrée sont les statues de saint Augustin et de sainte Bathilde par Teras.

Les frères des écoles chrétiennes et leur supérieur général, le frère Anaclet, avaient fondé un pensionnat au faubourg SaintMartin au mois de janvier 1837. Cet établissement, transféré à Passy le 8 avril 1839, prit possession de l'hôtel de Valentinois. Le frère Théotique, qui le dirigeait, dressa les plans d'un nouvel édifice, dont la première pierre fut bénie le 20 juin, en présence du frère Philippe, supérieur général des frères des écoles chrétiennes; de MM. François Salacroux, curé de Passy; Frédéric Possoz, maire; Hugues Vital, adjoint; J.-B. Vernier, aumònier du pensionnat; Desplan, architecte, et François Tanneveau, entrepreneur. Une aile, ajoutée en 1853, renferme la lingerie et l'infirmerie. Les membres de la communauté ont contribué à l'embellissement de leur chapelle; un d'eux a confectionné les orgues, d'autres ont rangé des saints en procession le long des parois, semé des allégories mystiques sur les compartiments du plafond, et groupé au fond du sanctuaire le couronnement de Marie.

De la communauté des Frères de Passy dépendent quatre autres établissements: 1° l'école gratuite pour les enfants de la ville, ouverte en 1848 par le pensionnat; elle compte 2 frères et 180 élèves; 2o l'école du soir pour les adultes, commencée en 1849 par le frère Théotique; elle dure tout l'hiver et réunit habituellement de 80 à 103 ouvriers; 3° la maîtrise de NotreDame-de-Grâce, fondée en 1856, par M. Locatelli, curé de Passy, pour les enfants de chœur de la paroisse; 4o l'école gratuite de la plaine de Passy, établie par le conseil municipal.

La population de Passy, qui n'était en 1831 que de 4,200 habitants, s'est élevée en 1839, à 5,702; en 1846, à 8,657; en 1856, à 17,594.

Cette augmentation, qui ne s'est pas ralentie, a nécessité l'établissement de nouveaux quartiers dans la plaine de Passy. Entre l'ancienne ville et les barrières démolies, s'est créé le quartier dit de la Plaine, sous la direction de M. Mamby. Une propriété appartenant à M. Guichard est devenue un nouveau quartier, coupé par six rues qui sont pourvues d'égouts, de conduites d'eau et de gaz. Sur les ruines de l'ancien château s'est élevé le hameau de Boulainvilliers, et le nom de Villa Béranger a été donné à un assemblage de chalets et de kiosques ombragés de lilas et de marronniers.

Une des maisons de campagne de Passy, justement nommée Beau-Séjour, servait jadis de retraite à un ermite, frère Paolo. Mais en acquérant le terrain, le père La Chaise, confesseur de Louis XIV, y planta des arbres qui ont prospéré et qui justifient pleinement l'épithète élogieuse accordée à cette résidence.

Au milieu d'un autre jardin sont des eaux minérales assez estimées. Pour obtenir des eaux naturelles, la ville de Paris a fait forer dans la plaine de Passy un puits artésien qui, d'après les probabilités les mieux établies, ne trouvera la couche des sables verts qu'à 545 mètres au-dessous du sol. Commencés à la fin de septembre 1855, les travaux sont dirigés par M. Kind, inventeur des procédés particuliers du forage dont l'instrument principal est un trépan du poids de 1,800 kilos, armé de cinq dents en acier fondu. Ce trépan est suspendu à une série de tiges en sapin de 10 mètres de longueur, et de 0,9 d'équar

rissage, réunies les unes aux autres par des armatures en fer et à pas de vis semblables à ceux des tiges à sonde ordinaire. Entre la dernière tige de bois et le trépan se trouve un déclic des plus ingénieux, appelé par M. Kind instrument à chute libre. A l'aide de cet appareil, le trépan, soulevé à 0,60 c. de hauteur, peut retomber sans entraîner avec lui le système des tiges de suspension et venir frapper de tout son poids pour les désagréger et les broyer, les matières qui forment le fond du trou de sondage.

Le mouvement de soulèvement et de chute de tout l'appareil de sondage qui vient d'être décrit, s'opère à l'aide d'un cylindre à vapeur vertical de dix chevaux de force environ. La tige du piston est fixée à l'extrémité d'un fort balancier en bois dont l'autre extrémité supporte les tiges de suspension du trépan.

A chaque soulèvement de l'appareil opéré par le balancier, deux ouvriers sondeurs placés à l'entrée du puits impriment aux tiges un mouvement de rotation pour que les dents du trépan atteignent successivement tous les points de la surface du fond du trou de sondage.

Lorsque les chocs successifs du trépan ont approfondi le trou de sondage d'un mètre environ, on le ramène à la surface, au moyen d'une seconde machine à vapeur, en dévissant et détachant successivement toutes les tiges de suspension. La descente du trépan s'opère par le même procédé en sens inverse. L'enlèvement des produits broyés au fond du trou de sonde s'effectue à l'aide d'une cuillère ou seau en tôle cylindrique de 0,80 centimètres de diamètre sur un mètre de hauteur, dont le fond est formé de deux clapets assemblés à une charnière suivant le diamètre et s'ouvrant seulement de bas en haut. La cuillère est montée et descendue au fond du puits, comme les tiges du trépan, par la machine à vapeur. Arrivée au fond du puits, on imprime à la cuillère quelques secousses pour y faire pénétrer les boues, puis on la remonte et on la vide dans un canal disposé à cet effet à côté du chantier de sondage.

Le personnel de l'atelier n'est composé que d'un chef sondear, de quatre sondeurs, d'un mécanicien, d'un chauffeur et de trois forgerons.

Les travaux ont été retardés plusieurs fois par de graves accidents. Ils sont arrivés aujourd'hui à un degré d'avancement qui permet d'espérer leur prompt achèvement.

Ce puits artésien est destiné aussi à alimenter d'eau les arrondissements de la rive droite de Paris.

On a construit d'immenses réservoirs au point le plus élevé de la plaine de Passy, en dehors de la barrière dite des Bassins, l'angle de la rue du Bel-Respiro. Les murs de ces réservoirs, établis tout en meulières et en ciment romain, n'ont pas moins de trois mètres d'épaisseur. Ils peuvent contenir environ un million d'hectolitres d'eau provenant du puits artésien. On achève l'établissement des conduits destinés à distribuer cette puissante masse d'eau dans les différents quartiers. On suppose que les eaux pourront monter, sans une trop forte perte de charge, jusqu'à 23 mètres au-dessus du sol, où elles arriveront dans un bassin supérieur d'où elles seront distribuées pour les divers usages auxquels on les destine. Le tube ascensionnel et le réservoir seront établis dans une tour en fonte, à claire voie, qui formera un monument remarquable par sa légèreté et les dispositions toutes nouvelles de sa construction.

Avec tous les agréments qu'il offre, Passy a réuni des hôtes célèbres, entre lesquels nous pouvons citer Raynouard, écrivain qui a laissé d'estimables travaux historiques, mais dont les tragédies, longtemps admirées, sont tombées dans le plus juste oubli, moins cet hémistiche:

Les chants avaient cessé.

Une nomenclature serait trop longue, mais nous ne pouvons nous dispenser de mentionner parmi les habitants de Passy. Le comte Las-Cases, le comte Portalis, les docteurs Orfila et Scipion Pinel, Béranger, Brazier et Dumersan; Jules Janin, qui s'est fait construire un chalet suisse enjolivé de mosaïques romaines; Honoré de Balzac; Louis Jourdan; les acteurs Bouffé, Levasseur, Auriol, Chollet, Ponchard, Gueymard, Bressant; Mues Contat, Mainvielle Fodor, Émilie Boisgonthier, Fanny Cerrito, Mathilde Marquet, Guyon, Laurent, Plessy, Rose Chéri. Mais Auteuil va nous offrir des célébrités littéraires et dramatiques plus grandes encore.

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Autenil. lai.

CHAPITRE IV.

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Les vignes d'Auteuil. Molière et ses amis. Le frère Le souper d'Auteuil. - - Mondorge. Molière et le pauvre, - Le jardinier de Boileau. -Racine déclamant. La bourse de mille louis. - Impromptu de Voltaire. Les Arlequines et les Scaramouches.- Vers de Chénier.- La princesse de Carignan. - Église d'Auteuil. La source ferrugineuse.

Avant d'être un quartier de Paris Auteuil était un bourg de l'arrondissement de Saint-Denis. Ce fut d'abord la seigneurie d'Altolium, Altaulium ou Autolium, seigneurie productive dont les vignobles n'étaient pas à dédaigner. Elle appartenait à l'abbaye du Bec, qui l'échangea en 1109, avec l'abbaye de Sainte-Geneviève, contre des terres sises à Vernon. L'acte d'échange fut confirmé par Louis le Gros et par Henri Ier, roi d'Angleterre et duc de Normandie.

Quelques-unes des vignes d'Auteuil appartenaient aux chanoines de Notre-Dame de Paris, qui en donnaient le revenu à la cathédrale, à la condition que le jour anniversaire de leur décès, il serait fait un repas à quatre services. Ces chanoines prévoyants voulaient faciliter à leurs successeurs des jouissances gastronomiques qu'ils avaient eux-mêmes goûtées.

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Auteuil devint, au XVIIe siècle, une sorte de Parnasse. Les littérateurs s'y donnaient rendez-vous deux maisons, celle de Molière et celle de Boileau, étaient le centre de leurs réunions. Là venaient La Fontaine, Racine; l'épicurien Chapelle et le moraliste Pierre Nicole; Lulli, Jonsac, Nantouillet, Brossette; du Trousset de Valincour, gentilhomme de lettres, collègue de Boileau dans la charge d'historiographe; Jacques de Tourreil, traducteur des Philippiques de Démosthène; Baron, qui débutait dans la carrière dramatique.

Molière, que beaucoup de gens s'imaginent avoir été pauvre, parce que c'était un homme de génie, vivait dans l'aisance,

grice à ses bénéfices d'acteur et d'auteur. Il faisait le voyage d'Auteuil à Paris sur un bateau qu'il avait frété. Un matin, se trouvant après déjeuner sur le bord de la Seine avec Chapelle et le jeune comédien Baron, il voit arriver un moine qui les prie de vouloir bien lui faire remonter la rivière jusqu'au couvent des Bons-Hommes.

Le moine est admis; ravis de l'occasion d'avoir l'avis d'un frère minime sur des questions théologiques ou philosophiques, Molière et Chapelle interrogent à plusieurs reprises le religieux, après avoir parlé avec chaleur de Descartes, de Gassendi et d'Épicure.

Le moine se contentait de répondre par des sons à peine articulés.

- Cependant, dit Chapelle, Descartes n'est-il pas comme un de ces inventeurs qui organisent une belle machine sans tenir compte de l'exécution? Le système des atômes crochus n'est-il pas contraire à une multitude de faits observés?

Hum! se contenta de dire le minime, qui semblait approuver l'opinion de Chapelle.

Molière riposta, et lorsqu'il se fut exprimé avec son éloquence naturelle, le moine se crut obligé par la politesse à faire des signes d'adhésion; mais il n'articula pas une seule syllabe compréhensible.

Après de longs débats, auxquels le bonhomme avait assisté avec la plus grande impassibilité, en se bornant à une pantomime qui pouvait passer pour un assentiment aux yeux de chacun des ergoteurs, on arriva à Passy. Le religieux prit tranquillement sa besace, remercia ses hôtes et disparut.

En demandant des renseignements sur son compte, Molière et Chapelle apprirent que c'était un frère lai qui savait à peine le français. Les deux philosophes furent désolés de s'être mis en frais d'éloquence pour essayer de produire de l'effet sur un auditeur incompétent, et Molière dit à Baron:

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- Voyez, petit garçon, ce que fait le silence quand il est observé avec conduite!

Boileau, La Fontaine, Chapelle, Baron et plusieurs autres gens de lettres se trouvaient à souper chez Molière. Ce dernier, depuis quelque temps, ne vivait que de lait et se couchait de bonne heure. Il quitte ses convives pour se mettre au lit, et son absence ne refroidit pas la gaieté du festin. Le vin, largement servi, échauffe peu à peu les têtes, et la conversation tombe sur les malheurs de la vie. On trouve qu'il n'est rien de si triste que notre existence, que nos jours sont monotones ou livrés aux chagrins, que la vie n'est qu'une chaine de misères, et qu'il est sage de s'en débarrasser tout d'un coup; on conclut par le projet d'aller tous ensemble se noyer dans la Seine. Il est accueilli avec transport. La Fontaine envoie un exprès avertir qu'il ne rentrera pas chez lui ce soir, et, en avalant une dernière rasade, on s'écrie unanimement :

- Allons, mes amis, mourons avec courage! Baron, qui avait un peu moins bu que les autres, court prévenir Molière. Celui-ci, effrayé, s'élance hors de son lit; mais tandis qu'il s'habille, les convives arrivent à la rivière et s'emparent d'un bateau pour prendre le large et se noyer au beau milieu. Quelques paysans et des domestiques, instruits de leur dessein, se jettent avec eux dans le bateau pour les retenir. Furieux de cet obstacle, ils mettaient l'épée à la main, lorsque Molière se montre :

- Eh! que vous ont donc fait ces gens-là? s'écrie-t-il.

- Comment! lui répond Boileau avec emportement, ces coquins veulent nous empêcher de nous jeter dans la rivière! Écoute, mon cher Molière, tu as de l'esprit, vois si nous avons tort. Fatigués des peines de ce monde-ci, nous avons résolu de passer dans l'autre. La rivière nous a paru le plus court chemin pour nous y rendre, et ces marauds nous l'ont bouché!

- Fort bien! dit Molière; mais je vous croyais de mes amis.

Quoi! Messieurs, vous entreprenez une action qui doit vous immortaliser, et vous oubliez de m'associer à votre gloire!

Il a raison, dit Chapelle, nous nous conduisons mal avec lui. Oublie cette faute, mon cher, et viens te noyer avec nous... C'est bien mon intention. Mais un moment; songeons à ce que nous allons faire. Nous voulons nous illustrer, et nous nous y prenons nuitamment! N'est-ce pas donner des armes à l'envie, toujours prête à rabaisser les belles actions! Ne pourrat-elle pas dire, si nous procédons immédiatement après souper, que c'est plutôt le vin que notre raison qui nous a conduits? Non, mes amis; c'est demain, à jeun, en plein midi, qu'il faut nous jeter à l'eau.

Bien raisonné! s'écria Chapelle. Morbleu! Molière a toujours plus d'esprit que nous.

Ils allèrent tous se coucher, et le lendemain, on n'eut plus besoin de se battre avec eux pour les empêcher de se noyer. Baron amena un jour à Auteuil Mondorge, un comédien sans emploi et sans ressources, et entra d'abord pour l'annoncer. - Ce pauvre diable n'ose se montrer, dit-il, tant sa toilette est délabrée.

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Je le connais, dit Molière; il a été mon camarade en Languedoc; c'est un honnête homme; que pensez-vous qu'il faille lui donner?

- Quatre pistoles, dit Baron après avoir hésité un instant. Eh bien! répliqua Molière, je vais les lui donner pour moi; donnez-lui pour vous ces vingt autres que voici. Mondorge parut: Molière l'embrassa, l'engagea à reprendre courage, et joignit au présent qu'il lui faisait un magnifique habit de théâtre pour jouer les roles tragiques.

Ce fut en revenant d'Auteuil à Paris avec le musicien Charpentier que Molière, ayant donné par mégarde un louis d'or à un mendiant qui s'empressa de le lui rapporter, s'écria: «Où la vertu va-t-elle se nicher? Tiens, mon ami, en voici un autre. »

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