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ICI EST LE TOMBEAU

DE TRÈS-ILLUSTRE ET TRÈS-PIEUSE
PRINCESSE MADAME ALIX DE SAVOYE, REINE DE FRANCE,
FEMME DE LOUIS VI DU NOM, SURNOMMÉ LE Gros,
MÈRE DE LOUIS VII DIT LE JEUNE,

ET FILLE

DE HUMBERT II, COMTE DE SAVOYE, ET DE GISTE DE BOURGOGNE,
SOEUR DU PAPE CALISTE II.

Ci-git Madame Alix, qui de France fut reine,
Femme du roi Louis sixième dit le Gros,

Son âme vit au ciel, et son corps au repos
Attend dans ce tombeau la gloire souveraine.
Sa beauté, ses vertus la rendirent aimable
Au prince son époux comme à tous ses sujets;
Mais Montmartre fut l'un de ses plus doux objets
Pour y vivre et trouver une mort délectable.
Un exemple si grand, ô passant! te convie
D'imiter ce mépris qu'elle fit des grandeurs;
Comme elle, sèvre-toi des plaisirs de la vie,
Si tu veux des élus posséder les splendeurs.

Les premières abbesses de Montmartre furent: Adélaïde, venant du couvent de Saint-Pierre de Reims, Christine de Courtebrome (1137); Élisabeth (1179); Héloïse ou Helisende I (1218); Pétronille (1239); Agnès I (1247); Émeline (1260); Héloïse ou Helisende II (1264); Mathilde de Frenoy (1270); Alips de Dou (1280).

La fille de Louis le Gros, Constance, comtesse de Toulouse, chargea les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem de payer chaque année cent sous à un chapelain qui prierait pour la famille royale et pour l'àme de Louis VII dans la chapelle du Martyre. Ce diminutif de basilique avait un renom populaire; on croyait généralement qu'il avait été édifié en mémoire de la décollation de saint Denis. L'apòtre des Parisiens, d'après la tradition, avait eu un long chemin à faire avant d'arriver au lieu de son supplice, et sept stations commémoratives avaient été instituées à Notre-Dame-des-Champs, à Saint-Étienne-desDenis-du-Pas, petite chapelle située derrière le chevet de Notre-Dame; à Saint-Denis-de-la-Chartre, où l'apôtre des Gaules passait pour avoir été mis en prison; à la chapelle du Martyre; enfin à l'abbaye de Saint-Denis.

Hormer, écuyer de Philippe le Bel et seigneur d'une partie de Montmartre, assigna 26 livres à l'entretien d'un second chapelain qui devait prier pour le roi, pour la reine, pour Philippe le Hardi et pour sa femme. Des lettres royales, datées de Poissy, au mois d'octobre 1304, autorisèrent cette donation. Elle fut approuvée par Guillaume de Baufet, évêque de Paris, et par l'abbesse Ade de Minus; mais celle-ci n'oublia pas de se réserver le droit de nomination et de collation des chapelains; Le droit de les appeler à correction s'ils ne remplissaient pas leurs devoirs ;

Le droit de démolir la maison des chapelains ou de s'en accommoder;

Le droit de faire construire à la place un prieuré ou tel bàtiment qu'il conviendrait pour la commodité du monastère, à la charge toutefois de donner un autre logement aux chapelains;

Le droit de percevoir toutes les offrandes qui seraient apportées à la chapelle;

Le droit de permettre ou de défendre aux chapelains tout service extraordinaire.

La communauté de Montmartre et la chapelle du Martyre étaient alors à l'apogée de leur prospérité; les fidèles y venaient de toutes parts. Jean XXII, en l'an 1320, avait accordé une indulgence perpétuelle d'une année à tous ceux qui visiteraient l'église de l'abbaye le jour de la fête de saint Denis, et quarante jours pour chacun des jours de l'Octave.

Le mardi de la semaine de la Passion et le lundi des Rogations, les chanoines de Notre-Dame de Paris allaient faire une station en l'église du couvent. Les religieux de Saint-Denis, à Pâques ou à la Pentecôte, venaient tous les sept ans honorer le lieu où était mort le premier évêque de Paris. On y portait sa tête, que les nonnes venaient baiser dévotement pendant qu'un Te Deum était chanté.

Dans toutes les grandes circonstances, le peuple gravissait la colline pour y venir implorer l'assistance divine. On lit dans Juvénal des Ursins qu'à la suite de l'accident que nous avons relaté, et dont le roi faillit être victime, Charles VI et toute la

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famille royale « allèrent en pèlerinage à la chapelle des Martyrs, au pied de Montmartre, pour revenir à Nostre-Dame en dévotion; et estoit le roy seul à cheval; ses frères et oncles et autres du sang, et foison de gentils hommes nuds-pieds, et, en cet estat vinrent jusqu'à Nostre-Dame où ils furent reçus par l'évesque, chanoines, chapelains et gens d'église bien honorablement; firent leurs offrandes et oraisons et y eut une très belle messe chantée, et maintes larmes des yeux jettées en remerciant Dieu de la grâce qu'il a faite au roy. » En 1412, le duc de Bourgogne ayant ordonné des processions publiques, elles furent terminées par une station de toutes les paroisses de Paris, faite le 6 janvier à la chapelle du Martyre.

L'église des Dames était riche en reliques. On y voyait entre autres un morceau de la robe de Jésus-Christ, une dent de la reine Berthe, des ossements des martyrs de Montmartre, de saint Laurent, saint Jacques, saint Barthélemy, saint Mathias, sainte Agnès, sainte Lucie, saint Patrice, sainte Euphrosine, sainte Luce, saint Paul, saint Philippe, sainte Berthe, sainte Béatrice, saint Nicolas, sainte Julienne, saint Blaise, sainte Thècle, saint Sébastien, saint Éric, roi de Suède, saint Fructueux, saint Constant, saint Ferdinand, sainte Marine, etc.

Investie du droit de haute, moyenne et basse justice, l'abbaye de Montmartre avait un tribunal qui siégeait à Paris, rue de la Heaumerie, et qu'on appelait le for des dames (forum dominarum). Des lettres de Charles V, accordées au mois de juin 1364 à l'abbesse Jeanne III de Mortaris, enjoignaient à ses officiers de protéger et défendre le monastère comme étant de fondation royale. Par un bref donné à Avignon en 1365, Urbain V excommunia quiconque détiendrait à tort les biens de l'abbaye. Cette disposition fut confirmée par Grégoire VI, à la demande de l'abbesse Isabelle de Rieux.

Outre les jardins et les marais qu'elle possédait au bas de la butte et qui s'étendaient jusque sous les murs de Paris, l'abbaye avait des propriétés dans les quartiers St-Denis et St-Martin. L'abbesse Jeanne II de Valengomard, en 1330, en céda une partie pour l'établissement de l'hôpital de Saint-Juliendes-Ménétriers; mais elle eut soin de se réserver la justice, et elle stipula que les administrateurs de l'hôpital serviraient chaque année à l'abbaye une rente de 168 livres d'amendement dans six ans. Des actes passés en 1290 par l'abbesse, Adeline d'Antilles, prouvent que le couvent était propriétaire de pierres à poissons et de la maison où étaient établis les étaux de la grande boucherie. Il avait des domaines en Gâtinais; des domaines à Chaumontel, à Chelles, à Compiègne; des domaines au village des Menus, dont l'abbesse Jeanne de Repenti, élue en 1317, abandonne cinq arpents à des pèlerins qui venaient de Boulogne-sur-Mer, à la condition d'y bâtir une église. Sur la rivière d'Essonne était un moulin appelé le Moulin-desDames de Montmartre; et dont la porte était surmontée de leur blason. Toutefois, le procureur du roi en la châtellenie de Grès, au bailliage de Sens, au mépris des droits de l'abbaye de Montmartre, fit effacer les armes conventuelles, et les remplaça par une fleur de lis. Quelque temps après, la châtellenie de Grès ayant été donnée à la reine Blanche, l'abbesse et les religieuses de Montmartre lui présentèrent requête en se plaignant qu'elles étaient troublées dans leur possession. Après enquête faite, il fut décidé, par sentence rendue aux assises de Grès, du 25 juin 1356, que la possession des religieuses était immémoriale et légitime, et que les armes de l'abbaye, réunies à la fleur de lis, qui serait au-dessous ou à côté, suivant le bon plaisir de l'abbesse, orneraient la façade du Moulin-des-Dames. Hélas! les discordes politiques troublèrent le calme du monastère, dont les comptes de 1382 portent ce triste et significatif alinéa :

«Item, le vendredi 16 janvier, payé pour les dépenses de Gérard, chevaucheur du roi, notre sire, et de plusieurs autres pour défendre aux gens d'armes qu'ils ne fissent aucun mal à l'église, pour ce XII s. 4 d. »

Le procureur de l'abbaye, Jean Frogier, rédigea en 1394 un exposé si navrant de la situation de l'abbaye, qu'Isabelle de Rieux donna sa démission. Les abbesses qui lui succédèrent, Jeanne IV de Coudray et Simone de Harville, ne relevèrent pas les affaires du couvent. Agnès Desjardins, qui le dirigeait en 1436, fut poursuivie par ses créanciers et déposa son bilan. Ce compte établit :

1° Que l'abbesse ne résidait point au monastère, mais à Paris, dans une maison de la rue Saint-Honoré, dit l'hôtel du Plat-d'Etain;

2o Que le receveur du domaine du roi ne payait plus une rente de trente-cinq livres qu'il devait annuellement à l'abbaye;

30 Qu'aucun revenu n'arrivait des biens de la campagne, et cela parce qu'on n'osait pas aller faire les collectes à Chaumontel, à Chelles, à Torfou, à Compiègne, etc;

40 Que toutes les terres du Gâtinais étaient réduites à vingtsix livres de ferme qui encore n'étaient plus payées; que nombre de dîmes importantes étaient réduites à un muid de grain, parce que les terres étaient généralement abandonnées et sans culture.

Charles VII nomma le prévôt de Paris, Robert d'Estouteville, gardiateur de l'abbaye de Montmartre. L'abbesse, en 1451, gagna un procès contre le curé Anceau-Langlois, qui voulait s'approprier les dîmes. Pérenelle La Hasrasse, qui succéda à Agnès en 1463, réalisa quelque argent en vendant le droit de chasser des lapins sur la butte à Arnould, marchand chandelier du faubourg Saint-Marceau. On refit une partie de l'église qui tombait en ruines; mais les promenades perpétuelles des soudards rendaient aléatoires les revenus les plus certains. La chronique de Jean de Troyes, à l'année 1475, dit que le lundi 9 septembre, les Bretons et les Bourguignons envahirent Montmartre et y vendangèrent quoique les raisins ne fussent pas murs.

:

Par une ordonnance du 4 février 1468, Louis XI institua une commission chargée d'administrer le temporel de l'abbaye, d'interrompre les poursuites contre le monastère, de faire rentrer les revenus et sommes dues. De toutes les recettes, elle devait former trois parts à employer, savoir la première, pour la nourriture et entretien de la communauté; la deuxième, pour l'entretien des bâtiments et les frais de culture; la troisième, pour l'acquittement des dettes. En 1493, à l'occasion de son avénement au tròne pontifical, Alexandre VI confirma et ratifia par une bulle, non-seulement toutes les immunités, franchises et priviléges accordés autrefois à l'abbaye par ses prédécesseurs, mais encore toutes les donations qui lui avaient été faites, tant par les rois et les princes que par les particuliers.

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A la Saint-Rémy, 4 fr.;

Pour la quarantaine (carême), 6 fr. ;

Deux boisseaux de pois;

Une pinte d'huile de noix;

Un quart de sel.

Marguerite Langlois, qui avait pris possession du pouvoir en 1477, ne trouva au couvent de Montmartre que sept religieuses qui observaient peu la clôture et que de fréquents rapports avec des étrangers avaient nécessairement excitées à la dissipation. Elle entreprit de les réformer, mais elle ne vécut pas assez pour accomplir son œuvre. Un des actes de cette abbesse fut la concession d'une clef de la chapelle du Martyre à la confrérie des orfévres de Paris; ils y tenaient leurs assemblées, mais ils étaient obligés d'aller demander la clef à l'abbesse. Elle la leur abandonna moyennant une reconnaissance ainsi conçue: « Jean Lecointre, Guillaume Dupré, Guillaume Aubin et Laurent Cormier, orfévres et bourgeois de Paris, au nom et comme maistres et gouverneurs de la confrairie de monsieur Saint-Denys-des-Martyrs-lez-Montmartre confessent qu'à leurs prière et requeste, religieuse et honneste dame l'abbesse de Montmartre leur avoit donné et baillé une clef pour ouvrir et clorre la dicte chapelle Saint-Denys-des-Martyrs pour y faire dire et célébrer les messes de la dicte confrairie afin de les relever des peines et travaux qu'ils avoient d'aller quérir icelle clef à chacune fois à la dicte abbaye. Sous telle condition que les dicts maistres seront tenus et promettent de rendre, restituer et remettre en la main de la dicte abbesse icelle clef

toutes et quantes fois il plaira à icelle abbesse. Promettants et obligeants et renonçants et aux dicts noms : Faict et passé le dimanche xxv jour du mois de décembre de l'an 1483. »

En 1503, Étienne Porcher, évêque de Paris, mit dans l'abbaye de Montmartre, sous la direction de Marie Cornu, des religieuses de l'ordre de Fontevrault, tirées des prieurés de la Magdelaine-lez-Orléans et de Fontaines, dans le diocèse de Senlis. Un règlement nouveau fut dressé par le prélat et confirmé par Georges d'Amboise, cardinal, légat du pape Jules II: le costume blanc fut substitué au costume noir, et l'élection des abbesses, au lieu de se faire à vie, devint septennale. Dans la première cour du couvent fut installée une sorte de communauté d'hommes désignés sous le nom de religieux de Montmartre. Elle se composait de prêtres et de laiques : c'étaient les prêtres desservant le couvent et leurs serviteurs.

Montmartre fut le berceau de l'ordre des jésuites. Après avoir porté les armes, Ignace de Loyola s'était voué à l'étude, à la pénitence et à la méditation; peu content du savoir des docteurs de Barcelone et de Salamanque, il était venu, à trentesept ans, se perfectionner dans la théologie et dans la philosophie scolastique aux colléges de Montaigu et de Sainte-Barbe. L'idée lui vint d'organiser, sous le nom de Compagnie de Jésus, une société de religieux qui, vivant au milieu du monde, se mêleraient aux affaires temporelles pour assurer l'intégrité de la foi et la prédominance de l'autorité pontificale. Ignace s'associa Pierre Lefèvre, prêtre savoyard; François Xavier, professeur de philosophie au collège de Beauvais; Jacques Lainez, Nicolas Bobadilla, Simon Rodriguez et Alphonse Salmeron.

Le 15 août 1534, il les mena dans l'église souterraine de la chapelle du Martyre. Pierre Lefèvre leur dit la messe, leur donna la communion, et ils firent tous vœu d'aller convertir les infidèles en Orient, et préalablement de se rendre à Rome pour se mettre à la disposition du pape. Salmeron fut le premier docteur qui révéla dans ses écrits le véritable but de l'ordre des jésuites, en proclamant que le saint-père avait le droit d'instituer ou de déposer les rois, et que c'était à lui que s'appliquait ce passage de Jérémie : « J'ai mis ma parole dans votre bouche, je vous ai établi sur les nations et sur les royaumes, afin que vous arrachiez et détruisiez, que vous renversiez et dissipiez, que vous bâtissiez et plantiez. »

Dans la chapelle du Martyre fut scellée plus tard une plaque de bronze doré qui portait ces mots :

Siste, spectator, atque in hoc Martyrum sepulchro probati Ordinis cunas lege.

Societas Jesu

Quæ sanctum Ignatium Loyolam Patrem agnoscit, Lutetiam matrem, Auno salutis M.DXXXIV.

Aug. XV.

Hic nata est

Cum Ignatius ipse et socii,
Votis sub sacrâ synaxim
Religiosè conceptis,

Se Deo in perpetuum.
Consecraverunt.

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l'Assomption, un membre de la Compagnie de Jésus y prêchait. La protection d'un ordre qui grandissait au milieu des obstacles porta bonheur à l'abbaye de Montmartre; elle revit de beaux jours sous le règne d'Antoinette Auger: son personnel s'accrut et s'épura. Des jeunes filles, dont la place eût été honorable et même brillante dans le monde, comme Catherine Séguin, Anne de la Rochebout, Madeleine Le Charron, vinrent s'enfermer dans le cloître de la sainte montagne; la piété et le recueillement reparurent et prirent des proportions presque héroiques. Ainsi, Jeanne Lelièvre, fille d'un avocat au parlement, élevée, en 1540, au premier rang par le suffrage de ses compagnes, fut tellement blessée dans son humilité qu'elle en mourut! C'est du moins à cette cause que de pieux auteurs attribuent son décès prématuré.

L'élection, qui donnait l'autorité à de si dignes femmes, fut détruite en 1548. Diane de Poitiers avait une nièce religieuse au couvent des Dominicaines de Montfleury en Auvergne, Catherine de Clermont. L'abbaye de Montmartre vaquait, les seurs se disposaient à faire un choix; mais Diane intervint. Henri II, à la sollicitation de sa maîtresse, empêcha l'élection, et réserva aux rois le droit exclusif de nommer dorénavant l'abbesse. Catherine de Clermont quitta l'ordre de saint Dominique pour passer dans celui de saint Benoît, et aussitôt qu'elle eut permuté, Henri II lui donna l'abbaye.

ment sur

L'esprit mondain de la protectrice ne rejaillit pas heureuseprotégée, qui eut mené à bien la communauté sans un malheur imprévu. En 1559, le feu prit dans le dortoir de l'abbaye et fit de rapides progrès. Le roi, qui se promenait en ce moment dans la galerie du Louvre, aperçut les flammes et la fumée; il envoya une compagnie de Suisses au secours du couvent, mais elle arriva trop tard: une partie du bas-côté septentrional s'était écroulée; le feu avait dévoré le missel qui avait servi au pape Eugène III pour la consécration de l'église et les habits qu'avait revêtus saint Bernard dans cette circonstance mémorable. Les bâtiments où logeaient les religieuses avaient considérablement souffert; cependant le roi, dont on implora l'assistance, n'accorda qu'une somme de quarante écus. Diane de Poitiers elle-même fit cadeau à sa nièce de 400 livres. De mystérieuses funérailles s'accomplirent à Montmartre le 1er mai 1574. La veille, pour avoir essayé d'enlever de la cour le duc d'Alençon, La Mole et Annibal de Coconas avaient été décapités et mis en quartiers sur la place de Grève. Marguerite de Valois et la duchesse de Nevers vinrent recueillir ces restes sanglants et mutilés dans la petite église de Saint-Jean, où ils avaient été comme entreposés, et les emportèrent à Montmartre dans leurs carrosses, pour les ensevelir de leurs propres mains sous les dalles de la chapelle du Martyre.

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rusé seigneur de Beaulieu, et Pierre Forget, seigneur de Fresne. S'il faut s'en rapporter à des pamphlets de cette époque, comme la Confession catholique du sieur de Sancy, et les Amours du grand Alcandre, le vert-galant aurait séduit Claudine de Beauvilliers, et quelques-unes des religieuses auraient été entraînées à des désordres peu compatibles avec leurs vœux. Il est certain qu'après avoir levé le siége de Paris, le 1er août, le roi de Navarre emmena avec lui l'abbesse à Senlis, et qu'il lui fit une cour assidue jusqu'au jour où il vit à Compiègne la belle Gabrielle d'Estrées.

Henri IV affectionna toujours Montmartre. Le dimanche 25 juillet 1593, quand il eut fait son abjuration, il vint à cheval à Montmartre, s'agenouilla dans la chapelle du Martyre, devant la statue de saint Denis, et fit ensuite allumer un grand feu de joie sur la montagne. Ce fut pour lui que l'on bâtit, au pied de la butte, en pierres de taille et en briques, la jolie maison connue sous le nom de Château-Rouge, et qui appartint ensuite à la famille Feutrier. Il aimait à se promener sur la colline. L'historien Sauval raconte qu'un jour ce roi facétieux s'écria, en regardant Paris du haut de Montmartre : «Que je vois de nids de... maris trompés! » François Gallet, trésorier de France, se permit de dire : « Sire, je vois le Louvre. »

Sauval ajoute qu'à l'époque où la tranquillité commença à se rétablir en France, le monastère de Montmartre était dans un état déplorable: «la communauté n'avait que 2,000 livres de rente et en devait 10,000; le jardin était en friche et le mur par terre; le réfectoire converti en bûcher; le cloître, le dortoir et le choeur en promenades. A l'égard des religieuses, peu chantaient l'office; les moins déréglées travaillaient pour vivre et mouraient presque de faim; les jeunes faisaient les coquettes, les vieilles allaient garder les vaches et servaient de confidentes aux jeunes. » Nommée abbesse par le roi, en 1597, Marie de Bauvilliers entra en fonctions le 7 février 1598, et se mit courageusement à réformer ses religieuses. Elle composa pour leur usage un livre intitulé: Conférences d'une supérieure, et qui a été imprimé par les soins de M. Gaudreau, curé de Vaugirard. Marie de Beauvilliers ne négligea pas non plus les intérêts temporels. En 1608, les orfévres de Paris firent célébrer dans la chapelle du Martyre la fête de saint Denis et celle de la Dédicace. L'abbesse de Montmartre, qui solennisait ces fêtes, trouva qu'on attentait à ses prérogatives en lui faisant concurrence le jour même, et qu'on diminuait les offrandes qui devaient lui appartenir. L'affaire fut portée devant le parlement, qui, par arrêt du 6 avril 1609, ordonna que les orfévres pourraient continuer les offices divins dans la chapelle, et, avec la permission de l'abbesse, à qui devraient revenir toutes les offrandes, célébrer les fêtes le lendemain du jour où elles tombent. Cet arrêt fut confirmé par un deuxième, le 23 avril 1610, qui ajoutait que les religieuses ne devaient troubler en rien l'exercice du droit des orfévres, et enjoignait à ces dames de délivrer les clefs, en maintenant toujours que les offrandes, oblations ou aumônes faites à la chapelle reviendraient à l'abbaye. Un troisième arrêt, confirmatif des deux premiers, règle les heures des offices et les rapports qui devront exister entre l'abbaye et les orfévres, afin que chaque partie puisse, sans gêne, user de son droit.

Marie de Beauvilliers reçut de Henri IV une somme de 10,000 fr., au moyen desquels elle fit faire d'importantes réparations tant au monastère qu'à la chapelle du Martyre. Les ouvriers qui restauraient les fondations de cette dernière découvrirent un ancien souterrain, probablement creusé par les premiers chrétiens des Gaules, et on dressa de la découverte un procès-verbal que Dubreul rapporte en ces termes :

« L'an mil six cent onze, le 13e jour de juillet, après midy, par devant nous, Pierre Portat, noitaire de la chambre du roy, prévost de Montmartre, pour mes dames les religieuses, abbesse et couvent du dict Montmartre, estans au dictlieu, y seroit comparu maistre François du Bray, receveur et procureur des dictes dames; lequel nous auroit remonstré que les dictes dames voulans faire agrandir et accroistre leur chapelle du Martyre de monsieur Sainct-Denys et ses compagnons, vulgairement dicte la chapelle des Saincts-Martyrs; laquelle est située au bas de la closture des dictes religieuses, du costé de Paris, les massons travaillant aux fondemens des murs nécessaires pour faire le dict accroissement, auroient trouvé au delà du bout et chef de la dicte chapelle, qui regarde du côté du levant, une voulte sous laquelle il y a des degrez pour descendre soubs terre en une cave; auquel lieu il nous a supplié nous vou

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loir transporter et y descendre, pour voir et visiter que c'est. Au moyen de quoi, ce requérant, le dict du Bray, accompagné de luy et de maistre Jean Tesnière, Julien Gueret, et Jacques Chevalier, prestres et chapellains des dictes dames, tant en leur abbaye, qu'en leur dicte chapelle des Martyrs, et de maistre Jean Gobelain, maistre masson, demeurant à Paris, rue et paroisse Saint-Paul, et d'Adam Boissart, peintre et sculpteur, demeurant à Paris, rue Pavée-Saint-Sauveur, à l'Image-SainctNicolas, inclinant à la réquestre du dict du Bray, nous serions transporté au chef et pointe orientale de la dicte chapelle par le dehors d'icelle; auquel lieu y aurions trouvé plusieurs massons et manœuvres qui travailloient sous le dict Gobelin à faire les fondemens et l'agrandissement de la dicte chapelle. En présence desquels le dict Gobelin nous a monstré un trou et pertuis qui avoit été faict par les dicts manoeuvres à la voulte d'une certaine montée, en creusant les dicts fondements. En laquelle voulte, ce requérant le dict du Bray, nous serions descendu par le dict trou avec une eschelle dans la dicte montée, accompagné de luy et de notre greffier et des dicts Tesnière, Gueret et Chevalier, Gobelin et Boissart, avec deux chandelles allumées, et aurions trouvé que c'étoit une descente droitte, laquelle a cinq pieds un quart de largueur. Par laquelle serions descendu trente-sept degrez, faicts de vieille massonnerie de plastre, de gastées et escornées le dessus de laquelle descente est voulté. Et au bas de laquelle descente aurions trouvé une cave ou caverne prise dans un roc de plastre, tant par le haut que par les côtés et circuit d'icelle. Laquelle aurions fait mesurer par le dict Gobelin, qui a trouvé qu'elle a de longueur depuis l'entrée jusques au bout qui est en tirant vers la closture des dictes religieuses, trente-deux pieds. L'entrée de laquelle a huict pieds de largueur: et, en un endroit, distant de la dicte descente de neuf pieds, elle a de largeur seize pieds, et le surplus d'icelle va en estressissant, en sorte qu'au bout, vers la closture des dictes

religieuses, elle n'a que sept pieds de largeur. Dans laquelle cave, du costé de l'orient, il y a une pierre de plastre bicornue, qui a quatre pieds de long et deux pieds et demy de large, prise par son milieu, ayant six poulses d'espoisseur, au dessus de laquelle au milieu il y a une croix gravée avec un sizeau, qui a six poulses en quarré de longueur et demy poulse de largeur. Icelle pierre est élevée sur deux pierres de chacun costé, de moillon de pierre dure, de trois pieds de hault, appuyée contre la roche de plastre, en forme de table ou autel : et est distant de la dicte montée de cinq pieds. Vers le bout de laquelle cave, à la main droicte de l'entrée il y a dans la dicte roche de pierre une croix, imprimée avec un poinsson ou cousteau, ou autre ferrement; et y sont ensuite ces lettres: MAR. Il y a apparence d'autres qui suivoient : mais on ne les peut discerner. Au même costé un peu distant de la susdicte croix, au bout de la dicte cave, est encore imprimée une autre croix dans la dicte roche de plastre. Et à la main gauche de la dicte cave, en entrant, à la distance de vingt-quatre pieds, dès l'entrée s'est trouvé ce mot escrit de pierre noire sur le roc: CLEMIN, et au costé du dict mot y auroit quelque forme de lettres imprimées dans la pierre avec la pointe d'un cousteau ou autre ferrement où il y a DIO, avec autres lettres suivantes qui ne se peuvent distinguer. La hauteur de la cave en son entrée est de six pieds jusque à neuf pieds en tirant de la dicte entrée vers le bout de la dicte cave. Et le surplus jusques au bout est rempli de terre et gravois, où il y a plusieurs pierres et thuillaux fort frayés et affermis par dessus, ainsi qu'une terrasse, de manière qu'au delà des dicts neufs pieds il n'y a de distance en la hauteur depuis les dictes pierres et gravois jusques au haut que trois pieds en aucuns endroicts, et quatre en autres, de sorte que l'on ne peut n'y tenir debout.

« Ce faict, nous serions sortis de la dicte cave, et remontez par le dict degré accompagnez des dessus nommés.

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Lesquels, en foi de ce, ont avec nous signé le présent procèz-verbal les jour et an que dessus. >>

Cette trouvaille mit en émoi les savants et les dévòts. Les uns et les autres visitèrent la crypte mystérieuse. Des offrandes emplirent l'escarcelle de l'abbaye, qui devint de plus en plus florissante, quand elle eut été placée sous les ordres de Françoise-Renée de Lorraine, coadjutrice de Marie de Beauvilliers, et qui lui succéda le 24 mai 1667. Elle donna à la communauté un magnifique soleil d'or enrichi de pierreries, et des vases sacrés de la plus grande richesse; les religieuses eurent des livres imprimés aux frais de l'abbesse, et contenant le propre des offices du couvent. La duchesse de Guise, sa mère, fit établir, du couvent à la chapelle du Martyre, une galerie couverte, éclairée par des vitrages, et coupée çà et là par des marches. Elle avait l'intention de reconstruire entièrement le couvent, et en mourant, en 1656, elle légua à sa fille une somme considérable, qui lui permit de commencer les tra

vaux.

Le cardinal de Bérulle conduisit à la chapelle des Martyrs, en 1614, Barbe Avrillot, veuve de Pierre Acarie, qui était devenue sœur Marie de l'Incarnation. Elle était accompagnée de trois religieuses espagnoles de l'ordre de Sainte-Thérèse, et de Montmartre allaient partir, pour se répandre sur la France, les premières carmélites déchaussées comme les premiers jésuites.

Il semblait que ce fut un usage, pour ceux qui rêvaient quelque innovation en matière de piété, d'aller prier à la chapelle du Martyre. François de Sales y vint avant d'établir les dames de la Visitation, et Vincent de Paul avant d'instituer les sœurs de la Charité. Les fondateurs de la communauté des prêtres de Saint-Sulpice, Picoté, Foix et Olier, vinrent de Vaugirard, en 1642, contracter devant l'autel de la chapelle du Martyre une union indissoluble et se consacrer à la Trinité.

Olier retourna à Montmartre, le 2 mai 1645, avec MM. Poullé et Damien. Le père Bataille les y accompagna, et entre ses mains ils promirent à Dieu, sur l'Évangile, de ne jamais se départir du projet qu'il leur avait inspiré de se lier ensemble pour être ses organes et ses instruments et lui disposer des prêtres qui le servissent en esprit et en vérité.

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Montmartre qu'on nous pardonne de passer aussi brusquement du sacré au profane - vit également le premier ventriloque français dont la mémoire ait été conservée. Il se nommait Collet. « Il fut, dit Tallemant des Réaux, surnommé l'Esprit de Montmartre, à cause qu'avec une petite voix qu'il faisait, il semblait que ce fut un esprit qui parlât de bien loin en l'air. >>

Avec cette voix, il a fait dire bien des messes pour tirer des âmes du Purgatoire; il a pensé faire mourir des gens de peur. Une fois le cardinal Richelieu, qui se voulait railler de celui qui a été évêque de Lavaur, que les jansénistes ont si bien étrillé, fit que cet homme se fourra dans la foule de ceux qui accompagnaient le cardinal aux Tuileries, du nombre desquels était notre évêque. Il se mit au milieu de la grande allée à appeler :

« Abra de Raconis! Abra de Raconis! >> C'est son nom.

Tout le monde avait le mot. Raconis, s'entendant nommer, tourne la tête, mais ne dit rien pour cette fois.

La voix continue: il commença à s'épouvanter. Enfin, tout d'un coup il s'écrie:

« Monseigneur, je vous demande pardon si je perds le respect que je dois à Votre Éminence; il y a déjà quelque temps que je me contrains : j'entends une voix dans l'air qui m'appelle. »

Le cardinal et tous les autres dirent qu'ils n'entendaient rien. On prête silence, et la voix lui dit :

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