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est un modèle de charité pratique. La peste éelate dans sa province, il expose sa vie auprès des malades abandonnés, dit la chronique, ce qu'on a peine à croire, de leurs propres pasteurs. Durant quatre mois, aidé par un seul prêtre, il va de maison en maison instruire, exhorter, confesser les mourants et leurladmi nistrer le saint viatique qu'il porte dans une bofte d'argent. Les plus infectés sont ceux qu'il recherche avec le plus d'empressement et soulage avec le plus de tendresse. Il vient à Paris, y rencontre le fléau, prodigue ses soins au supérieur de l'Oratoire et à deux prêtres de la maison atteints de la maladie. Son dévouement héroïque joint à son mérite le désignent pour remplacer le supérieur que la mort a frappé. Il va prêcher dans les principales villes du royaume et à la cour de la régente, mère de Louis XIV. Il annonce l'Evangile aux pauvres et aux habitants des campagnes. Les plus grands pécheurs se convertissent. L'abbaye de Saint-Etienne de Caen est trop étroite pour contenir les auditeurs. Eudes comprend le besoin de multiplier le nombre des pasteurs des âmes, en fondant des séminaires. Il suivait la marche de saint Vincent de Paul. Des lettres patentes du 26 mars 1643 autorisent la fondation d'un séminaire à Caen. L'éducation des jeunes clercs est dirigée en vue de missions pratiques dans l'intérieur du royaume. Le séLinaire de Caen eut des succursales à Coutances, à Lisieux, à Rouen, à Evreux. Les fondations portent le nom de Jésus et Marie. Des lettres patentes, enregistrées au parlement, consacrèrent ces établissements. Le clergé de Normandie est comme transformé par cette impulsion. Les nouveaux missionnaires se répandent par toute la France. Eudes seul prend part à cent dix missions. Ne séparant jamais la charité dans l'enseignement de la charité pratique, il fonde en 1645 l'ordre des filles de NotreDame de la Charité, qui fut approuvé par le Saint-Siége en 1666. Un établissement d'Eudistes se forme par ses soins à Rennes, avant sa mort qui a eu lieu en 1680. Les Eudistes fournirent à l'Eglise plusieurs prédicateurs célèbres. Louis XVI choisit pour remplacer le curé de Saint-Eustache, qui avait prêté serment à la constitution civile du clergé, le supérieur des Eudistes, M. Hébert. Celui-ci fut enfermé aux Carmes après le 10 août 1792, et massacré le 2 septembre. Il reçut la mort un des premiers dans l'oratoire du jardin, sur le marche-pied de l'autel de la Vierge. Prête serment, »lui dit l'un des assassins en levant son sabre.« Non,» lui répond le généreux confesseur; «< je ne veux pas renier la foi, » et il tombe frappé de quatorze coups de sabre. On était revenu au temps des martyrs, et le courage des confesseurs 'du Christ n'avait pas faibli.

Après la mort du fondateur, les Eudistes s'étaient établis à Avranches, à Blois, à Dôle, à Senlis, à Séez, surtout à Rouen et à Paris. La maison de Paris était principalement un hospice destiné aux jeunes sujets qui faisaient leurs études à Paris. Elle était située rue des

Postes et formait une partie de la maison qu'y occupèrent de nos jours les Jésuites. La congrégation des Eudistes a été ressuscitée en 1826 sous la direction de M. l'abbé Blanchard. Sa maison-mère est à Rennes.

La congrégation des femmes du SacréCœur, une des plus célèbres des maisons d'enseignement moderne, a été fondée par Eudes en 1673.

Congrégation du très-saint Rédempteur.— On a quelquefois confondu avec les Jésuites cette congrégation fondée au XVIII' siècle par saint Alphonse-Marie de Liguori. Elle se propose de former des missionnaires pour l'instruction des campagnes. Les religieux y forment les voeux simples de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, et de plus celui de n'accepter aucune dignité, emploi ou béné fice hors de la congrégation, à moins d'un ordre exprès du Pape, ou du supérieur gé néral. L'institut est établi en 1752. Benoit XIV l'approuve par un bref du 25 février 1758. Ses membres ont été appelés Rédemptistes, Liguoristes, ou Liguorins.

De nos jours, quelques prêtres Liguorins s'établirent dans le diocèse de Strasbourg, à un ancien pèlerinage de Bischenberg qu'ils restaurèrent. Ils admirent des novices dans le but de venir au secours des curés avec la permission de l'Ordinaire.

A la tribune de la chambre des députés, en 1829, le couvent le Bischenberg fut dénoncé comme un rendez-vous de religieux étrangers sous l'influence du cabinet d'Autriche. (Le supérieur résidait à Vienne.) Le préfet fut chargé d'une enquête d'où ressortit la futilité des inculpations, mais l'évêque ne s'en crut pas moins obligé par prudence de supprimer le noviciat.

Le 6 novembre 1830, un arrêté dé la préfecture prononce la dissolution des Liguerins de Bischenberg avec ordre de sortir de France dans le délai de huit jours, et avec nienace de traduire les contrevenants devant les tribunaux; or, la communauté se composait de six religieux. On ne s'arrêta que lorsqu'on eût obtenu de l'Ordinaire leur interdiction.

SECTION IV. Manifestations et influences diverses de

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la charité mouastique.

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plus haut paroxysme. On dit un travail de Bénédictins; et ce qui est vrai, en parlant des Bénédictins le serait tout autant des Trappistes, des Jésuites, des Lazaristes et des Dominicains. Leur nourriture est très-pauvre; ils s'habillent grossièrement, travaillent beaucoup, parlent peu, veillent longtemps, se lèvent de bonne heure et gardent en toutes choses une exacte discipline. (Imitation, liv. 1", ch. 25.)

Bénédictins et Bernardins, dans l'intervalle des offices, conduisent la charrue, plantent et moissonnent. Le scapulaire est, dans l'origine, une partie du costume que le religieux porte dans l'atelier. La règle et le testament de saint François assujettissent les Frères mineurs à s'entretenir du prix de leur travail.

Montez ou descendez l'échelle des siècles, vous découvrez le même fait.

teurs choisissent de préférence le sol en friche que la guerre a dévasté, des terrains couverts de forêts impénétrables, ou des terrains inondés, des vallées incultes et stériles, un sol envahi par la mer, enseveli sous des marais, des lieux insalubres, et inhabitables pour d'autres que pour eux. Quelquefois les couvents échangent des clos en plein rapport pour des terres improductives, pour avoir un champ nouveau ouvert au travail. Les concessions faites aux monastères, qui semblent de grandes faveurs, ne sont, dans leur origine, que l'abandon facile d'un sol sans valeur, toujours stérile et souvent méphitique. (Des changements dans le climat de la France, par le docteur FUSTER; Paris, 1845.)

L'ardeur des moines ne connaît aucun obstacle, ne s'effraye d'aucun péril; la communauté s'installe indifféremment au fond de la forêt vierge et dans la vallée déserte, sur le côteau aride, et au sein des marécages. Elle commence la vie de fatigues et de pri

Les anciens cénobites n'ont d'autre moyen de subsister que leur labeur. Ceux de la Thébaïde vendent les fruits qu'ils cultivations qui doit lui ouvrir les portes du vent pour vivre et faire l'aumône, dit Cassien. Saint Bernard veut que ses moines travaillent, même le dimanche. Il exhorte l'abbé à proportionner l'ouvrage aux faibles et aux forts, aux vieillards et aux enfants, de sorte qu'ils ne soient ni oisifs ni surchargés. Plusieurs canons d'Afrique ordonnent aux moines d'apprendre un métier. (Canons 51 et 52 du ive concile de Carthage.)

Prier et travailler est le fondement des règles monastiques. Les moines se recrutent dans toutes les classes; tous les métiers se trouvent transportés dans les monastères. Les communautés religieuses parties de la Provence couvrent la Gaule. Il n'y a pas de province, au milieu du xv' siècle, qui ne possède un monastère. Le nombre des moines est souvent considérable; celui d'Agde n'en compte pas moins de 300; les monastères de Grigni, près Vienne, en renferment jusqu'à 400; ceux de Saint-Pierre et de Saint-Victor, aux environs de Marseille, au commencement du v siècle (418), tant hommes que femmes, ne comprennent pas inoins de 5,000 religieux. Les efforts de tant de bras assainissent les forêts et les campagnes, en même temps qu'ils fécondent les terres. Les monastères se propagent comme la doctrine chrétienne du midi au nord.

Après les moines de Cassien, ceux de Saint-Benoît; après ceux de Saint-Benoît, ceux de Saint-Maur. Toujours apparaît un nouveau fondateur ou un réformateur pour réchauffer la ferveur générale. Au vir siè cle, saint Amand, abbé de Lérins, moine de l'ordre de Saint-Colomban, fonde plus de cent monastères.

Les moines ont la triple mission de culti ver les terres, d'étudier les sciences et d'instruire la jeunesse. Leur innombrable postérité mène de front les travaux intellectuels et les travaux des champs. Celle de SaintBenoit est, pendant dix siècles, la nourrice de la France et l'institutrice de l'Europe moderne. Les couvents s'élèvent dans des lieux solitaires et sauvages. Leurs fondaDICTIONN. D'ECONOMIE CHARITABLE.

ciel. Elle assortit les travaux d'exploitation à l'état du sol, à la position des lieux, à la nature du climat. Elle dessèche les marais, défriche les bois, détourne les torrents, encaisse les rivières, contient la mer. Si les marais résistent aux tentatives de desséchement, elle les jonche de paille, qu'elle couvre ensuite de terreau, et rien n'interrompt sa tâche laborieuse. Quelques Papes, notamment Innocent III, autorisent les moines agriculteurs à poursuivre leurs travaux, même les jours fériés. L'aménagement des eaux préoccupe aussi les religieux. La communauté amène et distribue des eaux vives, creuse des étangs, crée des ruisseaux, plante des bois, entretient des forêts. Son scrupule va jusqu'à acheter au loin le bois de construction, qu'elle aurait gratuitement à sa portée; elle n'emploie pour les usages domestiques que des souches de bois mort et des ronces. (Ibid.) Moyennant une faible redevance, elle abandonne à d'autres communautés, ou à des familles pauvres, la propriété du fonds qu'elle a cultivé. La charité est satisfaite, son but est rempli.

Le monastère d'Anegrai (Luxeuil), établi par saint Colomban dans les forêts et les montagnes des Vosges, défriche les terres incultes de l'Alsace, de la Lorraine et de la Bourgogne; les colonies de SaintWast changent en délicieuses campagnes les marécages de la Flandre. Les religieux de la Neustrie (la Normandie) en ont fait, dès le vir siècle, la plus belle province du royaume. Les couvents de SaintGermain des Prés, de Saint Denis, de Saint-Martin de Tours, de Saint-Maur, de Corbie, de Jéthieu, de Chelles, de SaintRuf, de Fleury, de Saint-Vincent du Mans, de Saint-Martial, de Saint-Benoit d'Amiens. de Lérins, de Cluny, de Citeaux, de Clairvaux, rendent les mêmes services au reste de la France. (Ibid.) Les couvents possèdent partout les plus beaux jardins potagers, les vergers les mieux peuplés. (TURNER, cité par HALLAM. Les Doires de doyenné et de bon111

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chrétien conservent dans leur nom le souvenir de leur origine. Les progrès de la vigne sont dus aux couvents; les vignobles du Rhin, la plantation des côteaux de Johannisberg, sont leur ouvrage. L'élève des bestiaux et d'autres industries, et le commerce luimême, se développent en Europe à la fayeur des ordres monastiques. Ce sont eux qui disciplinent les abeilles, qui perfectionnent les outils du jardinage, qui introduisent le houblon dans la fabrication de la bière, qui y employent l'orge et l'avoine on trouve dans les couvents des moulins à fouler, des tanneries, des teintureries, des fabriques de draps. Les moines de Cîteaux sont les premiers à travailler la laine, et d'autres tissent le lin. Les marchés, les foires et le négoce sont amenés dans chaque contrée par des moines; le besoin des transports et des communications intéresse les inonastères à la navigation des freuves, au passage des rivières, au percement des routes, à la construction des ponts. Un couvent de Citeaux régularise le cours de la Saône; des frères lais, de l'abbaye d'Ebersbach, conduisent les bateaux sur le Rhin; le beau pont du Rhône, à Avignon, est bâti par un couvent. Les populations affluent vers les grands centres de ce mouvement agricole, industriel et commercial. Elles se groupent autour du clocher du monastère, s'y établissent en familles, prêtent leur concours aux travaux des moines, et vivent du produit de leurs fermes, ou manses, sous la protection des immunités cléricales. Ainsi se forment des villages, des bourgs, des villes. Les cinq huitièmes de nos villages, de nos cités de France, doivent leur origine à un monastère. (Histoire de l'Eglise gallicane, par Longueval; Tableau des institutions et des mœurs du moyen âge, par Hurter, traduction française.)

Les monastères ne font pas seulement l'aumône aux classes pauvres ; ils donnent, ce qui vaut mieux, de l'ouvrage aux classes laborieuses; l'aumône n'en est que le supplément. Si la royauté et les grands sont si libéraux envers les couvents, le peuple n'y perd rien. Les couvents sont riches, mais surtout du travail des moines; ceux de SaintGermain des Prés, de Saint-Denis, de Saint Ruf. de Marmoutiers, de Saint-Vincent du

(125) C'est un mode de dessèchement facile, employé à peu de frais pour affermir les terres fangeuses. Il a le double avantage d'enlever l'eau lorsqu'elle est trop abondante, et de rafraichir les lieux où elle ne séjourne pas. Les Romains en avaient fait usage, mais la trace s'en était perdue; les moines l'ont retrouvé et perfectionné. Le mot drainage, tout à fait moderne, tiré de l'allemand dringen, signifie ouvrir un passage, percer. Le genre d'industrie qu'il désigne remonte à des temps fort éloignés; les fouilles que l'on fait tous les jours nous portent à croire qu'il était assez commun chez les Romains. Entre Nantes et Orléans, et depuis Nantes jusqu'à Bordeaux, comme aussi dans le Dauphiné et la Provence, on a découvert, à une certaine profondeur, des conduits dont la structure et les matériaux sont marqués de ce signe caractéristique qui distingue toute œuvre accomplie par les vainqueurs

Mans, de Cluny et de Citeaux, sont maitres de propriétés considérables; l'abbaye de Saint-Germain des Prés possède en propriété, du vin au Ix siècle, vingt-cinq grandes fermes, et celle de Palaiseau 108; moins d'un siècle après sa fondation, Cluny put instituer en France 150 fermes modèles; er 1202 Citeaux cultivait 2,000 arpents de terre.

Les monastères possèdent des propriétés immenses, mais c'est pour les répandre en charités innombrables, pour utiliser les bras des classes souffrantes; enfin pour donner à la richesse nationale une impulsion souveraine.

Le drainage, dont il est si fortement question de nos jours, et qui semble ouvrir à l'agriculture comme une ère nouvelle, a été découvert et pratiqué par les moines (125). Le drainage romain avait bien desséché, en partie, les campagnes de l'Ouest et du Sud, mais les pays montagneux et stériles n'avaient subi aucune amélioration; perdues dans les marécages, ces effrayantes soltudes ne recélaient que des hôtes dange reux et nuisibles. Il fallait, pour parer à es inconvénients majeurs, des ouvriers plus infatigables que les soldats romains, et po les encourager, des motifs plus puiss que l'ambition et l'intérêt personnel. colonies de religieux vinrent s'établir d les terres marécageuses. Elles arrachèrent arbres, découvrirent les vallées et collines mais tout n'était pas fait encore; l'eas depuis longtemps retenue captive dans': bas-fonds, formait presque partout des rais fangeux qui, en viciant l'air, enge draient les maladies et la mort.

Il fallait faire disparaître ce mal; mas comment? on connaissait le drainage main, on l'employa d'abord, puis on e remarqua la presque totale nullité dans le pays de montagnes, où les terres sablonne. ses ne tardaient pas à boucher toutes c ouvertures par lesquelles devait s'écou l'humidité. Les moines ne se décourager pas; ils inventèrent, et c'est à eux que Le le devons, le drainage moderne.

Dans les départements du Nord or creusé, à une certaine profondeur, sur propriétés qui appartenaient à différe: monastères de Bénédictins; ces fouilles = laissé à découvert des tuyaux souterra

des Gaules. Le drainage romain est remarq par sa construction antique et par les mate TMdont il se compose. Ce sont toujours ces pe dures qui résistent aux ravages des siècles, de se servait si fréquemment en Italie. Aujou encore, on peut suivre ces immenses condu sillonnent les terrains situés dans le voisinag mer. Le fond est rempli de cailloux; des bree les sont amassées à la partie supérieure. L'ea tait à travers ces nombreuses tissures, ima bles à la terre, et s'amassait dans le lit qu préparé; elle s'écoulait alors par d'autres plus larges et débarrassait la terre de son s d'humidité. Mais un semblable procédé se des par un long usage; la terre la plus grass fois desséchée, s'introduisait peu à peu a les broussailles et anéantissait tous les ** qu'on se proposait d'en retirer.

absolument semblables à ceux dont on se sert aujourd'hui pour dessécher les marais. Si nous parcourons l'histoire des ordres religieux, nous voyons que les abbayes les plus considérables étaient situées dans les terrains les plus marécageux. Les célèbres abbayes de Citeaux et de Clairvaux, par exemple, posaient sur les bords de la Loire, terrain foncièrement plat et humide, où les eaux du fleuve déposent chaque année leur limon. Les principaux monastères de la Lorraine, et des Vosges en particulier, étaient batis dans des vallées profondes, où l'eau des montagnes, en s'amassant, rendait la culture fort difficile. Moyenmontier, Senones, où le glorieux Dom Calmet composa ses ouvrages si riches d'érudition et de haute philosophie, Saint-Dié, Remiremont et une foule d'autres villes et villages qui en dépendent, doivent leur existence à des colonies de religieux. Or, tout ce pays était couvert de bois; les moindres ruisseaux avaient un lit plus large que celui de nos grandes rivières, et, pour dessécher le terrain, il ne suffisait pas d'élever des digues, de creuser des canaux, de frayer un passage au liquide qui en baignait la surface; il fallait pénétrer jusqu'à l'intérieur, et le dégager de cette humidité fangeuse que les siècles avaient tranformée en maraís profonds. Si nous en jugeons par l'aspect qu'offrent les campagnes, il est certain que la terre y a été desséchée, surtout la partie qui se trouve aux environs des anciens couvents. Partout où nous rencontrons les débris d'un monastère, nous remarquons aussi une civilisation plus avancée, des mœurs plus pures et surtout une supériorité incontesable dans la culture des terrains. Les propriétés des moines sont ordinairement d'un luxe de végétation qui tranche sur les autres, et que les aveugles fureurs de la révolution n'ont pu faire disparaître totalement. D'où vient cela, sinon du travail intelligent des religieux qui passaient leur vie en priant à cultiver les campagnes, à défricher les terrains incultes, à créer pour les générations futures des inventions qui devaient contribuer à leur bien-être physique et moral? Et, pour en revenir au drainage, ce sont eux, disions-nous, qui les preniers ont fait usage de tuyaux pour dessécher la terre. Jusqu'alors on avait imité les Romains tant bien que mal, et, ce qui est >ire encore, on ne s'était pas soucié de ette industrie si précieuse et si utile. es religieux, au xiv et au xv siècle, poque de leur prospérité, s'appliquèrent à ette partie de l'agriculture avec une paence et une ténacité dignes d'éloges. Après lusieurs expériences infructueuses, ils se servirent d'une composition de terre grasse, urcie au feu, et ils en firent des tuyaux 'ils placèrent les uns à la suite des autres une certaine profondeur. Ils obtinrent un ein succès. L'eau se disposait à la surface s tuyaux, pénétrant insensiblement à l'inrieur par les joints, et s'écoulant à la ngue. On ne pouvait espérer un plus heu

reux résultat, mais, pour y arriver, il fallait s'imposer des sacrifices fort onéreux. La terre cuite était rare, on ignorait l'usage des fours, on était obligé de brûler d'énormes quantités de bois pour alimenter un foyer qui ne durcissait que fort peu de terre. Les moines s'en tinrent à cette dernière invention, malgré les dépenses extraordinaires qu'elle nécessitait. Ils ne reculèrent devant aucun sacrifice d'argent, les terrains furent affermis, l'agriculture fit de sensibles progrès. Les moines avaient compris qu'ils ne perdaient rien à cet échangé si coûteux. Du cloître, cette invention se répandit dans les cabanes environnantes; chacun fit ce que lui permettaient ses faibles ressources pour alimenter ses terres ou les terres de son seiguenr. Depuis cette époque, on a pratiqué le drainage comme le faisaient les Romains.

Pourquoi n'a-t-on pas profité de la découverte des moines? Parce que les petits propriétaires n'auraient pu suffire à des dépenses si considérables; parce que, d'un autre côté, les seigneurs féodaux; ignorants et batailleurs, préféraient le bruit des armes à la paix des champs, et que leurs vassauz étaient tenus de leur payer un tribut annuel, qui suffisait abondamment à leur entretien. Ils confiaient leurs propriétés à des hommes d'affaires qui en étaient les maîtres plus qu'eux-mêmes. L'Angleterre seule a su tirer parti du système inventé au iv' siècle, elle l'a perfectionné et se l'est approprié. (Paul TISSERAND, Espérance de Nancy. )

L'auteur du Génie du Christianisme parcourt du regard tout ce que les ordres religieux ont fait pour l'agriculture. Des terres vagues concédées aux monastères, et que les moines cultivaient de leurs propres mains, des forêts sauvages, impraticables, de vastes landes, furent la source de ces richesses qu'on leur a tant reprochées. Tandis que les chanoines Prémontrés labouraient les solitudes de la Sologne et une portion de la forêt de Coucy en France, les Bénédictins fertilisaient nos bruyères. Molesme, Colan, Citeaux, qui se couvrent de vignes et de moissons, étaient des lieux semés de ronces et d'épines, où les premiers religieux habitaient sous des huttes de feuillage comme les Américains au milieu de leurs défrichements. Saint Bernard et ses disciples fécondent les vallées stériles que leur abandonne Thibaut, comte de Champagne. Fontevrault est une véritable colonie établie par Robert d'Arbrissel dans un pays désert, sur les confins de l'Anjou et de la Bretagne. Des familles entières cherchent un asile sous la direction de ces Bénédictins. Il s'y forme des monastères de veuves, de filles, de laïques, d'infirmes et de vieux soldats. Tous devinrent cultivateurs à l'exemple des Pères qui abattaient eux-mêmes les arbres, guidaient la charrue, semaient les grains et couronnaient cette partie de la France de belles moissons qu'elle n'avait point encore portées. La colonie céda bientôt à d'autres solitudes le superflu de ses mains laborieuses. Raoul de la Futaye, compagnon

de Robert, s'établit dans la forêt du Nid du Merle, et Vital, autre Bénédictin, dans les bois de Savigny. Laforêt de l'Orge, dans le diocèse d'Angers; Chanfournois (aujour'hui Chantenois) en Touraine; Bellay, dans la même province; la Prie, en Poitou; l'Encloître, dans la forêt de Gironde; Gaisne, à quelques lieues de Loudun; Luçon, dans le bois du même nom; la Lande, dans les landes de Garnache; la Madeleine, sur la Loire; Bourbon, en Limousin; Cadouin, en Périgord; Haute-Bruyère, près de Paris, furent autant de colonies de Fontevrault qui, d'incultes qu'elles étaient, se changèrent en opulentes campagnes.

Nous fatiguerions nos lecteurs, dit Châteaubriand, si nous entreprenions de nommer tous les sillons que la charrue des Bénédictins a tracés dans les Gaules sauvages; et il nomme Maurecourt, Longpré, Fontaine, le Charme, Colinance, Foici, Bellomer, Cousanié, Sauvemens, les Epines, Eube, Vanassel, Puns, Charles, Vairville. Il cite la Bretagne, l'Anjou, le Berri, l'Auvergne, la Gascogne, le Languedoc, la Guienne, comme attestant leurs immenses travaux. Il rappelle que saint Colomban a fait fleurir le désert de Vauge, et que des Filles bénédictines mêmes, à l'exemple des Pères de leur ordre, se consacrèrent à la culture. Celles de Montreuil-les-Dames s'emploient nou-seuleinent à coudre et à filer, mais à arracher les ronces de la forêt

En Espagne, les Bénédictins déploient la même activité. Ils achètent des terres en friche au bord du Tage, près de Tolède, et fondent le couvent de Venghalia après avoir planté en vignes et en orangers tout le pays d'alentour. Le mont Cassin, en Italie, n'est qu'une profonde solitude lorsque saint Benoît s'y établit. I change de face aussitôt, et l'abbaye nouvelle devient si opulente, par ses travaux, qu'elle est en état de se défendre contre les Normands (en 1057). Saint Boniface, avec ses religieux, commence toutes les cultures dans les quatre évêchés de Bavière. Les Bénédictins de Fulde défrichent, entre la Hesse, la Franconie et Thuringe, un terrain de 8,000 pas géométriques, c'est-à-dire, 16 lieues de circonférence; ils comptent bientôt 10 métairies, tant en Bavière qu'en Souabe. Les moines de SaintBenoît Polironne, près de Mantoue, emploient, au labourage, plus de 3,000 bœufs. L'auteur du Génie du christianisme remarque que l'abstinence de la viande, chez les religieux, dut favoriser singulièrement la propagation des races de bestiaux. Ainsi, nous sommes redevables de la fertilité de nos campagnes, non-seulement au travail des moines, mais aussi à leur frugalité. Enfin, ils rendirent à l'agriculture un plus grand service encore en minant, peu à peu, comme le dit encore M. de Châteaubriand, ces préjugés barbares qui attachaient le mépris à l'art qui nourrit les hommes. Jusqu'en 1789, les plus belles cultures, les paysans les plus riches, les mieux nourris, les moins vexés; les équipages champêtres les plus parfaits,

les troupeaux les plus gras, les fermes les mieux entretenues se trouvaient dans les abbayes. (Génie du christ., liv. vi, ch. 7.)

Saint Robert et l'Anglais saint Etienne défrichent les déserts de la Bourgogne. C'est à saint François de Paul qu'est due la poire de bon-chrétien; le pêcher est cultivé avec succès dans le jardin de l'abbaye de Saint-Denis dès l'an 784, et Loup, abbé de Ferrière, en Gâtinais, au Ix siècle, envoie des pêchers à l'abbé de Corbeil. C'est un chanoine d'Abbeville, M. Bouillé, qui plante la vigne au jardin des Granges de Port-Royal. Baudri de Saint-Gilles d'Asson, gentilhomme du Poitou, en était le menuisier; et tout récemment, le P. Cavallero mourait la charrue à la main, au milieu de ses néophytes de la mission de Notre-Dame de la Guadeloupe.

Les économistes proclament qu'un pays se peuple en raison directe du nombre d'habitants qu'il peut nourrir. Les monastères se sont multipliés en vertu de ce principe. Les moines ont cultivé le sol dans des proportions considérables, en dépensant dans des proportions imperceptibles. Que ce soit de par l'économie politique ou de par sain Benoît et saint Dominique, a dit un écriva (Dict. des ordres relig., t. III, p. 968), qu'un grand nombre d'individus s'engage voo tairement à ne dépenser que cinq sous par jour, la monasticité n'en a pas moins favorisé la population là où elle s'est fondée, tant par elle-même que par la place qu'elle a laissée aux autres à côté d'elle.

Les économistes s élèvent contre les inconvénients des familles nombreuses; I'L glise ne les suit pas dans cette voie par plus d'un motif, mais elle leur montre, dans la monasticité, un moyen de conservation de la richesse dans les familles. L'adolescent, qui préférait la vie du cloitre à la vie malaisée dans le mariage, eurichissant sa famille, accroissait la part de ses frères et la dot de

ses sœurs.

L'abbé dom Eustache de Beaufort avaitele nommé abbé des Sept-Fons en 1654, sur la recommandation du cardinal Mazarin, l'âge de 19 ans. Il fait son noviciat et ses vœux à Clairvaux, mais sans aucune voCI tion. Il se promettait la vie voluptueuse de plusieurs abbés qui étaient le scandale de l'Eglise, et il entra, en effet, aussi profote dément que possible dans cette voie. So frère, qui était un ecclésiastique de grande vertu, le ramène tout à coup à Dieu et aux devoirs de sa profession en 1663. Il a entre pris la réforme de son ordre. Plusieurs re ligieux s'attachent d'abord à ses pas, pus leur courage défaillit dans le rude seu que leur abbé veut gravir. Trois religie enfin sont déterminés à suivre ses conse et son exemple. Le travail des mains so tiendra leur courage. Le travail porte 1 comme les jambes, le corps. Ils entrepren nent une tâche qui eût effrayé des ouvr de profession. Ils dessèchent un mart rendent propre à la culture un vaste ca couvert de ronces qui deviendra leur jar

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