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ils comblent des fossés, transportent des terres, arrachent des arbres, déracinent les souches aux racines les plus profondes et les plus rebelles et plantent un jardin. Ils ne sont que quatre religieux et plusieurs arpents sont appropriés par eux à devenir un vaste monastère en moins de deux ans, et cela sans interruption de la règle, sans violation du silence, sans manquement à une seule oraison. Ainsi se rajeunissaient les instituts religieux tombés dans le relâchement; ainsi étaient jetés les fondements de ce que le scepticisme appelle de grasses abbayes, lesquelles n'avaient été rendues fécondes que par le travail et par la pauvreté des moines. Et il ne s'agit pas ici des disciples de saint Bernard et de saint Benoît, dont les monastères se perdent dans la nuit des temps, de ces pionniers de l'agriculture française; le fait qu'on vient de lire se passe en plein xvir siècle, c'est-à-dire au temps où Louis XIV bâtissait Versailles. Parmi les règles de la réforme de SeptFons, nous voyons figurer la prescription de l'hospitalité. Cette réforme avait au surplus beaucoup de rapports avec celle de la Trappe. Et, comme on l'a vu, il en est des couvents de femmes comme des monastères d'hommes. Les religieuses de Notre-Dame de la Miséricorde voir ce mot travaillent pour suppléer à l'insuffisance de la dot de celles qu'on reçoit dans le monastère, aux termes des statuts, malgré cette insuffisance. Si les maisons de l'ordre sont assez bien rentées pour se passer de travail, le travail n'en est pas moins obligatoire. Son produit est distribué aux maisons de l'ordre qui en ont besoin. C'est l'application du précepte de saint Paul, la conséquence du principe chrétien de la solidarité, dont les ordres monastiques sont le plus parfait modèle. Si les maisons de l'ordre n'ont pas besoin de secours, les fruits du travail sont attribués à d'autres monastères, ou bien à des familles indigentes. (Dict. des ordres religieux, t. II, p. 10, 30 et 31.)

On ne regarde pas à la dot des postulantes Lorsqu'elles réunissent les qualités requises et que le revenu du monastère permet de les recevoir. On fait vou même de ne jamais refuser sa voix à une postulante pour cause d'insuffisance de sa dot. Le travail des mains supplée à la modicité du revenu de la congrégation.

Jacqueline Pascal, dans l'ouvrage publié par M. Cousin (p. 237), étant devenue sousnaîtresse des Novices à Port-Royal, raconte Ju'elle est employée à faire quelque ravanierie dans une petite cellule ou à balayer a maison; car je suis devenue, dit-elle, fort xperte en ce métier à laver les écuelles et filer. Voilà ce que j'ai fort bien appris.

En parlant plus haut des Trappistes, nous ons laissé en dehors ce qui a trait à leurs ravaux de culture. Ici, au contraire, nous es envisageons uniquement comme ouriers agricoles.

A sept heures du matin, selon les règles e son institut, le Trappiste va au travail

comme le manouvrier, comme l'homme des champs. Il quitte sa coule (robe à larges manches sur laquelle retombe par derrière un long collet taillé en pointe) et retrousse la tunique qu'il porte par-dessous. Sa tête reste couverte d'un capuchon. Il ne lui reste plus qu'un gilet qui laisse voir les manches de sa chemise; sa culotte est courte et s'attache au-dessous du genou, à l'ancienne mode. Il a des sabots aux pieds. Une bêche, une pioche ou d'autres instruments aratoires arment ses mains. L'un laboure la terre, l'autre la crible. Ceux-ci roulent des pierres, ceux-là creusent des fossés.

Ce n'est pas le choix de chacun qui décide de son genre de travail, il lui est imposé par son supérieur. Celui-ci travaille comme les autres et s'emploie souvent aux plus vils travaux. Quand le temps ne permet pas de sortir, les religieux nettoient l'église, balayent les cloîtres, écurent la vaisselle, font des lessives, épluchent des légumes. On les voit, assis côte à côte, ratisser des racines silencieusement. Ailleurs, abrités sous des hangards, les uns copient de la musique d'église; d'autres s'occupent de reliure, d'autres font des ouvrages de menuiserie, d'autres s'exercent à tourner. Tous les ouvrages de la maison sont exécutés par eux. Les tables des réfectoires sont sans nappes; chaque religieux a sa serviette, sa tasse de faïence, son couteau, sa cuiller et sa fourchette de buis. Leur ration de pain, un pot d'eau et un pot de cidre sont devant eux. La ration de pain excède leurs besoins; le pot de cidre contient environ la moitié d'une chopine de Paris. Le pain est bis et gras, parce qu'on ne sasse pas la farine. Elle est seulement passée par le crible, en sorte que la plus grande partie du son y est mêlée. Le dîner est composé comme il suit. Le potage est quelquefois aux herbes, quelquefois aux pois et aux lentilles, sans beurre ni huile. On sert aux jours de jeûne après le potage un plat de lentilles un autre d'épinards ou de fèves, ou de bouillie, ou de gruau, ou de carottes, ou d'autres racines selon la saison. Les sauces sont faites avec du sel et de l'eau et épaissies au moyen de la farine ou du lait. Le dessert se compose de deux pommes ou Poires cuites ou crues. Après le travail, les religieux quittent leurs sabots, déposent leurs outils à leur place accoutumée, reprennent leur coule et vont méditer dans leur chambre.

Le repas du soir ou collation consiste en un morceau de pain de quatre onces, la moitié d'une chopine de cidre, deux poires ou deux pommes ou quelques noix. Aux jours de jeune, la ration de pain n'est que de deux onces et la demi-chopine de cidre est pour toute la journée. La collation dure un quart d'heure. A sept heures, on sonne la retraite, c'est l'heure du coucher, Les religieux se couchent tout habillés. Leur lit consiste en une paillasse piquée étendue sur des planches, un oreiller rempli de pailie et une couverture. Ils ne se déshabillent pas même quand ils sont malades. Ils ne fort usage de

linge à l'infirmerie que dans les maladies les plus graves. On y sert des œufs et de la viande de boucherie, mais jamais de volaille, ni fruits confits ou sucrés. Quand le malade est en danger de mort, l'infirmier prépare de la paille et de la cendre, sur quoi on l'étend quand il est près d'expirer. Les étrangers sont reçus chez les Trappistes avec beaucoup de charité. On leur sert un potage, deux ou trois plats de légumes, un plat d'œufs et jamais de poisson. On ne leur sert que du cidre et le même pain qu'aux religieux. Voir ci-après, II' part., Epoque moderne, COLONI SATION et COLONIES.

Les Trappistes modernes n'ont pas dégénéré (126).

§ II. Les monastères au point de vue économique. - La création des grandes abbayes accroît la richesse publique sans presque lui rien emprunter. Les monastères trouvaient des ressources, il est vrai, dans la piété d'un grand nombre de bienfaiteurs, mais, ce qu'on ignore généralement, quand la famille du bienfaiteur tombe dans l'indigence, le monastère lui doit des secours proportionnés à ce qu'il a reçu et à la qualité du donateur. (VAN ESPEN, Jus. univ.) La collation du bénéfice appartient souvent à celui-ci, et ce droit lui rend souvent plus qu'il n'a coûté à acquérir. Le patron se trouve n'avoir fait qu'un échange avec le monastère son client. Voici un autre point de vue tout aussi ignoré. Quand la royauté plie sous la puissance des grands vassaux, les serfs, pour échapper à l'oppression, se jettent dans les bras des moines, corps et biens. Des familles qui se donnent ainsi aux monastères sauvent leur liberté en enrichissant les couvents. Les peuples y trouvent leur compte tout aussi bien que les ordres monastiques. Les formes de cette soumission connue sous le nom d'obnoxiation nous ont été conservées par Marculphe. Le fait remonte par conséquent à la première race de nos rois. Les serfs passent sous la domination des moines, mais ils trouvent en eux des maîtres dont les mœurs sont adoucies par les vertus de leur état et par la culture des lettres, et qui se font souvent les compagnons de leurs peines, leurs amis et leurs consolateurs. C'est, au surplus, le cas extrême. Il arrive que les serfs n'ont pas besoin de faire le sacrifice de leurs biens et de leur liberté pour échapper à l'oppression; il leur suffit d'implorer la protection des moines. Couverts du respect qu'inspirent ceux-ci, ils vivent en sûreté sous leur aile

(126) Au moment où nous écrivons cette monographie, nous lisions dans un journal (25 mars 1845) M. J. Maulouin, abbé de la Trappe de Meilleray, a envoyé au concours de Poissy un jeune bœuf qui a été vendu 800 francs à M. Rolland, boucher (le même qui fournit chaque année le bœuf gras au carna al de Paris). Qu'on dise après cela que les institutions catholiques sont stationnaires, ou même vont à rebours du génie moderne.

(127) La Gazette de France du 18 janvier 1884 (n° 16, article Gênes), cite l'exemple d'un particulier riche de 200,000 livres, qui, n'ayant point d'en

au milieu du désordre social universel. Il leur suffit de payer au monastère qui les prend sous sa sauvegarde quelques redevances ou de lui rendre quelques services. Ainsi s'accroft, sans pressurer la société civile, le patrimoine des religieux. Ils refusent souvent des donations et vont jusqu'à abandonner leurs droits acquis (127).

Le clergé régulier, comme le séculier, paye à l'Etat le don gratuit. Il proportionne sa part dans l'impôt aux besoins du trésor public (127). Les bénéfices sont presque tous à la collation du roi. Ils constituent des récompenses qui ne coûtent rien au peuple. Tantôt le bénéfice paye la dette de l'Etat à un vieux gentilhomme, qui a préféré la gloire à la richesse, et dont le sang a coulé pour la France de père en fils; tantôt l'abbé reçoit le prix des services d'un des siens, brave et pauvre militaire mort pour la patrie commune. Plus d'une branche de ce grand arbre qui s'appelait la noblesse de France, aurait péri desséchée sans la séve féconde des monastères. Dict. des ord. relig., t. III, passim.)

On a parlé de la magnificence des coc vents. Après avoir parcouru ces beaux é fices, disent les auteurs de l'ouvrage intitulé De l'état religieux publié en 18 nous avons pénétré dans les cellules. La régnait la plus complète simplicité. Quelques meubles et quelques livres étaient le seu ornement de ces chambres étroites, asile de l'étude et de la prière, et où il n'y avail d'éclatant que la renommée scientifique de celui qu'on était heureux d'y rencontrer. La splendeur était réservée pour les salles où se tenaient les assemblées, et surtout pour les églises. Les dépenses en ce point servaient d'aliment aux beaux-arts. L'architec ture, la sculpture, la peinture, complices pres que partout d'un luxe corrupteur, étaient rappelées dans ces monuments à la purele, à la majestueuse beauté de leur origine. Les auteurs auxquels nous empruntons ces ré flexions faites sur place comparent les mai sons fragiles qui s'élèvent de leur temps et qui doivent périr, disent-ils, avec leurs au teurs égoïstes, aux bâtiments marqués du sceau de l'éternité que savaient élever les moines. Que dirons-nous de nos construc tions du XIXe siècle comparées aux antiqu abbayes, qui résistèrent même au marte révolutionnaire dont les écrivains de 17 étaient loin de prévoir le pouvoir destructe

Quand les monastères vont s'asseoir dar les petites villes ou les villages, tout chang

fants, laisse sa veuve usufruitière de ses biens n instituant le couvent de Coronata son legataire versel. La veuve suit son mari de près au tom Les religieux sont en droit de réunir l'usufruit : propriété; mais le supérieur, instruit que le dlaisse des neveux indigents, ne croit pas de recueillir l'héritage; il en fait la rénonciation # devant notaire, et écrit à Rome pour avoir l'ap bation du saint-siége.

(127) En 1782, on le voit encore contribues frais de la guerre.

d'aspect. Le commerce s anime, les artisans trouvent du travail et l'indigent de quoi subsister. Quatre-vingt ou cent mille francs employés à rebâtir une abbaye, sèment l'aisance autour d'elle. Les grands propriétaires, attirés et retenus dans les villes par les jouissances du luxe, ne connaissent leurs terres que par le payement des baux que leur font leurs fermiers, et ceux-ci épuisent souvent le sol qui nourrit eux et les propriétaires. Les religieux, qui vivent avec la terre, n'hésitent pas à lui faire les avances dont elle a besoin ; ils la font souvent valoir eux-mêmes. Détachés d'elle par l'âme, ils sont par les yeux du corps attaehés et comme mariés à la glèbe. Opposer une digue au débordement d'un étang ou d'une rivière, dessécher un marais ou défricher une lande, c'est dans ce monde toute leur ambition. Leurs maisons sont autant d'écoles pratiques d'agriculture, et, on peut le dire, de fermes modèles répandues par toute la France.

Depuis longtemps avant 89, on ne voyait de domaines supérieurement cultivés, parsemés d'habitations en bon état et d'habitants laborieux, que les domaines des monastères, des couvents riches, ceux des Bénédictins, des Bernardins, surtout des Chartreux. Nulle part les pauvres ne sont secourus comme sur ces pieux domaines; nulle part on ne rencontre des fermes peuplées d'aussi nombreux ouvriers et d'aussi habiles cultivateurs. Ressuscitons, disait le marquis de Pompignan en constatant ces faits, ressuscitons Virgile, Varron et Columelle, prenons-les pour experts. Je ne sais s'ils riront des moines, comme païens, mais comme économes (on ne disait pas encore économistes) et comme cultivateurs, ils combleront d'éloges les enfants de saint Benoît, de saint Bernard et de saint Bruno. Le voyageur attentif qui traversait les pays de culture avant 1789, et qui rencontrait des champs entourés de fossés, plantés avec soin et couverts de riches moissons, savait d'avance que le sol appartenait à des religieux. Les terrains voisins, de même nature nais mal entretenus, offraient avec lui un frappant contraste.

Le plus grand nombre des moines, sortis des classes pauvres, trouvent dans les cloitres un asile et une direction. Et cette utilisation des monastères n'est pas, qu'on le sache bien, une interprétation apres coup. Quand Guillaume d'Aquitaine fonde l'abbaye Je Cluny, il écrit dans la charte de fondation, qu'il donne aux religieux de son propre domaine la terre de Cluny, afin qu'elle soit un refuge pour ceux qui, sortant pauvres du siècle, n'apporteront avec eux que de la bonne volonté, et afin aussi que les moines exercent tous les jours des œuvres le miséricorde, selon leur pouvoir, envers Je-s étrangers et les pèlerins. L'encombrenent des abords des professions libérales, de toutes les professions en général, est une dernière considération à faire valoir au point de vue purement économique de l'utilité

des ordres religieux. Les couvents étaient des issues pour la classe moyenne, comme les abbayes et les commanderies pour la noblesse ruinée. Les revenus monastiques sont un patrimoine commun qui se passe d'une génération à l'autre. Cela s'étend si loin que les religieux font appel aux revenus des monastères en faveur de leur famille dans l'indigence. Ne pouvant la soutenir par euxmêmes, ils lui viennent en aide par l'entremise de leur couvent. Presque tous les corps religieux ont des fonds réservés à cette destination; tels sont notamment les monastères de Saint-Maur et de Cluny; les uns ont plusieurs fois la semaine, d'autres tous les jours, d'amples distributions de vivres. Dans les rudes hivers, les aumônes sont augmentées dans toutes les maisons religieuses; les fermiers des moines ont ordre de distribuer des secours dans les campagnes, et, pour fournir à des besoins extraordinaires, plusieurs communautés ajoutent aux rigueurs de leur abstinence.

Un orage vient-il à détruire toute espérance de moisson, un village à être la proie d'un incendie, les religieux vont au devant de la misère du paysan, comme des pères volent au secours de leurs enfants : ils distribuent à ceux-ci des matériaux pour rétablir leurs habitations, à ceux-là des grains pour ensemencer leurs champs et pour se nourrir jusqu'à la récolte suivante. C'est à titre de prêt pour ceux qui peuvent rendre, et en pur don pour les autres. En 1781, le territoire de Saint-Maximin (en Provence), est dévasté par un ouragan; les vignes et les oliviers sont frappés de stérilité pour plusieurs années. Les Dominicains, atteints eux-mêmes par le fleau dans leurs revenus propres et dans leurs dimes, recourent à leurs épargnes pour soulager les cultivateurs aux abois. Le monastère, pour augmenter ses ressources en diminuant ses depenses, fait émigrer ses religieux dans d'autres couvents de son ordre. Les greniers du couvent s'ouvrent à tous les nécessiteux; des distributions de pain et de secours de toutes sortes sont prodiguées à la porte du cloître; les moines dépouillent leur vestiaire pour couvrir ceux qui sont nus. Pour célébrer la naissance du premier fils du trop bon Louis XVI, le patriotisme des Augustins de Montmorillon les porte à payer de leurs deniers la quote part des tailles et corvées de cent dix-neuf pauvres familles. Et quand on pense que ces immenses jargesses ne sont que le petit côté, que l'accessoire même des services que les ordres religieux et les congrégations d'hommes et de femmes ont rendus à l'ordre social..

§ III. Rachat des captifs. Rédemptoristes. Pères de la Merci. Trinitaires. - Cette congrégation héroique, dit un écrivain da XVII siècle, car, ajoute-t-il, ce nom convient aux Pères de la Rédemption des captifs de Notre-Dame de la Merci; se consacre depuis 600 ans à briser les chaînes des Chrétiens chez les Maures. Ils emploient à payer la rançon des esclaves leurs revenus, et les

aumönes qu'ils recueillent et qu'ils portent eux-mêmes en Afrique, L'écrivain qui paye ce tribut d'admiration à la congrégation de la Merci n'est pas suspect de partialité pour les couvents, c'est Voltaire !

Mettons de l'ordre dans l'histoire de cette grande œuvre chrétienne.

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Trinitaires. - Saint Jean de Matha et Pierre de Nolasque fondent, l'un l'ordre des Trinitaires, l'autre celui de la Merci, pour échanger et racheter des infidèles les Chrétiens captifs, dont le nombre s'est beaucoup multiplié pendant les croisades. L'ordre prend naissance en 1198, sous le pontificat d'Innocent III. On raconte que lorsque Jean de Matha est ordonné prêtre et célèbre sa première messe, un ange, sous la figure d'un jeune homme, apparaît sur l'autel où il élève la sainte hostie. Il a les bras croisés et les mains posées sur deux captifs comme s'il voulait faire l'échange. Vivait alors un saint ermite, Félix de Valois (nom emprunté au pays où il était né et non à la famille royale de ce nom), retiré dans une forêt au voisinage de Meaux. Jean de Matha va apprendre de lui la science de la perfection chrétienne. Une miraculeuse apparition porte les deux ermites à aller à Rome prendre l'avis du Souverain Pontife sur l'emploi qu'ils doivent donner à leur piété. A Rome, pendant le service divin, une nouvelle apparition montre un ange posant ses mains sur deux captifs, comme la première fois. Le Saint Père juge les deux ermites inspirés de Dieu, leur permet de créer un ordre religieux dont la destination serait de racheter les captifs des mains des infidèles, et sous le titre de la Sainte-Trinité, ou de la Rédemption.

L'évêque de Paris et l'abbé de SaintVictor sont chargés, par le Souverain Pontife, de leur prescrire une règle. PhilippeAuguste consent à la fondation et l'aide de ses libéralités; Gaultier ou Gaucher de Chatillon leur donne un emplacement dans ses terres pour y bâtir un couvent. La première fondation étant trop étroite pour l'œuvre, un monastère plus vaste s'élève sur les confins de la Brie et du Valois, et devient le chef-lieu de l'ordre. Marguerite, comtesse de Bourgogne, femme de Gaulthier d'Avesnes, donne à cette maison de quoi entretenir 20 religieux. Jean Anglie et Guillaume Scot sont envoyés par Jean de Matha à Maroc, pour y traiter de la rançon des pauvres Chrétiens captifs. La négociation est si heureuse qu'ils ramènent 1286 esclaves.

La même année, Guillaume de Honscotte, en Flandre, donna une nouvelle maison à l'ordre. Jean de Matha en fonde une autre à Arles; en Espagne il travaille et réussit à fonder plusieurs monastères et aussi des hôpitaux, se proposant le même but du rachat des captifs et des secours dont ils peuvent avoir besoin en cas de maladie, d'infirmités ou vieillesse. Il part pour Tunis et revient à Rome avec 120 esclaves qu'il a rachetés, après avoir couru les plus grands dangers; les infidèles ont déchiré les voiles

de son vaisseau et en ont brisé le gouver nail; son manteau et celui de ses Frères cousus ensemble, tiennent lieu de voile. A genoux sur le tillac, son crucifix en main et chantant des psaumes, Jean de Matha prie Dieu d'être son pilote, et va débarquer à Ostie après la plus heureuse navigation. Félix de Valois, pendant ce temps-là, établissait un nouveau couvent à Paris, dans un lieu où était une chapelle dédiée à saint Mathurin, et dont le nom est resté aux religieux.

Arrivé à Rome, Jean de Matha emploie deux années à visiter les prisonniers, à assister et consoler les malades, à soulager les pauvres. et à annoncer la parole de Dieu.

Le nombre des maisons de l'ordre de la Trinité, ou Rédemption, s'est élevé à 250, divisées en 13 provinces, dont 6 dans l'Ile de France. D'autres sont situées en Normandie, dans la Picardie, la Flandre française, la Champagne, le Languedoc et la Provence. L'Espagne, le Portugal et l'Italie en possédent quelques-unes. L'Angleterre en a jus qu'à 43; l'Ecosse, l'Irlande, 52. Toutes cel les de la Grande-Bretagne furent ruinées par les hérétiques, ainsi que celles qui exis taient en Saxe, Hongrie et Bohême. 1,000 esclaves durent leur liberté aux fondateurs de l'ordre et à leurs compagnons. En 1787, les Trinitaires de France seuls, avaient délivré, depuis leur fondation, environ 40,000 captifs. Ceux d'Espagne en délivrèrent un nombre égal. Le Portugal en avait racheté environ 16,000.

Les Trinitaires parviennent à fonder des couvents même en plein Etats barbaresques, à Alger et sur les côtes d'Afrique. Les supérieurs de ces maisons, à force d'adresse, de prières et de sacrifices, obtiennent la délivrance d'un très-grand nombre d'esclaves chrétiens. On a calculé que le nombre des esclaves rachetés par l'ordre de la SainteTrinité avait dû s'élever à 900,000. (Diction naire des ordres religieux, t. III, p. 733.)

Dans les commencements, on n'emplose au rachat des captifs qu'un tiers des dons faits aux religieux, mais plus tard (en France du moins), on y consacra les sommes entiè res. Des troncs sont placés dans chaque éteblissement, pour recevoir les aumônes. Ca procureur général qui réside à la maison des Mathurins, à Paris, concentre dans ses mains toutes les recettes des maisons de France, qui lui sont adressées par le procureur particulier attaché à chaque maison. Ces règlements sont le dernier état des sta tuts de l'ordre, car ils se rapportent à l'année 1768. Nous mentionnerons comme coriosité historique. que le dîner des re gieux avait lieu à 11 heures et demie, et it souper à 7 heures, usage que nous n'avos fait que retourner, ou même que chan de nom. L'ordre possède à Rome qua maisons, qui n'ont point été fermées mér! par la république romaine de 1848 et 189 Seulement, les soldats de Garibaldi ont me tilé dans le couvent de la Madona dei F

nari, un tableau de Léon XII, en lui crevant les yeux et lui coupant la tête. Ces quatre Couvents sont : celui de la via Condoții, appartenant à l'ancienne observance, et servant de collége aux Espagnols; celui de Saint-Chrysogon, appartenant aux réformés, qui y ont leur noviciat et qui renferme environ 25 religieux; celui de Saint-Charles, aux Quatre-Fontaines, où il y a 12 religieux; enfin, celui de Notre-Dame dei Fornari. A Rome, les Trinitaires sont nommés Trinitari del biscato, Trinitaires du rachat, et dans la nomenclature des ordres religieux, ils sont classés parmi les frati, c'està-dire parmi les ordres mendiants.

Ordre de la Merci. Comme on l'a vu, il doit sa fondation à Pierre de Nolasque, né au pays de Lauraguais, en Languedoc, vers l'an 1189, dans le bourg de Mas des saintes Puelles, à une lieue de Castelnaudary. Pierre de Nolasque commence par être gouverneur du jeune roi Jacques d'Aragon, fait prisonnier par le comte de Montfort, après la bataille de Muret, où le roi d'Aragon père du jeune roi a été tué. Il suit le jeune prince à Barcelone, lorsque le comte de Montfort lui rend la liberté en 1215. C'est pendant son voyage que Pierre de Nolasque se sent touché de compassion pour les pauvres Chrétiens retenus captifs par les Maures, et qu'il résout de sacrifier sa fortune et de consacrer sa vie à leur délivrance. La sainte Vierge lui apparaît en songe, et lui fait connaître que la volonté de Dieu est qu'il travaille à l'établissement d'un ordre religieux ayant pour but le rachat des captifs.

Il confie son projet à saint Raymond de Pegnafort, chanoine de Barcelone, qui l'encourage dans son dessein. Le roi l'y aide de tous ses vœux et de tous ses efforts. L'évêque de Barcelone, Bérenger de la Palu, objecte que le concile de Latran a interdit l'établissement d'aucun ordre religieux sans l'autorisation du Saint-Siége. Toutefois, l'on se souvient que les Papes Grégoire VII et Crbain II ont accordé au roi don Sanche, en considération des grands services qu'il avait rendus à l'Eglise, un indult en vertu duquel lui et ses successeurs peuvent ériger dans toute l'étendue de leurs Etats des ordres religieux et autres fondations pieuses, avec dispense d'autorisation; alors on passe

outre.

11 faut dire que plusieurs gentilshommes des premières familles de la Catalogue employaient déjà leurs biens et leurs soins, depuis environ 20 ans (1192), à des œuvres de charité, et spécialement au rachat des chrétiens captifs chez les Maures, et privés de ressources. Ces gentilshommes servent les malades dans les hôpitaux, visitent les prisonniers et gardent les côtes de la Méditerranée pour s'opposer à la descente des Maures et des Sarrasins. Ces gentilshommes sont les éléments tout trouvés de l'ordre de la Merci. Ils se réunissent autour de lui avec einpressement. Des prêtres agrégés de la congrégation, des gentilshomnies catalans,

lui offrent aussi leur zèle. L'ordre de la Merci est militaire, et ses membres portent le titre de chevaliers. La consécration de l'ordre a lieu dans l'église de Sainte-Croix de Jérusalem à Barcelone, le jour de la fête de saint Laurent, héros de la charité avant d'être un grand martyr. A l'issue de l'offrande, le roi et saint Raymond présentent le nouveau fondateur à l'évêque, qui le revêt de l'habit de l'ordre. Saint Pierre de Nolasque reçoit à son tour, en sa qualité de fondateur, treize gentilshommes presque tous français. C'étaient Guillaume de Bas, seigneur de Montpellier; Arnaud de Carcassonne, fils de la comtesse de Narbonne ; son cousin Bernard de Corbare; Raymond de Montirlon; Raymond de Muncada; PierreGuillaume de Cervelon; Dominique d'Osso; Raymond d'Utrecht; Guillaume de SaintJulien; Hugue de Matha; Bernard d'Essone; Ponces Solares et Raymond Blanc.

Ces chevaliers, et Pierre de Nolasque comme eux, outre les trois vœux ordinaires (ceux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance), s'obligent à engager leur propre personne, et à demeurer prisonniers s'il est nécessaire, pour la délivrance des captif's, ainsi que l'a pratiqué depuis saint Vincent de Paul. L'babit des chevaliers était blanc, et ils portaient dessus un scapulaire, sur lequel le roi voulut que fat brodé l'écusson de ses armes, auquei fut ajoutée une croix d'argent. Ce dernier attribut a pour cause l'origine française de presque tous les chevaliers. Les Français qui combattent contre les Maures se reconnaissent à ce signe. Pierre de Nolasque reçut le titre de grand commandeur.

D'abord les chevaliers rachètent des captifs sans sortir des possessions des princes chrétiens. Mais Pierre de Nolasque leur dit qu'il est dans leur mission de passer chez les infidèles pour y délivrer leurs frères, au risque d'y demeurer captifs eux-mêmes, puisque tels sont leurs engagements. Il est de règle de députer un ou deux chevaliers qui prenaient le nom de redempteurs. Pierre de Nolasque est choisi pour le premier voyage, qu'il entreprend accompagné d'un autre chevalier. L'excursion à lieu au royaume de Valence, occupé alors par les Sarrasins, et elle est couronnée de succès. Il en fait une seconde au royaume de Grenade, qui réussit également. Quatre cents esclaves, tirés des mains des infidèles, tel est le résultat de ces deux expéditions. Cet heureux commencement accrédite l'ordre, et porte le fondateur à demander sa confir mation au Pape Honorius III. Il l'obtient en 1230.

Plusieurs gentilshommes de France, d'Allemagne, d'Angleterre et de Hongrie, entrent dans l'institut. Pierre de Nolasque, qui avait habité jusque-là le palais du roi avec ses religieux, est dans la nécessité de bâtir un couvent régulier. Un magnifique monastère s'élève en 1232 par les libéralités du roi, les aumônes de quelques seigneurs et celles du peuple de Barcelone. Il reçoit

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