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Gênes; et à Rome, les triumvirs arrachèrent des monastères de Lauretana et de SainteCroix celles que le Pape Grégoire XVI y avait appelées. Elles ne durent qu'à leur qualité de Françaises et aux représentations énergiques du consul de France, d'être réintégrées dans la possession de leurs maisons. Il est tout naturel que des asiles dont l'objet est d'apaiser les passions soit en butte aux révolutions qui les déchaînent.

Les Dames du Bon-Pasteur se recrutent avec un grand soin. On n'entre dans la congrégation, sans exception, qu'en payant une dot d'au moins 6,000 francs. Celles de plusieurs postulantes s'élèvent à 20, 30,000 fr. et même davantage. Le personnel de l'ordre appartient, par cela même, à une classe sociale élevée. L'éducation que les religieuses ont ordinairement reçue dans leur jeune age, éducation qui se développe et se complète à la maison mère, inspire assez de confiance pour que l'on confie aux Sœurs, dans le même établissement, à côté des repenties et des préservées, de jeunes filles qui font leur éducation dans des quartiers distincts, à côté des premières, comme dans tout autre pensionnat spécial. L'éducation donnée à chaque catégorie d'élèves est mesurée avec intelligence aux besoins de chacune. La congrégation, en raison même de la distinction de son personnel, attire à elle, comme celle de Saint-Vincent de Paul, des aspirantes de tous les points de l'Europe. Au noviciat, qui a invariablement lieu à la maison mère d'Angers, affluent, avec des Françaises, des Anglaises, des Allemandes, des Italiennes en si grand nombre, que nous avons trouvé, dans la maison du Bon-Pasteur de la petite ville de Nice, des Sœurs de ces quatre nations. Cette coexistence des diverses nationalités dans la même congrégation permettra à l'ordre du Bon-Pasteur, quand il le voudra, d'enseigner, sans effort et sans dépense, dans ses pensionnats, avec la langue française, les autres langues de l'Europe. Les ressources de la congrégation, basées sur des dots élevées, lui permettent de supporter les frais des migrations et de l'établissement des Sœurs sur les points les plus éloignés. Ces premiers frais faits, les maisons qui se fondent ne comptent plus que sur elles. Elles se développent à leurs risques et périls, et de même leurs bénéfices ne profitent en rien à leur maison mère. (Nous avions entendu dire le contraire, et peut-être l'avons-nous répété plus haut Nous nous sommes assuré que c'est une erreur. La colonie n'est rattachée que par des liens spirituels à sa métropole. Elle grandit et possède individuellement. Nous avons vu d'heureux résultats de cette indépendance, nous en avons connu de fâcheux. Toutes les supérieures sont, sans contredit, bien intentionnées; mais il peut y en avoir, sans aucun doute, chez qui l'esprit entreprenant dépasse la prudence. La témérité des entre prises peut se résoudre en déficits dont la congrégation mère, sans doute, n'est pas responsable, mais qui crée un état de choses

dont les inconvénients moraux et matériels sont évidents. Ils sont conjurés quand les religieuses transplantées se placent sous la protection de l'évêque diocésain. Elles relèvent sans doute toujours de lui spirituellement, mais il ne leur est pas arrivé toujours de n'agir que d'après ses conseils et sous sa direction.

Nous devons une mention à part à l'OEμvre d'Egypte, entreprise par les Dames du Bon-Pasteur d'Angers, pour le rachat et l'éducation des jeunes Ethiopiennes. Parties de Paris en octobre 1845, les sœurs furent installées la même année au Grand-Caire, où elles se sont bien vite attiré la sympathie. Elles écrivaient à la supérieure de leur ordre, en 1846, que déjà elles comptaient dans leurs classes près de cent enfants de toutes nations et de toutes religions, arabes, abyssiniennes, arméniennes, cophtes, grecques, maronites, turques, juives, éthiopiennes, nubiennes, etc., recueillies ou rachetées par elles du double esclavage de l'esprit et du corps, et que probablement ce nombre serait doublé dans peu de temps. Elles annonçaient aussi que, pour créer des moyens d'existence à tous ces enfants, lorsqu'elles sortiraient libres et affranchies d'entre leurs mains, elles avaient organisé des ateliers de couture, de broderie, de cordonnerie, de tissage de toile, de fabrication de fleurs artificielles, et que, ces inventions étant à peu près nouvelles dans le pays, elles trouvaient facilement à en écouler les produits, qui commencent à être très-recherchés des Européens et même des indigènes. Enfin elles ont établi une ferme, où leurs protégées sont habituées à la culture des terres et initiées à tous les travaux d'une exploitation agricole d'après la méthode française. Voy. CHARITÉ PRIVÉE et SYSTÈMES PÉNITENTIAIRES.

La Maison de la Miséricorde d'Angers. nité, les filles de service qui se trouvent moOn y reçoit, moyennant une faible indemmentanément sans place.

Petites-Sœurs des pauvres.-Nous empruntons leur histoire à M. Léon Aubineau. Les œuvres de Dieu, dit-il, confondent la raison, elles révèlent les procédés inconcevables dont use la Providence en faveur des desseins qu'elle adopte. L'histoire des Petites-Sœurs des pauvres, en fournit la preuve.

Tant d'enseignements et de consolations de toutes sortes résultent de cette histoire; la faiblesse des instruments dont Dieu s'est servi pour venir si efficacement en aide à ses pauvres, présente une leçon si grande et si bien appropriée aux théories modernes, qu'il est bon de faire connaître à nos lecteurs quelques faits de l'origine et du développement de cette œuvre. Nulle part ne se montre plus visiblement la puissance de la charité, de la charité vraie, qui enbrass o Dieu d'abord et le prochain ensuite pour l'amour de Dieu. L'œuvre des Petites-Sœurs des pauvres, comme toutes les œuvres de Dieu, est née petitement: elle s'est développée et elle se maintient sans autres ressour

ces que celles que lui ménage la Providence. Dans toutes ses contradictions et ses nécessités, elle n'a pas eu d'autre recours que la prière. Avec cet appui elle trouve à employer surabondamment le zèle de charité qu'elle développe parmi ses membres. Il y a là quelque chose qui ressemble à ce que l'école appelle une pétition de principes. La charité et la prière s'entr'aident et tournent, pour ainsi dire, sur elles-mêmes en se développant toujours. La charité conçoit, la prière obtient les moyens d'exécution; la charité en devient plus entreprenante, et la prière, toujours plus vive, voit toujours les moyens d'exécution s'augmenter devant elle. Quand l'œuvre a commencé, on ne pensait pas créer un institut qui s'étendrait sur toute la France, et nous pouvons déjà dire sur le monde entier. Il s'agissait uniquement d'une nécessité présente; Dieu seul a donné à l'entreprise sa fécondité et son extension. Les hommes n'y ont mis que leur patience, leur dévouement et leur docilité aux inspirations divines. C'est à Saint-Servan que l'œuvre des Petites-Sœurs des pauvres a commencé.

Saint-Servan est une petite ville de Bretagne, en face de Saint-Malo, sur le bord de l'Océan, dont un bras, laissé à sec deux fois par jour, sépare les deux cités La population des côtes gagne sa vie et exerce son industrie sur la mer, et on attribue aux fureurs de cet élément le grand nombre de vieilles femmes veuves et sans ressources qu'on rencontre dans la Bretagne. Elles 'ont d'autres moyens d'existence que la mendicité et participent à tous les vices qu'elle enfante. Beaucoup d'entre elles rappellent ces pauvres, dont parlait déjà à saint François de Sales la bonne Anne-Jacqueline Coste: ils prennent l'aumône sans savoir que c'est Dieu qui la donne; ils vivent dans un état de vagabondage aéplorable, hantent les portes des églises sans jamais y entrer et sans rien connaître des mystères qui s'y célèbrent; ils s'adonnent à tous les vices, vivent et meurent dans une ignorance inouïe des choses du salut. Le souci de ces pauvres âmes, qui engageait la bonne tourière du premier monastère de la Visitation d'Annecy à parler hardiment au bienheureux évêque de Genève et à lui indiquer les mesures à prendre pour le bien de cette nombreuse portion de son troupeau, le souci de ces pauvres âmes délaissées, aveugles, éloignées de Dieu et dans un état de misère religieuse cent fois plus à craindre que la misère physique, qui leur attire au moins des aumônes, ce souci pressait, il y a une douzaine d'années (1834), un vicaire de la paroisse de Saint-Servan. I ne nous est pas permis d'entrer dans le détail de la vie de ce prêtre. C'était déjà une vie adonnée à Dieu et aux saints exercices de la charité, une vie dévouée, dont le zèle ne s'arrêtait pas devant les obstacles. Le dénůment des âmes sur lesquelles il s'apitoyait était complet. Saint-Servan ne possédait pas d'hospice.

Le pauvre vicaire n'avait devers lui au

cune des ressources indispensables pour élever un de ces établissements. Mais il pouvait communiquer à certaines âmes la compassion dont il était touché. La Providence se chargea de lui désigner celles auxquelles il devait s'adresser. Une jeune fille de la paroisse qui n'avait pas coutume de s'adresser à lui se trouva un jour à son confessionnal sans avoir jamais pu expliquer pourquoi et comment elle y était entrée. Le prêtre reconnut tout de suite une âme propre au dessein qu'il méditait. De son côté, en écoutant les avis du prêtre auquel elle avait été conduite pour ainsi dire malgré elle, cette jeune fille ressentit cette paix el celte consolation que Dieu donne aux âmes soumises à la direction où il les veut. Elle avait depuis longtemps le désir d'être religieuse; elle était ouvrière et n'avait d'autres moyens d'existence que le travail de ses mains. Le prêtre la confirma dans ses intentions, et commença à entrevoir quelque jour à réaliser son désir de soulager les pauvres vieillards. Il avait déjà remarqué parmi les âmes qu'il dirigeait une autre jeune fille, orpheline et de même condition que la première, Il les engagea à se lier ensemble, et sans rien leur communiquer encore de son projet, les assura que Dieu les voulait l'une et l'autre entièrement à lui et qu'elles le serviraient dans la vocation religieuse; il les encouragea à se préparer à cet honneur et à s'essayer à vaincre en ellesmêmes tous les penchants de la nature. Les deux enfants, on peut bien leur donner ce nom, l'aînée n'avait pas dix-huit ans, la seconde en avait à peine seize, les deux enfants se mirent généreusement à l'œuvre. L'abbé leur avait dit qu'elles serviraient Dieu dans la même communauté, elles le croyaient sans rechercher autre chose. Il avait dit à la plus jeune de consi. dérer l'aînée comme sa supérieure et sa mère; elles travaillaient chacune de leur côté durant la semaine et se réunissaient le dimanche. Avant que l'abbé leur eût recommandé de se lier, elles ne se connaissaient pas. A partir de ce jour, elles se trouvèrent unies par un de ces liens puissants et aimables que la Providence crée entre les âmes qui lui appartiennent, et dont les frivoles amitiés des gens du monde ne peuvent faire comprendre la douceur et la force.

Tous les dimanches, après la messe pa roissiale, ces deux enfants, évitant les compagnies et les distractions, s'en allaient sur le bord de la mer. Elles avaient adopté un certain creux de rocher; elles s'y mettaient à l'abri et y passaient leur après-midi à s'entretenir de Dieu et à se rendre compte l'une à l'autre de leur intérieur et des infractions qu'elles pouvaient avoir commises à un pe tit règlement de vie que l'abbé leur avail donne. Elles s accoutumaient de la sorte, et tout simplement à cet exercice de la vie religieuse qu'on appelle la conférence spirituelle. Elles s'entretenaient de leur règle et s'appliquaient à en pénétrer l'esprit. Cae phrase les arrêtait et elles ne pouvaient ea

pénétrer le sens : « Nous aimerons,» y était il dit, surtout à agir avec douceur et bonté envers les pauvres vieillards infirmes et malades; nous ne leur refuserons pas nos soins toutefois lorsque l'occasion s'en présentera, car nous devons nous donner bien de garde de nous ingérer en ce qui ne nous regarde point. » Elles pesaient tous ces mots sans que rien leur apprit le dessein de celui qu'on pouvait déjà appeler leur père. Il en usait avec elles comme avait fail saint François de Sales à l'égard de sainte Chantal, leur parlant de leur vocation, leur proposant certaines communautés, changeant ensuite d'avis, les engageant à faire des démarches où il savait qu'elles seraient rebutées, exerçant enfin leur patience et ployant leur esprit par toutes les manières possibles pendant près de deux ans. Vers les derniers mois de ce temps d'épreuve il s'était Ouvert à elles un peu davantage et leur avait recommandé de prendre soin d'une vieille aveugle de leur voisinage. Les enfants obéirent et employèrent tous leurs loisirs autour de cette pauvre intirme; elles la soulageaient selon leur petit pouvoir, disposant en sa faveur de leurs économies, faisant son ménage, la conduisant à la messe le dimanche, enfin remplissant auprès d'elle tous les offices que la charité pouvait leur inspirer. Cependant la Providence accommoda bientôt les choses de manière à ce qu'on pût procéder à un petit commencement de l'œuvre, dont on n'avait encore qu'une si faible esquisse. Elle mit sur le chemin des deux jeunes filles une ancienne servante, dont le nom est aujourd'hui connu de toute la France. Jeanne Jugan avait quarante-huit ans; elle possédait une petite somme d'environ six cents francs; elle suffisait par son travail au surplus de ses besoins; elle vivait seule; on s'associa avec elle, et Marie-Thérèse, qui était orpheline, s'installa dans sa mansarde. Marie-Augustine vint y passer tout le temps dont elle pouvait disposer, mais elle resta dans sa famille.

On ne voulait pas publier qu'on allait fonder un institut nouveau, et les trois nouvelles sœurs l'ignoraient à peu près encore elles-mêmes. Leur père leur avait recommandé de se livrer entièrement à la divine Providence, de se confier à elle de toutes choses et de s'inquiéter seulement d'aimer Dieu, de le servir de toute leur âme et de se dévouer au salut et au soulagement du prochain et des vieillards. Les enfants le faisaient joyeusement; elles avaient prié Dieu de bénir leur entreprise et de regarder avec miséricorde leur essai de vie commune. D'ailleurs, en s'établissant dans la mansarde, Marie-Thérèse n'y vint pas seule. Elle amena avec elle Notre-Seigneur, présent et vivant dans la personne de ses pauvres. Le jour de la fête de sainte Thérèse 1840, on installa dans la petite chambre de Jeanne la pauvre aveugle de quatre-vingts ans, qu'on soignait depuis plusieurs mois. Marie-Augustine et Marie-Thérèse apportèrent sur leurs bras cette chère infirme,

DICTIONN. D'ECONOMIE CHARITABLE.

III.

et la bénédiction de Dieu temba avec elle dans le nouveau ménage. Il y avait encore une petite place dans le logement, on y mit bientôt une seconde vieille. La maison se trouvait alors complète. Rien n'était change d'ailleurs aux allures des personnages qui l'habitaient. Jeanue filait, Marie-Augustine et Marie-Thérèse travaillaient à leur couture ou à leur lingerie, interrompant leurs travaux pour soigner les deux infirmes et leur rendre tous les devoirs de filles pieuses envers leurs mères, soulageant leurs maux, éclairant leur foi, animant, soutenant et réchauffant leur piété. Le vicaire, que nous pouvons bien déjà appeler le fondateur et le père, aidait de tout ce qu'il pouvait à la pctite communauté, et, avec la grâce de Dieu, on se suffisait. Ce n'était pas tout que de se suffire, il fallait encore se développer. Une quatrième servante des pauvres s'était unie aux trois premières; elle était malade et sur le point de mourir comme aux anciens jours, elle voulut mourir consacrée à Dieu et parmi les servantes des pauvres. Elle se fit transporter dans la mansarde et y guérit. Elle laissa à Dieu cette vie qu'elle lui avait offerte et qu'il lui avait rendue; elle se voua au service des infirmes et des vieillards. Mais le soulagement de deux vieilles femmes ne pouvait pas être tout le fruit que l'Eglise devait tirer, pour la gloire de Dieu, du dévouement de ces généreuses filles.

On resta dans la mansarde environ dix mois; c'était le temps d'essai, le temps de noviciat, pour ainsi dire. Peut-être avaiton espéré que ce dévouement exciterait bientôt un généreux concours et attirerait des ressources qui permettraient d'étendre l'œuvre et d'ouvrir un asile à un plus grand nombre de vieillards. Peut-être aussi n'avait-on pas regardé au delà du commencement que nous venons de raconter. Toujours est-il que, si on attendait un secours humain, on résolut de s'en passer, et si on avait borné ses désirs au spectacle si beau et si consolant de ce qui se passait dans sa mansarde, on ne s'en contenta plus désormais. Quand on se donne à Dieu, il faut se donner tout entier : le sacrifice a des saveurs auxquelles les âmes qui les ont une fois goûtées ne peuvent plus se soustraire; elles veulent aller jusqu'au bout, faisant ce qui dépend d'elles, et laissant aux autres le soin de concourir, si bon leur semble, aux œuvres que Dieu leur a une fois indiquées.

Dans les conseils de la mansarde on résolut donc de s'agrandir et de faire profiter un plus grand nombre de vieillards des bienfaits qu'on voulait leur apporter. On prit à loyer un rez-de-chaussée assez incomniode, une salle basse, humide, qui avait servi longtemps de cabaret. On pouvait y installer douze lits; ils y furent bientôt, et bientôt tous occupés. Les quatre servantes des pauvres avaient fort à faire autour de leurs pensionnaires. Il ne pouvait plus être question pour elles de gagner leur vie et celle de leurs protégées en travaillant. C'était assez de ren

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dre à leurs bien-aimés pauvres tous les services que réclamaient leur âge et leurs infirmités. Elles pansaient les plaies, nettoyaient les ordures, levaient et couchaient leurs vieilles, les instruisant encore et les consolant; il était impossible de pourvoir aux autres nécessités. Le bureau de bienfaisance continuait aux vieilles femmes, ainsi réunies par la charité, les secours qu'il leur distribuait isolément: il leur donnait du pain et leur prêtait du linge. Pour subvenir au surplus des besoins (et ils ne manquaient pas), celles des vicilles qui pouvaient marcher continuaient leur ancienne industrie, et sortaient tous les jours pour mendier. Les sœurs préparaient les repas et partageaient ellesmêmes ce pain de la mendicité; de la sorte, avec les secours imprévus et impossibles à prévoir qui arrivaient de temps à autre, on parvint encore à se suffire.

Ce n'était pas cependant assez de partager ce pain mendié, Dieu exigeait un nouveau sacrifice et un dernier abaissement; la mendicité des vieilles femmes avait l'inconvénient de les remettre constamment dans le danger de leurs mauvaises habitudes, de les rapprocher de l'occasion de s'enivrer, par exemple, qui était le vice dominant de la plupart de ces malheureuses; les sœurs, jalouses surtout du salut de leurs pauvres, voulurent les éloigner de cette tentation et leur épargner aussi l'avilissement de la mendicité, bien que la plupart y eussent vieilli et n'en ressentissent pas l'ignominie. Le père proposa à ses enfants de n'être plus seulement les servantes des pauvres, mais de devenir aussi mendiantes par amour pour elles et pour la gloire de Dieu. Le sacrifice ne fut pas plutôt indiqué qu'il fut embrassé. Sans scrupule, sans hésitation, on se fit mendiante. Jeanne, la première, prit un panier et sortit immédiatement; elle se présenta bravement, le cœur enflammé de l'amour de Dieu et du prochain, dans toutes les maisons où ses pauvres étaient habituellement secourus. Elle recueillit humblement et avec reconnaissance les morceaux de pain et les liards qu'on voulut bien lui donner. La Providence réservait là pour les Petites-Sœurs une ressource inépuisable. Depuis ce temps elles ont ramassé le pain de leurs pauvres dans cette noble et sainte mendicité. Toutes ses compagnes ont imité Jeanne. Elle est cependant restée la quêteuse en titre, pour ainsi dire, de l'institut. Elle est infatigable et ne se contente pas de parcourir les villes où l'œuvre est établie, elle va partout.

Ce dévouement incroyable n'attire pas seulement les bénédictions de Dieu, il conquiert les suffrages des hommes. L'Académie a accordé un prix de vertu à la noble et intrépide mendiante. Dès les premiers jours, ce dévouement surprit et toucha: la quête faite par les sœurs fut plus abondante que celle des pauvres vieilles on ajouta quelque chose au liard ou au morceau de pain accoutumé. Des vêtements, des meubles, des provisions de toutes sortes se trouvèrent à la disposition des sœurs; leurs pauvres en fu

rent mieux traités. Le linge toutefois manquait : celui du bureau de bienfaisance était déjà insuffisant, et la détresse devint extrême lorsque le bureau, pressé d'autre part, se vit dans la nécessité de retirer aux PetitesSœurs le linge dont il disposait en faveur de leurs pauvres. Dans cette anxiété, les PetitesSœurs eurent recours à leur ressource ordinaires; elles prièrent et s'adressèrent plus particulièrement à Marie, la chargeant de venir à leur aide. Le jour de la fête de l'Assomption on dressa un petit autel à la sainte Vierge. Un gendarme, voisin de l'asile que le peuple appelait déjà l'asile des bonnes femmes, touché de ce qu'il voyait journellement dans cette maison bénie, se chargea d'élever et de décorer le petit autel. Les sœurs étendirent au-devant tout le pauvre linge de leurs protégées : cinq ou six mauvaises chemises composaient la richesse de la maison: point de draps. La sainte Vierge se laissa attendrir, et qui ne l'eût pas été en présence de cette misère? L'autel fut assez visité les jours suivants; la divine Mère toucha les cœurs; chacun s'empressa de soulager cette détresse. De pauvres servantes, qui n'avaient rien à donner, ôtaient leurs bagues et les passaient au cou de l'enfant Jésus que tenait entre ses bras la Vierge Mère, dont une statue, haute comme la main, dominait l'autel. Par cette industrie et cette miséricorde, les pauvres se trouvèrent suffisamment pourvus de chemises, de draps et des autres linges indispensables.

Tout succédait de la sorte; néanmoins aucune vocation n'était déterminée par le spectacle du dévouement des premières sœurs il y avait déjà plus de trois ans que le fondateur avait parlé de son dessein à Marie-Augustine et à Marie-Thérèse, qu'il leur avait donné un règlement de vie, et les avait placées sous le patronage de Marie im maculée, de saint Joseph et de saint Augustin: il y avait plus de dix-huit mois que l'œuvre du soulagement des pauvres était commencée, et personne n'était venu se joindre aux trois fondatrices. C'est la coutume que toutes les entreprises de Dieu soient sujettes à des contradictions. Celles qu'éprouvaient les Petites-Sœurs des pauvres étaient de diverse nature. M. le curé de Saint-Servan avait approuvé les efforts de leur charité; on y trouvait cependant bien des choses à redire. L'entreprise était si nouvelle, si étrange; elle confondait tellement la sagesse humaine! Ce n'était pas tout de nourrir les pauvres et de les abriter par des procédés aussi étranges; n'était-ce pas une chose aussi inconcevable d'essayer à réunir en communauté de petites ouvrières sans instruction? Qui les formerait à la vie et à la discipline, se demandait-on dans SaintServan? Qui leur enseignerait à aimer et à pratiquer les règles spirituelles? Avant de les réunir, n'eût-il pas été expédient de les former dans quelque communauté anciennement établie et bien connue? Tout au moins on aurait dû, en les mettant à l'œuvre, les placer sous la conduite d'une maîtresse des

novices, habituée depuis longtemps à la vie régulière, habile à former et à reconnaître les vocations, à plier, à exercer et à rompre les volontés humaines. Tout cela était sensé et parfaitement juste; mais l'Esprit de Dieu souffle où il veut (Joan. 111, 8), et le fondateur sentait dans le fond de son cœur qu'il entre prenait une œuvre nouvelle, et qu'à une œuvre nouvelle il faut des ouvriers nouveaux.

En même temps que les sympathies nécessaires à l'existence de leurs pauvres s'étaient éveillées, comme un cercle de ridicule et d'opprobre s'était fait autour des sœurs; elles eurent à boire toute la honte de leur mendicité on les montrait du doigt, on les raillait et on les bafouait dans les rues de Saint-Servan; à peine si leurs anciennes compagnes de catéchisme, d'école, d'atelier ou d'enfance, osaient les approcher. Celles que leurs exemples attiraient, qui admiraient leur dévouement et qui se seniaient portées à l'imiter, étaient instinctivement retenues par tout l'éclat et le scandale de leur entreprise. Une seule des quatre fondatrices, Marie-Augustine, avait sa famille. Elle ne lui épargnait pas les reproches et les réprimandes; sa jeune sœur, aujourd'hui supérieure de la maison de Rennes, lui disait quand elle la rencontrait avec son panier, allant à la quête : x Va, va, ne me parle point, avec ton panier tu me fais honte! » La sœur Marie, aujourd'hui supérieure d'une des maisons de Paris, se sentait bien touchée et aurait voulu s'unir au zèle des Petites-Sœurs ; mais, en voyant l'abjection où elles étaient, elie se sentait dégoûtée et répétait intérieuroment: Non, mon Dieu, non, ce n'est pas possible, vous n'exigez pas cela de moi! La sœur Félicité, qui est morte supérieure à Angers, et morte comme on conçoit que doivent mourir les Petites-Sœurs des Pauvres, la sœur Félicité, dévorée du désir de se consacrer à Dieu, invoquait saint Joseph, devant l'autel duquel elle se plaçait habituellement à l'église, et, dans sa naïveté, elle le priait de lui obtenir la grâce d'être religieuse, mais non pas chez les Petites-Sœurs, ajoutait-elle.

La première qui, après quatre années de cette rude épreuve d'isolement, rompit enfin cette sorte de charme, ne savait pas en entrant dans la maison qu'elle dût y rester. Elle était simplement venue, dans un moment de presse, aider aux sœurs. Lorsqu'elle eut goûté la paix de ces aimables enfants, cette paix que Dieu donne à ceux qui l'aiment et se dévouent à son service, elle se laissa prendre à cette glu si forte, et demanda à être reçue dans leur sainte compagnie. Elle ne fut pas la seule à y pénétrer de cette manière. Une autre visitait quelquesunes de ses compagnes nouvellement admises parmi les Petites-Sœurs; elle les trouva si gaies et si joyeuses, qu'elle voulut partager leur bonheur et rester avec elles. Dans une des maisons qui se fondèrent plus tard, deux ouvrières s'offrirent un jour à raccommoder le linge une quêteuse était passée dans leur village et les avait mises

au courant de l'OEuvre. Se trouvant sans ouvrage, elles avaient pensé à employer utilement leur temps à visiter les hardes des sœurs et des vieilles. Elles venaient de cinq lieues dans le désir de faire cette petite charité. Elles s'en acquittèrent joyeusement, et partirent au bout de quelques jours, mais non point sans pleurer un peu, sans embrasser les sœurs et leur promettre de revenir au plus tôt. Elles revinrent en effet : ce n'était plus pour donner à Dieu le superflu de leur temps; elles offraient de consacrer à son service et au soulagement des pauvres toute leur vie et toutes leurs forces. Elles avaient ainsi rencontré la grâce de leur vocation dans l'accomplissement d'un acte de charité leur générosité avait trouvé dès ici-bas sa récompense, une précieuse récompense, bien plus grande et plus pure encore que leur dévouement! (Louis AUBINEAU, journal l'Univers.)

Nous abrégeons à regret le récit de M. Louis Aubineau. Nous nous arrêtons ici, parce que l'on voit déjà que la congrégation des Petites-Sœurs est fondée. On achète, en 1842, une grande maison qui coûte 22,000 francs, et qui, au bout d'un an, par d'autres miracles de charité, était payée. Douze ans plus tard, les Petites-Sœurs des pauvres avaient en France 40 maisons, ne recevant pas loin de 2,000 vieillards. Elles en possèdent deux à Paris l'une faubourg Saint-Jacques, et l'autre rue du Regard. Nous citerons celles de Marseille, Nancy, Besançon, Rouen, Tours, Vannes, Blois, Bordeaux, Lille, Chartres, Dijon, Laval, Le Mans, Servan, Colmar. (Voy. CHARITÉ PRIVÉE et HÔPITAUX.)

Un décret de 1852 (8 novembre), a autorisé les Sœurs de l'Immaculée-Conception, dont la maison mère est à Saint-Méen (Ille-et-Vilaine). Nous avons dit que le seul département d'Ille-et-Vilaine renfermait 3,000 sœurs.

La maison mère des Sœurs de la Miséricorde de Séez compte 80 sœurs; 120 religieuses de l'ordre sont répandues dans 15 établissements. Les plus éloignées sont établies à Poitiers. Les Sœurs de la Miséricorde ont été fondées il y a trente-cinq ans par un chanoine de la cathédrale de Séez, M. Bazin. On entre dans la congrégation comme novice à 15 ans au plus tôt, et pas au delà de 32 à 33 ans. Le temps du noviciat est de 2 ans, mais il est quelquefois abrégé. Celles dont l'instruction ne parait pas susceptible de développement restent converses. Le fondateur a le titre de directeur. Un chanoine bonoraire, M. Durand, porte aujourd'hui ce dernier titre en raison du grand âge de M. Bazin.

Il a été parlé ailleurs des Sœurs de la Charité d'Evron (canton de Mayenne).

Les Sœurs Sainte-Marthe du Périgord se rencontrent dans 9 maisons, hôpitaux ou hospices de la Dordogne et des deux Cha

rente.

Les Sœurs de l'instruction chrétienne, dont la maison mère est à Gildas-des-Bois (Loire-Inférieure), comptent 460 membres et 64 établissements. Les Filles du Saint

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