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l'esprit lyonnais dans tous les temps, et a fait appeler la cité la ville des aumônes comme ses combats sanglants soutenus pour la foi dans les premiers siècles de l'Eglise, l'ont fait appeler la ville des martyrs: noble héritage que les générations qui meurent lèguent aux générations qui leur survivent. La charité est un arbre implanté sur le sol lyonnais dès l'origine du christianisme, et arrosé par le sang de ses ancêtres. Un orateur sacré, témoin des prodiges enfantés par cet esprit de bienfaisance et de compassion pour les malheureux, appelait Lyon la terre classique de la charité chrétienne.

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Avant nos troubles révolutionnaires Lyon renfermait une foule de monastères et de couvents habités par de pieux personnages qui répondaient dans le sein des pauvres les trésors que la générosité de leurs concitoyens avait confiés à leur prudence et à leur sage discrétion. C'était à ces sources fécondes que la veuve et l'orphelin allaient avec assurance puiser des secours abondants au moment de la détresse, et des consolations dans leurs misères. La révolution, en détruisant ces pieux asiles, dissipa d'un seul coup une partie du patrimoine des pauvres. Mais la foi ne périt pas, et à peine la tempête fut-elle apaisée, que cette foi toujours ardente, toujours active, enfanta de nouveaux prodiges de charité, qui chaque jour prennent un nouvel essor.

La charité lyonnaise n'est pas un sentiment éphémère qui s'apitoie un moment au spectacle d'une infirmité, qui donne un secours passager, et puis qui oublie et détourne la tête. C'est quelque chose de plus grand, de plus solide et de plus durable. Elle cherche dans la fécondité de ses ressources les moyens les plus capables de secourir vraiment et longuement!'infortune; et, dans la distribution de ses aumônes, elle ne voit pas seulement le soulagement des corps, elle voit les âmes. Elle appelle à son aide tous les rangs, toutes les conditions, tous les sexes, tous les âges; elle frappe à toutes les portes, elle intéresse tous les cœurs, elle fait abnégation de toutes les opinions politiques, de tous les systèmes, de tous les partis; elle a dit à tous: Voilà un malheureux, aidez-moi à le secourir; qui que vous soyez, il est votre frère, il faut lui rendre le fardeau de la vie moins pesant, et lui donner l'espérance d'un meilfeur avenir. Alors, dociles à cette voie connue et pour ainsi dire patriotique, les cœurs s'émeuvent, des sociétés se forment pour rendre le poids plus léger; des établissements charitables sont créés, ils prospèrent; et souvent, au milieu de la grande cité, on ignore le nom de celui qui, le premier, a conçu l'heureuse pensée d'élever un nouveru monument au soulagement du malheu reix. Le marbre et l'airain ne transmettent point à la postérité le souvenir des bienfaisants fondateurs. Le bienfait est public, le bienfaiteur est caché. Lyon offre des secours généreux à toutes les misères et à tous

les âges de la vie. En naissant dans la pauvreté, le petit enfant trouve des mères adoptives qui soignent son jeune âge, qui couvrent ses membres délicats, qui lui assurent le lait maternel avec une tendrese sans égale. S'il est le fruit de la honte et du crimè, innocent de la faute de sa mère, il trouve des parents adoptifs dans les administrateurs des hôpitaux. A mesure qu'il grandit, si d'incurables infirmités l'empêchent de subvenir par le travail de ses bras à sa triste existence, un asile lui est ouvert, d'autres travaillent pour lui, il emploie les facultés de son cœur à bénir les mains qui le nourrissent. Est-il orphelin? il ne le sera qu'un moment, il trouvera une nombreuse famille d'êtres aussi malheureux que lui, qu'il appellera ses frères, il ne sera pas étranger pour cela à la société, on le disposera par le travail et par un esprit religieux à rendre un jour des services à la patrie. Est-il vicieux? le monde le repousse, mais la religion lui ouvre son sein, lui adresse de douces paroles, le courbe doucement et patiemment sous le joug de la vertu. Arrive-t-il à cet âge où il veut prendre place dans les sociétés? des hommes charitables aplaniront les difficultés qui s'opposent à son mariage. Est-il malade? on viendra le soigner, le soulager, le consoler, l'encourager. Manque-t-il de pain? un ange de la terre, sous la forme d'une femme, viendra lui apporter le pain de tous les jours. Ses membres sont-ils glacés par le froid d'une saison rigoureuse? il est réchauffé par le feu de la charité. Et lorsque incliné sous le poids des travaux excessifs et des années, il ne peut plus subvenir à son existence, la charité le recueille dans son palais, élevé par les aumônes de ses concitoyens, et il y attend doucement, sous l'œil de la religion, le moment de la mort en s'occupant de son éternité. La charité est tellement gravée dans le caractère du Lyonnais, qu'elle est l'objet presque continuel de ses conversations, de ses études et de ses plaisirs. On ne peut entrer dans une maison que l'aumône ne soit là comme dans sa famille pour intéresser les amis, les connaissances au soulagement des indigents. Le négociant n'oublie jamais dans l'inventaire annuel de son commerce, la part du pauvre ; l'épouse compte au nombre de ses dépenses obligées ses œuvres de charité; le propriétaire dans son budget comprend toujours l'article des aumônes. On dirait que la devise de la plupart des familles lyonnai ses est le mot si vrai : L'aumône porte bonheur.

« Ce qu'il y a encore de remarquable dans la charité lyonnaise, c'est que, outre les sociétés nombreuses soutenues par les bienfaits annuels des personnes charitables, presque chaque famille a son pauvre de prédi lection, et quelquefois une famille entière indigente: c'est le génie bienfaisant de la famille, il passe, pour ainsi dire, en héritage, des pères aux enfants; pieuse succession, qui n'est jamais répudiée. Il y a quelques années, une femme des plus charita

bles mourut. Au moment où ses tristes enfants, accompagnés de leurs nombreux amis, allaient lui rendre les derniers devoirs, un riche négociant qui était venu assister au convoi, s'approche de son fils et lui dit : Monsieur, personne plus que moi ne prend part à la perte douloureuse que vous venez de faire vous êtes l'héritier naturel de votre vénérable mère, je vous demande une part à sa succession ; avant de vous indiquer l'objet de mes désirs les plus ardents, promettez-moi de ne pas me le refuser. Le triste fils, qui connaissait les rapports qui avaient existé entre sa bienfaisante mère et l'honuête négociant, persuadé que celui-ci ne voulait qu'un léger souvenir qui lui rappelât la mémoire de celle qu'il pleurait, lui promet d'accéder à ses désirs;--Alors, Monsieur, lui dit le négociant, j'ai votre parole, vous me donnerez la liste des pauvres de votre mère, ils seront les miens et je m'acquitterai des obligations que j'ai à celle que nous Pleurons ensemble. Hélas! Monsieur, lui répondit le fils, j'acquitterai ma promesse, mais vous me ravissez la plus belle portion de l'héritage de ma mère, elle est morte sans fortune et je me trouvais fort heureux de continuer ses bienfaits. »>

Propagation de la foi. Une des gloires de la charité lyonnaise, c'est l'association pour la propagation de la foi. Pensée ragnifique, aussitôt comprise qu'énoncée, qui s'est répandue à travers la France catholique, qui a traversé nos frontières avec la rapidité de l'éclair, qui a été chercher de généreux concours presque dans toutes les contrées du monde, et jusque dans cette Angleterre, où de nos jours l'hérésie expirante semble se débattre contre les derniers assauts d'une terrible agonie. L'Arabe du désert africain, vaincu par la valeur de nos soldats, semble vouloir aider la croix de Jésus-Christ à triompher de la barbarie et à vaincre l'islamisme: plusieurs ont voulu souscrire à l'œuvre de la propagation de la for. Lyon, la plus ancienne ville catholique des Gaules, devait être la première à lever l'étendard de cette œuvre qui est devenue bientôt si féconde en heureux résultats. I n'est pas de ville en France qui, depuis trente ans, ait fourni autant d'apôtres aux missions étrangères. Pour ne citer que les évêques lyonnais, l'on trouve en Cochinchine, Mgr Taberd; en Amérique, Mgr Blanc, évêque de la Nouvelle-Orléans; Mgr Portier, évêque de la Mobile; Mgr Loras, évêque de Dubucque, dans l'Océanie; Mgr Pompalier, évêque de Polynésie. Les missionnaires sont encore plus nombreux, plusieurs sont morts victimes de leur zèle; le plus grand nombre vit encore et travaille avec un infatigable zèle.

Les diocèses environnants furent invités à marcher sur les traces des fidèles Lyonnais, partout on répondit à ce religieux appel. Des conseils d'administration se formerent dans les villes épiscopales. Le grand aumônier, par une lettre, en date du 18 août 1822, recommande l'association naissante à

tous les évêques et archevêques du royaunie. La catholicité présente est appelée en aide de la catholicité future; l'esprit vivifiant de la charité évangélique rapprochera es hommes malgré les distances, et liera étroitement, par les bienfaits de la reconnaissance, la grande famille chrétienne dispersée sur toute la surface de la terre. C'est un des caractères les plus remarquables de cette association, qu'elle a su rapprocher dans un même but les classes les plus distantes, et qu'elle semble même s'appuyer principalement sur cette portion de la société que la nécessité de sa position avait exclue, jusqu'à ce jour, de toute participation efficace à des œuvres de charité. Le denier de la veuve est plus productif à l'association que l'offrande isolée du riche. Voy. aux mots AsSOCIATIONS et CONGREGATIONS.

Jeunes filles incurables. Sur la place d'Ainay, près de l'antique église, où l'on voit encore les colonnes qui soutenaient jadis le temple d'Auguste orner le sanctuaire du Dieu vivant, est une modeste maison ombragée de quelques arbres; c'est là que vivent en paix de pauvres jeures filles accablées de ces infirmités contre lesquelles la science médicale est impuissante. Triste spectacle qui brise le cœur, qui fait verser des larmes ! La philanthropie du siècle n'a trouvé qu'une compassion tout humaine pour le soulagement de ces êtres malheureux; mais la charité chrétienne leur a fourni un asile, des soins tendres et assidus, du pain qu'ils ne peuvent se procurer à l'aide de leurs bras affaiblis par d'affreuses maladies, des cœurs de mères pour les consoler et leur aider à supporter leur pénible existence. Là, de jeunes aveugles prêtent le secours de leurs bras à d'autres infortunées qui voient pour elles; là, des épileptiques, des scrofuleuses, que les hôpitaux ordinaires n'admettent pas dans leur sein, vivent en paix sous l'aile protectrice de la refigion qui les encourage par ses sublimes espérances à supporter le poids accablant de la vie. Nées dans la pauvreté et la misère, elles trouvent leur recommandation, pour être admises dans ce charitable asile, dans le seul excès de leur misère. Les préférées sont les plus infortunées; celles que le monde rebute et repousse de son sein sont les plus chéries et les plus favorisées. Admirable effet de la charité chrétienne ! Soixante-dix jeunes filles, renfermées dans cet asile, reçoivent chaque jour le pain de la miséricorde, passent des nuits tranquilles sans s'inquiéter du lendemain, et attendent en paix la fin de leurs souffrances. Qui donc a fondé cet asile pour des êtres si malheureux ?

Mile Perrin, plus riche de vertus que de fortune, employait une bonne partie de son temps à visiter et consoler les malades dans nos hôpitaux. Au mois de juillet de l'année 1819, elle fit connaissance d'une pauvre or pheline que l'impuissance de la médecine obligeait de sortir de l'Hôtel-Dieu, et qui malheureusement se trouvait sans asile et sar's

ressources, incapable par elle-même de se procurer les objets essentiels à la vie. Touchée d'une si grande détresse, Mlle Perrin devint son ange tutélaire; son cœur et son esprit ne sont plus occupés que de la pensée de trouver un asile à sa jeune protégée: le temps presse, l'incurable doit sortir de l'hôpital dans vingt-quatre heures. Mais la charité se presse aussi ; la pauvre fille sera confiée aux soins d'une pauvre femme qui trouvera elle-même un secours dans celui qui est accordé à celle sur laquelle elle doit veiller. Une dame charitable viendra en aide à Mlle Perrin, et partagera la bonne œuvre. A peine trois mois sont-ils écoulés que deux autres incurables poussées par une secrète inspiration de la Providence, viennent aussi implorer la pitié de la mère des pauvres.

Le petit appartement de la première protégée ne suffit pas; il faut tout un mobilier pour abriter convenablement et sans laxe les trois pauvres incurables. La charité pourvoira à tout. Pour que l'effet de la Providence soit plus visible dans le prodige de cet établissement nouveau, c'est dans le quartier le plus pauvre de la ville que, Mlle Perrin logera ces pauvres incurables, et bientôt une quatrième arrivera, précédée par les généreux bienfaits d'un pasteur qui a laissé, parmi les pauvres de sa paroisse, un souvenir impérissable: le vénérable M. Julliard, curé de Saint-François.

Le pauvre appartement de la rue SaintGeorges devient lui-même trop petit; de vastes greniers, situés dans la maison de la Manécanterie, où loge Mlle Perrin, peuvent, avec peu de frais, être convertis en chambres habitables, la dépense est bientôt faite, et voilà les jeunes incurables placées auprès de leur bienfaitrice, presque sous les voûtes de cette vieille cathédrale qui les ombrage de ses antiques tours. La charité de Mlle Perrin est encore couverte d'un voile mystérieux, et de nouvelles incurables sollicitent une égale protection: c'était en 1825, l'hiver est venu avec ses longues soirées et ses fêtes. Mais la pieuse bienfaitrice des incurables n'oublie pas ses chers enfants. Il lui est facile d'improviser, chez une de ses amies, une soirée hebdomadaire qui sera la source d'abondantes aumônes pour son œuvre. Les dames s'y rendent tous les mercredis, sans toilette; on y travaille pour les pauvres. Le premier mercredi de chaque mois, les associées se rendent au lieu convenu et trouvent des tables et les ustensiles nécessaires pour le travail. Le mercredi de la seconde semaine, des étoffes sont envoyées aux nobles ouvrières de la charité. Les dames s'assemblent à cinq heures, les maris et les frères viennent les chercher à neuf. Une partie d'écarté occupe les derniers instants, le pauvre en recueille les bénéfices, même en jouant on a fait une bonne action.

Pour établir l'ordre dans le travail, on nomme une présidente, une secrétaire, une trésorière. Une note exacte est tenue des étoffes et de leur emploi, ainsi que de la re

cette et de la dépense. Dans le nombre des envois, il en est un composé de six habillements complets pour de petits garçons. Au jour de la distribution des prix, M. le curé de Saint-François, l'abbé Julliard, a envoyé, sur la demande des dames, douze petits enfants pauvres, de l'un et de l'autre sexe, pour recevoir chacun un vêtement complet. La séance s'ouvre, ce jour-là, par un compte rendu du travail des soirées. Pendant que l'orateur prononçait ces mots : « Il est juste, Mesdames, que vous jouissiez du bien que Vous avez fait.....» on voit entrer les pauvres petits enfants, vêtus des habits confectionnés dans les réunions d'hiver. Les uns tientnent des couronnes, les autres portent des corbeilles remplies de fleurs du printemps, qu'ils viennent mettre aux pieds de leurs bienfaitrices. Les larmes coulent de tous les yeux c'était la joie de faire des heureux qui les faisait répandre, On passe en revue ce qui reste à distribuer. Une des dames les réclame pour de pauvres filles qu'elle dit connaître depuis longtemps; on les lui adjuge. On tire au sort le nom de celles qui se rendent à la demeure de ses protégées. On porte le fruit du travail à son adresse. Que trouve-t-on? Une troupe d'enfants de tout age. En face de ce spectacle on est ému. Quelques questions dévoilent tout le mystère de la charité. La société était dissoute par le fait de la cessation des soirées. On se déclare en permanence pour prendre instantanément le moyen de soutenir une œuvre qui parle si éloquemment au cœur: Dieu le veut! Dieu le veut! s'écrie-t-on dans toute l'assemblée. On nomme un conseil : les nominations des dames qui avaient été désignées pour présider au travail des réunions sont maintenues.

L'œuvre isolée d'une seule dame va devenir un établissement. Que voulons-nous faire? dirent les membres chrétiens de cetle assemblée. Nous voulons élever un bâtiment pour sauver les filles malheureuses des grandes eaux de la tribulation? Eh bien ! qu'il ait ses ancres dans le ciel. Nous voulons fonder une maison de charité, plaçonsla sous la sauvegarde de la religion, sous le vocable de la charité. On l'appellera : l'Etablissement de charité pour les jeunes filles incurables. Une commission nommée pour annoncer le but de l'institution et les conditions exigées, vint ensuite soumettre ses vues. Le conseil les adopta. Ainsi, le plaisir de la charité trouve l'occasion de secourir une jeune incurable, le plaisir de la charité, dans un salon doré, fonde sur des bases inébranlables un établissement pour les jeunes incurables, et dote la ville d'une institution nécessaire à laquelle on n'avait pas encore pensé. Le bruit de la bonne œuvre se répand bientôt dans la cité; on loue, on admire; la louange, l'admiration excitent le noble sentiment de l'émulation, les souscriptions arrivent; on aperçoit déjà, dans un prochain avenir, le nouvel établis sement croître, prospérer, s'agrandir. De suite un nouveau local est préparé aux

jeunes incurables dans la rue Vaubecour; le vénérable pasteur de la paroisse d'Ainay s'empresse d'accueillir ces nouvelles brebis, et vient installer lui-même les deux sœurs de Saint-Joseph préposées aux soins des jeunes infirmes. Vingt-huit infirmes ont trouvé un asile. Ainsi commencent toutes ies œuvres.

La charité ne se lasse point: les soirées d'hiver ont recommencé, même activité au travail en faveur des jeunes incurables, même industrie et plus grande encore pour se procurer des aumônes. Une vente est indiquée en faveur des pauvres filles. Au jour fixé, un salon est changé en gracieux bazar, toute la noble société s'y rend en foule, les objets les plus minimes, confectionnés par les bienfaitrices de l'œuvre, acquièrent un prix bien au delà de leur valeur, la recette surpasse les espérances.

La inaison de la rue de Vaubecour est remplie, ses portes sont assiégées par une foule de postulantes; alors on loue, au prix de treize cents francs, la maison Capelin, dans la rue de l'Abbaye, de charitables dames abandonnent avec joie les aisances de la vie, et viennent se renfermer avec les jeunes incurables pour leur prodiguer des soins à la place des sœurs de Saint-Joseph.

Cependant, la mère des jeunes incnrables, la charitable Mlle Perrin, termine sa modeste et glorieuse carrière; le fruit est mûr pour le ciel, la mort vient mettre fin à des jours qui n'ont été employés qu'à répandre des Lienfaits. Pauvres enfants, ne pleurez pas; celle qui vous aimait sur la terre vous protégera du haut du ciel, vous ne serez point abandonnées! En effet, i semble que les béLédictions de Dieu se sont répandues davantage encore sur ce précieux établissement depuis la mort de Mte Perrin: les ressources s'augmentent avec le zèle; des quêtes abondantes faites dans la ville, des loteries charitables, des emprunts sans intérêt, fournissent les movens d'acheter la maison Capelin, afin de pouvoir plus librement disposer le local d'une manière convenable au service des cunes infirmes. Les sœurs de Saint-Vincent de Paul sont appelées pour la cirection de l'établissement, inais la rigoureuse invariabilité de leur règle ne pouvant se faire avec les statuts fondamentaux, de rétablissement, elles ne font que passer et cédent bientôt la place aux sœurs de SaintJoseph, qui se trouvent chargées des jeunes Incurables, dont le nombre s'augmentera à mesure que les dettes contractées seront éteintes. L'établissement en contenait soixante-dix en 1840.

Les Charlottes. Au milieu de la tempête affreuse d'il y a soixante ans, une jauvre fille, nommée Charlotte Dupin, d'abord ouvrière, ensuité domestique d'un ecclésiastique de la paroisse d'Alay, fut incarcérée dans la prison de Roanne comme coupable d'avoir rendu les modestes services de son état à celui qui avait le malbeur d'être prêtre et qui était son maître. Pendant sa courte détention, elle apprit tout ce que

les malheureux détenus ecclésiastiques et laïques avaient à souffrir de leurs barbares geoliers. Rendue à la liberté elle se fait une douce obligation de consacrer sa vie à soulager les misères de ceux dont elle a partagé la captivité. Sous prétexte de revoir les connaissances qu'elle s'était faites dans la prison, elle obtenait facilement la liberté de les visiter de temps en temps, et c'est dans ces visites assidues qu'elle s'empressait d frir aux détenus les petits soulagements en vivres et en vêtements qu'elle avait pu se procurer par son industrieuse charité. C'était par son entremise que plusieurs prisonniers pouvaient communiquer avec leurs familles répandues dans la ville et obligées de se montrer insensibles aux souffrances de leurs parents pour se soustraire à un sort pareil. Par l'entremise de Charlotte des secours arrivaient régulièrement aux prisonniers : elle avait tellement su intéresser leurs gardiens, qu'on ne savait plus lui refuser l'entrée de la prison. Les portes s'ouvraient devant elle, elle était si simple, si pauvre, si bonne, qu'on ne pensait pas qu'elle voulût faciliter des évasions clandestines, et, en effet, ce n'était point ce qu'elle se proposait; elle regardait cette euvre au-dessus de ses forces, et toute son ambition se bornait à nourrir et à vêtir ceux que les lois de ces temps de harbarie eussent volontiers laissé mourir de faim et manquer des vêtements les plus nécessaires. Charlotte courait pendant la semaine de maison en maison, quêtait pour les pauvres prisonniers, et préparait tout dans son pauvre domicile de la rue Vanbecour, lorsqu'elle avait ramassé suffisamment pour offrir un modeste repas à ses amis détenus, Bientôt elle ne put toute seule suffire à la peine, elle s'adjoignit quelques pieuses filles aussi pauvres qu'elle, qui partagèrent son zèle, et ne travaillaient que pour le soulagement des prisonniers; personne ne refusait aux pauvres quêteuses; elles rentraient dans leur modeste asile toujours chargées de provisions qu'elles avaient ramassées aux portes des maisons, ou dans les marchés de la ville qu'elles ne manquaient pas de visiter,,surtout les dimanches.

L'abbé Linsolas, vicaire général du diocèso pendant ces temps malheureux, profita plu sieurs fois de la faveur dont jouissait la pauvre Charlotte auprès des geoliers, pour la charger de la plus auguste et de la plus noble mission qu'une sainte et pieuse fille pat ambitionner. C'est à elle qu'il confia plus d'une fois des hosties consacrées, fermées dans une petite boîte de carton, pour les don ner aux ecclésiastiques prisonniers afin qu'ils pussent se reconforter du viatique sacré avant d'aller au supplice. L'humble vierge chargée de ce précieux trésor s'acquittait avec la foi la plus vive de cette glorieuse mission et, tout en portant la nourriture du corps à ses chers prisonniers, leur livrait aussi, avec un indicible plaisir, la nourriture des âmes; c'était elle aussi qui était chargée d'indiquer aux malheureux qui devaient aller au martyre les stations diverses où ils étaient sûrs

de rencontrer parmi la foule qui se pressait sur leurs pas, des prêtres déguisés et fidèles, chargés de leur donner la dernière absolution, et il s'en trouvait jusqu'au pied des échafauds.

La charitable Charlotte avait pris une telle habitude de secourir les prisonniers que, lorsque la paix fut rendue à l'Eglise, lorsque les temples furent de nouveau ouverts à la piété des fidèles, elle continua, aidée de ses pieuses compagnes, à distribuer les mêmes secours dans les prisons principales de la ville. La charité des Lyonnais s'empressa de correspondre à, la sienne, plusieurs riches habitants voulurent subvenir, chacun à son tour, aux frais de cette œuvre si méritoire, mais c'était toujours Charlotte et ses compagnes qui étaient les distributrices. Ces pieuses largesses qui dans le principe ne s'étaient faites qu'une fois la semaine, devinrent bientôt plus fréquentes; les quêtes dominicales faites dans la ville par de pau vres ouvrières devenant plus abondantes, les distributions furent aussi plus multipliées; le petit appartement occupé par Charlotte dans la rue Vaubecour n'était plus suffisant pour contenir et les denrées recueillies et les ustensiles récessaires à leur préparation. Il fallut penser à chercher et à trouver un logement aussi modeste, mais plus vaste, pour subvenir aux besoins d'une œuvre qui s'augmentait chaque jour. De pieuses personnes, à latête desquelles on vit pendant longtemps la charitable madame Delphin dont le nom rappelle à Lyon toutes les vertus, vinrent en aide à la bonne Charlotte, et se cotisèrent pour payer la dépense d'une location qui devenait de jour en jour plus importante. Ce fut dans la rue Sala, au rez-de-chaussée intérieur de la maison Maupetit, que l'œuvre dite des Charlottes, du nom de sa fondatrice, se régularisa et répandit ensuite ses bienfaits dans toutes les prisons de la ville. Celle dite de Roanne, celle de Saint-Joseph, celle dite des Recluses consacrée uniquement aux militaires, reçurent d'abord tour à tour les secours de Charlotte, et bientôt simultanément et tous les jours curent part aux sages distributions d'une nourriture saine et abondante. La pieuse fille ne se contentait pas de nourrir ainsi les corps de ces malheureuses victimes de la justice humaine; c'était un beau spectacle de voir cette multitude d'êtres égarés ou coupables qui, pour la plupart ne connaissaient Dieu que pour le blasphemer, la religion que pour la mépriser, s'agenouiller à la voix de cette pauvre et simple fille et répondre avec attention aux saintes prières qu'elle adressait avec ferveur pour leur apprendre doucement et sans ef fort à connaître, à aimer. et à servir celui qu'ils avaient négligé ou même tout à fait oublié pendant la plus grande partie de Leur vie.

Cependant Charlotte ne put résister longtemps aux fatigues d'une vie si bien remplie par les œuvres de son active charité; asée par le travai, pliant sous le poids, elle termina sa pedeste carrière au mo

ment où son œuvre s'établissait sur des fondements solides, et on portait ses saintes reliques dans la demeure des morts au moment où le bruit des cloches, où les salves d'artillerie, où les cris de joie de la population lyonnaise saluaient avec enthous asme l'entrée triomphante de Pie VII dans ses murs.

L'œuvre de Charlotte Dupin ne devait pas périr. Quelques pauvres filles aussi pieuses que modestes, partageant la vie commune, s'occupaient constamment, dans l'établissement de la rue Sala, du soin des prisonniers. On voyait chaque jour à des heures réglées de pauvres filles modestement vêtues, portant deux à deux une large marmite suspendue à un bâton et dirigeant leurs pas du côté des prisons de la ville. Devant elles les verroux crient, les portes s'ouvrent; à leur aspect les figures des prisonniers s'épanouissent, un moment de joie pénètre dans ces cœurs oppressés par la douleur. Quoique séparés de la société, ils ne sont donc pas étrangers dans ce monde; cette pensée les soutient, les encourage, le pain noir de la prison disparaît; s'ils sont malades, ils sont entourés de consolations et de soins; s'ils doivent être conduits de brigade en brigade, entreprendre un long voyage, les bonnes Charlottes pourvoient avec une tendre sollicitude aux besoins de la route; des vêtements plus chauds, une chaussure plus forte ou plus commode, quelques pièces de monnaie leur sont distribués avec bonté ce sont des mères qui s'apitoient sur le sort de leurs enfants, et qui cherchent àleur rendre les chaînes plus légères, et à adoucir leur triste position.

Alors les armées françaises envahissent toutes les capitales de l'Europe; nos armes victorieuses amènent dans l'intérieur de la France de nombreux prisonniers de guerre qui ressentent toutes les privations de la isère et de l'exil. Lyon en vit des milliers traverser ses murs, y séjourner quelquefois, mais tous en sortaient bénissant les mains bienfaisantes qui s'empressaient de leur faire oublier les malheurs de la captivité.

Pendant plusieurs semaines, en 1811, quatre mille soupes furent distribuées tous les jours. Plus les pauvres Charlottes donnaient, plus elles recevaient. Ne pouvant suffire à leur tâche à cause de leur petit nombre (formé en communauté dans leur maison de la rue Sala), elles appelèrent à leur secours d'autres pauvres filles qui n'étaient employées ordinairement qu'à la quête du dimanche. Des dames de la plus haute distinction voulurent aussi leur prêter le secours de leurs bras: on vit alors ces mains délicates, accoutumées à l'aiguille et à la broderie, préparer les herbages, découper le pain, alliser le feu, remplir l'office de cuisinières des prisonniers. Une maladie contagieuse éclate au milieu de cette multitude de captifs entassés les uns sur les autres durant une saison ardente, dans des édifices trop étroits pour les contenir. Elle sév.t surtout dans la maison de la Commanderie,

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