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à faire. Tous les moyens de secours sont élève le niveau des masses, laisse beaucoup éclos, mais il s'en faut qu'ils soient uniforpopulation laborieuse ne mangent pas de mément pratiqués. Les trois quarts de la viande, et un nombre égal ne boit pas de vin, dans cette France qui en récolte 40 millions d'hectolitres. Six millions d'individus (23) vivent avec moins de 30 centimes par jour. Les enfants pauvres, les orphelins sans éducation, sans profession, se comptent parcentaines de mille, et nos ateliers publics, et nos colonies agricoles n'existent qu'en miniature.

fant. Uue société virile, comme la nôtre, ne doit pas repousser du pied, comme un jouet méprisable, son travail d'hier, au lieu d'y ajouter sa tâche d'aujourd'hui; démolir des constructions achevées à peine, pour en élever d'autres. Nous croyons la société actuelle dans la force de l'âge, et nous ne regrettons pour elle ni le temps de l'enfance qui est un temps d'ignorance, un temps d'abus, ni la jeunesse qui est un temps d'excès et de coûteuses folies. Nous croyons qu'il n'y a plus d'illusions pardonnables de nos jours; que le moment est venu de prendre au passé ce qu'il avait de bon, de conserver les richesses si chèrement acquises du présent et d'y en ajouter de nouvelles.

Nous ne rêvons pas un perfectionnement surhumain; nous ne croyons pas plus à l'égalité indéfinie du bien-être social, du bienêtre moral et matériel qu'à la perfectibité indéfinie de la société; nous croyons que la parfaite égalité sociale est aussi opposée à la nature humaine que son indéfinie perfectibilité; mais l'équitable partage du bienêtre, entre les hommes, entre les membres d'une nation, dans la proportion où ce partage est réalisable, c'est le devoir de l'homme, c'est la loi de l'humanité, et c'est l'ouvre des sociétés humaines de l'entreprendre et d'y arriver le plus possible.

Nous voulons améliorer le sort des classes inférieures; nous le voulons, pour ajouter à leur bien-être moral et matériel, pour ajouter à la sécurité du pays, pour ajouter à sa richesse, à sa puissance et à sa grandeur; hors delà, ce qu'on appelle l'avènement des masses n'est qu'une vaine abstraction, qu'une théorie creuse et pleine de tempêtes. Nous renvoyons pour tout ce que nous aurions pu ajouter sur ce sujet au mot So

CIALISME.

Les masses ont leur légitime part, dans la famille nationale dont elles sont membres. Si elles souffrent, le corps social souffre; si elles dépérissent le corps social dépérit; si elles souffrent et que vous ne les secouriez pas, vous courez risqué qu'elles emploient à déchirer les entrailles du corps social les rudes mains destinées à le servir, et là où il y avait hier des forces perdues et infécondes, il y aurait demain du sang expiatoire. Ce ne serait pas du droit, si vous voulez, ce ne serait que de la force, mais cette force, c'est l'instrument peut-être de la justice de Dieu. La société ne peut sans injustice et sans se nuire, sans imprévoyance et sans inhumanité, dédaigner un seul intérêt qu'elle peut protéger, laisser couler une seule larme qu'elle peut sécher. La France, en fait de charité est très-contente d'elle, Paris, chante et danse pour les pauvres; mais la grande charité, la charité préventive, la prévoyance sociale, la bienfaisance ayant l'éducation et le travail pour base; celle qui fait éclore la richesse et

(23) Ce nombre est porté aujourd'hui à 7.
(24) Ces griefs sont moins fondés depuis 1852.

tenir et à étendre, les associations mutuelles Les établissements de bienfaisance à soumillions et le pouvoir centralne dispose encore d'ouvriers à encourager exigeraient plusieurs d'un misérable fonds de secours de 600,000 fr. Avec un budget de 1,500,000,000, la France alloue à regret, et en les lui contestant, 800,000 fr. à l'agriculture et à peu près rien à l'industrie (24). L'armée a un budget de 500,000,000, utile aux masses nous le reconnaissons, mais celui de l'agriculture et du commerce réunis, n'atteint pas 14,000,000. Les travaux publics ont 140,000,000, et la France, où il y a tant à un budget de produire, laisse manquer d'ouvrage des milliers de travailleurs. Les travaux publics ont un état-major et point de soldats. La France a 10,000,000 d'hectares de terres en friche ou appellent des bras, et elle regorge de trade communaux à mettre en culture et qui les mains du ministre de l'agriculture les vailleurs oisifs et atfamés. On paralyse dans moyens de répandre les saines doctrines agricoles et 10,000,000 d'hectares, sur les chaque année en jachère par l'ignorance et 25,000,000 d'hectares cultivés, sont laissés la, routine. L'agriculture, les masses, l'impôt foncier, restent stationnaires, quand le pays pourrait trouver, dans l'agriculture étendue à tout le sol cultivable, dans l'agriculture perfectionnée, au profit de la classe agricole, au profit des masses, et du trésor, un accroissement de revenu de deux milliards (25)!

Le gouvernement, au moyen de ses circufrantes, de connaître les causes génératrices laires, a essayé de dénombrer les classes soufde la misère et les moyens d'y porter remède, il a envoyé aux préfets son plan d'organisation tout dressé. Des commissions, dont il a désigné les membres, ont dû se former dans la commune, dans le canton, dans l'arquarts des commissions sont restées muetrondissement et dans le chef-lieu, et les troistes. Le ministre consulte les préfets, qui rapportent aux préfets, qui se retournent vers consultent les conseils généraux, qui s'en les ministres. Un peu de bien aux masses politesses officielles. leur vaudrait mieux que ce va-et-vient de

Puisque les députés dénoncent les ministres à la France écrivions-nous en 1847). pourquoi les ministres à leur tour ne lui

(25) La perte annuelle résultant de l'existence ale jachères peut étre évaluée, seule, à 1 milliard.

dénonceraient-ils les départements entêtés, engourdis, imprévoyants et retardataires? Pourquoi pas un compte annuel rendu aux chambres, des efforts des communes, de leurs progrès ou de leurs mauvaises tendances? Pourquoi pas un compte annuel rendu aux chambres par les ministres, de la situation de l'instruction publique, de l'agriculture, du commerce, des prisons et de la bienfaisance publique, comme un compte rendu des recettes et des dépenses! Pourquoi pas un compte moral, comme un compte matériel ? La France par le budget connaît le produit de l'impôt, le produit du timbre, le produit de l'enregis trement, le produit des douanes, le produit de l'octroi, et son progrès moral rien ne le constate. Le ministre des finances a des inspecteurs pour établir l'état des finances, le ministre des travaux publics a des inspecleurs pour vérifier l'état des ponts et chaussées et on conteste chaque année au ministre de l'intérieur des inspecteurs qui explorent, qui sondent dans leurs profondeurs les plaies des masses, les misères de la classe ouvrière et de la classe pauvre, qui comparent les méthodes employées, contrôlent les vicieuses et étendent les meilleures à tout les points du territoire, qui soient les yeux du ministre, ses représentants et ses rapporteurs. On conteste au ministre de l'agriculture et du commerce, comme une vaine superfétation, des inspecteurs qui passent la revue, pour lui, de l'agriculture et du commerce de la France, comme les inspecteurs de la guerre passent la revue de l'armée et qui éveillent son attention sur leurs défectuosités et leurs progrès. Enfin nul moyen pour le ministre des cultes, tant le gouvernement a peur des chambres, de savoir avec précision les services que rendent les 40 à 50,000 congrégations hospitalières et enseignantes, et de réfuter, en connaissance de cause l'opposition qui les attaque, sans les apprécier.

Principes politiques, principes d'administration, on est d'accord au fond sur tout et on dispute sur tout, disait un ministre de l'intérieur. Le moment est venu d'entraîner les esprits hors des préoccupations irritantes du passé vers les idées d'amélioration, et de progrès intérieur. Il serait heureux de faire succéder aux rivalités stériles des partis, l'émulation du bien public.(Circulaire de M. de Rémusat, 13 mars 1840.) Cette voix isolée meurt dans le tumulte parlementaire.

L'opposition libérale dans les mots, envers les classes inférieures, est avare dans les choses. Elle crie à l'immoralité du peuple et se plaint quand on parle de le repétrir dans l'élément vivifiant de l'éducation religieuse. On veut aux campagnes des mœurs meilleures et on marchando sur les succursales, on veut de la religion et on dénigre ceux qui l'enseignent. On veut le soulagement du

(96) Ces critiques étaient destinées à figurer dans an journal gouvernemental, la première partie seuDICTIONN. D'ECONOMIE CHARITABLE,

peuple et on fulmine à la tribune contre les donations qui vont aux églises, ces mères nourrices des pauvres depuis dix-huit siècles, qui alimentent les sœurs enseignantes et hospitalières, ces pieuses mains de la charité. On veut le progrès de l'agriculture, de l'industrie, du commerce extérieur et on dispute sou à sou à l'agriculture, à l'industrie, à la marine leur part au budget.

A un point de vue encore plus large, on qu'on appelle le principe de juillet, et on veut l'extension du principe démocratique, aristocratise le budget; on refuse de hausser les traitements des petits fonctionnaires:

qui sortent du peuple. On veut l'égalité, et
on ne voit pas qu'il n'y aura d'égalité que
par des salaires modestes mais suffisants,
qui permettent aux classes moyennes, aux
fonctions avec les classes riches; qui per-
classes studieuses, de concourir aux grandes
mettent aux classes inférieures de s'élever
par le travail au niveau des classes moyen-
nes, de partager avec elles les petits emplois.
majorité qui s'oppose ainsi au maintien de
Ce n'est pas le gouvernement, ce n'est pas la
la position acquise de la classe moyenne,
c'est l'opposition. Personne ne parle si haut
qu'elle en faveur du principe démocratique
quand il ne s'agit que de le proclamer, et
ne crie si haut qu'elle contre la dépense
qu'ell
quand il s'agit de l'appliquer. Et ce sera en-
core elle, l'opposition, quand il s'agira des
classes laborieuses, des classes souffrantes,
pêcher de passer le progrès (26). (Ecrit en
qu'on verra se mettre en travers pour em-
1847.)

Pour les esprits étrangers aux questions d'assistance, autre chose sont les classes souffrantes, autre chose les classes ouvrières, et ce qu'on nomme aujourd'hui les masses. A leurs yeux, la classe ouvrière est la classe laborieuse, et la classe indigento est une population de fainéants. On donne un sou en passant à l'indigent qui mendie à la porte de l'église ou au coin de la rue, et voilà la part de l'indigence faite, et on passe au sujet si différent, pense-t-on des classes ouvrières. Eh! qui donc engendre l'indigent si ce n'est la classe laborieuse; qu'est-ce que l'indigent, si ce n'est l'ouvrier pauvre, par sa faute ou non, mais indigent devenu. On va en juger:

La population indigente de Paris se résume en 30,000 ménages. Nous avons pris pour critérium l'année 1844, or toutes les années se ressemblent. Combien sur ce nombre appartiennent à la classe des indigents sans état? 6,088, c'est-à-dire un cinquième. Et ces indigents sans état, ne sont pas, qu'on le sache, la fie de la classe ouvrière; c'est la lie des classes moyennes," voire des classes supérieures. Et, à Paris, l'indigence sans état contient, en plus ou en moins, un peu de la lie de la France en

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tière. Il n'y a pas de position sociale qui n'apporte au courant profond de la misère parisienne quelqu'un de ses affluents.

Toujours est-il que sur les 29,676 ménages indigents que compte Paris, 25,189 sont formés de ménages d'ouvriers.

Dans ce nombre, 11,000 sont des ménages de femmes, des ménages dont les chefs sont des veuves, ou bien des femmes vivant ici réunies, là isolées; mais ces 11,000 ménages n'en sont pas moins des membres de la grande famille des classes ouvrières.

Dans la classe ouvrière, nous comprenons 887 femmes faisant ce qu'on appelle le ménage dans tous les rangs de la population parisienne; remplaçant les domestiques malades, raccommodant le linge, soignant les enfants, gagnant, au prix d'un labeur qu'on pourrait dire sans pitié, tant que le jour dure et par delà, un plus que modique salaire destiné à élever une famille nombreuse souvent. Que de mérite ne recèlent pas ces ouvrières que notre confiance met à de si grandes épreuves, et qui rarement y succombent, qui vivent et meurent la plupart de si bonnes et si honnêtes femmes. Ne sont-ce pas des ouvrières au même titre que les 164 gardes d'enfants, que ces 172 gardes-malades qui figurent au tableau? A la classe laborieuse appartiennent au même titre les 639 blanchisseuses, également chefs de familles; 2,186 ouvrières à l'aiguille, et 4,208 couturières ou journalières, de divers états que donnent la statistique. Les porteuses d'eau et les portières, dont on ne se passe pas davantage à Paris que de feu et d'eau, ne doivent pas être, elles non plus, retirées du faisceau de la classe laborieuse? On n'en retranchera pas non plus les 725 marchandes revendeuses, ni les 114 chiffonnières. Toute position qui fait vivre celui ou celle qui l'exerce, est une profession. Les portières, en général, vivent de leur état, et certaines chiffonnières sont mortes riches. Ainsi, sans aucun doute, les chefs des 10,782 ménages féminins exerçant ces diverses professions se relient à des ménages d'ouvriers. Done s'ils tombent dans l'indigence, s'ils vivent et meurent indigents, ce sont des ouvriers qui sont indigents.

La preuve ainsi faite de la parfaite connexité qui existe entre la question de la classe ouvrière et celle du paupérisme, au regard des 13,166 ménages féminins, est plus facile à faire encore en ce qui concerne les ménages indigents dont les hommes sont chefs. On rencontre certainement

parmi les chefs de ménages indigents des baJayeurs, des chiffonniers, des hommes de peine, des portiers, d'anciens domestiques, des frotteurs, des revendeurs, des ranioneurs, des allumeurs de réverbères et des savetiers; mais ce dont il faut bien se pénétrer, c'est que toute profession paye tribut à la misère. Le marchand en détail et le fabricant, le métier qui veut des bras et le métier qui veut de l'art, les arts indispen. sables et les arts de luxe, le haut comme le

petit commerce se coudoient dans l'armée des misérables. Tous les états y sont rassemblés: bonnetiers, boisseliers, bourreliers, brossiers, chaudronniers, cloutiers cordiers, peaussiers, ferblantiers, frangiers, gantiers, passementiers, tonneliers, taillandiers, tisserands y occupent leur place, et avec eux les bouchers, les boulangers, les chapeliers et les tailleurs, les maçons et les charpentiers. Côte à côte de ceux-ci voici venir les ciseleurs, les bijoutiers, les orfévres et les horlogers, en compagnie des confiseurs et des chocolatiers, des opticiens el des luthiers, des mécaniciens et des machinistes, que suivent de près les typographes, les libraires, les imprimeurs; derrière lesquels marchent les dessinateurs, les anciens employés, les instituteurs, les musiciens et les dentistes.

L'économiste ne passera pas devant les 2,075 chefs de ménage ouvriers en bâtiments, repré sentant 6 ou 8,000 individus tombant aux charges de la charité publique dans la seule ville de Paris sans y arrêter son attention! Ceux qui se préoccupent d'instruction professionnelle ne verront pas, sans y réfléchír,certaines professions laisser plus de blessés et de morts que d'autres sur le champ de bataille de l'industrie, mourant au pied de l'échelle qu'ils voulaient gravir, y mourant de privations, de froid et de faim, ou de découragement. Dans les ateliers de nos prisons, dans les écoles professionnelles que nous fondons, là où nous sommes presque toujours les maîtres de choisir la profession du travailleur, d'où vient que les tailleurs abondent, quand nous voyons figurer 450 tailleurs d'habits chefs de famille sur la liste des indigents de Paris; d'où vient que nous en faisons obstinément des cordonniers, lorsque 860 ménages parisiens, ayant des cordonniers pour chefs tendent la main à la porte des bureaus de bienfaisance? Pourquoi tant de menuisiers parmi les enfants pauvres à qui vous donnez des états, quand le nombre des me puisiers indigents est le plus élevé de tous dans la liste de 2,075 ouvriers en bâtiments portés sur les contrôles de la pauvreté ?

Pourquoi tant de serruriers parmi les con damnés des maisons de force, quand, à l'in convénient d'en faire des fabricants de fausses clefs pour d'autres voleurs ou pour eux, nous aurons le risque d'en augmenter le nombre des 233 ménages indigents qui figurent au tableau. N'anticipons pas sur les divisions dont se compose cet article; on la misère à Paris. La statistique n'avait iri verra en son lieu quelles sont les causes de l'identité du sujet des classes ouvrières avec d'autre objet que de faire bien comprendre celui des classes souffrantes.

Nous diviserons cet article en cinq chapitres. Le premier sera consacré aux documents historiques qui se rapportent aux masses en général; le second au dénombrement des classes souffrantes ; le troisième énumérera les causes génératrices de la misère, ses

causes générales et celles particulières aux diverses contrées. Dans un quatrième cha-. pitre les masses seront classées en catégories. Dans un cinquième chapitre enfin, seront indiqués les moyens généraux de les soulager.

CHAPITRE PREMIER

- Une

Situation des masses avant 1789. grande partie des détails que nous avons recueillis sur les masses ont trouvé leur place dans d'autres articles; par exemple, au mot ASSOCIATIONS (Application du principe des), on en trouvera dans les subdivisions de cet article même. En parlant des agriculteurs, des armées de terre ou de mer, nous ferons connaitre leur situation dans le passé. D'autres détails se rencontreront au mot CONTAGION et à celui intitulé SUBSISTANCES (Question des). Nous ne remonterons pas au delà du xiv siècle.

Le moyen âge, envisagé à une époque plus reculée, serait trop étranger aux études que cet article, déjà si développé, avait en

vue.

Ce que nous allons dire de la misère générale au XIV siècle est authentique.

Une ordonnance du 5 septembre 1356 mentionne les faits suivants : « Les églises bralées (arces), destruites et gastées, d'autres excès cruels et orribles faits et perpétrez, lesquelles choses sont notoires à tous. Le roi Jean relate dans l'ordonnance que son neveu, le prince de Galles, fils aîné de son frère, est venu guerroier contre lui jusque dans le Berry, la Touraine et le Poitou, qu'il est allé en son encontre en grande compagnie de gendarmes pour défendre son royaume et peuple, qu'il a abandonné à l'aventure de la bataille son propre corps, ses enfants et plusieurs de son lignage pour sauvement de son royaume et peuple, que par adverse fortune il a été pris en la bataille avec plusieurs de son sang. Enfin qu'il a été détenu tant à Bordeaux qu'en Angleterre et à Calais par l'espace de quatre ans, durant lequel temps lui et son peuple avoient souffert moult de maux, mésaises et douleurs. Les gens du royaume étaient diVisés et s'entre-tuaient, détruisaient et dommageaient l'un l'autre ; se mettaient les uns après les autres en désobéissance et rébelhion; se commettaient plusieurs et énormes rimes. Si les choses se fussent continuées,

le royaume et le peuple fussent venus à destruction et perdition de tout. Les ennemis à plus forte raison en grande multitude gens d'armes, archers et autres gens de cheval comme de pié firent moult d'arseures (d'incendies), d'occisions de gens et d'outrages innumérables. Le Pape envoie en France et en Angleterre par plusieurs fois pour traiter de paix et d'acort.

Aux termes du traité le roi Jean avait baillé 400,000 écus et s'était engagé à bailler la somme de 20 et 600,000 escus d'or, dont les deux valent un noble d'Angleterre, c'est

à ravoir 100,000 à Noël suivant et 100,000 à la Chandeleur ensuivant et pendant six ans chacun an 400,000. Le roi constate que dans son royaume avaient eu lieu pendant ses quatre ans de captivité entre les autres maux, roberies, pilleries, arsures (incendies), larrecins, ocupacions de bien, violences, oppressions, extorsions, exaccions et plusieurs autres malefices et excès, plusieurs nouveaux paagez, coutumes, redevances, subsides tant par eau que par terre. Les vivres et marchandises avaient été si chargées (d'imposts) que nul n'en pouvait avoir raison. Prises, ravissements et rançonnements de personnes, de vivres de chevaux, de bestes et autres biens avaient eu lieu. Les labourages avaient cessé comme du tout, c'est-à-dire à peu près totalement. Plusieurs mutations et afféblissements des monnoies s'étoient opérés.

Les droits de péage sont supprimés. Le roi fera faire bonne et forte monnoie d'or pourra faire plus aisément des aumônes à la et d'argent et noire monnoie par laquelle on poure gent. Aucune levée de vivres de chevaux d'autres ne pourra être faite à l'avenir par aucun officier du roi si ce n'est à juste et loyal prix. Tout contrevenant sera conduit à la plus prochaine justice. Suivent des dispositions relatives à la nouvelle monnaie. Prescription est faite aux marchands et gens de métiers, laboureurs, serviteurs et autres de mettre leurs marchandises, denrées, mestiers, ouvrages, labourages, services et salaires à si juste et convenable prix que les pauvres gens puissent pourvoir à leur nécessité et n'aient cause de ces douleurs de la grant cherté.

Jamais, dit Mézerai, la misère ne fut plus grande parmi le peuple. Les pauvres gens languissaient de faim dans les champs. Le menu peuple était réduit à chercher des racines et à peler des arbrisseaux pour se nourrir.

Le luxe excessif de la noblesse était une des causes de misère de la classe ouvrière et de la classe marchande à la même époque. Pierre de Bourbon est excommunié pour ce Les nobles ne payaient pas leurs dettes. motif en 1356, à la requête de ses créanciers.

Les Guerres privées sont permises par des lettres patentes d'août 1367, aux habitants du Dauphiné. Ce mal fut d'autant difficile à déraciner, que la législation en avait été complice. (Voyez le texte latin, collection d'Isam bert t. V, page 287.)

Des écrivains modernes ont reproché aux frères de l'hôtel de Dieu de Paris de ne pas faire usage de linge de corps. Le peuple n'en portait pas et ne se servait pas même de draps, au XIVe siècle. Il porte un vêtements de feutre qui lui sert de couverture la nuit (1332). Parmi les riches, plusieurs ne se servent pas de chemise la nuit, et grand nombre d'autres n'en portaient pas même le jour. (Monteil, t. III, p.308 et note 418, t. IV.)

On lit dans un chartrier des états de Bour

gogne: Il y a beaucoup de gens en Bourgogne qui ne consominent aucuns sels. Ils sont trop pauvres pour en faire usage. La pauvreté où ils sont de n'avoir pas de quoy acheter non pas du bled ny de l'orge, mais de l'avoine pour vivre, les oblige de se nourrir d'herbe et même de périr de faim.

Aux états généraux de 1483, il est parlé des souffrances des masses dans ces teribes: Pour le tiers et commun état remontrent lesdites gens desdits trois états que ce royaume a été évacué de son sang par diverses saignées, et tellement que tous ses membres sont vuides. N'y a plus comme point d'or et d'argent entour desdits membres. Et pour entendre d'où procède ladite extrême pauvreté de ce royaume est à savoir que depuis 80 ou 100 ans, l'on a guère cessé de évacuer ce poure corps français par diverses et pileuses manières. Quant au menu peuple ne sauroit imaginer, les persécutions, Houretés et misères qu'il a souffertes et souffre en maintes manières.

* Premièrement, depuis ledit temps n'a été contrée où il n'y ait toujours gens d'armes, allant et venant, vivant sur le poure peuple, maintenant (tantôt) les gens d'armes de l'ordonnance, maintenant les nobles de ban, maintenant les francs archiers, autres fois les halbardiers, et aucunes fois les Suisses et piquiers qui leur ont fait maulx infinis. Et puis à noter et piteusement considérer l'injustice et l'iniquité en quoi a été traité ce poure peuple; car les gens de guerre sont souldoyez pour le deffendement de l'oppression, et ce sont eux qui plus l'oppressent. Il faut que le poure laboureur paye et souldoye ceux qui le battent, qui le deslogent de sa maison, qui le font coucher à terre, qui lui ostent sa substance; et les gages sont donnés aux gens d'armes. Et assez appert icelle iniquité, car quand ce poure laboureur a toute la journée à grand peine et sueur de son corps, et qu'il a cueilli le fruict de son labeur dont il attendait vivre, on lui vient oster partie de son dur labeur, pour bailler à tel peutêtre qui battra le poure laboureur avant la fin du mois, et qui viendra desloger les chevaulx qui auront labouré la terre, laquelle aura porté le fruict dont l'homme de guerre est souldoyé. Et quand le poure la boureur a payé à grant peine la cotte de sa taille pour la soulde des gens d'armes, espérant que ce qui lui est demeuré sera pour vivre et passer son année, ou pour semer, vient à un espasse (peu après), des gens d'armes qui mangeront et dégusteront ce peu de bien que le poure homme aura réservé pour son vivre. Et encore y a pis, car l'homme de guerre ne se contentera pas du bien qu'il trouvera en l'hostel du laboureur, ainsi le contraindra à gros coups de baston y aller quérir du vin en la ville, du pain blanc, du poisson et autres choses excessives. Et, à la vérité, se (si) n'estoit Dieu qui conseille les poures et leur donne patience, ils ché roient en désespoir. (Art. 3.)

Et quant à la charge des tailles et subsi

des que le poure peuple du royaume a non pas porté, car il a été impossible, mais sous lequel est mort et péri de faim et de po ureté, la tristesse et la desplaisance innumé rable, les larmes de pitié, les grands soupirs et gémissements de cueur désollé, à peine pourroient souffire et permettre l'explication de la griefveté d'icelles charges, et l'énormité des maux qui s'en sont ensuivis, et les injustices, violences et rançonnements qui ont été faits, enlevant et ravissant iceux subsides.

« Qui eût jamais pensé ne imaginé veoir ainsi traicter ce poure peuple, jadis nommé François, maintenant de pire condition que le serf; car un serf est nourri et ce peuple a été assommé de charges importables, tant taxe, gaiges, gabelles, impositions et tailles excessives. Et quant au temps du roi Charles VII, les tailles imposées aux paroisses ne comptaient que par 20, 40, 50 (livres), après le trépas d'icelui seigneur commencerent à être assises par cent, et depuis ont cru de cent à milliers, et en plusieurs paroisses qui n'étaient imposées que de 500 à 50 livres de tailles par an, se sont trouvées imposées à la mort du dernier roi (Louis XI à mil livres. Au temps dudit roi Charles VII, les duchés, comme Normandie, Languedoc et autres, n'étaient imposés que à milliers et ils l'étaient de présent à millions, etc. A cause de quoi s'étaient ensuivis plusieurs grands et piteux inconvénients, car des Teurs s'en étaient fuis et retirés en Angleterre Bretaigne, et ailleurs, et les autres morts de faim à grand et innumérable nombre; d'autres, par désespoir, avaient tué femmes et enfants, et eulx-mêines, voyant qu'ils n'avaient de quoi vivre.

• Plusieurs hommes et femmes, pourfaulte de bêtes, étoient contraints à labourer la charrue au col; d'autres labouroient la nuit de crainte d'être pris de jour et appréhenpartie des terres étoient demeurées à laboudez pour lesdites tailles, au moyen de quoi rer. (Art. 4.) Les états généraux, comme ou pouvoir royal. le voit, ne ménageaient pas les vérités au

La superfétation d'étrangers dans Paris qui niultipliait le nombre des pauvres, et qui donna lieu au xvi et au xvii siècle. et à d'autres époques, à des édits qui avaient pour objet de le désencombrer, est si loin d'exister en 1442, que des lettres patentes du 16 janvier 1442 portent que, vu leur misère et pour repeupler Paris, ceux du duché de Normandie qui viendront s'établir dans ladite ville seront exempts pour trois ans d'impôts de guet et de garde, l'impôt sur le vin excepté. (Collec. du Louvre, . XIII, p. 358.)

Les habitants des campagnes foulés par la guerre, l'étaient par les gens de guerre, quand elle était terminée, une déclaration de Henri IV, nous en fournit la preuve. L'édit est du 24 février 1597. Il constate les excès insupportables, les injures, les vio

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