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ges français ou même bavarois des environs, travaillent gratuitement à l'extraction et au transport des matériaux ; des bois ont été achetés à bas prix dans une coupe voisine et se débitent aussi avec un zèle désintéressé. La société de Saint-Vincent de Paul a songé ensuite à la propagation de l'instruction agricole; elle à trouvé à l'autre extrémité de la contrée, à Rohrbach, où elle vient de fonder une nouvelle conférence, un instituteur capable, pieux, ardent pour le bien. On n'a qu'à lui venir en aide, dit M. de Pontbriant; toutes les bonnes idées sont dans sa tête; on lui a remis quelques livres d'agriculture en français et en allemand, quelques graines, quelques replants d'arbres; on lui a fourni pour une centaine de francs d'outils et d'instruments aratoires; on lui a donné une certaines quantité de blouses, cravates, plames, papier, crayons, pour récompenser les enfants les plus laborieux et encourager les plus pauvres; on a payé le premier labour du défrichement d'un terrain cédé par fa commune. C'est dans ce terrain que les enfants vont aujourd'hui semer, planter et apprendre le métier qui doit les nourrir, et qui est celui dont jusqu'ici on les avait le moins occupés. Les membres de la jeune conférence de Rohrbach prêtent leur appui à l'instituteur, et ne font qu'un avec lui, pour l'amélioration des mœurs et l'instruction des enfants. L'école de Rohrbach servira de guide et de modèle pour les instituteurs des environs que l'on invite à entrer dans la même voie.

Sur un point éloigné de Rolbing et de Rohrbach, la conférence de Metz essaye un autre moyen de civilisation et de moralisation. Avec le concours du curé et de la sœur d'école, elle a organisé un ouvroir de jeunes filles à Roppeviller, où le travail manque entièrement. La sœur, habile pour les ouvrages en tricot, a déjà formé plusieurs ouvrières; la société a pourvu à l'éclairage de la salle, elle a donné des modèles, des Outils; et une dame qui se charge de fournir les matières premières s'occupe du placement de l'ouvrage fait. On organise de semblables ouvroirs dans d'autres paroisses. Les corés et les sœurs y feront, comme à Roppeviller, de temps à autre, des lectures propres à développer l'esprit et le cœur des pauvres ouvrières, et des instructions appropriées à leur âge et à leur position. La conférence de Rohrbach, aidée du vicaire de la paroisse, a aussi commencé un cours d'instruction gratuite pour les adultes qui se fait le soir; 50 élèves environ y sont réuhis; en même temps, elle a réparti un certain nombre d'enfants délaissés et mendiants chez plusieurs personnes de bonne volonté qui les chauffent, les vêtissent et les nourFissent alternativement. On les envoie à l'éCole et on les empêche de vagabonder.

Il y a des points de la France où la misère st peut-être aussi grande que dans le sauvae pays de Bitche; pourquoi n'essayerait-on es pour y remédier de recourir aux inspirations de saint Vincent de Pau! de Metz ? Il

n'en coûte pas beaucoup; car, les frais faits. pour recueillir les souscriptions en faveur des cantons allemands, et pour en distribuer le produit, ne s'élèvent pas, tout compris, transport, voyage, emballage, etc., à plus de 52 fr. 50 cent. (Hippolyte MENNESSIER, 1853. Annales de la Charité.)

Haute-Marne, Par suite des événements de février, plus de 15,000 travailleurs des forges ont été condamnés à des chômages forcés, qui les ont mis dans la gêne la plus complète; 5 à 6,000 ouvriers en coutellerie se sont trouvés dans le même cas. La dépréciation des fers et de tous les autres produits industriels de ces contrées, l'impossibilité où les producteurs sont d'écouler leurs produits, malgré une baisse de prix qui ne leur permet plus de gagner leur vie, sont venues encore aggraver leur situation. Mais ce qui contribue le plus à augmenter chaque jour le nombre des misérables, c'est l'esprit d'inconduite et de désordre des classes pauvres, c'est leur démoralisation profonde, c'est l'influence exercée sur elles par les idées de bouleversement et d'anarchie mises en avant dans ces dernières années. Depuis 1825, les estaminets, cafés, cabarets et autres lieux plus dangereux de réunion, ont acquis des proportions effrayantes. Ils ont décuplé de nombre et doublé de prix. C'est là que la plupart des personnes secourues sous les diverses formes de l'assistance publique vont perdre les heures de leur travail, consommer en quelques instants le produit du labeur d'une semaine, tandis qu'ils laissent leurs familles dans le dénment le plus absolu, manquer même de pain, et donnent ainsi à leurs enfants le poison du mauvais exemple. Puis, avec les besoins indispensables à satisfaire, viennent peu à peu le vice et le crime, que les idées philanthropiques sont impuissantes à combattre, et que l'infatigable persévérance des ministres qui enseignent les principes religieux s'efforce vainement de conjurer Vosges. Les causes locales qui engendrent la misère sont la débauche, le désœuvrement, la vieillesse et les infirmités. Dans certaines communes, il y a des enfants appartenant aux deux sexes qui, au lieu de fréquenter les salles d'asile et les écoles primaires, sont abandonnés à eux-mêmes dès l'âge le plus tendre, et qui, plus tard, se livrent à l'ivrognerie, font un usage fréquent des liqueurs alcooliques, et finissent par tomber dans un état d'abrutissement qui anéantit toutes leurs facultés et les force à recourir à l'aumône. Leur moralisation mettrait un frein à d'aussi funestes penchants; et, pour l'obtenir, il faudrait les amener à recevoir les bienfaits de l'instruction primaire, comme ceux de l'enseignement moral et religieux. Ce résultat devrait être l'objet des soins particuliers et réunis de l'autorité municipale et de l'autorité ecclésiastique. Les vieillards, les malades et les infirmes indigents forment une portion notable de la population. Les secours qu'ils reçoivent à domicile sont loin de pouvoir.

alléger leurs souffrances; d'un autre côté, le's hospices et les hôpitaux sont en nombre insuffisant. On ne compte que 14 établissements de ce genre dans le département des Vosges, qui renferme 450,000 âmes.

Côte-d'Or. - L'extension du paupérisme est attribuée par les sœurs de la Charité, en rapport continuel avec les classes souffrantes, à ces diverses causes: la modicité des salaires, la paresse, le goût du luxe, et surtout la gourmandise. La classe ouvrière ne semble vivre, disent-elles, que pour satisfaire cette dernière passion. Les Sœurs insistent beaucoup aussi sur les folles dépenses. Un certain nombre des indigents inscrits fréquentent les spectacles; les filles de quelques autres portent des chapeaux, des bonnets démesurément ornés de rubans et des ombrelles. Parées avec cette élégance, elles passent insolemment devant les religieuses qui distribuent du pain et du bouillon à leurs pères et mères, et de pauvres vêtements aux plus jeunes de leurs frères et sours. Les religieuses disent aussi que les mœurs sont plus dépravées à Dijon qu'à Paris, ce qui signifie du moins que leur corruption est plus choquante, parce qu'elle s'étale aux yeux plus

visiblement.

A Châtillon-sur-Seine, la conférence et les sœurs du bureau de bienfaisance donnent pour cause à l'indigence, en général, le luxe, l'ivrognerie et aussi la gourmandise, dont il est souvent parlé dans la Côted'Or. Parmi les ivrognes, on trouve beaucoup de femmes buvant de l'eau-de-vie jusqu'à l'ivresse.

Doubs. La fréquentation des cabarets, qui se sont introduits jusque dans les campagnes les plus reculées, l'ivrognerie et les vices qu'elle entraîne doivent être classés en première ligne parmi les causes habituelles de l'indigence et de la dégradation morale. La longueur des hivers, la rigueur du climat, qui suspendent ou restreignent la durée de l'ouverture des chantiers de tra

vaux, une population de journaliers trop considérable par rapport aux besoins, contribuent, d'autre part, à rendre la misère plus fréquente et plus commune.

A Besançon, la cause la plus fréquente de la misère, est l'imprudence des établissements de commerce. Le jeune ouvrier horloger épouse la jeune fille de boutique pour devenir marchand horloger, sans avoir le capital nécessaire, et à la première secousse, il est renversé. L'état de boutiquier est la passion de la classe ouvrière et son écueil.

Jura.-Il est rare que la misère ne soit point dans le Jura le résultat de la paresse ou de l'inconduite. Il n'y a guère que quelques communes de l'arrondissement de Saint-Claude, qui se trouvent dans l'exception. Le prix de fabrication des articles de Saint-Claude étant très-peu élevé, et les ouvriers de la ville ayant à soutenir la concurrence contre ceux des campagnes, il en résulte que les premiers ont toujours

beaucoup à souffrir, en cas de morte-saison. Haute-Saône. La paresse est une

des causes de la misère à Vesoul; on y parle moins qu'ailleurs de l'excès du luxe. Mais il règne à Gray. Ce vice et l'inconduite sont les causes les plus fécondes de l'indigence dans ce chef-lieu d'arrondissement. La toilette effrénée des jeunes filles les entraîne jusqu'à la prostitution. Elles se sont fait un besoin de tout l'attirail, de toutes les recherches des vêtements coûteux, pendant que leurs pères et mères sont aux expédients pour élever leurs enfants en bas âge, pour leur procurer du pain et les habillements les plus indispensables.

Bas-Rhin. - Deux causes paraissent avoir une influence spéciale sur l'accroisse ment de la misère dans le département du Bas-Rhin l'une concerne les pays de montagne, l'autre les grands centres de population, et principalement Strasbourg. Dans les pays de montagne, on remarque toujours une disproportion croissante entre les terres arables et la population. Une autre cause principale de la misère dans ce département, c'est l'affluence dans les villes, et surtout à qui viennent y chercher de l'ouvrage, el Strasbourg, des populations de la campagne qui, lorsque le travail leur fait défaut, y res tent dans l'espoir de participer aux secours tribuent aux nécessiteux qui ont acquis que les établissements de bienfaisance disle domicile par une année de résidence. La situation topographique du départebon nombre d'étrangers sans ressources. ment contribue encore à aggraver le mal: appartenant au grand duché de Bade, à la Bavière rhénane, etc., viennent en France chercher les moyens d'existence, et fixent naturellement leur demeure dans un dépar tement où l'usage de leur langue est général.

Haut-Rhin. Cent mille ouvriers sont englobés dans le mouvement des fabriques de l'Alsace. La filature de coton seule emploie 20,000 travailleurs.

A Mulhouse les malheureux ouvriers qui vont le soir chercher à 2, 3 et 4 lieues, le pauvre toit qui doit les abriter, sont les moins rétribués de tous. Ils se composen! surtout de pauvres familles chargées d'enfants en bas âge. Il faut les voir arriver chaque matin. C'est une multitude de femmes pâles, maigres, marchant pieds nus, au milieu de la boue, leurs jupons de dessus renversés pour garantir de la pluie froide leur tête et leur cou. C'est un nombre encore plus considérable de jeunes enfants non moins sales, non moins hâves, revêtus de haillons enduits de l'huile des métiers. Les petits malheureux n'ont pas au bras comme les femmes un panier plus ou moins rempli de provisions, ils portent à la main o abritent sous leur veste, du mieux qu'ils peuvent, le morceau de pain qui doit les nourrir jusqu'au soir. Ainsi commence la journée pour eux; ainsi elle finira. Ils arri vent épuisés à la fabrique, et ils se lèveront

le lendemain avant que leurs forces ne soient réparées.

Tel est le sort des ouvriers qui vont coucher hors de la ville. D'autres s'entassent dans des chambres petites, malsaines, situées à proximité de leur travail.

Deux familles couchent chacune dans un coin d'un misérable logement, ont pour lit de la paille jetée sur le carreau et retenue aux pieds et sur le devant par deux mauvaises planches. Des lambeaux de couverture et tout au plus sur la paille une sorte de matelas d'une saleté dégoûtante. Ce maurais et unique grabat sert à toute la famille. Une chambre de cette sorte coûterait au ménage qui voudrait l'avoir entière de 6 à 9 fr. par mois, c'est-à-dire de 72 à 108 fr. par an. Il arrive de cette misère, que la moitié des enfants de ces malheureux ouvriers n'atteint pas au delà d'une moyenne de deux ans. (Tandis que dans les familles de fabricants, négociants, drapiers, directeurs d'usine, la moitié des enfants atteint la vingtneuvième année.)

La réunion des deux sexes dans les mêmes ateliers, et la nuit dans les mêmes logements, produit dans les mœurs une dissolution extrême. Les enfants, dont la curiosité est si pénétrante, saisissent le sens des obscénités qu'ils entendent autour d'eux, les répetent avec une satisfaction révoltante et conpaissent bientôt des choses qu'ils devraient ignorer. (Réponses manuscrites de la Société industrielle de Mulhouse aux questions de M. le docteur Villermé.) Le libertinage des Ouvriers des manufactures, et surtout des imprimeuses de Mulhouse, donne une naissance illégitime sur 5 naissances totales. Beaucoup d'ouvriers vivent en concubinage. (lis appellent leurs unions des mariages à la parisienne. Ils ont créé le mot pariser.)

Dans quelques manufactures les hommes travaillent séparément des femmes. L'établissement de Vesserling a pris une autre précaution: elle consiste à arrêter le travail des femmes un peu plus tôt que celui des hommes, pour qu'elles ne soient pas accompagnées en rentrant chez elles. Quelques fabricants ont établi chez eux des écoles où ils font passer chaque jour et les uns après les autres, les plus jeunes ouvriers. Nous aurons occasion de dire ailleurs que les vieillards, en négligeant de s'occuper, se privent d'une ressource et d'une consolation. On rencontre à Mulhouse et dans ses environs, non pas des vieillards, mais des hommes dans la force de l'âge et bien portants qui ont l'impudence de vivre dans l'oisiveté, et nourris du travail de leurs enfants. Infamie d'autant plus grande que ceux-ci donnent trop souvent à atelier un temps que réclame l'instruc

tion.

Dans certaines fabriques à Mulhouse,

(39) M. le docteur Villermé faisait la comparaison, dans le marché de Sainte-Marie aux Mines, de ceux qui le fréquentaient. Quels sont ceux-ci, disait-il, frèles de sante? - Des tisserands qui habitent

DICTIONN. D'ECONOMIE CHARITABLE.

tandis que la moitié des enfants, nés dans la classe des fabricants, négociants et directeurs d'usines, atteindrait sa vingt-neuvième année, le même nombre des enfants de tisserands et de simples travailleurs des filatures, ont cessé d'exister avant l'âge de 9 ans accomplis. Il faut attribuer une si épouvantable destruction, dit M. le docteur Villermé, à la misère des mères qui ne peuvent donner le sein à leurs nourrissons que pendant le petit nombre d'heures qu'elles passent chez elles. Leur absence dure de 14 à 16 heures, jusqu'à 17 heures. Exténuées de fatigue et incomplétement alimentées, elies n'offrent d'ailleurs à ces petits malheureux qu'un sein tari.

Plusieurs lois ont travaillé à améliorer ces conditions, qu'il n'en faut pas moins mentionner dans l'histoire des classes souffrantes. (Voy. chap. VII.)

Les tisserands de Sainte-Marie aux Mines sont maigres, chétifs, scrofuleux, eux, leurs femmes et leurs enfants. Les vallons étroits et bumides, voisins de Sainte-Marie, contribuent à cette disposition. La population y a dégénéré, les hommes y sont plus petits et plus faibles qu'ailleurs. Le goître y est commun. On y voit grand nombre d'idiots de naissance, et aussi, ce qui est surprenant, beaucoup de sourds-muets. M. lo docteur Villermé a vu jusqu'à quatre enfants idiots dans une famille de cinq enfants. La misère, spécule sur ces infirmités; pour une modique somme, des ménages, pauvres euxmêmes, prennent en pension ces idiots et ces sourds-muets, qu'ils occupent à tisser ou à dévider, ou à des travaux extérieurs (39).

M. Audiganne remarque que les jeunes filles envoyées très-jeunes dans les fabriques, n'ont presque jamais rien appris de ce qu'une mère doit savoir. Les enfants sont mal soignés; le mari s'éloigne d'un ménage mal tenu, et c'est souvent le point de départ d'excès qui ruinent la vie domestique. La masse laborieuse est composée à Mulhouse d'éléments très-mélangés, que le vent de la misère y pousse de tous les points de l'horizon. Les plus relâchés dans leur vie sont les travailleurs étrangers. Voyageurs d'un jour, sur un sol prêt à les repousser, ils n'y voient guère à respecter que les gendarmes. La plupart des ouvriers ont leur demeure dans les campagnes environnantes; quelques-uns cultivent un lambeau de terrain. Le chômage se fait souvent sentir, et enfante de déplorables excès. M. Audiganne explique que le concubinage y est moins volontaire cependant que produit par la difficulté de contracter un mariage légal avec des étrangers. La société de Saint-FrançoisRégis pourrait apporter un remède à ce mal.

On a bâti en différents quartiers de la ville des espèces de casernes où le rapprochement des ouvriers engendre de déplora

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bles désordes. Frappée de ces inconvénients, la Société industrielle de Mulhouse (société savante d'application et non de théorie), se propose de bâtir une maison modèle dont elle publiera les plans, et qui servira à la création de Cités ouvrières mieux appropriées à leur destination.

La fabrique de Sainte-Marie aux Mines emploie 10 ou 12 mille ouvriers. Une faible partie de la population travaille en atelier. Trois ou 4,000 tisserands habitent la ville même, les autres sont répandus dans les montagnes. Les causes génératrices de la misère dans ce centre manufacturier, sont des chômages fréquents, la concurrence que se font entre eux les tisserands. trop nombreux pour les besoins de la fabrique, le prix relativement élevé des denrées alimentaires, enfin le grand nombre d'enfants. Les moins malheureux parmi les ouvriers sont ceux qui ont quelque parcelle de terre à cultiver. Le bobinage est confié communément à des vieillards, à des enfants, à des femmes, à des infirmes ou même à des idiots, et la rétribution en est excessivement modique. On se demande avec inquiétude ce que deviendra cette classe infortunée si le bobinage mécanique s'installe dans la vallée. L'empire des idées religieuses y est trèsfaible. Deux églises catholiques, un temple protestant et une petite synagogue suffisent à une population de 10 à 12,000 âmes. On s'est cru obligé, par suite de la pénurie de la caisse municipale, de rayer du budget pour l'année 1852 la subvention accordée aux deux salles d'asile existant dans la cité; 3,000 fr. ont été puisés pour cet objet dans la charité privée. Presque tous les parents envoient leurs enfants à l'asile, mais ils ne les laissent pas assez longtemps. Chez les tisserands de la campagne l'ignorance est presque générale. Plusieurs sociétés de secours mutuels se sont fondées. L'une d'elles reçoit de la ville une subvention de 1,500 fr. Dans la troisième ville manufacturière de l'Alsace, à Bischwillers, tous les ouvriers travaillent en atelier par groupes de 2 à 300 individus. Dans toute l'Alsace, aucune classe laborieuse ne s'appartient autant à elle-même. Les manufacturiers laissent une grande liberté aux hommes qu'ils emploient, et les règlements de la police dans une petite ville isolée et paisible ne sont pas très-sévères. De cette liberté est sorti plus vif parmi les ouvriers le sentiment du besoin d'un chef. Ils se sont choisi des délégués pour fonder une boulangerie à la tête de laquelle est placé l'un d'eux. L'idée de la prévoyance mutuelle s'est trèsrépandue. Le désir qu'éprouvent les ouvriers de devenir propriétaires est général. Des entrepreneurs ont eu l'idée de construire des maisons en terre et en bois dont le prix varie de 12 à 1,500 fr., pour l'achat desquelles il est donné des facilités de payement. On voit de pauvres hommes se vendre pour le service militaire, dans le seul espoir d'acheter ce chez soi qu'ils ont appris à convoiter dès leur enfance. Les associations ont le tort d'être trop nombreuses.

Des ouvriers jeunes et vigoureux se sont séparés d'une société unique et productive afin de se soustraire aux charges des vieillards et des infirmes. L'indigence sévit à certaines époques de l'année. La mendicité vient d'être supprimée au moyen d'une sorte de taxe des pauvres établie dans la ville, mais dont le payement n'est pas obligatoire. La distribution des secours s'étend aux communes rurales.

Les usuriers juifs sont une plaie dans l'Alsace. Il faut être entré dans les chaumières du pays pour comprendre à quel point ils y sont à la fois influents et abhorrés. Ils ont la main dans toutes les transactions; on n'achèterait pas un morceau de terrain, pas une tête de bétail, sans recourir à leur ruineux intermédiaire. Si les ouvriers des fabriques, à mesure qu'ils s'éclairent davantage, échappent peu à peu à l'usurier, la population rurale, plus ignorante, subit toujours sa dure exploitation. Les juifs en sont arrivés avec le temps à connaître le fond de toutes les bourses et à servir de banquiers à tous les paysans. Tout l'argent prêté vient de leurs coffres-forts. Les prêts usuraires se pratiquent avec mille subterfuges onéreux pour l'emprunteur et que compliquent encore de fréquents renouvellements. Une fois dans les griffes de l'usure, il est presque impossible à une famille de s'en arracher. On cite des cas où un premier emprunt de 10 fr. a suffi pour enchaîner toute une vie et ruiner une existence. Dans leur aveu

glement, les masses se vengent par la haine implacable qu'elles ont vouée aux juifs d'un mal dont elles devraient d'abord se prendre à elles-mêmes. Au moindre mouvement, les usuriers sont le point de mire de toutes les rancunes publiques; on envahit leurs demeures et on les poursuit avec des fourches, ainsi qu'on l'a fait en 1848. Quoique victime de ses propres erreurs, l'individu ruiné par l'usure se laisse aller aisément à accuser l'ordre social tout entier qui lui semble favoriser les pratiques dont il souffre. Esprits retors, comme ils sont tous, les usuriers alsaciens ont soin de se mettre en règle sous le manteau de la loi; ils ont aussi pour eux les agents chargés de la faire exécuter, l'huissier, l'avoué, le notaire, et en fin de compte les tribunaux. L'organisation sociale paraît ainsi à des esprits ignorants figurée tout entière dans la personne de l'usurier.

Après les juifs viennent les gardes forestiers, qui représentent encore et plus direc tement l'autorité sous une face odieuse. Pendant la commotion de 1848, on a saccazé leurs maisons comme celles des juifs. Il n'y a point de troubles en Alsace sans dévastations dans les forêts dont une grande partie de cette province est couverte. Le règime forestier y est donc un intérêt de premier ordre. Si le code de 1837 est venu réagir contre une tolérance abusive, qui amoindrissait la valeur du domaine de l'Etat, on est malheureusement tombé dans l'exces d'une répression trop rigoureuse. Les an

ciennes concessions dans les forêts avaient appelé une exubérante population sur divers points de l'Alsace. Quand ces concessions ont été retirées, quand des actes jusque-là autorisés ou tolérés sont devenus des délits qu'étaient chargés de constater les élèves de l'école de Nancy, naturellement désireux de se signaler, une masse considérable d'habitants des vallées, atteinte dans ses moyens d'existence, s'est vue privée de ressources qu'elle considérait comme une sorte de propriété imprescriptible, et a été plongée dans une extrême misère. Les facilités qui n'ont pas été interdites ont été soumises à des Conditions gênantes et onérenses, dont plusieurs sans doute sont utiles, mais qu'il ne faut mettre à exécution qu'avec certains tempéraments. De l'application trop rigide du code forestier, il est résulté contre le gouvernement une sorte d'irritation sourde que n'ont pu faire disparaître quelques adoucissements apportés dans ces derniers temps, à l'exécution de la loi. Au 10 décembre 1848 comme au 20 décembre 1851, les habitants du pays allaient au scrutin en se disant: Nous n'avions pas le code forestier sous l'empire, nous jouissions alors de concessions qui nous seront rendues. Une récente amnistie pour les délits commis dans les forêts a produit le meilleur effet. Les popalations Alsaciennes viennent aussi d'obtenir une autre concession vainement sollicitée depuis plus de 20 ans: On a permis d'enlever les feuilles mortes deux jours par semaine au lieu de deux jours par mois seulement. Quelques autres tolérances pourraient apporter un nouveau soulagement dans les chaumières et ramener la paix dans les ames sans compromettre le domaine de l'Etat. Nous montrerons plus loin l'industrie de l'Alsace par ses bons côtés. (AUDIGANNE, Rev. des Deux Mondes.)

Hautes-Alpes.-Les conditions de la nourriture et du logement de l'ouvrier sont désespérantes dans ce département. Tout est de nature à inspirer une profonde pitié pour ces malheureux ouvriers et cultivateurs. La saleté, l'humidité de leurs habitations dépassent toute croyance. Il faut la grande résignation, Tapathie, l'indifférence des populations pour qu'une telle situation soit normale. L'une des principales causes qui engendrent la misère est le chômage imposé à l'agriculture par le séjour des neiges, séjour qui varie pour les diverses hauteurs de 3 à 7 mois. Il faut y joindre la paresse et l'incurable apathie des habitants des deux arrondissements de Gap et d'Embrun. La durée de cet hivernage influe sur les mœurs des habitants. On les voit plus industrieux dans les lieux où l'hiver se prolonge davantage. L'arrondissement de Briançon, par exemple, fournit plus d'ouvriers à métiers et plus d'émigrants (colporteurs et instituteurs de louage pour la Provence et le Languedoc), que toute autre contrée des Alpes. Les intempéries, si fréquentes dans les montagnes, sont aussi les causes accidentelles qui remuent profondément ce pays. Sous l'in

fluence de la fonte des neiges ou de pluies d'orages, l'agriculteur passe souvent, en quelques heures, d'une aisance modérée à une ruine complète. Il faut dire aussi que ces grandes causes météorologiques sont puissamment, secondées par l'incurie des populations. On peut citer comme exemple le canton du Dévoluy, qui a vu diminuer d'une manière très-marquée sa population en hommes et en bêtes ovines, en s'obstinant à tenir un nombre excessif de ces dernières dans les bois et sur les montagnes. C'est dans cette aveugle obstination, vaine ment combattue par l'administration forestière, qu'il faut chercher la véritable cause de la diminution progressive de la population des Hautes-Alpes. C'est là qu'il faut porter remède, si l'on veut relever ce pauvre pays de la ruine vers laquelle il chemine chaque année. La misère dans les HautesAlpes est immense, les moyens d'y remédier à peu près nuls. Des bureaux de bienfaisance ont bien à la vérité, été institués, mais leurs caisses sont vides. Ils sont aussi pauvres que les malheureux qu'ils doivent secourir. (Baron DE WATTEVILLE.)

Basses-Alpes. - La principale cause de la misère dans ce pays est la destruction fréquente des récoltes par le débordement des torrents, par les gelées et la grêle. L'organisation du crédit foncier sera un moyen certain de relever et soutenir les petits cultivateurs, en si grand nombre dans ce département. Le montagnard des Alpes françaises passe l'été suspendu aux rochers dont la rare terre végétale le nourrit à peine, et claquemuré l'hiver dans l'obscurité malsaine d'une étable. Le mauvais pain de ce pauvre pays est aussi cher que le plus beau pain de Paris. Apreté du sol, rigueur du climat, cherté des vivres, misère de la classe inférieure, telle est cette vallée de Barcelonnette que les poëtes ont chantée. On voit à quel point son bonheur était une fiction. On ne demande pas l'aumône dans les BassesAlpes parce qu'il n'y aurait personne pour la faire. On meurt de faim, de froid, de maladie, sans quitter son gîte. La plaie du pays n'est pas la misère absolue, mais l'insuffisance du vivre et du couvert. Une foule de montagnards disputent à grand'peine aux rochers d'étroites bandes de sol cultivables presque imperceptibles à l'œil.

Au surplus si les Basses-Alpes n'ont pas de mendiants, elles en donnent aux départements voisins, et celui du Var s'en plaint notamment. Beaucoup d'émigrations ont lieu des Basses-Alpes dans ce département à l'époque de la cueillette des olives, et bon nombre des ouvriers restent sur le territoire du Var, quand l'ouvrage cesse, en état de mendicité.

Une des causes de la misère est l'isolement des habitations.

Le premier fonctionnaire du département, dans la session de 1846, déplore la nullité des ressources d'un certain nombre de communes. A peine y trouve-t-on les éléments essentiels d'une municipalité, comment y

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