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trouverait-on ceux de l'organisation des secours? Pressées par toutes sortes de besoins, dit le même fonctionnaire, elles se consument dans l'impuissance et dépérissent misérablement. Le remède proposé est l'annexion de ces pauvres communes à des communes voisines, ou l'adjonction à leur ressort de quelques sections des communes environnantes. Le fonctionnaire s'arrêtait lui-même comme effrayé devant les distances qui séparent les habitations l'une de l'autre, et la difficulté des communications, causée par le sol accidenté des Alpes.

Une autre cause de misère dans les BassesAlpes est attribuée à la dénudation des montages couvertes jadis d'une riche végétation. Le préfet proposait en 1846, pour y remédier, Je reboisement du département. Une troisième cause naît du débordement des eaux, des bouleversements que les nombreux torrents, en'se précipitant des montagnes, occasionnent au sein de pauvres récoltes, déjà insuffisantes par elles-mêmes à nourrir les habitants.

La misère ayant son principe dans l'état d'un sol accidenté, il s'ensuit qu'elle est plus grande là où cette circonstance se rencontre davantage. Pour juger le paupérisme dans ses réalités, il faut tirer une ligne du Nord au Sud. Tout ce qui est à l'Est de cette ligne, pays de montagnes, est dans une situation infiniment pire que la partie laissée à l'Ouest; c'est done du côté de l'Est que doivent porter surtout les secours. Ce n'est pas que les terres de l'Ouest soient de grande valeur; la végétation au contraire y est grèle, les récoltes y sont des plus médiocres; mais enfin, la misère y est beaucoup moins profonde.

Ain.

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M. de Watteville cite parmi les causes de la misère dans l'Ain les habitudes de paresse, la fréquentation des cabarets, l'insuffisance des salaires, l'envie de paraître au-dessus de sa condition, souvent aussi l'amour de la chicane; enfin, la propension funeste qui porte les habitants des campagnes à se jeter dans les villes, où ils emploient leurs faibles ressources à se procurer une position que leur inexpérience et leur inhabileté ne leur permettent pas de soutenir longtemps.

Isère. Des mesures sévères ont été prises pour empêcher les mendiants de la Savoie de venir exercer dans l'Isère leur dangereuse industrie.

SV. FRANCE DE L'OUEST. Finistère.Malgré les immenses bienfaits répandus par la charité, qui est grande dans ce pays, la misère y exerce journellement d'affreux ravages. Il faut attribuer cet état malheureux au mauvais usage que fait généralement la classe inférieure des modiques ressources dont elle dispose, et au vice de l'ivrognerie, si profondément enraciné dans le pays depuis des siècles, que rien n'a pu le détruire, pas même la religion, dont la pratique y est cependant très-développée. Il faudrait une régénération complète dans les habitudes et le caractère de la population, qui est paresseuse et insouciante, au point de préférer souvent la men

dicité au travail. (Baron DE WAtteville.) Morbihan. Les nombreux établissements de charité du département ont pour résultat de faire encombrer les faubourgs des villes par une foule d'indigents des communes rurales, qui y sont attirés par l'espoir de participer à la distribution des secours qu'on y délivre. Cette émigration va toujours croissant et devient une plaie réelle à laquelle il faut apporter remède. La société d'agriculture, émue des conséquences du dépeuplement successif des campagnes au préjudice des villes, où la misère se trouve ainsi accrue, a présenté au ministre de l'agriculture et du commerce un projet qui tendrait à faire des concessions partielles de landes, aujourd'hui improductives, au moyen de baux à terme, à la charge d'une modique redevance et de défrichements sur une petite échelle, mais successifs. L'ivrognerie et la paresse sont les causes les plus puissantes et les plus invétérées qui engendrent et entretiennent la misère dans ce département. On peut combattre la paresse en multipliant les encouragements à l'agriculture, en favorisant ses développements, en obligeant au travail quiconque peut s'y li vrer, et en n'accordant secours et asile qu'à la vieillesse impotente et aux infirmités anticipées. Il faudrait, par la suppression des droits de navigation sur les canaux et les rivières, faciliter l'importation des engrais et l'exportation des céréales. (ID.)

Ille-et-Vilaine. Les principales causes de la misère sont : le manque de travail, l'insuffisance des salaires, l'ivrognerie poussée à ses dernières limites. De nombreuses landes incultes sont à défricher; mais ce tra vail exigerait préalablement la mise en acti vité de capitaux considérables et n'offrirait que momentanément du travail aux classes pauvres.

L'habitant des côtes de la Bretagne pourvoit, à la rigueur, aux indispensables nécessités de sa chétive existence par les fatigues du jour et l'âpre labeur de ses nuits froides et pluvieuses; mais le paysan du centre, dans le Morbihan, le Finistère et une partie des Côtes-du-Nord, est encore infiniment plus misérable que le pêcheur du littoral. Ce dernier ne vit pas seulement de sa pêche; il cultive des plantes potagères pour lesquelles il sait s'ouvrir des marchés; mais le paysan du centre ne connaît ni travail agricole ni industrie. Des terres autrefois cultivées sont aujourd'hui stériles. Elles manquent de bras, et à côté de ces terres sans culture, l'intervention des machines laisse sans travailleurs les métiers produc tifs d'où sortaient les toiles de Bretagne autrefois si renommées. Les paysans vivent dans des huttes comme des Hottentots, et ce qui seul les distingue des sauvages, c'est leur vieille foi bretonne, la foi qui veut dire religion, et celle qui signifie honneur et probité. Leur ingénuité native est comme une barrière élevée entre eux et l'esprit du vé goce où se mêle plus ou moins de cette adresse qui touche à la ruse et à la supercherie. Le sa

laire du paysan ne dépasse guère 30 c. par jour, et celui qui les gagne passe pour riche comparativement. On s'étonne que les représentants, chrétiens ou philantropes, qui furent les mandataires de ces pauvres contrées, sous le régime parlementaire, n'aient pas fait retentir la tribune de leurs misères.. Le cœur saigne au voyageur qui les parcourt, et il détourne ses regards d'une détresse qui surexcite douloureusement, son inutile pitié.

Loire-Inférieure. L'ivrognerie commence à s'étendre d'une manière vraiment déplorable parmi les classes pauvres de la ville et de la campagne. Le curé de SaintNicolas, de Nantes, M. l'abbé Fournier, à qui la société de Saint-Vincent de Paul dut sa fondation dans la ville, lorsqu'il n'en existait que deux en France (celles de Paris et de Lyon), nous disait au mois de seplembre 1855, que ce qui le choquait le plus dans la classe où se recrute le paupérisme, à Nantes, c'est la désertion par le père de ses devoirs de chef de famille. Au lieu de ne travailler que pour elle, il ne se préoccupe que de lui; on l'entend dire que le bureau de charité et les œuvres de la charité privée sont là pour nourrir sa femme et ses enfants. L'argent qu'il devrait consacrer, lui-même à leur subsistance, il le garde pour le cabaret; l'intempérance de Touvrier, dit M. l'abbé Fournier, a atteint sa limite extrême. Cette remarque d'un prêtre, d'un prêtre tel que M. l'abbé Fournier, qui met la main à toutes les bonnes œuvres, est frappante. Elle témoigne de la discrétion avec laquelle la charité doit aborder la famille de l'ouvrier, si elle ne veut pas courir le risque d'altérer le principe de la responsabilité individuelle par le secours même. Maine-et-Loire. On cite comme principales causes de la misère dans ce département, l'ivrognerie, la paresse, l'amour du laxe et du plaisir.

Vendée.-Sables d'Olonne. La classe des marins, en y comprenant les habitants qui tiennent à la marine de près ou de loin, forment aux Sables d'Olonne la moitié de la population. Les marins des Sables se sont aissé déposséder par ceux de Granville, sans cause appréciable, de la pêche de la morue su banc de Terre-Neuve. Le fait est d'autant plus inexplicable que les navires employés à celte pêche viennent chercher leur fest dans les marais salants qui abondent aux Sables d'Olonne.

Dans les années où le poisson abonde, les. pécheurs de la ville fournissent du poisson à vil prix, et le plus souvent en pur don. aux indigents. En 1854, la sardine, principele richesse de la côte, a manqué; de là un surcroft de souffrance pour la classe des pêcheurs et pour les indigents de leur quartier, accoutumés à être approvisionnés par eux; la disette du poisson, nous disaient les marins, est venue aggraver celle du pain et du vin.

Les salles d'asile ont été un moyen puissant d'assistance pour les familles des pêcheurs (les écoles et les asiles réunis ne

reçoivent pas moins de 1,200 élèves). La mère, obligée de garder ses jeunes enfants, était forcée de renoncer au travail incessant qui consiste à lester ou délester les navires employés au cabotage; ou bien, pour vaquer à ce travail, il lui fallait dépenser de 30 à 40 c. par jour pour mettre son enfant en garde chez des voisines. Les salles d'asile lui ont donné la liberté de son temps sans. bourse délier.

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Mayenne. M. de Watteville cite parmi les causes qui engendrent principalement la misère dans ce département, l'avilissement du prix des grains; cette cause doit avoir cessé d'agir depuis 1853. Pour les villes, le bas prix de la main-d'œuvre est la cause principale de la misère, et cette causeest bien difficile à combattre. L'ouvrier père de famille, qui ne peut gagner, terme moyen, que 1 fr. 25 c. par jour, sera constamment placé, lui et les siens, dans une position. voisine de la misère.

Deux-Sèvres. La misère y est produite par ces causes générales: le chômage, le défaut d'instruction, l'imprévoyance, les maladies, la paresse, l'inconduite, et par une cause locale, l'impunité du vagabondage.

Vienne. Dans ce département essentiellement agricole, la population des communes rurales est pauvre. Son état de gêne tient à ce qu'elle est uniquement livrée aux travaux de l'agriculture, et que ces travaux, par suite de la pénurie des ressources, font peu de progrès. L'industrie n'y est pas répandue; on n'y rencontre que peu d'usines, et un très-petit nombre de manufactures. 11 faut ajouter que les indigents, malgré leur grand nombre, trouvent dans la charité des ressources pour ainsi dire inépuisables. Haute-Vienne. Les causes de la. grande misère dans le département de la Haute-Vienne tiennent à la mauvaise nature du sol, aux grandes variations atmosphériques qui influent singulièrement sur les récoltes, et à l'insuffisance des travaux manuels.

Charente. Nous avons entendu plu- . sieurs personnes assigner pour origine à la misère dans la Charente cette même cause.

qui nous avait été signalée à Nantes, l'abandon des familles par leurs chefs. Le mari disparaît sans qu'on sache ce qu'il devient.. Entre-t-il dans la voie du vagabondage ou va-t-il grossir le chiffre des émigrants, c'est ce qu'il y aurait intérêt à savoir. Une autre plafe sociale se creuse à côté de la première; le nombre des enfants qui refusent de nourrir leurs père et mère grandit dans des proportions visibles. Le ministère public doit intervenir toutes les fois que cela se peut pour contraindre les enfants dénaturés à remplir un devoir dont le code civil leur fait une impérieuse obligation.

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La corruption des mœurs, à Angoulême, à frappé d'étonnement le commissaire central que le gouvernement vient d'y envoyer. Il a trouvé la dépravation incroyablement précoce chez les jeunes filles du peuple et n'a pas tar dé à s'apercevoir que cela tenait au grand now.

bre et à la classe élevée de leurs séducteurs. On s'enrichit vite et la fortune acquise passe le plus souvent en débauches. Cela est triste à constater, mais c'est un trait nécessaire de notre récit, puisque c'est une des causes de la misère des masses.

Le maire de Chalais accuse la population ouvrière d'un luxe excessif et de se livrer à une débauche sans frein. Le château de Chalais et celui de la Rochefoucauld, dans la Charente, nous donnaient à penser. Le premier est superbe, le second est charmant. Tous deux sont inhabités. On les entretient avec soin par des réparations sans but, si ce n'est dans un intérêt artistique, insuffisamment motivé. Peut-être nous trompons-nous, mais nous voyons là des agents provocateurs des révolutions. Soyez de grands vassaux agricoles, ou bien faites de vos châteaux des manufactures, ou bien faites-en des maisons de retraite pour les invalides du travail, mais réfléchissez múrement, si vous ne voulez pas qu'on s'agite tumultueusement. Craignez que le socialisme ne vous devance; transformez vousmêmes les édifices du passé, si vous voulez prévenir les bandes rouges, pires que les bandes noires.

La mendicité et la misère des valides ont pour cause à Ruffec la paresse, car le travail ne fait pas défaut; ce sont les bras qui manquent au travail; La charité individuelle corrompt l'indigent, toujours sûr de trouver dans les hôtels de quoi se nourrir. A quoi bon travailler, pense-t-il, si l'on peut vivre sans rien faire? C'est donc du travail au lieu de pain qu'il faut lui donner.

La Charente est un des départements les plus irréligieux de France. La faiblesse de son clergé est traditionnelle. Aucun n'a produit plus de prêtres assermentés. Le pays ne fournit pas de sujets pour peupler les séminaires. Il faut emprunter des élèves et des prêtres aux diocèses voisins, et on pense bien que ce ne sont pas toujours les plus

(40) On compte en France 347,328 cabarets ou cafés, soit 1 cabaret pour 101 habitants. Chacun de ces établissements vend 3,299 litres 2 centilitres de vin, 226 litres 88 centilitres de spiritueux. 14,458,539 hectolitres de vin et 788,030 hectolitres de spiritueux ont été consommés dans ces diverses maisons, ce qui porte la consommation de chaque individu à 32 litres 58 centilitres de vin et 2 litres 24 centilitres de spiritueux. En portant à 25 francs le prix moyen marchand de l'hectolitre de vin et à 45 francs celui des spiritueux, il en résulterait une dépense de 321,924,830 francs; savoir: Vin 286,463,475 fr. Spiritueux 55,461,555; en tout 321,924,830 fr. Soit 9 fr. 15 c. par individu, somme considérable si l'on remarque que, sur 35 millions d'habitants, il y a 48 millions de femmes, et que, sur les 17 millions d'hommes restants, il existe plus de 9 millions de jeunes gens ayant moins de vingt ans. Si l'on défalque des 8 millions d'hommes âgés de plus de vingt ans les gens sobres et les buyeurs d'eau, qui forment la majorité en France, on aura facilement la conviction que la consommation de 32 litres de vin et de 2 litres de spiritueux par individu est plus que décuplée.

Dans les Deux-Sèvres, il y a 1 cabaret ou café

pieux, les plus zélés, les plus instruits qui émigrent d'un diocèse dans l'autre. Le clergé charentais se recrute jusqu'en Espagne. L'irréligion y produit ce luxe, ces convoitises, ces débauches que nous avons signalées. L'élément manque dans les villes, ainsi que dans les communes rurales pour organiser des conférences de Saint-Vincent de Paul. On cite une ville où une conférence, après s'être fondée, s'est dissoute. Les curés de campagne ont dissuadé des personnes pieuses d'essayer même d'en créer. Cognac est la seule ville du département qui ait suivi l'exemple d'Angoulême; encore sa conférence est-elle d'origine exotique. Des étudiants de Paris et de Poitiers ont apporté la graine qui heureusement a levé.

M. le baron de Watteville, dans le rapport qui accompagne la statistique du paupérisme publiée en 1855, résume ainsi les principales causes de la misère: 1° absence de toute culture morale et religieuse dans les villes et dans les campagnes; 2° affaiblissement de l'autorité paternelle et de l'esprit de la famille; 3° fréquentation des cabarets, goût immodéré pour les boissons (40); 4° exagération du luxe, goût excessif de la toilette, envie de paraître dans une condition supérieure à celle où l'on est placé; 5 désordre et esprit d'imprévoyance; abandon de l'enfance; 7° répulsion des parents à envoyer leurs enfants des deux sexes, les filles surtout, dans les salles d'asile et les écoles primaires; 8° peu d'entente des soins du ménage de la part des jeunes femmes dans les classes ouvrières et souffrantes; 9° mariages précoces; 10° propension funeste des habitants des campagnes à se jeter dans les villes pour se livrer à l'indus trie; 11° état précaire des cultivateurs, que Je moindre accident force à contracter des dettes usuraires; 12° abus de la division de la propriété, poussée au morcellement indéfini; 13 goût excessif de la procédure dans

sur 33 habitants; dans la Seine-Inférieure, 1 sur 60; dans le Rhône, 1 sur 62; dans le Nord, 1 sar 65; dans les Ardennes 1 sur 66; dans le Pas-de Calais. 1 sur 68.

Tandis que dans le Gers, il existe 1 cabaret ou café sur 222 habitants; dans Seine-et-Oise, 1 sur 192; dans les Pyrénées-Orientales, 1 sur 180; dans la Somine, 1 sur 178; dans le Tarn, 1 sur 164, dans la Charente-Inférieure, 1 sur 162.

Dans les Bouches-du-Rhône, la consommation a été de 106 litres 22 de vin par habitant; dans les Deux-Sèvres de 105 1. 28; dans la Seine, de 98 1. 25; dans la Loire-Inférieure, de 72 1.85; dans le Gard, de 67 l. 45.

Dans la Seine-Inférieure, la consommation des spiritueux a été de 10 litres 83 par habitant; dans les Deux-Sèvres, de 71. 27; dans la Seine, de 6. 21'; dans la Somme, de 5 1.41; dans le Nord, de 4.1. 20.

En général, sauf le département de la Seine, la consommation du vin est inverse de celle des spiri tueux. Plus l'une est forte, moins l'autre est const dérable. Une mesure indispensable à prendre, dit M. de Vatteville est celle de la fermeture des cabarets en toute saison à la chute du jour.

les campagnes; 14 préoccupations politiques dans les villes; 15° chômage du lundi. La misère, dit M. le baron de Montreuil, n'est pas le partage fatal d'un certain nombre d'hommes; elle est le résultat du choix chez tous ceux qui préfèrent le plaisir au travail, et le désordre au devoir. Le chiffre des malheureux serait considérablement réduit, si l'on en retranchait tous ceux dont la misère résulte du vice. Que l'on fasse partout l'inventaire moral des indigents, des causes de leur infortune, et l'on verra que, si pour plusieurs le malheur est une épreuve, pour le plus grand nombre, il est un châtiment. (Annales de la Charité.)

CHAPITRE V.

Classes souffrantes dans leurs conditions spéciales. Nous resterions à la superficie des causes génératrices de la misère, si nous n'entrions pas plus profondément dans l'intimité des classes où elle s'engendre. Nous nous placerons à ces quatre points de vue : classe agricole, classe industrielle, armée de terre et de mer, population maritime. Toutes les masses sont là.

§. I. Classes agricoles.

Mentor sortit de la ville' avec Idoménée et trouva une grande étendue de terres fertiles qui demeuraient incultes. Voyant cette terre désolée, il dit au roi: La terre ne demande ici qu'à enrichir ses habitants, (mais les habitants manquent à la terre. (Prenons done tous les artisans superflus qui (sont dans la ville, et dont les métiers ne (serviront qu'à dérégler les mœurs, pour leur faire cultiver ces plaines et ces collines.», (Télémaque, liv. xu.)

Le travail des champs est le premier travail du genre humain, et il est si favorable l'innocence, que Dieu, en créant le premier homme à son image, innocent et pur, lui donna le paradis à cultiver: Et posuit eum in aradiso voluptatis ut operaretur el custodiret eum. (Gen. 1, 15.) (RAVIGNAN, sermon préché à Saint-Roch pour la société d'adoption, le 11 mars 1844.)

Moise n'interdit pas les arts et le commerce à ses concitoyens; mais l'agriculture est l'art auquel il veut que les Hébreux s'appliquent surtout, C'est à l'air libre et pur, aux travaux fortifiants, à la vie saine de la campagne qu'il les appelle. Les législateurs de Rome et de la Grèce pensèrent de même, Dans ces républiques, l'artisan est l'homme obscur et le propriétaire cultivateur, le citoyen distingué. Les tribus urbaines le cédaient aux rbas rustiques. C'était de celles-ci qu'on tirait les généraux, les magistrats, et leurs suffrages décidaient de toutes les affaires. (Lettres de quelques Juifs portugais.)

I n'existe pas de stimulants au travail plus fort qu'un petit champ attaché à l'habitation des cultivateurs. (WALTER SCOTT.) Ager non ita magnus

a dit Horace.

O fortunatos nimium sua si bona norint Agricolas! s'écrie Virgile.

L'économie politique va parler à son tour par l'organe de Chaptal: L'industrie agricole est sans contredit la première des industries. Les travaux qu'elle exige forment une population robuste. Elle donne la matière première aux manufactures et procure des échanges au commerce. Il eût été à désirer qu'au lieu de former les populations industrielles en agglomérations d'individus pour exploiter quelques genres d'industrie, on les eût laissées disseminées dans les campagnes où la fabrication n'eût été qu'un utile auxiliaire des travaux de la terre. (Industrie française, 1819.)

L'éclat dont brillent les nations par l'industrie des ateliers, dit le même économiste, peut n'être que passager: la prospérité établie sur une bonne culture est seule durable. La propriété fait aimer le gouvernement qui la protége, la loi qui la garantit. L'émeute ne surgit plus du fond des campagnes, depuis que le nombre des propriétaires y a plus que triplé. Le prolétaire n'a pas de patrie, le désordre et l'insurrection sont pour lui des moyens d'améliorer son sort; il est aux gages de celui qui le paye le mieux. Voulez-vous élever le caractère national, respectez la petite propriété.

M. Bignon, rapporteur du budget de 1944 (séance du 17 juin 1843), n'hésite pas à dre que l'agriculture est certainement le premier intérêt français, et il a la confiance, dit-il, que personne, dans la chambre, n'a ung opinion différente. Nul ne fut tenté de le démentir.

L'action de l'Etat sur l'agriculture se fait sentir avec énergie, à partir du milieu du XIV siècle. De Henri IV à Louis XVI, on compte 160 édits, arrêts, ardonnances, etc., concernant le seul commerce des grains, que tantôt ils entourent d'entraves, tantôt ils affranchissent ou favorisent. (Voy. ci-après.)

Les ordonnances réglementaires du trala liberté politique et civile de la classe vail, au XIV siècle, impliquent l'idée de agricole et excluent celle du servage, au classe. On pourrait nous objecter, et cette moins pour une partie considérable de cette objection, nous-mêmes nous nous la sommes faite, que les travailleurs agricoles, qui débattaient librement leurs salaires et qui abusaient de leur liberté pour stipuler des salaires exorbitants, que ces travailleurs étaient exclusivement en rapport avec la classe bourgeoise des propriétaires, et, qu'envers les deux ordres de la noblesse et du clergé, investis de priviléges, les choses se passaient autrement. Qu'envers ceux-ci le travailleur agricole était serf; qu'il recevait la loi et ne la faisait jamais. Un document irrécusable du règne de Charles VI, daté de 1385 (voy. Collection d'Isambert, t. VI. p. 580), dissipe toute espèce de doutes. It prouve que la liberté d'action de la classe ouvrière s'exerçait à l'égard de toutes les classes de citoyens et ne recevait d'entraves que de la loi elle-même. Nous ne nions pas le régime du servage, nous voulons scule-'

ment dire qu'il n'était pas aussi général qu'on le croit.

Les gens d'église, nobles, bourgeois et habitants de la ville de Sens et du pays d'environ, porte le préambule de la déclaration royale de 1385, exposent que les ouvriers de bras et laboureurs de vignes, alloués loués-pour ouvrer à la journée, sont tenus de gagner leur journée, sans en partire ni laissier leur ouvrage, jusques à heure ordenée et compétent, c'est à savoir soleil couchant; ainsi est-il accoutumé d'ancienneté. Rien n'est plus clair, la classe agricole des travailleurs avait son libre arbitre en face des nobles et des gens d'église comme en face des bourgeois.

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Néanmoins, poursuit le préambule, depuis aucun temps tout, ou la plus grant partie des ouvriers et laboureurs de la ville de Sens et de ses environs, qui est pays vignoble, fraudant et décevant les propriétaires, délaissaient leur ouvrage et se partaient avant midi et none de midi à trois heures en tout cas grant espace de temps avant que le soleil soit couchié et allaient ouvrer en leurs vignes ou en leurs tâches ou travailler à la tâche et là, besognaient autant ou plus d'ouvraige qu'ils n'en avaient fait tout le jour pour ceux qui leur payaient leurs journées. De plus, en ouvrant à journée, continue toujours le préambule, ils se faigneaient-ils fainéantaient s'épargnaient, ne faisaient pas leur devoir, afin d'être plus forts pour ouvrer ès lieux où ils allaient après leur département-départ. -Ces chouses, disaient les exposants et alléguait la déclaration royale, étaient abus déraisonnable contre Dieu et justice.: venir tard et prendre grant prix et salaire pour les journées était contre le bien et utilité publique. Dans le même préambule, il est dit que les sergents ou meissiers payés pour garder les vignes mangeaient les raisins.

L'ordonnance exprimait en langage du XIV siècle la fameuse formule de 1848: les paresseux sont des voleurs; seulement la législation du XIV siècle opposait au larcin commis contre le capital et contre la société qu'elle appauvrit une pénalité, tandis que le système éclos en février érigerait le droit de fainéantise ou de la mal-façon en droit commun.

Pour tel abus abattre et faire cesser, la déclaration royale de Charles VI statue: que dores, en avant, dorénavant tous ouvriers et laboureurs, hommes et femmes, à la journée, seront tenus de venir ès lieux et ès places accoutumés, avant soleil levant, et, après qu'ils auront été loués, iront ouvrer et labourer là où leurs maîtres et maîtresses les emploieront, et en leur ouvraige se tendront tiendront continuellement, en gaignant bien et loyaument leur salaire jusqu'à soleil couchant, sans revenir à la ville, ne issirni sortir-au partir de leur besoingne, si ce n'est pour prendre leur récréation de boire et de mengier. Les ouvriers étrangers, continue la Déclaration, ne pourront prendre, lever ne exigier aucune

hausse autre que cinq sols tournois, sous peine de 60 sols d'amende.

Un édit de mars 1681 porte règlement sur le nombre des charrues que les ecclésiastiques, gentilshommes, officiers, bourgeois et autres privilégiés peuvent faire valoir par leurs mains. 1776, 15 septembre. (Archives nationales).

La réglementation du travail agricole est portée en 1731 jusqu'à la défense de faire aucune nouvelle plantation de vignes. Celles qui auront été 2 ans sans être cultivées ne pourront être rétablies sans permission, à peine d'amende. (Arrêt du conseil, 5 juin, archives.)

Le 17 juin, défense de faire sortir hors du royaume, aucuns bestiaux, sous les peines y portées. (Recueil cas. 7 juin.)

Le 2 juillet 1786, le parlement de Paris, informé par le procureur général, que depuis quelques années, des laboureurs et des cultivateurs ont introduit dans les bailliages de Laon et de Chartres, l'usage de faucher les blés au lieu de les scier; considé rant que cette manière de récolter était préjudiciable à la fois au public et aux cultivaleurs, par la raison que la faux en agitant l'épi avec violence, en faisait jaillir les grains, qui étaient en pleine maturité, la Cour fait défense à tous propriétaires et fermiers, de faucher les blés, sous peine de 100 livres d'amende et du double en cas de récidive; ordonne que la lecture de l'arrêt sera faite chaque année au commencement de juillet à la porte des églises des paroisses, au sortir des messes paroissiales. C'était là matière à conseil et non à répression; le parlement excédait sa légitime mission.

De Louis XIV à 1840, l'hectare ne produit pas au delà de 8 hectolitres et descend à 7 Sous Louis XV. Depuis 1840, l'hectare pro duit en moyenne, avons-nous dit, de 12 à 13 hectolitres (M. Michel CHEVALIER dit 12 hectolitres 112). Ce n'est pas le quart, comme on l'a vu, de la production de l'Angleterre.

Doit-on apporter des entraves au morcellement de la propriété? — Nous trouvons dans un mémoire sur les subsistances, écrit en 1848, cette proposition émise sans hésitation, que plus la propriété est morcelée, plus elle produit. Tel domaine, dit l'auteur du mémoire, qui rendait il y a 50 ans 100 hectolitres de blé, en rend 600 aujourd'hui Cette opinion est vigoureusement combattue.

« L'extrême division du sol, dit-on, est une plaie, et il n'est pas aujourd'hui en France un homme sérieux qui ne déplore ce gaspillage inintelligent et ruineux de la source de toute richesse! Sous l'empire du morcellement, notre pays a vu diminuer ses produits alimentaires ou destinés à l'indusirie. En blé, il nous manque, année moyenne, plus d'un million d'hectolitres. La nourriture possible à chaque Français n'est, en toute espèce de viande, que de 20kilogrammes par an, alors que la ration, partête, est en An gleterre de 67 kilogrammes. Notre industrie s'alimente de matières premières à l'étranger. Partout le morcellement impose la stérilité.

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