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règle la conduite de chacun et détermine le niveau de la moralité commune.

On n'éprouve nullement le besoin de ces sociétés d'assistance mutuelle qui rapprochent ailleurs des existences primitivement séparées. Une caisse d'épargne, établie à Flers depuis quelques années, n'a reçu que d'assez faibles dépôts de la part des ouvriers. Leur désir ne se tourne pas vers l'accumulation des capitaux mobiliers; les yeux fixés sur le sol, c'est un lambeau de terre qu'ils ambitionnent. Les tisserands de Flers conservent leurs épargnes dans leurs logis, jusqu'au moment fortuné où ils pourront acquérir un jardin ou un petit champ. Maniant alternativement la navette et la pioche, ils unissent étroitement le travail agricole au travail industriel. Ils empruntent, à un fermier de leur voisinage, les instruments d'agriculture, et quand arrive le temps de la moisson ils s'acquittent envers lui en l'aidant à faire sa récolte, particulièrement celle des foins et des sarrasins. Les fils et les filles des cultivateurs s'occupent, de leur côté, à dévider ou à tisser le coton durant la saison où chôme le travail des campagnes. Les hommes de quelques communes du district de Flers viennent, chaque année, par bandes, dans la plaine de Caen, dans la Beauce ou le pays de Caux, se louer pour la moisson et retournent ensuite s'asseoir devant le métier qui les attend. Grâce à une telle organisation, cette fabrique a pu traverser la crise économique de 1847, la crise politique de 1848, sans en ressentir trop violemment le contre-coup, c'est parce qu'elle n'a pas de frais généraux à supporter, parce qu'elle peut se contenter de très-petits bénéfices, qu'elle se soutient et prospère en face de la grande industrie. Il a été introduit, dans la Joi des finances de 1854, une modification partielle de notre législation des patentes concernant les fabricants à métiers à façon,

L'industrie des tissus s'exerce par deux modes différents, que la loi des patentes a diversements taxés. En premier lieu, un fabricant réunit dans de vastes ateliers des agglomérations de travailleurs qui transforment la matière brute en produit fabriqué. En second lieu, ce même fabricant livre la matière première à des ouvriers extérieurs qui lui font subir chez eux, avec l'aide de leurs familles et de quelques compagnons ou apprentis, la même élaboration qu'elle aurait reçue dans l'atelier général. Ces ouvriers extérieurs, qui ne prêtent que le concours de leurs bras ou de leur habileté, sont désignés sous le nom de fabricants à ・métiers à façon. Le fabricant, c'est-à-dire l'entrepreneur général qui spécule sur la création du produit manufacturé, paye un droit fixe de patente sur tous les métiers qu'il emploie, tant sur ceux qui fonctionnent dans ses ateliers que sur ceux qu'il occupe au dehors. Le fabricant à métier à façon qui n'est assisté que de sa femme ou de ses enfants non mariés est exempté de tout droit de patente. S'il occupe un ou plusieurs apprentis et compagnons, c'est-à-dire des sor

tes de sous-ouvriers, et s'il emploie moins de dix métiers, le fabricant à façon paye seulement pour chaque métier un droit fixe égal à la moitié de celui qui a déjà été payé par le maître fabricant pour ces mêmes métiers. Si le fabricant à façon occupe plus de dix métiers, il paye, indépendamment du droit fixe, un droit fixe, un droit proportionnel sur la valeur locative de son habitation et sur celle du local industriel. Telle est, dit M. Audiganne, Féconomie de cette législation, dont l'esprit a pour objet d'exempter absolument le travail de la famille, d'exonérer, dans une certaine.mesure, celui qui est circonscrit dans les limites de la vie domestique, et d'atteindre plus complétement celui qui prend le carac tère d'une spéculation industrielle.

Mais la faveur que la loi a voulu accorder au travail à domicile n'a pas paru suffisante: les ouvriers de la fabrique de Lyon et les organes du commerce de cette ville demandent l'exemption de la patente pour les fabricants à façon qui emploient moins de dir métiers, même quand ceux-ci occupent des Ouvriers autres que leurs femmes ou leurs enfants. Ils demandent, en un mot, d'étendre au travail domestique l'exemption que la loi ne concédait qu'au travail de la famille. La réclamation semble fondée; il est en effet, équitable de favoriser un travail qui s'exerce auprès du foyer domestique, dans le cercle restreint de la famille et de quelques apprentis ou compagnons qui, la plupart du temps, n'ont pas encore atteint le degré d'habileté ou de pratique qui constitue l'ouvrier. Mais l'exemption ne saurait être accordée aux ouvriers de la fabrique lyonnaise sans provoquer de légitimes réclamations de la part d'autres catégories de travailleurs, placés, comme ceux de Sedan, de Louviers, d'Elbeuf, de Saint-Quentin, de Roubaix, de Turcoing, etc., dans les mêmes conditions de travail et d'industrie. Pour prévenir des réclamations fondées, il importe donc, dit le même écrivain, de généraliser la mesure en l'appliquant à toute l'industrie des fabricants à métiers à façon, ayant moins de dix métiers. Le sacrifice que la faveur accordée à ce travail, considéré comme en quelque sorte domestique, imposerait au trésor, De s'élèverait pas à plus de 80 à 100,000 francs par an, et nous hésitons d'autant moins à le proposer au corps législatif, que le produit général de l'impôt des patentes est en voie d'augmentation et suit le développement de la richesse publique. Ce sacrifice serail, d'ailleurs, racheté par l'effet salutaire d'une mesure qui tendrait à moraliser l'ouvrier en l'éloignant de l'atelier pour le rapprocher de la vie de famille et du travail à domicile

Il ne faut pas, ajoute M. Audiganne, exalter sans mesure le système du travail à domicile aux dépens de notre grande industrie manufacturière. En y regardant de près on découvre dans les deux méthodes un bon et un mauvais côté. Il faut savoir d'abord, que le choix de l'un ou de l'autre ne dépend pas toujours de la volonté individuelle. Les fabrications qui ont besoin d'un moteur mécanique, pa

ople, ne sauraient évidemment se disner dans les campagnes; de plus, le traà domicile, toujours un peu routinier a nature est beaucoup moins favorable progrès industriels. Enfin, si l'on est é de signaler chez les ouvriers des ques une sorte de déchéance morale, marque trop souvent chez les oues à domicile, un état de stagnation ectuelle qui n'est pas sans périls. Ces ers sont plus paisibles aujourd'hui es autres, plus respectueux de la tra1; mais si le vent empoisonné des fausoctrines parvenait à gâter la droiture de instincts, ils seraient plus difficiles à er et à contenir. Les voies qui peuconduire la vérité jusqu'à eux sont plus es, les moyens d'action plus incertains. 4 on cherche à leur souffler l'esprit ation on ne manque jamais de leur qu'ils sont privés de garantie contre ploitation abusive, qu'ils sont moins bas que dans les manufactures où les ers peuvent s'entendre et discuter leurs En jour pourrait arriver où après longtemps accusé le régime de l'inte en atelier, on le trouverait plus farégulariser, que celui de l'industrie allée dans les campagnes. (Revue des nondes: population ouvrière, par M. A. anne 15 novembre 1851.) remarques qui précèdent peuvent être au point de vue politique et sous le rapndustriel, mais si l'on se reporte à la de l'homme, il aura toujours dans les rassemblements un écueil pour les Les mauvaises mœurs seront plus rées que les bonnes et les mauvaises imns, plus faciles à prendre que les uses inspirations à éprouver.

Classes industrielles. Les instiqui régissent l'industrie ont disparu, haptal; il faut en former de nouvelles, propriées aux intérêts et aux lumières le; ne pas condamner les anciennes, a seul qu'elles ont existé; ne pas conles nouvelles, par cela seul qu'elles it. (Industrie française 1819.)

i une séance de l'académie de Mâcon, acretelle fait la critique de la tendance e des esprits vers l'industrie. M. de ine, qui assistait à cette séance en sa de président du conseil général de et-Loire, a refuté, dans un discours risé, toutes les allégations de M. de Lae. Ce discours, est une des plus profitavres de celui qui en a produit de si males. De tous les devoirs que l'honneur sider le conseil général pouvait m'imle plus inattendu et le plus doux pour t l'orateur, est d'exprimer la haute saion des représentants du département démie de Macon, à ce corps savant et ire dont je fais partie moi-même, qui eilli presque mon enfance, et où j'ai heur d'avoir aujourd'hui à ne louer es émules et à n'applaudir que des Permettez-moi d'ajouter qu'il y a dans

celte circonstance quelque chose de plus intime et en même temps de plus solennel encore pour moi; c'est l'obligation de répondre, pour ainsi dire directement, à ce vieillard illustre qui vient de parler de moi avec tant d'indulgence et de faveur, qui est venu cacher sa vie et déposer sa renommée parmi nous, comme pour nous apprendre combien il y a de simplicité dans le génie et de familiarité aimable sous la gloire. (On applaudif), qui a adopté notre patrie, qui s'associe à nos sérieuses études, et qui ne dédaigne pas de faire entendre quelquefois, dans nos modestes solennités locales, cette grande voix, jamais épuisée, quoi qu'il en dise, qui retentit depuis cinquante ans du haut de la science, du haut de l'histoire, et aujourd'hui enfin du haut de la morale et de la politique. Vous avez nommé M. de Lacretelle! (On applaudit.) J'ai dit vieillard, pour lui complaire, et en comptant le nombre de ses utiles années; il est jeune, car il médite encore! il est jeune, car il porte en lui les deux éclatantes protestations contre la vieil- · lesse: la puissance d'aimer et la puissance d'espérer toujours! Rendons grâce à la séve intarrissable de cet esprit qui pense avec les philosophes, qui jugé avec les historiens, et qui, s'il nous était permis de déchirer le voile des secrets de son talent, nous prouverait même qu'il sait chanter avec les poëtes. Je demande à répondre quelques mots, au nom du corps que j'ai l'honneur de présider, aux ingénieuses considérations qu'il vient de vous présenter sur les dangers de l'industrie.

En écoutant le spirituel et éloquent critique du système industriel, je n'ai pu m'empêcher, dit M. de Lamartine, de me souvenir que Jean-Jacques Rousseau avait un jour soutenu, ingénieusement et éloquemment aussi, la thèse de l'inutilité des lettres et du dangers des connaissances humaines. Le paradoxe a passé, l'écrivain immortel est resté; et la France, après avoir applaudi ses sublimes accusations contre ce qui faisait sa gloire, a marché en avant, d'un pas plus ferme et plus rapide, dans la voie de la science et du génie, où elle a entraîné l'Europe à sa suite. Ainsi ferons-nous demain, après avoir entendu les protestations de l'orateur contre l'industrie. Nous continuerons nos routes de fer, et nous tenterons de nouveaux efforts mécaniques.

Je comprends qu'un esprit comme celui de l'illustre académicien, qui a conservé tant de fraîcheur et de poésie sous la maturité de la raison, déplore, en se jouant, la perte d'une civilisation plus pastorale, et accuse nos machines d'avoir, comme il le dit si pittoresquement, sali de leur fumée noirâtre l'azur de son ciel, ou les lignes droites de nos routes de fer, d'avoir coupé les gracieuses ondulations des sentiers de sa jeunesse, et dépoétisé ses paysages. Mais si l'on sourit un moment à ses regrets, la raison haute et sévère de l'homme d'Etat refuse de s'y associer; et même sous le rapport exclusivement poétique, elle trouve une

plus véritable poésie dans ce mouvement fiévreux du monde industriel, qui rend le fer, l'eau, le feu, tous les éléments, les serviteurs animés de l'homme, que dans l'inertie de l'ignorance et de la stérilité, que dans ce repos contemplatif d'une nature qui ne multiplie pas l'œuvre de Dieu par l'œuvre de 'homme.

Vous citiez tout à l'heure, Monsieur, le grand poëte moderne de l'Angleterre, à l'appui de votre opinion contre l'industrie. Eh bien le hasard vous condamne par la bou'che de votre autorité même. Vous n'avez pas tout lu dans lord Byron; vous auriez trouvé dans les notes de son immortel Pèlerinage d'Harold la question traitée par lui et résolue contre vous. On demandait un jour à l'illustre poête lequel était le plus poétique, selon lui, de la science ou de la nature; il montra du doigt l'Océan à celui qui l'interrogeait : « Je vous demande à mon tour, dit-il à son interlocuteur, lequel est plus poétique, de cette mer vide, nue, déserte, traversée seulement par le sauvage dans un tronc d'arbre qu'il a creusé, ou de ce golfe couvert de ces vaisseaux ombragés du nuage de leur voilure, portant chacun des milliers d'hommes disciplinés dans leurs flancs, des canons sur leurs ponts, et courbant les vagues aplanies sous la volonté puissante et cachée de leur gouvernail? Interroger ainsi, n'était-ce pas répondre?

Vous accusez les machines, Monsieur! mais ce sont les mains artificielles des travailleurs. Mais ce rouel, ce fuseau lui-même que vous regrettez pour les femmes de HOS campagnes, ce fuseau lui-même est une machine qu'inventa la fileuse en imitant l'araignée ou le travail du ver à soie; mais la charrue elle-même est la première des ma chines, inventée par le laboureur pour creuser plus profondément le sillon et arracher à la terre plus d'épis avec moins de sueurs. Tout est machine pour l'homme. Aussitôt qu'il pense, ce sont les membres infatigables de l'intelligence qui travaillent pendant que nous nous reposons. L'animal n'invente pas de machines, et c'est là sa faiblesse ! L'homme les emploie, et c'est là sa force! Elles sont le signe de sa perfectibilité. Craignez de blasphemer la création en accusant l'industrie! Ce n'est pas la civilisation corrompue et cupide qui a fait l'homme industriel; c'est Dieu qui a fait l'homme industriel, le jour où il l'a créé perfectible. Ne lui enlevez pas son plus beau titre. (On applaudit.)

L'Angleterre, dites-vous, violente l'univers pour le forcer à entrer dans sa sphère d'échanges et de consommations. Je ne veux ni excuser ni accuser l'Angleterre. L'histoire n'en croit pas ces jugements des peuples les uns contre les autres. Cependant, permettez-moi de vous faire remarquer l'énorme différence qui existe entre ces conquêtes même violentes, même iniques, faites au nom du principe industriel, et ces conquêtes faites au nom du système mi

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Je réprouve avec vous la guerre injuste de l'opium en Chine; mais cependant encore, si je m'élève, pour en juger les résul-' tats, non plus seulement à la hauteur de l'historien, qui ne voit que le fait sons ses pas, mais à la hauteur de la philosophie historique, qui embrasse de l'oeil les résultats pour la civilisation tout entière, ne trouvéje aucune compensation à ces envahissements commerciaux de l'Angleterre sur l'Orient? Pensez-y! Qui sait, sans sortir de la question de l'opium, qui sait si ce coup de canon tiré par un vaisseau marchand, au commencement de la guerre de Chine, n'a pas forcé les portes d'un monde nouveau ? Qui sait s'il ne va pas relier une nation de 400,000,000 d'hommes actifs à la grande communion des peuples européens? Et si cela est, comme je n'en doute pas, quel avenir, Messieurs !

Pour vous prouver avec quelle réserve il faut parler des conséquences des plus petits faits, des plus humbles découvertes en industrie, je ne veux vous citer que trois faits pour ainsi dire imperceptibles, et qui se sont rencontrés par hasard, et pourtant providentiellement, au commencement de ce siècle; ce será tout mon discours. En 1768, je crois, on apporte pour la première fois, au gouverneur général des Indes, quelques graines de thé, comme curiosité; et aujour d'hui, par les besoins d'une consommation qui embrasse l'Angleterre, l'Allemagne, la Russie, la Suisse, des flottes entières de navires à trois ponts traversent tous les six mois l'Océan, pour transporter les caisses de ce thé, échange de deux mondes. Un autre fait il y a environ quarante ans qu'on ap porte au pacha d'Egypte une plante de coton d'Amérique; on la cultive dans le limon da Nil, et maintenant la moitié des vaisseaux de la Méditerrannée, de toutes les nations, est employée à transporter en Europe les cotons du Nil. Ce n'est rien: cette ri chesse ouvre les yeux à la politique et l'on se souvient tout à coup que l'isthme de Suez, oublié tant de siècles par le commerce, est la route abrégée des Indes, et va faire communiquer les deux continents. Enfin, un dernier fait Il y a cinquante ans environ qu'un machiniste anglais, découvre l'incalculable force d'expansion de la vapeur de l'eau bouillante sur les parois d'une chaudière; et la machine à vapeur est inventée!

:

Que résulte-t-il, de ces trois faits indus triels coïncidant dans le même siècle? il en résulte, une seconde création du monde géographique, politique, moral et commier cial; il en résulte le rapprochement des extré mités de la terre; il en résulte la fusion des langues, des races, des mœurs, des intérêts, des religions; il en résulte, pour l'humanité

tout entière, un accroissement de force et d'unité, que Dieu seul peut calculer; il en résulte enfin, dans un avenir certain et peutêtre prochain, la réalisation de cette chimère rêvée en vain, depuis tant de siècles, par tous les conquérants, par tous les dog mes, c'est-à-dire la monarchie universelle mais la véritable monarchie universelle, la monarchie universelle de l'intelligence, du commerce, de l'industrie et des idées !

Voilà l'industrie! Les industries sont les degrés par lesquels la civilisatien s'élève, siècle par siècle, découverte par découverte. Oserions-nous les maudire, les restreindre, les gêner, après cela? Je sais bien que rien n'est plus loin d'une pensée aussi mûre que la vôtre; je sais que ces plaintes ne sont qu'un jeu de l'esprit; mais il est dangereux de jouer avec la vérité. Des hommes tels que vous, on prend tout au sérieux en jetant une plaisanterie à leur siècle, ils courent risque de lui faire accepter une erreur....

Faut-il arrêter nos travailleurs, interdire nos métiers, briser nos machines? Non, il faut avoir le courage d'accepter les difficultés de son époque et d'en triompher C'est toujours d'un violent effort que sont nés les grands succès en civilisation. Le monde de vient industriel? Eh bien! il faut donner une âme à l'industrie, et prévenir ainsi son plus grand vice, l'endurcissement de cœur qu'elle produit dans les peuples qui font Tear dieu de la richesse. Vous avez invoqué tout à l'heure la sollicitude du pays sur les plaies, les vices et les misères des classes faborieuses; vous avez prononcé, en finissent, un mot de la langue religieuse, destiné à devenir un mot politique : la charité! Ah! ce mot est le nôtre aussi, croyez-le. J'atteste je tous mes honorables collègues du conseil général du département! Ils savent si nos sessions sont remplies d'une autre pensée que celle de l'assistance aux nécessités de tes classes laborieuses. Nous ne sommes pas de cette école d'économistes implacables qui retranchent les pauvres de la communion des peuples, comme des insectes que la société secoue en les écrasant, et qui font, de l'égoïsme et de la concurrence seuls, les législateurs muets et sourds de leur association industrielle. Nous savons bien qu'à une autre époque, le matérialisme en haut a dû produire cette législation de l'égoïsme en Las; ce n'est pas la nôtre ! Nous croyons, nous, et nous agissons selon notre foi, nous croyons que la société doit pouvoir, agir, guerir, vivifier, qu'il n'y a de richesse légitime que celle qu'aucune misère immérilée n'accuse.

La richesse publique a trois lois inflexibles, absolues: le travail, la liberté du travail et la concurrence. Chacun doit travailler ; c'est la loi de la nature, la loi de l'esprit, comme celle de la matière. Chacun doit travailler brement, et enfin chacun ne doit avoir d'autre limite à sa faculté de travailler et de produire que la concurrence avec ceux qui travaillent et qui produisent comme lui. Voilà la loi! Si on la viole, on devient arbi

traire ou oppresseur, on gène l'un au profit de l'autre, ou l'on établit un véritable maximum de travail et de production qui nonseulement appauvrit et ruine l'Etat, inais qui opprime, dans le travailleur, la plus ina liénable des libertés de l'homme, la liberté de ses sueurs ! Je sais que des opinions qui se croient plus en avant formulent une organisation forcée du travail et une réparti tion de la richesse publique en dehors de ces conditions. Le temps a seul les secrets du temps; mais, dans l'état actuel de nos lumières et de nos connaissances, nous croyons, nous, que la liberté est encore la justice, et que rêver l'organisation forcée et arbitraire du travail, c'est rêver la résurrec tion des castes de l'Inde, au lieu de l'égalité ascendante du monde moderne, et là tyrannie du travail, au lieu de son indépendance et de sa rétribution par ses

œuvres.

Mais, nous ne nous le dissimulons pas non plus, la concurrence seule est insuffisante la concurrence, c'est l'égoïsme abandonné à lui-même. La concurrence est sans pitié; elle agit avec la force aveugle et.brutale de la fatalité; elle foule, elle écrase tout autour d'elle. Que tout le monde se ruine pourvu que je m'enrichisse! Voilà sa devise. Ce no peut pas être celle d'une société bien faite, d'une société morale, d'une société chré tienne surtout. Non, quand la concurrence a tué toute une industrie et arraché le dernier salaire, le dernier morceau de pain des mains de l'ouvrier sans travail, la société ne peut pas lui dire : Meurs de faim! Le dernier mot, la dernière raison d'une société bien faite ne peut jamais être la mort! Le dernier mot d'une société, c'est la vie, c'està-dire du travail et du pain! C'est là qu'il faut inévitablement arriver; c'est là qu'il faut tendre à la fois par la science de l'économie, politique mieux étudiée, et par ces inspirations du cœur humain qui précèdent et qui complètent toute science, et qu'un de nos confrères définissait si bien tout à l'heure dans ces trois mots sublimes : « Aimer, c'est savoir. »

Au delà des systèmes économiques, il y a le monde tout entier! Il y a le monde moral il y a Dieu et ses lois non écrites, qui, interprêtées de plus en plus par les philosophes et surtout par les hommes religieux, viennent corriger et compenser nos lois toujours imparfaites, comme tout ce qui est écrit par les mains de l'homme! Oui, il y a là des inspirations supérieures aux inspirations de la cupidité industrielle, et même de la politique purement humaine; sans ces inspirations, il n'y a pas une société qui ne succombat sous ses vices, sous ses inégalités, sous ses misères. L'équilibre, sans cesse rompu par la cupidité est sans cesse rétabli par le dévouement. Ily a un effort perpétuel, en sens contraire, de la cupidité et de la charité.

Eh bien! que voulons-nous, nous? Que la société politique ne reste pas impassiblement spectatrice de cette lutte entre les in

dustries, entre la richesse et le travail; qu'elle intervienne, non pas en se plaçant arbitrairement entre le fabricant et l'ouvrier, entre le consommateur et le producteur, en tre le travail et le salaire libres, mais qu'elle intervienne avec toute la force d'adminis tration et de réparation qui lui appartient, pour placer, toujours et partout une assistance à côté d'une nécessité, un salaire momentané à côté d'une cessation de travail, 'un fonds commun des classes ouvrières, et pour créer, en un mot, une providence visible, éclairée, active, sur tous les points souffrants de la population, à l'image de cette Providence invisible qui ne s'efface quelquefois des yeux des misérables que pour laisser à la société le mérite et la gloire de la suppléer un moment !

Découvrira-t-on les moyens de réaliser partout cette solidarité secourable de tous avec tous, que semblait invoquer avec tant d'espérance, tout à l'heure, l'illustre philosophe auquel je réponds? Quant à moi, je n'en doute pas. La société n'a jamais manqué d'inventer ce qui lui était nécessaire. Le grand inventeur de la société, ce n'est pas le génie, le grand inventeur de la société, c'est l'amour! Le génie n'est qu'une faculté, l'amour des hommes est une vertu passionée; et disons-le à notre honneur ou à notre excuse, cette passion de l'amé lioration de l'humanité sous toutes ses formes, c'est la passion caractéristique du siècle où nous vivons. C'est elle, c'est cette passion qui a emprunté à la religion le mot sublime d'égalité, et qui lui empruntera bientôt j'espère le mot plus sublime en

les classes. Ce siècle qu'on accuse, a fait faire des pas immenses à la politique : la politique ne regardait qu'en haut, elle regarde à présent en bas; elle ne cherchait ses titres que dans la force, elle les cherche aujourd'hui dans la raison religieuse surtout, qui n'est pas le produit problématique de Ja science, mais que ces ministres de la loi divine, ces hommes intermédiaires entre Dieu et l'humanité, ont reçue toute faite, avec les dogmes mêmes de leur foi. En remontant si baut, en s'élevant jusqu'à Dieu, la science économique va puiser la lumière, les vérités, les bienfaits, à leur véritable source; elle y va chercher son droit divin, passez-moi le mot. Elle n'était qu'une association d'intérêts, elle devient une religion; et, en méritant ce nom sublime, elle en prend l'âme et l'efficacité pour animer et pour organiser librement un peuple de travailleurs.

Et vous, hommes pieux, ministres de l'aumône, administrateurs des vertus humaines, vous, inspirés par un esprit qui devance toujours celui des hommes, vous nous prêterez, pour compléter ou pour suppléer nos lois imparfaites, ces deux forces que vous possédez seuls, et sans lesquelles aucune société ne peut se tenir debout, la charité en haut et la résignation en bas! (Applaudissements prolongés.)

Cette opinion qu'ont voulu accréditer

certains publicistes que le paupérisme croit avec l'industrie, est combattue par des chiffres dans l'essai de statistique de M. le comte d'Angeville, qui arrive à établir que le nombre des indigents est de 61 par mille dans les départements agricoles, tandis qu'il n'est que de 48 dans ceux où l'industrie est le plus florissante. Une des solutions du problème de l'influence de l'industrie sur le paupérisme, réside dans la connaissance des émigrations et des immigrations d'un dépar tement à l'autre, des départements pauvres dans les départements riches et réciproquement. Eh bien! dit M. le comte d'Angeville, ce travail n'a pas encore été essayé,

Les ouvriers des villes sont considérés comine formant 1/6 de la population, à savoir 6 millions d'individus. Ce sixième compose à peu près 1 million 600,000 travailleurs valides. En chiffres rigoureux on a porté le le chiffre des ouvriers valides tantôt à 1,665,390, tantôt en chiffres ronds à 2 millions.

M. Benoiston de Châteauneuf, évalue le nombre des ouvriers occupés à filer, tisser et teindre les étoffes de coton à 700,000. L'industrie minérale et métallurgique de France en y comprenant les fabrications où le feu joue le principal role, telles que les verreries et poteries, les fours à chaux et à plâtres et les produits chimiques principaux occupe 200,000 ouvriers. La fabrication du sucre indigène occupait à la fin de 1835, d'après Balbi, 120,000 ouvriers.

M. Benoiston de Châteauneuf a donné le dénombrement des ouvriers de Paris ainsi qu'il sait :

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